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24/04/2023 | FRANCE | N°21/03071

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Ch.secu-fiva-cdas, 24 avril 2023, 21/03071


C5



N° RG 21/03071



N° Portalis DBVM-V-B7F-K6V7



N° Minute :







































































Notifié le :



Copie exécutoire délivrée le :





Me Anaïs FAURE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE GRENOBLE



CHAMBRE SOCIALE

- PROTECTION SOCIALE

ARRÊT DU LUNDI 24 AVRIL 2023

Ch.secu-fiva-cdas





Appel d'une décision (N° RG 18/00116)

rendue par le pôle social du tribunal judiciaire de Valence

en date du 11 mai 2021

suivant déclaration d'appel du 06 juillet 2021





APPELANTE :



SARL [13], prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audi...

C5

N° RG 21/03071

N° Portalis DBVM-V-B7F-K6V7

N° Minute :

Notifié le :

Copie exécutoire délivrée le :

Me Anaïs FAURE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE SOCIALE - PROTECTION SOCIALE

ARRÊT DU LUNDI 24 AVRIL 2023

Ch.secu-fiva-cdas

Appel d'une décision (N° RG 18/00116)

rendue par le pôle social du tribunal judiciaire de Valence

en date du 11 mai 2021

suivant déclaration d'appel du 06 juillet 2021

APPELANTE :

SARL [13], prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 6]

[Localité 3]

représentée par Me Emile-Henri BISCARRAT de la SELARL EMILE-HENRI BISCARRAT, avocat au barreau de CARPENTRAS, substitué par Me Hélène MASSAL, avocat au barreau de GRENOBLE

INTIMEE :

Mme [K] [S] épouse [Y]

née le 14 septembre 1973 à [Localité 10]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 5]

représentée par Me Anaïs FAURE, avocat au barreau de VALENCE

CPAM DE LA DROME, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 7]

[Localité 2]

comparante en la personne de Mme [C] [G], régulièrement munie d'un pouvoir

Société [14], prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 11]

[Localité 4]

représentée par Me Céline POMMIER de la SELARL CELINE POMMIER AVOCAT, avocat au barreau de LYON, substituée par Me Sophie VACHER, avocat au barreau de LYON

Société [9], prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 15]

[Adresse 15]

[Localité 8]

représentée par Me Chloé DI MARCO, avocat plaidant, inscrit au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DÉLIBÉRÉ :

M. Jean-Pierre DELAVENAY, Président,

Mme Isabelle DEFARGE, Conseiller,

M. Pascal VERGUCHT, Conseiller,

DÉBATS :

A l'audience publique du 24 janvier 2023

M. Pascal VERGUCHT, Conseiller, en charge du rapport et Mme Isabelle DEFARGE, Conseiller, ont entendu les représentants des parties en leurs conclusions et plaidoiries, assistés de Mme Kristina YANCHEVA, Greffier, en présence de Mme [O] [R], Greffier stagiaire, et de Mme [V] [X], Juriste assistant, conformément aux dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, les parties ne s'y étant pas opposées ;

Puis l'affaire a été mise en délibéré au 31 mars 2023, prorogé au 24 avril 2023, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.

L'arrêt a été rendu le 24 avril 2023.

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme [K] [Y], employée de la société [13], a rempli le 21 octobre 2015 deux demandes de reconnaissance de maladie professionnelle pour un syndrome des canaux carpiens droit et gauche constaté depuis le 11 mars 2015, sur le fondement d'un certificat médical initial du 4 septembre 2015.

Après deux enquêtes administratives clôturées le 2 mars 2016 en l'absence de réponse de l'employeur, et deux colloques médico-administratifs du 15 mars 2016 ayant conclu à une prise en charge du syndrome à droite et à gauche en retenant une première constatation par certificat médical du 11 mars 2015, la Caisse primaire d'assurance maladie de la Drôme a notifié une prise en charge des pathologies au titre du tableau n° 57 des maladies professionnelles par deux courriers du 7 avril 2016.

La caisse a notifié par courrier du 8 juillet 2016 une absence de séquelles indemnisables à droite, et par courrier du 12 juillet 2016 un taux d'incapacité permanente à gauche de 5 %, dont 3 points pour le taux socioprofessionnel, à compter du 1er juin 2016, en retenant des séquelles d'un canal carpien opéré chez une patiente droitière, une petite raideur du poignet et une baisse de force de la main gauche.

La CPAM de la Drôme a dressé le 17 janvier 2018 un procès-verbal de carence à l'occasion d'une tentative de reconnaissance amiable d'une faute inexcusable.

Le pôle social du tribunal judiciaire de Valence saisi par Mme [Y] d'un recours contre la société [13], qui a fait assigner les sociétés [14] et [9], et en présence de la CPAM de la Drôme, a décidé par jugement du 11 mai 2021 de :

- débouter la société [13] de sa demande d'inopposabilité des deux maladies professionnelles,

- dire que ces maladies professionnelles sont dues à la faute inexcusable de cette société,

- dire que l'indemnisation des préjudices pourra être réexaminée en cas d'aggravation de l'état de la victime,

- fixer au maximum la majoration du capital alloué, soit 1.952,33 euros,

- ordonner une expertise médicale avant dire droit sur la liquidation des préjudices subis,

- dire que la CPAM de la Drôme pourra récupérer les sommes dont elle a fait l'avance auprès de la société [13],

- débouter celle-ci de son action récursoire à l'encontre de la [14],

- mettre hors de cause la société [9],

- condamner la société [13] à payer 1.000 euros à ces deux sociétés sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- surseoir à statuer sur les autres demandes,

- déclarer le jugement opposable à la CPAM de la Drôme,

- ordonner l'exécution provisoire.

Par déclaration du 6 juillet 2021, la SARL [13] a relevé appel de cette décision.

Par conclusions n° 2 déposées le 9 janvier 2023 et reprises oralement à l'audience devant la cour, la SARL [13] demande :

- l'infirmation du jugement,

- de débouter la CPAM de ses demandes en l'absence de maladie professionnelle,

- de débouter subsidiairement Mme [Y] de ses demandes en l'absence de faute inexcusable,

- plus subsidiairement que soit jugé bien-fondé l'appel en cause de la société [14] comme précédent employeur, que les maladies professionnelles soient jugées comme résultant d'une faute inexcusable de cette société, qu'elle en assume intégralement les conséquences financières et que soit désigné un médecin-expert,

- en tout état de cause, que la décision soit déclarée commune et opposable à la société [9],

- la condamnation de Mme [Y] aux dépens et à lui verser 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société fait valoir que Mme [Y] a été embauchée comme lingère en 2004 par la société [14] et que le contrat de travail a été repris en 2011 par une SARL [12] puis par elle-même, la salariée étant alors en congé maternité et n'ayant repris le travail qu'en mars 2015 pendant seulement 46,67 heures avant d'être placée en arrêt maladie le 11 mars 2015, alors que la médecine du travail l'avait déclarée apte sans réserve la veille.

Elle conteste le caractère professionnel du syndrome du canal carpien bilatéral au regard du tableau n° 57 des maladies professionnelles en ce que la date de première constatation médicale est contestable, et que ni le délai de prise en charge ni les conditions d'exposition au risque ne sont respectés. Subsidiairement, la société estime renverser la présomption réfragable d'imputabilité des lésions au travail.

La société conteste ensuite l'existence d'une faute inexcusable, Mme [Y] qui a la charge de la preuve étant défaillante pour justifier une conscience d'un risque ou un manquement aux obligations de sécurité. Subsidiairement, la société se prévaut d'une action en garantie contre la société [14] en sa qualité de précédent employeur, et de la légitimité de sa mise en cause de la société [9] en qualité d'assureur.

Par conclusions rectificatives déposées le 30 septembre 2022 et reprises oralement à l'audience devant la cour, Mme [Y] demande :

- que l'appel soit déclaré recevable,

- la confirmation intégrale du jugement,

- la condamnation de la SARL [13] à lui verser 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Mme [Y] estime que la décision de reconnaissance de maladie professionnelle est définitive à l'égard de la société appelante, et que le caractère professionnel de ses pathologies a été légitimement reconnu par la CPAM, en sachant que la médecine du travail avait relevé l'existence de son syndrome du canal carpien, que la première date de constatation médicale respecte le délai de prise en charge et que son poste l'exposait bien aux gestes listés par le tableau n° 57.

Elle estime que son dernier employeur a commis une faute inexcusable dès lors qu'il avait conscience des risques auxquels elle était exposée, au regard de son document unique d'évaluation des risques, et en l'absence de toute mesure prise pour limiter les manutentions manuelles.

Par conclusions n° 2 déposées le 10 janvier 2023 et reprises oralement à l'audience devant la cour, la SAS [14] ([14]) demande :

- la confirmation intégrale du jugement,

- en tout état de cause sa mise hors de cause,

- subsidiairement le débouté de toute demande à son encontre et de toutes les demandes de la SARL [13] et des autres parties,

- la condamnation de la SARL [13] aux dépens et à lui verser 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société estime avoir été mise hors de cause par le jugement et demande sa confirmation à ce titre. Elle ajoute qu'aucune faute inexcusable ne lui est reprochée, qu'elle n'en a commis aucune et que l'appelante est la seule employeuse concernée sur ce point.

Par conclusions déposées le 5 janvier 2023 et reprises oralement à l'audience devant la cour, la SA [9] devenue [9] demande :

- la confirmation du jugement en ce qu'il l'a mise hors de cause,

- en tout état de cause le débouté de toute demande formulée à son encontre,

- la condamnation de la SARL [13] aux dépens de première instance et d'appel, et à lui verser 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société d'assurances demande la confirmation de sa mise hors de cause dans la mesure où le contrat d'assurance dont se prévaut l'appelante concerne uniquement la responsabilité des dirigeants et non celle de la personne morale, et qu'en toute hypothèse sa garantie n'est pas mobilisable en l'espèce puisqu'elle vise la responsabilité civile et exclut la réparation des dommages corporels ou matériels.

Par conclusions du 26 septembre 2022 reprises oralement à l'audience devant la cour, la CPAM de la Drôme demande :

- la confirmation du jugement, sauf en ce qu'il a prévu que l'indemnisation des préjudices pourra être réexaminée en cas d'aggravation de l'état de la victime,

- que les maladies professionnelles soient déclarées opposables à la SARL [13],

- qu'il lui soit donné acte qu'elle s'en rapporte à la justice sur la demande de reconnaissance d'une faute inexcusable,

- la condamnation de l'employeur à lui rembourser les sommes dont elle aura à faire l'avance,

- la déclaration de décision commune et opposable à la compagnie d'assurance [9] et que celle-ci relève et garantisse la SARL [13].

La caisse considère que les conditions de délai de prise en charge et d'exposition aux travaux prévus par le tableau n° 57 sont réunies au regard de l'enquête administrative, des colloques médico-administratifs, en sachant que l'employeur n'a pas participé à l'enquête bien qu'il ait été destinataire de toutes les notifications à laquelle la caisse était tenue. Elle ajoute que le tableau ne prévoit pas de durée d'exposition minimale, et que le débat sur ce point concerne une éventuelle demande d'inscription au compte spécial qui ne relève pas de la présente juridiction. Elle ajoute que la prise en compte d'aggravations de l'état séquellaire ne peut intervenir qu'après un examen de son médecin-conseil.

En application de l'article 455 du Code de procédure civile, il est donc expressément référé aux dernières conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

MOTIVATION

Sur le caractère professionnel des maladies

1. - Par application des dispositions de l'article L. 461-1 du Code de la sécurité sociale, sont réputées imputables au travail les maladies figurant au tableau des maladies professionnelles lorsque sont remplies les conditions visées par ces mêmes tableaux.

Le tableau n° 57 se rapporte au syndrome du canal carpien, prévoit un délai de prise en charge de 30 jours et une liste limitative des travaux susceptibles de provoquer cette maladie : ce sont les travaux comportant de façon habituelle, soit des mouvements répétés ou prolongés d'extension du poignet ou de préhension de la main, soit un appui carpien, soit une pression prolongée ou répétée sur le talon de la main.

Il est de jurisprudence constante que la prise en charge des maladies professionnelles n'exige pas que le travail habituel soit la cause unique ou essentielle de la maladie, l'exposition du salarié dans les conditions définies par les tableaux de maladie professionnelle suffisant à la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie, même si celle-ci a une origine multifactorielle.

Enfin, la maladie doit être considérée comme contractée au service du dernier employeur chez lequel la victime a été exposée au risque, avant sa constatation médicale, sauf à cet employeur à rapporter la preuve contraire.

2. - La SARL [13] conteste l'apparition surprenante d'un syndrome du canal carpien bilatéral selon un certificat médical du 11 mars 2015 alors que, le 10, la médecine du travail a déclaré la salariée apte sans réserve à la suite d'une visite de reprise.

Cependant, Mme [Y] verse au débat la fiche remplie par la docteure [N] [H] à l'occasion de cette visite, qui mentionne à titre d'information complémentaires « cf gestes répétitifs à son poste (lettre médecin traitant) syndrome canal carpien », de manière manuscrite, et la lecture des termes étant confirmée dans un courriel du 1er avril 2022 par Mme [A] [Z], assistante du médecin du travail ayant demandé l'avis du remplaçant de la docteure [H]. Il n'y a donc pas lieu de présumer une absence de pathologie lors de la visite de reprise du 10 mars 2015, ou de considérer que la pathologie serait apparue tardivement entre le 11 mars et le 4 septembre 2015, date du certificat médical initial, puisque le syndrome avait bien été porté à la connaissance de la médecine du travail par le médecin traitant de la salariée lors de la visite de reprise.

L'appelante prétend que la date de première constatation médicale fixée au 11 mars 2015 ne reposerait sur aucun élément médical sérieux, mais il convient de constater que l'arrêt de travail du 11 mars, la mention rapportée ci-dessus sur la fiche de la médecine du travail, le contrôle exercé par le médecin-conseil de la caisse lors du colloque médico-administratif du 15 mars 2016 ayant retenu cette date, constituent autant d'éléments médicaux sérieux qui suffisent à caractériser la date de première constatation médicale du syndrome du canal carpien bilatéral.

Le délai de prise en charge de 30 jours a donc été respecté au regard du dernier jour travaillé le 10 mars 2015.

3. - La SARL [13] estime que Mme [Y] ne prouve pas avoir été exposée au risque dans les termes du tableau n° 57, car elle n'aurait pas eu pour mission de sortir du linge de machines à laver, de le démêler et de le placer dans une machine à repasser, dès lors qu'il n'y avait pas de machine à laver, mais un tunnel de lavage automatisé. Elle se fonde sur des photographies du poste du travail.

Toutefois, Mme [Y] nie avoir travaillé sur le poste photographié et relève avec raison que les photographies ne précisent ni leur date ni l'endroit photographié, en sachant que la société appelante conclut elle-même avoir plusieurs établissements.

Mme [Y], à qui incombe la charge de la preuve de son exposition aux travaux listés par le tableau n° 57, a très précisément décrit ses activités lors de l'enquête administrative de la CPAM (dont le rapport du 2 mars 2016 rapporte les gestes : vidage et triage de sacs de linges et draps, pliage de linges, serviettes et peignoirs en grosse quantité, repassage au fer, travail sur calandre, remplissage de linge des machines à laver), ainsi que quatre journées type, les différentes calandres utilisées, pour conclure que l'agente de production effectuait bien des mouvements répétés de préhension des deux mains. Ses déclarations apparaissent en outre conformes à l'exercice de son contrat de travail de lingère signé le 26 juillet 2004 et repris intégralement par un avenant du 1er avril 2011, selon les pièces versées au débat.

Lors de l'enquête de la caisse, l'employeur n'a pas répondu à l'envoi et au rappel du questionnaire en ne récupérant pas un pli recommandé, et n'apporte aujourd'hui aucun élément, mis à part des photographies dont la valeur probante est insuffisante.

Par contre, la SARL [13] se prévaut d'une fiche de poste d'agent de production pour prétendre que la salariée n'était pas affectée au lavage, mais à la finition ; or, cette fiche mentionne, ainsi que le relève Mme [Y] (qui souligne aussi l'absence de datation de la fiche présentée et la mention d'un établissement différent de celui où elle exerçait), que les tâches comprennent l'engagement manuel des pièces à traiter avec rapidité et efficacité jusqu'à la fin du traitement client, le contrôle qualité et le traitement en temps réel des non-conformités avec rebut ou relavage, et le rangement et le nettoyage quotidien du périmètre de production. L'employeur conclut donc lui-même que la salariée devait récupérer du linge et le placer sur une machine de repassage et pliage, ce qui impliquait de toute façon des gestes visés par le tableau n° 57, sans qu'importe que les charges soient lourdes puisque cette condition n'est pas prévue par ce tableau.

Mme [Y] effectuait donc bien lors de sa reprise de travail des travaux comportant de façon habituelle, soit des mouvements répétés ou prolongés d'extension du poignet ou de préhension de la main, soit un appui carpien, soit une pression prolongée ou répétée sur le talon de la main.

4. - La SARL [13] fait également valoir que Mme [Y] n'avait pas travaillé pendant près de 4 années avant sa reprise en mars 2015, qu'elle n'a travaillé que 46h67 au cours de ce mois de mars au sein de l'entreprise, ce qui n'est pas compatible avec une maladie évolutive caractérisée par une compression des nerfs pendant une longue durée.

Toutefois, ainsi que le rappellent Mme [Y] et la CPAM, il n'existe aucune condition de durée d'exposition dans le tableau n° 57 des maladies professionnelles.

5. - La SARL [13] estime pouvoir renverser la présomption d'imputabilité du syndrome au travail pour les mêmes raisons évoquées ci-dessus.

Cependant, elle s'appuie elle-même sur le rapport d'expertise du docteur [U] [L] du 10 août 2022, réalisé en application du jugement critiqué, qui a bien relevé que les antécédents médicaux de l'assurée n'ont pas de lien direct avec l'affaire, qu'elle a toujours travaillé à des postes qui demandaient l'utilisation de ses mains et poignets dans la blanchisserie d'une maison de retraite depuis 1998, qu'au cours de toutes ces années de manipulation au niveau des mains et poignets s'est mis en place un syndrome du canal carpien bilatéral, qu'elle souffrait de ses mains et avant-bras voire de ses épaules depuis de nombreuses années et que les médecins consultés attribuaient alors ces douleurs au stress, qu'après un retard de diagnostic le syndrome a été établi à l'occasion d'un électromyogramme pratiqué en mai 2015 avant des opérations à droite en avril 2016 et à gauche en décembre 2021, que le syndrome bilatéral est bien la conséquence de la profession et non celle d'un état antérieur. L'expert a ajouté, en réponse à un dire de la SARL [13], d'une part, que chaque jour travaillé dans la maison de retraite a contribué à l'aggravation du syndrome du canal carpien bilatéral et que la caractéristique de ce syndrome canalaire neurologique est de ne pas être réversible, les arrêts de travail n'ayant pas de vertu réparatrice des lésions installées ; et, d'autre part, qu'il est impossible de dater le syndrome, mais seulement possible d'en constater le caractère sévère à partir du premier électromyogramme et donc une installation ancienne, la sévérité du syndrome signant le caractère professionnel de la maladie.

L'employeur ne peut donc pas se fonder sur les termes du rapport pour écarter l'origine professionnelle de la pathologie au motif qu'elle serait apparue progressivement ou depuis des années, ou que la salariée présenterait des facteurs prédisposants (tabagisme, grossesses et maternités, surpoids, facteurs qui ne sont d'ailleurs pas davantage prouvés), alors que l'expert a bien écarté tout état antérieur interférant et a établi le lien de cause à effet entre le syndrome et le travail de manière circonstanciée, claire et précise.

Il ne peut pas davantage être tiré de conséquence d'un refus de prise en charge, le 30 juillet 2018, par la CPAM, d'une épicondylite du 14 novembre 2017 après un avis négatif d'un Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, dans la mesure où cela ne saurait établir une mauvaise foi alléguée de l'assurée.

6. - Dans ces conditions, c'est à juste titre que les premiers juges ont rejeté les arguments de l'appelante pour contester le caractère professionnel ou l'opposabilité de la reconnaissance des maladies professionnelles.

Sur la reconnaissance d'une faute inexcusable

1. - Il résulte des articles L. 452-1 du Code de la sécurité sociale, L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail que le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Il est de jurisprudence constante qu'il appartient au salarié de rapporter la preuve que l'employeur avait conscience du danger auquel il était exposé et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Par ailleurs, il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de la maladie survenue au salarié, mais qu'il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru au dommage.

2. - La SARL [13] affirme qu'elle ne pouvait pas avoir conscience d'un quelconque danger d'autant que Mme [Y] ne portait pas des sacs de linge représentant des charges lourdes comme elle le prétend sans en justifier, et n'était pas affectée au lavage, mais à la finition. Elle ajoute que sa salariée avait été déclarée apte à son poste lors de sa visite de reprise du 10 mars 2015.

Cependant, outre le fait, déjà relevé, que l'employeur ne justifie pas ses assertions sur le poste occupé par sa salariée, il convient surtout de relever avec cette dernière que l'entreprise justifie du tableau synthèse d'analyse des risques de son document unique d'évaluation des risques, mis à jour au 1er janvier 2015, qui mentionne un risque pour l'individu à la rubrique « Manutentions » et à la catégorie « Gestes répétitifs et postures », pour les postes intitulés Lavoir, Eponges, Draps et nappage.

L'employeur ne peut donc pas se prévaloir d'une absence de conscience d'un risque de trouble musculo-squelettique ou de lésions liés aux gestes et postures de travail sur des postes de lingère, laveuse ou agente de production en finition, impliquant la manutention prolongée de linges, quel que soit l'avis d'aptitude donné par la médecine du travail concernant la salariée considérée.

3. - Mme [Y] explique qu'elle effectuait à longueur de journée le démêlage de linges mouillés, sans aucune automatisation de cette fonction, l'accrochage de draps et de housses à des pinces sur calandres pour étirage, séchage et pliage, ainsi que le vidage des sacs de linges sales et le chargement dans les machines, sans qu'ait été réalisée la moindre mesure de prévention ni aucune mesure pour éviter le recours à la manutention manuelle des charges.

La SARL [13] affirme avoir mis en place une manutention mécanique du linge (repasseuse plieuse notamment) et mis en place une alternance des tâches pour éviter une manutention répétitive manuelle, mais ainsi qu'il a été relevé ci-dessus, elle n'apporte aucun élément probant suffisant à l'appui de son allégation. Elle ne fournit par ailleurs aucun autre élément sur les mesures mises en place pour éviter la réalisation du risque d'apparition des troubles musculo-squelettiques, et notamment son document unique d'évaluation des risques dont elle ne justifie que d'un tableau synthétique d'analyse des risques, et n'allègue pas davantage avoir formé ses employés à la prévention de ces risques.

4. - Il convient dans ces conditions de considérer que la SARL [13] n'a pas pris les mesures nécessaires pour préserver sa salariée des risques d'apparition d'un syndrome du canal carpien.

Sur l'appel en cause de la société [14]

1. - Il est constant que l'employeur faisant l'objet d'une action en reconnaissance de la maladie professionnelle est recevable à demander la mise en cause des précédents employeurs afin de rechercher leur éventuelle faute inexcusable. En outre, en cas de cession de l'entreprise ou d'une branche complète d'activités de l'entreprise, lorsque la maladie trouve sa cause dans l'activité apportée, la société cessionnaire est subrogée aux cédants dans leur obligation d'indemniser la victime sur le fondement de la faute inexcusable.

2. - La SARL [13] estime que Mme [Y] n'a travaillé sous sa responsabilité que durant 46h67 en mars 2015, et que l'exposition aux travaux répétés ou prolongés prévue au tableau n° 57 a été réalisée sous la responsabilité de la société [14], précédent employeur toujours en activité, la salariée ayant suspendu son travail depuis des années.

La société [14] souligne, à juste titre, que l'appelante n'apporte aucun élément ni aucune argumentation pour fonder sa faute inexcusable, alors même qu'il est ici établi que la SARL [13] est responsable d'avoir commis une telle faute au cours du mois de mars 2015.

Par ailleurs, ainsi que le relève la CPAM, un éventuel débat relatif à une demande d'inscription au compte spécial en raison de dépenses afférentes à une maladie professionnelle éventuellement contractée lorsque la victime de la maladie professionnelle a été exposée au risque successivement dans plusieurs établissements d'entreprises différentes sans qu'il soit possible de déterminer celle dans laquelle l'exposition au risque a provoqué la maladie, ne relève pas de la présente juridiction.

5. - Il convient donc de constater que, en l'absence de toute démonstration d'une faute inexcusable de la société [14], et sans qu'il y ait lieu à mettre la société hors de cause, les premiers juges ont légitimement rejeté la demande en garantie formulée par la SARL [13].

Sur la prise en compte de l'aggravation des séquelles

1. - La CPAM estime que la prise en compte d'une aggravation de l'état séquellaire ne pourrait intervenir qu'après un examen de son médecin-conseil, et critique le jugement qui a prévu que l'indemnisation des préjudices pourra être réexaminée en cas d'aggravation de l'état de la victime.

2. - Il n'y a pas lieu de réformer cette mention du dispositif du jugement, dès lors qu'elle n'exclut pas l'examen préalable par le service médical de la caisse et ne fait qu'envisager et rappeler la possibilité d'un réexamen de l'indemnisation des préjudices subis par la victime des suites de ses maladies professionnelles, en cas d'aggravation de son état.

Sur l'appel en cause de la société [9]

1. - Il est constant qu'une société d'assurances peut être mise en cause devant la juridiction de sécurité sociale, aux fins de déclaration de jugement commun, mais ne peut être condamnée, cette juridiction n'étant pas compétente pour trancher un litige relatif à la garantie de l'assureur en application des dispositions des articles L. 142-1 et L. 142-8 du Code de la sécurité sociale.

2. - La SARL [13] demande l'infirmation du jugement en ce qu'il a mis hors de cause la société [9], et l'a condamnée à lui verser une somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

3. - Il n'y avait pas lieu, pour les premiers juges, de se prononcer sur la nature des relations contractuelles et l'applicabilité de la convention d'assurances invoquées par la SARL [13], pour mettre hors de cause la société [9] aux motifs que soulève celle-ci, à savoir qu'une garantie des dirigeants n'aurait pas vocation à s'appliquer à une condamnation pour faute inexcusable de la société dirigée, ou que la garantie de ce risque serait exclue de la police d'assurance. L'examen de ces points ne relève pas de la juridiction de sécurité sociale.

Le jugement sera donc infirmé sur ce seul point, l'équité ne ne s'opposant pas à ce que l'assureur conserve la totalité des frais irrépétibles engagés à la suite de sa mise en cause, et la présente décision sera donc déclarée commune et opposable à la société d'assurances.

Sur les frais de procédure

1. - La SARL [13] supportera les dépens de l'instance en appel.

2. - L'équité et la situation des parties justifient que Mme [Y] ne conserve pas l'intégralité des frais exposés pour faire valoir ses droits et la SARL [13] sera condamnée à lui verser une indemnité de 1.500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Ni l'équité ni la situation des parties ne justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du Code de procédure civile au bénéfice des sociétés [14] et [9].

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire, en dernier ressort après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Valence du 11 mai 2021 sauf en ce qu'il a mis hors de cause la société [9],

Et statuant à nouveau,

Déclare la décision commune et opposable à la SA [9] devenue [9],

Y ajoutant,

Condamne la SARL [13] aux dépens de la procédure d'appel,

Condamne la SARL [13] à payer à Mme [K] [Y] la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

Déboute la société [9] et la SAS [14] de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par M. DELAVENAY, Président et par M. OEUVRAY, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Ch.secu-fiva-cdas
Numéro d'arrêt : 21/03071
Date de la décision : 24/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-24;21.03071 ?
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