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23/03/2023 | FRANCE | N°21/02226

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Ch. sociale -section b, 23 mars 2023, 21/02226


C 2



N° RG 21/02226



N° Portalis DBVM-V-B7F-K4AQ



N° Minute :























































































Copie exécutoire délivrée le :





la SELARL GABARRA GUIEU PRUD'HOMME - AVOCATS



la SCP GERMAIN-PHION JAC

QUEMET

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE GRENOBLE



Ch. Sociale -Section B

ARRÊT DU JEUDI 23 MARS 2023





Appel d'une décision (N° RG 20/00310)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRENOBLE

en date du 09 avril 2021

suivant déclaration d'appel du 12 mai 2021





APPELANTE :



S.A.S. ERT TECHNOLOGIES Prise en la personne de ses représent...

C 2

N° RG 21/02226

N° Portalis DBVM-V-B7F-K4AQ

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée le :

la SELARL GABARRA GUIEU PRUD'HOMME - AVOCATS

la SCP GERMAIN-PHION JACQUEMET

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

Ch. Sociale -Section B

ARRÊT DU JEUDI 23 MARS 2023

Appel d'une décision (N° RG 20/00310)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRENOBLE

en date du 09 avril 2021

suivant déclaration d'appel du 12 mai 2021

APPELANTE :

S.A.S. ERT TECHNOLOGIES Prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés audit siège

Etablissement de [Localité 5]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Valérie GABARRA de la SELARL GABARRA GUIEU PRUD'HOMME - AVOCATS, avocat postulant au barreau de GRENOBLE

et par Me Alexandre GASSE de la SCP GASSE CARNEL GASSE TAESCH, avocat plaidant au barreau de NANCY,

INTIMEE :

Madame [B] [U]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Laure GERMAIN-PHION de la SCP GERMAIN-PHION JACQUEMET, avocat au barreau de GRENOBLE

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DÉLIBÉRÉ :

M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président,

Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère,

M. Pascal VERGUCHT, Conseiller,

DÉBATS :

A l'audience publique du 01 février 2023,

Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère chargée du rapport et M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président, ont entendu les parties en leurs observations, assistés de Mme Carole COLAS, Greffière, conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, les parties ne s'y étant pas opposées ;

Puis l'affaire a été mise en délibéré au 23 mars 2023, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.

L'arrêt a été rendu le 23 mars 2023.

EXPOSE DU LITIGE':

Mme [B] [U], née le 21 mars 1973, a été recrutée par la société par actions simplifiée (SAS) ERT Technologies dans le cadre d'un stage du 9 au 27 juillet 2018, puis en tant qu'intérimaire.

Suivant contrat de travail à durée indéterminée en date du 1er octobre 2018 avec reprise d'ancienneté au 13 août 2018, Mme [B] [U] a été embauchée par la société ERT Technologies pour 39 heures de travail hebdomadaires, en qualité de chargée d'étude, classification ETAM, niveau C de la convention collective des ETAM des travaux publics.

Selon avenant en date du 1er février 2019, la durée hebdomadaire de travail de Mme [B] [U] a été portée à 31 heures.

Mme [B] [U] a obtenu la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé le 19 novembre 2018.

Du 21 au 24 janvier 2020, Mme [B] [U] a bénéficié d'une formation professionnelle dispensée par son employeur en Ile de France.

Par courrier en date du 31 janvier 2020, Mme [B] [U] a été convoquée par la société ERT Technologies à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 11 février 2020, assorti d'une mise à pied à titre conservatoire.

Par lettre en date du 18 février 2020, la société ERT Technologies a notifié à Mme [B] [U] son licenciement pour faute grave en raison d'un comportement général négatif et d'une attitude inacceptable lors de la semaine de formation en Ile de France.

Les documents de fin de contrat lui ont été adressés le 26 février 2020.

Par requête en date du 28 avril 2020, Mme [B] [U] a saisi le conseil de prud'hommes de Grenoble aux fins de contester le bienfondé de son licenciement et d'obtenir le paiement de sommes salariales et indemnitaires.

La société ERT Technologies s'est opposée aux prétentions adverses.

Par jugement en date du 9 avril 2021, le conseil de prud'hommes de Grenoble a':

- Dit et jugé que le licenciement de Mme [B] [U] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- Condamné en conséquence la SAS ERT Technologies à verser à Mme [B] [U] les sommes de :

- 5 375,55 € brut au titre du préavis,

- 537,55 € brut au titre des congés payés sur préavis,

- 783,93 € net au titre de l'indemnité légale de licenciement,

- 1 635,93 € brut à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire

- 163,59 € brut au titre des congés payés sur rappel de salaire,

- 3 500,00 € net à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 5 000,00 € net à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

- 1 500,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- Rappelé que les sommes à caractère salarial bénéficient de l'exécution provisoire de droit, nonobstant appel et sans caution, en application de l'article R. 1454-28 du code du travail, étant précisé que ces sommes sont assorties des intérêts de droit à compter du jour de la demande et que la moyenne mensuelle des trois derniers mois de salaire à retenir est de 1 791,85 €.

- Débouté la SAS ERT Technologies de sa demande reconventionnelle.

- Condamné la SAS ERT Technologies aux dépens.

La décision a été notifiée par le greffe par lettres recommandées avec accusés de réception signés les 13 et 14 avril 2021.

Par déclaration en date du 12 mai 2021, la société ERT Technologies a interjeté appel à l'encontre dudit jugement.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 6 août 2021, la SAS ERT Technologies sollicite de la cour de':

Infirmer en totalité le jugement du conseil de prud'hommes de Grenoble du 9 avril 2021, et statuant à nouveau,

- Débouter Mme [B] [U] de l'intégralité de ses demandes.

A titre subsidiaire, si par impossible le licenciement était jugé sans cause réelle et sérieuse, ramener les condamnations prononcées aux sommes':

- 678,16 € au titre de l'indemnité de licenciement

- 1.791,85 € au titre de l'indemnité de préavis

- 179.18 € au titre des congés payés sur indemnité de préavis

- 985,52 € de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire outre

- 98,55 € au titre des congés payés y afférents.

- La condamner reconventionnellement à payer à la SAS ERT Technologiess une somme de 3.000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 6 octobre 2022, Mme [B] [U] sollicite de la cour de':

Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- Condamné la SAS ERT Technologies à verser à Mme [B] [U] les sommes de':

- 5 375,55 € brut au titre du préavis,

- 537,55 € brut au titre des congés payés sur préavis,

- 783,93 € net au titre de l'indemnité légale de licenciement,

- 1 635,93 € brut à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire,

- 163,59 € brut au titre des congés payés sur rappel de salaire,

-5 000 € net à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

- 1 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- Débouté la SAS ERT Technologies de sa demande reconventionnelle,

- Condamné la SAS ERT Technologies aux dépens.

Le réformer pour le surplus et, statuant à nouveau,

- Juger que le licenciement de Mme [B] [U] est nul et, subsidiairement, sans cause réelle et sérieuse,

- Condamner la SAS ERT Technologies à verser à Mme [B] [U] les sommes suivantes':

- 10.750 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, et subsidiairement pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que les dépens.

Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l'article 455 du code de procédure civile de se reporter aux conclusions des parties susvisées.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 1er décembre 2022. L'affaire, fixée pour être plaidée à l'audience du 1er février 2023, a été mise en délibéré au 23 mars 2023.

EXPOSE DES MOTIFS

1 - Sur les prétentions relatives à l'exécution du contrat de travail

Conformément à l'article L. 1222-1 du code de travail, le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi. La bonne foi se présumant, la charge de la preuve de l'exécution déloyale du contrat de travail par l'employeur incombe au salarié.

En l'espèce, la salariée allègue des problèmes d'organisation, ayant impacté ses conditions de travail, pour lesquels l'employeur n'a adopté aucune mesure d'amélioration malgré différentes alertes.

Elle produit trois attestations de témoin qui font ressortir un manque d'organisation au sein de l'agence et des conditions de travail inadaptées.

Mme [O] [C] qui a travaillé comme technicienne SIG déploiement de la Fibre optique Isère à l'agence de [Localité 5] affirme avoir démissionné «'car les conditions de travail y étaient insoutenables'».

Mme [C] précise que «'l'effectif grandissait, certes, mais à un rythme clairement insuffisant par rapport à l'augmentation de la charge de travail'», que «'la formation se faisait sur le tas entre nous. Aucune procédure technique n'était mise en place'», et que «'un de nombreux chefs m'a exposé le fait que j'étais «'payée pour exécuter pas pour réfléchir'».

Elle indique également avoir fait «'remonté plusieurs fois le mal-être du personnel auprès de la DRH [...] lors de nos entretiens, du manque de prise en charge du personnel, aussi bien au niveau technique qu'au niveau logistique.'».

M. [J] [N], employé bureau d'études, atteste qu'il y avait «'plusieurs problèmes au sein de l'organisation du Bureau d'études de [Localité 5]': Premièrement un problème au niveau des formations qui devaient se faire en interne [...]. La charge de travail importante, le grand nombre de nouveau collaborateur ainsi que la diversification des tâches a rendu nécessaire de réelles formations à l'échelle du bureau d'étude. La demande a été faite à plusieurs reprises sans aboutir.'».

Il ajoute que «'une fois que la compétence était acquise et que la personne prenait une place plus importante en terme de responsabilité, il n'y avait pas de nouveau contrat. Je suis ainsi passé d'employé à responsable d'ingénierie avec plusieurs personnes à ma charge sans pouvoir faire modifier mon contrat. Ce qui va de pair avec un manque de moyens qui nous était donné au sein du BE. Principalement l'absence de process ou de méthodes qui auraient permis d'être plus efficaces sans avoir à laisser ces personnes se débrouiller seules.'».

M. [L] [S], chargé d'études, explique que «'certaines dispositions relatives à l'organisation interne ne facilitaient pas la fluidité du travail. Sur ma période en entreprise 'jusqu'au mois d'avril 2019) il n'y avait aucun processus défini pour la livraison des études, une absence compléte de démarche qualité ainsi qu'un bel imbroglio sur la répartition des tâches de production quel que soit le niveau hiérarchique.'».

Ce témoin ajoute que «'Dans ce contexte, les employés qui essayaient de faire évoluer les choses ont tous été au fur et à mesure mis à la marge de l'encadrement et de la contextualisation du travail.'».

La salariée produit également des échanges de mails datés du 9 et 10 septembre 2019 qui corroborent ce manque d'organisation, puisque «'Suite à la petite réunion d'hier, qui avait pour but de réunir tous les services sur les problèmes et difficultés à réaliser correctement les objectifs, il est demandé, de façon à ce que chacun puisse s'exprimer, de poser par écrit les dysfonctionnements rencontrés.'», Mme [U] ayant participé à la coordination de cette alerte sur les conditions de travail.

Ainsi, Mme [P] [Y], responsable conventionnement, indique dans son mail du 9 septembre 2019 «'nous nous permettons ce mail afin de tirer la sonnette d'alarme sur les divers

dysfonctionnements dans le bon déroulement du projet et la bonne santé de l'entreprise'» en précisant que «'nous n'acceptions plus cette méthodologie du «'fictif'» et du «'correctif'» permanent, qui nous oblige à travailler sous pression constante'» en raison de divers problèmes au niveau des demandes de livrables sur des zones non finalisées et en réclamant «'de pouvoir travailler dans le bon ordre pour une production pérenne et avoir la possibilité de retarder certains lancements en prod. Contre une ou d'autres dont nous avons les moyens de le faire.'».

De la même manière, M. [T] [G] met en exergue «'le manque de formation. Ou le manque de moyen mis pour la formation. [...] qu'il faudrait mettre en place des protocoles de travail. Comme une liste d'étapes à suivre pour réussir à faire son travail.'». Il ajoute que «'niveau matériel, certaines personnes demandent depuis plus de 6 mois du matériel «'primaire'» pour bien travail. On leur dit que la commande est en cours. On ne demande pas la lune mais des souris, claviers, rehausseur d'écran'», ainsi que «'il y a un manque criant de communication dans cette entreprise.'».

Mme [B] [U] produit également un mail, daté du 30 janvier 2020, qu'elle a envoyé à plusieurs collaborateurs de la société ayant pour objet «'Demande de tâches'» et précisant que «'nous sommes toujours en attente de tâches à faire.'» et que «'nous sommes bloqués à cause des accès que nous n'avons pas comme signalé dans le mail précédent'».

La complexité de la situation au sein de l'agence est également corroborée par M. [A] [F], directeur des opérations, dont l'attestation est produite par l'employeur, qui indique que «'Suite à l'incapacité de la région Rhône-Alpes à gérer et traiter du FTTH, nous avons rattaché l'Etablissement de [Localité 5] à la région Ile-de-France d'autant plus que l'Etablissement de [Localité 5] se trouvait dépourvu de Direction régionale. L'agence Ile-de-France devant redresse la situation le plus rapidement possible pour réduire ou du moins limiter les pénalités financières.'».

Enfin la salariée indique, dans ses écritures, que malgré trois réunions survenues après l'alerte de septembre 2019, la société n'a adopté aucune mesure d'amélioration des conditions de travail et que l'organigramme a été communiqué tardivement en interne le 12 novembre 2019, impactant sur l'organisation du travail au sein de l'agence de [Localité 5].

En réponse, l'employeur soutient que les trois attestations produites par la salariée n'ont pas de valeur probante en ce qu'il s'agit d'anciens salariés de la société ayant démissionné avant la réorganisation.

Cependant, il ressort d'un mail en date du 18 février 2019 que Mme [C], au moment de sa démission, avait indiqué un désordre, une mauvaise organisation et un problème d'outils, de sorte que le manque d'organisation et les problèmes de conditions de travail sont antérieurs à la réorganisation survenue en fin d'année 2019 et que la hiérarchie avait donc connaissance de cet élément.

Ainsi, la situation décrite par les attestations produites par la salariée quant aux problèmes d'organisation se révèle établie.

Par ailleurs, l'employeur verse aux débats les comptes rendus des réunions du 13 septembre, du 3 octobre 2019 et du 5 novembre 2019 qui recensent à la fois le problème de communication et les inquiétudes du bon sens dans la réalisation des étapes et au cours desquelles l'organigramme a été présenté et discuté avant d'être transmis le 19 novembre 2019.

Toutefois, ces réunions n'ont pas pris en compte les demandes de formation et de meilleure organisation et répartition des tâches qui ressortent des demandes précitées des salariées et l'employeur ne verse aucun autre élément permettant d'établir que les mesures mentionnées dans les comptes rendus, comme une réunion bimensuelle relative à la communication, auraient été mises en place de manière effective.

En outre, l'employeur ne développe aucun moyen pertinent quant à l'absence de tâches concernant la salariée fin janvier 2020.

Ainsi, il se contente de répondre qu'il n'avait pas à nommer les personnes s'étant plaintes de l'attitude de la salariée lors de l'entretien préalable au licenciement, alors que ce moyen n'est pas soulevé par la salariée dans ses conclusions devant la présente cour.

Par suite, Mme [B] [U] établit suffisamment qu'il y avait un manque d'organisation au sein de l'agence de [Localité 5] de la société ERT Technologies ayant impacté sur ses conditions de travail, au point que la salariée, en janvier 2020, n'avait pas de tâches précises à effectuer.

Dès lors, la société ERT Technologies a exécuté de manière déloyale le contrat de travail en ne prenant pas en compte les alertes quant aux conditions de travail, à l'absence de formation adéquate et de méthodes de travail et en ne fournissant pas du travail à la salariée en janvier 2020.

Finalement, Mme [U] établit avoir subi un préjudice en versant aux débats une attestation d'une psychologue qui précise que «'Fin 2019, Madame reprend contact, à l'occasion de la fragilisation de son équilivre de vie et d'une tension importante vécue sur son lieu de travail.'», une attestation médicale qui précise qu'elle «'a présenté fin 2019 un épisode de gastrite érosive dans un contexte de stress important qu'elle attribue à son travail. Depuis début 2020, aggravation des douleurs chroniques préexistantes avec réintroduction antidouleur de classe II.'» et des attestations de proches indiquant que ses conditions de travail ont eu des répercussions sur sa vie personnelle.

Par conséquent, par réformation du jugement entrepris quant au quantum, il convient de condamner la société ERT Technologies à payer à Mme [B] [U] la somme de 2'500'euros au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail.

2 - Sur les prétentions relatives à la rupture du contrat de travail

En application des articles L.'2281-3 et L.'1121-1 du code du travail, les opinions que les salariés, quelle que soit leur place dans la hiérarchie professionnelle, émettent dans l'exercice du droit d'expression ne peuvent motiver une sanction ou un licenciement.

Sauf abus, le salarié jouit dans l'entreprise et en dehors de celle-ci de sa liberté d'expression à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées.

Toutefois, des propos injurieux, diffamatoires ou excessifs peuvent caractériser un abus par le salarié de sa liberté d'expression.

Le caractère illicite du motif du licenciement prononcé, même en partie en raison de l'exercice par le salarié de sa liberté d'expression, liberté fondamentale, entraîne à lui seul la nullité du licenciement.

Conformément à l'article L.'1132-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire mentionnée à l'article L.'1132-1 en raison de l'exercice normal du droit de grève.

En application de l'article L.'1235-3-1 du code du travail, l'article L.'1235-3 n'est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d'une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Les nullités mentionnées au premier alinéa sont celles qui sont afférentes, notamment, à la violation d'une liberté fondamentale.

En l'espèce, Mme [B] [U] sollicite la nullité de son licenciement en alléguant, d'une part, que son licenciement est en lien avec sa participation au mouvement de grève du 5 décembre 2019 et, d'une part, que son licenciement est en lien avec sa liberté d'expression au sein de l'entreprise.

D'une première part, il ressort de ses écritures que la société ERT Technologies reproche à sa salariée, alors que celle-ci avait décidé de faire grève le 5 décembre 2019, qu'elle s'est «'contentée de passer la veille dans le bureau de la chef de groupe pour le signaler, ce qui traduit un manque de respect certain pour ses collègues'» (page 6 de ses conclusions).

L'employeur verse à ce titre un échange de mail daté des 5 et 6 décembre 2019, par lequel la responsable des ressources humaines demande à la cheffe de groupe Bureau d'études si la salariée lui a adressé un mail quant au fait de faire grève'; la chef de groupe Bureau d'études indique «'pas de mail elle est juste passé hier pour me dire qu'elle sera en grève demain'»'; la responsable des ressources humaines indique au directeur des ressources humaines': «'Pour info, on verra si elle l'indique bien sur sa feuille d'heures'».

Ces éléments ne permettent pas d'établir que la décision de licenciement, prononcée deux mois après, le 18 février 2020, présente un lien avec la participation de Mme [B] [U] au mouvement de grève du 5 décembre 2019, le seul reproche effectué étant la manière dont la salariée aurait prévenu sa responsable de sa participation à la grève.

Dès lors, le moyen tenant à la nullité du licenciement quant à l'exercice du droit de grève doit être écarté.

D'une seconde part, la cour rappelle que Mme [U] établit suffisamment que la société ERT Technologies n'a pas exécuté loyalement son contrat de travail en n'améliorant pas ses conditions de travail malgré différentes alertes et réunions survenues entre septembre et décembre 2019 de la part de différents salariés, dont Mme [B] [U].

Ainsi, le licenciement de la salariée intervient dans un contexte où la salariée s'était exprimée sur ses conditions de travail et en particulier sur les problèmes d'organisation au sein de l'entreprise.

Or, la lettre de licenciement reproche à Mme [B] [U], en plus de son appréciation négative d'une formation en janvier 2020, ses «'négativités quotidiennes'» que l'employeur tente d'établir, selon l'attestation de M. [A] [F], comme «'son mécontentement et son agacement récurent vis-à-vis de la Direction minant le moral des autres collaborateurs et perturbant ainsi le service alors que la situation était déjà très compliquée'».

En outre, la cour constate, comme l'allègue la salariée, que sa lettre de licenciement, en date du 18 février 2020, est libellée dans des termes identiques à la lettre de licenciement adressée à M.'[K] [W], reprochant donc à deux salariés d'avoir critiqué négativement une formation en janvier 2020 et leurs «'négativités quotidiennes'», mettant en exergue que la société ERT Technologies reproche à sa salariée de s'être exprimée quant à l'organisation du travail au sein de l'agence.

Dès lors, il résulte de ces constatations que la salariée a uniquement critiqué ses conditions de travail en raison du manque d'organisation et de tâches à effectuer, ce qui relève du droit d'expression de la salariée, étant observé que la société ne démontre pas que les critiques effectuées par la salariée constitueraient un abus de sa liberté d'expression.

Par conséquent, compte tenu de la violation par l'employeur des dispositions des articles L.'1121-1 et L.'2281-3 du code du travail et sans qu'il soit nécessaire d'apprécier le caractère réel et sérieux des griefs visés dans la lettre de licenciement, le licenciement notifié le 18 février 2020 à Mme [B] [U] est nul.

Le jugement entrepris est donc infirmé à ce titre.

3 - Sur les conséquences financières

D'une première part, le licenciement étant nul, Mme [B] [U] est bien fondé à solliciter une indemnité compensatrice de préavis, une indemnité de licenciement et un rappel de salaire sur mise à pied à titre conservatoire, la SAS ERT Technologies contestant les quantums sollicités.

S'agissant de l'indemnité compensatrice de préavis, l'article 8.1 de la convention collective nationale des employés, techniciens et agents de maîtrise du bâtiment du 12 juillet 2006, prévoit qu'en cas de licenciement autre que pour faute grave, la durée du préavis est fixée à 1 mois si l'ETAM a moins de deux d'ancienneté dans l'entreprise.

Ainsi, Mme [B] [U] étant bénéficiaire de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé depuis le 1er mai 2019, en application de l'article L.'5213-9 du code du travail, l'indemnité compensatrice de préavis doit être équivalente à deux mois de salaire.

S'agissant de l'indemnité de licenciement en application de l'article L 1234-9 du code du travail, l'ancienneté de Mme [U] ayant été reprise à compter du 13 août 2018 et le licenciement datant du 18 février 2020, Mme [U] a donc acquis une ancienneté d'un an et huit mois, préavis de deux mois inclus.

S'agissant du rappel de salaire sur mise à pied à titre conservatoire, Mme [B] [U] a été mise à pied à compter du jeudi 31 janvier 2020 jusqu'au lundi 18 février 2020, soit 13 jours non travaillés.

Dès lors, par réformation du jugement entrepris quant au quantum, il convient de condamner la SAS ERT Technologies à payer à Mme [U] les sommes suivantes':

- 3'583,70'euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 358,37'euros bruts de congés payés afférents,

- 746,62'euros au titre de l'indemnité de licenciement,

- 1'321,84'euros bruts au titre du rappel de salaire sur la mise à pied à titre conservatoire, outre 132,18'euros bruts de congés payés afférents, correspondant à 13 jours travaillés.

D'une deuxième part, au visa de l'article L.'1235-3-1 du même code, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Mme [B] [U] justifie de son inscription à Pôle Emploi à compter du 2 mars 2020 jusqu'en décembre 2020, d'une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé du 1er mai 2019 au 30 avril 2024, de la conclusion d'un contrat d'apprentissage entre le 18 juillet 2022 et le 15 septembre 2023 dans le cadre d'une licence professionnelle Qualité, Hygiène, Sécurité, Santé et Environnement et de difficultés financières en 2020 par la production d'un relevé de compte des frais locatifs et d'un relevé de frais bancaires.

En considération de ces différents éléments, du salaire moyen d'un montant de 1'791,85'euros bruts, de l'âge de la salariée au moment du licenciement et de sa capacité à retrouver un emploi, il convient de condamner la société ERT Technologies à payer à Mme [B] [U] la somme de 10'750,00'euros bruts à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, par infirmation du jugement entrepris.

Sur les demandes accessoires':

La société ERT Technologies, partie perdante à l'instance au sens des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, doit être tenue d'en supporter les entiers dépens.

Il serait par ailleurs inéquitable, au regard des circonstances de l'espèce comme des situations économiques des parties, de laisser à la charge de Mme [B] [U] l'intégralité des sommes qu'elle a été contrainte d'exposer en justice pour la défense de ses intérêts, de sorte qu'il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné société ERT Technologies à lui payer la somme de 1'500'euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et, y ajoutant, de la condamner à lui verser la somme de 1'500'euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.

En conséquence, la demande indemnitaire de la société au titre des frais irrépétibles qu'elle a engagés est rejetée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, dans les limites de l'appel et après en avoir délibéré conformément à la loi';

CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a':

- Condamné la SAS ERT Technologies à payer à Mme [B] [U] la somme de 1'500'euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Débouté la SAS ERT Technologies de sa demande reconventionnelle,

- Condamné la SAS ERT Technologies aux dépens,

L'INFIRME pour le surplus';

Statuant à nouveau et y ajoutant,

CONDAMNE la SAS ERT Technologies à payer à Mme [B] [U] la somme de 2'500'euros nets (deux mille cinq cents euros) à à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail';

PRONONCE la nullité du licenciement notifié à M. [B] [U] le 18 février 2020';

CONDAMNE la SAS ERT Technologies à payer à Mme [B] [U] les sommes suivantes':

- 3'583,70'euros bruts (trois mille cinq cent quatre-vingt-trois euros et soixante-dix centimes) au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 358,37'euros bruts (trois cent cinquante-huit euros et trente-sept centimes) au titre des congés payés afférents,

- 746,62'euros (sept cent quarante-six euros et soixante-deux centimes) au titre de l'indemnité de licenciement,

- 1'321,84'euros bruts (mille trois cent vingt-et-un euros et quatre-vingt-quatre centimes) au titre du rappel de salaire sur la mise à pied à titre conservatoire,

- 132,18'euros bruts (cent trente-deux euros et dix-huit centimes) à titre de de congés payés afférents,

- 10'750,00'euros bruts (dix mille sept cent cinquante euros) au titre des dommages et intérêts pour licenciement nul';

DÉBOUTE la SAS ERT Technologies de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile';

CONDAMNE la SAS ERT Technologies à payer à Mme [B] [U] la somme de 1'500'euros (mille cinq cents euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile';

CONDAMNE la SAS ERT Technologies aux entiers dépens d'appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président de section, et par Mme Carole COLAS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Ch. sociale -section b
Numéro d'arrêt : 21/02226
Date de la décision : 23/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-23;21.02226 ?
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