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09/03/2023 | FRANCE | N°21/01886

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Ch. sociale -section b, 09 mars 2023, 21/01886


C 9



N° RG 21/01886



N° Portalis DBVM-V-B7F-K24I



N° Minute :























































































Copie exécutoire délivrée le :





Me Ladjel GUEBBABI



la SCP ELISABETH LIGIER DE MAUROY & LAURENT LIGIER

AVOUÉS ASSOCIÉS

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE GRENOBLE



Ch. Sociale -Section B

ARRÊT DU JEUDI 09 MARS 2023





Appel d'une décision (N° RG 19/00773)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRENOBLE

en date du 02 avril 2021

suivant déclaration d'appel du 22 avril 2021





APPELANT :



Monsieur [G] [N]

né le 02 Janvier 1966 à [Localit...

C 9

N° RG 21/01886

N° Portalis DBVM-V-B7F-K24I

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée le :

Me Ladjel GUEBBABI

la SCP ELISABETH LIGIER DE MAUROY & LAURENT LIGIER AVOUÉS ASSOCIÉS

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

Ch. Sociale -Section B

ARRÊT DU JEUDI 09 MARS 2023

Appel d'une décision (N° RG 19/00773)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRENOBLE

en date du 02 avril 2021

suivant déclaration d'appel du 22 avril 2021

APPELANT :

Monsieur [G] [N]

né le 02 Janvier 1966 à [Localité 5] (99)

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 2]

représenté par Me Ladjel GUEBBABI, avocat au barreau de GRENOBLE

INTIMEE :

S.A.S. EIFFAGE CONSTRUCTION ALPES DAUPHINE prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 1]

représentée par Me Laurent LIGIER de la SCP ELISABETH LIGIER DE MAUROY & LAURENT LIGIER AVOUÉS ASSOCIÉS, avocat postulant au barreau de LYON,

et par Me Olivier GELLER de la SCP AGUERA AVOCATS, avocat plaidant au barreau de LYON

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DÉLIBÉRÉ :

M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président,

Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère,

M. Pascal VERGUCHT, Conseiller,

DÉBATS :

A l'audience publique du 18 janvier 2023,

M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président chargé du rapport, et Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère, ont entendu les parties en leurs conclusions et plaidoiries, assistés de Mme Carole COLAS, Greffière, conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, les parties ne s'y étant pas opposées ;

Puis l'affaire a été mise en délibéré au 09 mars 2023, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.

L'arrêt a été rendu le 09 mars 2023.

EXPOSE DU LITIGE':

M. [G] [N], né le 2 janvier 1966, a été embauché le 27 novembre 2006 par la société par actions simplifiée (SAS) Eiffage Construction Alpes Dauphine suivant contrat de travail à durée indéterminée, en qualité d'aide coffreur.

En date du 22 septembre 2015, M. [G] [N] a obtenu la reconnaissance d'une maladie professionnelle en raison de douleurs au dos.

En date du 22 février 2016, M. [G] [N] a bénéficié d'une visite auprès du médecin du travail qui a rendu l'avis suivant': «'Apte avec restrictions : limiter le travail au marteau piqueur, le port de charges lourdes à 20 kg, les postures en flexion antérieure du tronc. Apte au poste de grutier (reclassement à ce poste à envisager) ».

M. [G] [N] a été formé au métier de grutier et a obtenu son CACES grutier le 22 mars 2016.

M. [G] [N] a été placé en arrêt de travail pour cause de maladie du 2 au 4 mars 2016, du 26 au 31 juillet 2016 et du 15 septembre au 9 octobre 2016.

M. [G] [N] a bénéficié d'un mi-temps thérapeutique du 10 octobre 2016 au 5 janvier 2017.

Lors d'une visite médicale en date du 8 novembre 2016, le médecin du travail déclaré M. [G] [N] «'Apte avec aménagement de poste : Apte au poste de grutier qui reste à privilégier comme poste de reclassement

Travail au sol possible avec restrictions : pas de port de charges lourdes (20 kg) ; pas de posture en flexion du tronc ni de gestes les bras au-dessus des épaules ; pas de travail au marteau piqueur ; à revoir à la fin du mi-temps thérapeutique lors du passage à temps plein ».

Le contrat de travail de M. [G] [N] a été suspendu à compter du 6 janvier 2017 pour cause de maladie. Il n'a pas repris le travail jusqu'à la rupture de la relation contractuelle.

M. [G] [N] a bénéficié d'une visite médicale de reprise en date du 1er février 2018, lors de laquelle le médecin du travail a rendu l'avis suivant': «'Apte à un poste respectant les restrictions suivantes': Pas de port de charges lourdes $gt; 15 kgs réparties sur les 2 bras'; pas de posture contraignante du buste penché en avant ou de côté'; pas de gestes répétitifs les bras au-dessus des épaules'; pas de travail avec les machines outils vibrantes (pas de marteau piqueur, perceuse')'; pas de travail à la masse''». L'avis a été renseigné sur le formulaire d'avis d'inaptitude selon les conclusions de l'employeur.

Après avis favorable des délégués du personnel émis le 25 mai 2018, la SAS Eiffage Construction Alpes Dauphine a proposé à M. [G] [N] un poste d'agent routier le 1er juin 2018. M. [G] [N] a refusé ce poste par courrier en date du 22 juin 2018.

Par courrier en date du 26 septembre 2018, la SAS Eiffage Construction Alpes Dauphine a informé M. [G] [N] des motifs conduisant à l'impossibilité de son reclassement.

Par courrier en date du 1er octobre 2018, M. [G] [N] a été convoqué par la SAS Eiffage Construction à un entretien préalable à son éventuel licenciement fixé le 12 octobre 2018.

Par lettre en date du 18 octobre 2018, la SAS Eiffage Construction Alpes Dauphine a notifié à M. [G] [N] son licenciement pour inaptitude consécutive à une maladie professionnelle et impossibilité de reclassement.

Par requête en date du 12 septembre 2019, M. [G] [N] a saisi le conseil de prud'hommes de Grenoble aux fins de contester son licenciement, de voir constater le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité ainsi que son exécution déloyale du contrat de travail.

La SAS Eiffage Construction s'est opposée aux prétentions adverses.

Par jugement en date du 2 avril 2021, le conseil de prud'hommes de Grenoble a':

- dit et jugé que le licenciement pour inaptitude de M. [G] [N] est justifié,

- dit et jugé que la SAS Eiffage Construction Alpes Dauphiné a rempli ses obligations en matière de sécurité,

- débouté M. [G] [N] de l'intégralité de ses demandes,

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties.

- laissé les dépens à la charge de M. [G] [N].

Par déclaration en date du 22 avril 2021, M. [G] [N] a interjeté appel à l'encontre dudit jugement.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 15 juillet 2021, M. [G] [N] sollicite de la cour de':

Vu les pièces versées au débat,

Vu l'avis d'aptitude du 01.02.2018,

Infirmer le jugement du 02 avril 2021 dans toutes ses dispositions,

Et statuant de nouveau,

Dire et juger que la SAS Eiffage Construction a dénaturé l'avis d'aptitude du 01.02.2018 en mettant en 'uvre à l'encontre de M. [G] [N] une procédure de licenciement pour inaptitude';

Dire et juger que la SAS Eiffage Construction n'a pas respecté son obligation de reclassement et que le licenciement a été prononcé en méconnaissance des dispositions relatives au reclassement prévues aux articles L. 1226-10 à L. 1226-12 du code du travail';

En conséquence,

Dire et juger que le licenciement de M. [G] [N] est dépourvu de cause réelle et sérieuse';

A titre subsidiaire,

Dire et juger que la SAS Eiffage Construction a manqué à son obligation de sécurité de résultat en ne respectant pas ses obligations en matière de prévention des risques professionnels';

Dire et juger que la SAS Eiffage Construction a manqué à son obligation de sécurité de résultat en ne respectant pas les préconisations médicales émises par le Médecin du travail';

Dire et juger que ce sont ces manquements de l'employeur qui ont provoqués l'inaptitude de M. [G] [N]';

En conséquence,

Dire et juger que le licenciement de M. [G] [N] est dépourvu de cause réelle et sérieuse';

En toutes hypothèses,

Condamner la SAS Eiffage Construction à verser à M. [G] [N] les indemnités suivantes':

- 10 000 euros nets de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et manquement à l'obligation de sécurité,

- 30 000 euros nets de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Condamner la SAS Eiffage Construction à payer à M. [G] [N] la somme de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 11 octobre 2021, la SAS Eiffage Construction sollicite de la cour de':

- Confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

- Dire et juger bien fondé, le licenciement de M. [G] [N] ;

- Débouter M. [G] [N] de l'ensemble de ses demandes ;

- Condamner M. [G] [N] à payer la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner le même aux entiers dépens de l'instance.

Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l'article 455 du code de procédure civile de se reporter aux conclusions des parties susvisées.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 24 novembre 2022.

L'affaire, fixée pour être plaidée à l'audience du 18 janvier 2023.

EXPOSE DES MOTIFS':

Sur l'obligation de prévention et de sécurité':

D'une première part, l'employeur a une obligation s'agissant de la sécurité et de la santé des salariés dont il ne peut le cas échéant s'exonérer que s'il établit qu'il a pris toutes les mesures nécessaires et adaptées énoncées aux articles L 4121-1 et L 4121-2 du code du travail ou en cas de faute exclusive de la victime ou encore de force majeure.

D'une seconde part, l'article L4121-1 du code du travail énonce que :

L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels et (version avant le 24 septembre 2017': de la pénibilité au travail) (version ultérieure au 24 septembre 2017': y compris ceux mentionnés à l'article L. 4161-1);

2° Des actions d'information et de formation ;

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

L'article L4121-2 du code du travail prévoit que :

L'employeur met en oeuvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :

1° Eviter les risques ;

2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

3° Combattre les risques à la source ;

4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

5° Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;

6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1 ;

8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;

9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.

L'article L 4121-3 du même code dispose que :

L'employeur, compte tenu de la nature des activités de l'établissement, évalue les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, y compris dans le choix des procédés de fabrication, des équipements de travail, des substances ou préparations chimiques, dans l'aménagement ou le réaménagement des lieux de travail ou des installations et dans la définition des postes de travail. Cette évaluation des risques tient compte de l'impact différencié de l'exposition au risque en fonction du sexe.

A la suite de cette évaluation, l'employeur met en oeuvre les actions de prévention ainsi que les méthodes de travail et de production garantissant un meilleur niveau de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. Il intègre ces actions et ces méthodes dans l'ensemble des activités de l'établissement et à tous les niveaux de l'encadrement.

Lorsque les documents prévus par les dispositions réglementaires prises pour l'application du présent article doivent faire l'objet d'une mise à jour, celle-ci peut être moins fréquente dans les entreprises de moins de onze salariés, sous réserve que soit garanti un niveau équivalent de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat après avis des organisations professionnelles concernées.

L'article R4121-1 du code du travail précise que :

L'employeur transcrit et met à jour dans un document unique les résultats de l'évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs à laquelle il procède en application de l'article L. 4121-3.

Cette évaluation comporte un inventaire des risques identifiés dans chaque unité de travail de l'entreprise ou de l'établissement, y compris ceux liés aux ambiances thermiques.

L'article R4121-2 du même code prévoit que :

La mise à jour du document unique d'évaluation des risques est réalisée :

1° Au moins chaque année ;

2° Lors de toute décision d'aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, au sens de l'article L. 4612-8 ;

3° Lorsqu'une information supplémentaire intéressant l'évaluation d'un risque dans une unité de travail est recueillie.

L'article R4121-4 du code du travail prévoit que :

Le document unique d'évaluation des risques est tenu à la disposition :

1° Des travailleurs ;

(version avant le 1er janvier 2018': 2° Des membres du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou des instances qui en tiennent lieu) ; (version après le 1er janvier 2018': 2° Des membres de la délégation du personnel du comité social et économique)

3° Des délégués du personnel ;

4° Du médecin du travail ;

5° Des agents de l'inspection du travail ;

6° Des agents des services de prévention des organismes de sécurité sociale ;

7° Des agents des organismes professionnels de santé, de sécurité et des conditions de travail mentionnés à l'article L. 4643-1 ;

8° Des inspecteurs de la radioprotection mentionnés à l'article L. 1333-17 du code de la santé publique et des agents mentionnés à l'article L. 1333-18 du même code, en ce qui concerne les résultats des évaluations liées à l'exposition des travailleurs aux rayonnements ionisants, pour les installations et activités dont ils ont respectivement la charge.

Un avis indiquant les modalités d'accès des travailleurs au document unique est affiché à une place convenable et aisément accessible dans les lieux de travail. Dans les entreprises ou établissements dotés d'un règlement intérieur, cet avis est affiché au même emplacement que celui réservé au règlement intérieur.

L'article L 4624-6 du code du travail dispose que l'employeur est tenu de prendre en considération l'avis et les indications ou les propositions émis par le médecin du travail en application des articles L. 4624-2 à L. 4624-4. En cas de refus, l'employeur fait connaître par écrit au travailleur et au médecin du travail les motifs qui s'opposent à ce qu'il y soit donné suite.

En l'espèce, d'une première part, M. [N] se prévaut de l'obligation pour l'employeur d'établir un document unique d'évaluation des risques professionnels en page n°13 de ses conclusions.

Ce document n'est pas produit aux débats par l'employeur de sorte qu'un manquement de ce chef est établi.

D'une seconde part, il fait valoir en fait que l'employeur n'a pas respecté son obligation de prévention et de sécurité à son égard à partir de sa reprise en mi-temps thérapeutique, le 10 octobre 2016, considérant que les manquements de l'employeur ont entraîné la perte de son emploi et lui ont causé des séquelles physiques pour le reste de sa vie.

Si le conseil de prud'hommes a effectivement compétence pour apprécier le caractère réel et sérieux du licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement dès lors qu'il est allégué que celle-ci a été causée par un manquement préalable de l'employeur, il ne lui appartient en revanche pas, sous couvert de manquement à l'obligation de sécurité, d'apprécier l'existence d'une éventuelle faute inexcusable de l'employeur à l'origine d'une maladie professionnelle alléguée, de telles prétentions devant être soumises au pôle social dans le cadre d'une procédure spécifique.

Indépendamment de la question du licenciement pour inaptitude provoquée par la faute de l'employeur, la juridiction prud'homale peut tout au plus étudier les moyens relatifs au manquement allégué de l'employeur à son obligation de sécurité et déterminer s'il en est résulté un préjudice moral et le cas échéant, une pénibilité injustifiée dans l'exécution des missions ou encore un préjudice d'anxiété non invoqué en l'espèce.

S'agissant de la période au cours de laquelle le salarié se prévaut du non-respect par l'employeur de son obligation de sécurité, il apparaît que M. [G] [N] a bénéficié d'un mi-temps thérapeutique du 10 octobre 2016 au 5 janvier 2017.

Lors d'une visite médicale en date du 8 novembre 2016, le médecin du travail a déclaré M. [G] [N] «'Apte avec aménagement de poste : Apte au poste de grutier qui reste à privilégier comme poste de reclassement

Travail au sol possible avec restrictions : pas de port de charges lourdes (20 kg) ; pas de posture en flexion du tronc ni de gestes les bras au-dessus des épaules ; pas de travail au marteau piqueur ; à revoir à la fin du mi-temps thérapeutique lors du passage à temps plein ».

Puis, le contrat de travail de M. [G] [N] a été suspendu à compter du 6 janvier 2017 pour cause de maladie. Il n'a pas repris le travail jusqu'à la rupture du contrat de travail.

M. [N], qui ne supporte pas la charge de la preuve tendant à devoir démontrer que son employeur n'a pas respecté son obligation de sécurité, reprend à son compte l'attestation de M. [R], délégué du comité d'entreprise, qui a ainsi témoigné': «'j'affirme qu'elles (les restrictions énoncées par le médecin du travail NDR) n'ont pas été respectées par l'entreprise suite à la reprise en mi-temps thérapeutique en octobre 2016. Malgré l'interdiction de port de charges lourdes, l'interdiction de postures en flexion et l'interdiction de tout travail au marteau piqueur, la direction a ordonné à M. [N] d'exécuter des tâches comprenant toutes les restrictions. Il semble évident que ces instructions et l'exécution de ces tâches ont mis en danger la santé du salarié et sont à l'origine de la rechute d'accident de M. [N] du 05/01/2017 sur le chantier [P].'»

Pour preuve qu'il a respecté les préconisations du médecin du travail, l'employeur invoque à tort le fait que M. [N] a indiqué, dans sa requête introductive, qu'il avait été affecté en avril 2016 au poste de grutier alors même qu'il se prévalait d'ores et déjà de l'attestation de M. [R] en page n°11 de la même requête.

L'employeur revient ensuite sur le fait que M. [N] a bénéficié de la formation CACES à la conduite de grue et a été affecté à ce poste dès avril 2016. Pour autant, ce moyen est inopérant puisqu'il ne s'agit pas des manquements développés par le salarié à l'appui de ses prétentions.

Il établit en revanche, au vu de la pièce n°8 de M. [N] correspondant à des plannings postérieurement à sa reprise en mi-temps thérapeutique, qu'il a bien respecté les restrictions listées par le médecin du travail dès lors qu'outre la conduite de grue, M. [N] a été affecté à diverses tâches, notamment de coulage de dalle, de banchage, de missions de sécurité sur les balcons, fenêtres, aciers de dalle, de nettoyage, pour lesquelles M. [N], sans inverser la charge de la preuve, ne prétend pas que concrètement cela aurait impliqué le port de charges lourdes (20 kg), une posture en flexion du tronc ni de gestes les bras au-dessus des épaules ou un travail au marteau piqueur.

Il est au demeurant important de noter que M. [R] donne comme exemples de manutentions diverses (nettoyage de chantier, fixations de barrières de sécurité'), qui n'apparaissent pas contraires aux restrictions formulées par le médecin du travail.

En revanche, M. [R] pointe le fait que M. [N] n'exerçait en réalité le poste de grutier qu'une heure par jour'; ce qui ressort effectivement des plannings sus-mentionnés.

Or, cette répartition des tâches aboutissant à ce que les missions de grutier soient finalement accessoires aux autres tâches manifestement plus physiques apparaît en contradiction avec l'avis du 8 novembre 2016.

En effet, la fiche d'aptitude avec diverses préconisations qui s'impose, faute de recours, au salarié et à l'employeur, mentionne comme poste de travail celui de coffreur bancheur grutier.

Toutefois, il apparaît clairement dans la partie conclusions que le médecin du travail entend privilégier les missions de grutier et n'envisage que dans un second temps les tâches au sol avec diverses restrictions.

L'employeur a, dans les faits, effectué une répartition de tâches dans des proportions inverses.

Il ne saurait utilement invoquer, à la suite de MM. [B], directeur d'exploitation et Caremelle, chef de chantier, d'éventuelles insuffisances professionnelles de M. [N] dans la conduite de la grue pour justifier une telle répartition des tâches dès lors qu'il appartenait à l'employeur, s'il ne pouvait utilement remédier aux insuffisances du salarié, de saisir de nouveau le médecin du travail'; ce qu'il s'est abstenu de faire.

Le manquement à l'obligation de sécurité est dès lors caractérisé.

Tenant compte du nombre de mois pendant lesquels son employeur a méconnu son obligation de sécurité, il est alloué à M. [N], par infirmation du jugement entrepris, la somme de 3000 euros nets à titre de dommages et intérêts de ce chef, le surplus de la demande étant rejeté.

Sur le licenciement':

Premièrement, en l'absence d'exercice du recours prévu à l'article L. 4624-7 du code du travail, l'avis du médecin du travail sur l'aptitude du salarié à occuper un poste de travail s'impose aux parties et il n'appartient pas aux juges du fond de substituer leur appréciation à celle du médecin du travail.

En cas de difficulté ou de désaccord sur la portée de l'avis d'aptitude délivré par le médecin du travail, le salarié ou l'employeur peuvent exercer le recours prévu par cet article.

Deuxièmement, l'article L 1226-10 du code du travail énonce que':

Lorsque le salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.

Cette proposition prend en compte, après avis du comité économique et social, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur l'aptitude du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté.

L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.

Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce.

L'article L 1226-15 du même code prévoit que':

Lorsqu'un licenciement est prononcé en méconnaissance des dispositions relatives à la réintégration du salarié, prévues à l'article L. 1226-8, le tribunal saisi peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.

Il en va de même en cas de licenciement prononcé en méconnaissance des dispositions relatives au reclassement du salarié déclaré inapte prévues aux articles L. 1226-10 à L. 1226-12.

En cas de refus de réintégration par l'une ou l'autre des parties, le juge octroie une indemnité au salarié dont le montant est fixé conformément aux dispositions de l'article L. 1235-3-1. Elle se cumule avec l'indemnité compensatrice et, le cas échéant, l'indemnité spéciale de licenciement, prévues à l'article L. 1226-14.

Lorsqu'un licenciement est prononcé en méconnaissance des dispositions du dernier alinéa de l'article L. 1226-12, il est fait application des dispositions prévues par l'article L. 1235-2 en cas d'inobservation de la procédure de licenciement.

En l'espèce, premièrement, contrairement à ce que soutient M. [N], l'avis rendu le 01 février 2018 par le médecin du travail, dont il n'est ni allégué et encore moins justifié qu'il a fait l'objet d'un recours de sa part, après une étude de poste du 27 septembre 2017, une étude des conditions de travail du même jour, un échange avec l'employeur du 24 janvier 2017, est bien comme l'indique son intitulé en entête un avis d'inaptitude au poste, la mention «'apte à un poste respectant les restrictions suivantes': (')'» figurant dans l'encadré relatif aux conclusions et indications relatives au reclassement (L 4624-4) du code du travail et non le fait que M. [N] aurait été apte avec diverses préconisations à son poste.

Deuxièmement, si la société Eiffage Construction Alpes Dauhpine justifie avoir interrogé les sociétés du groupe et avoir reçu des réponses négatives en spécifiant bien les restrictions médicales et l'emploi précédemment occupé du salarié par ses pièces n°9 et 10, force en revanche est de constater qu'elle ne démontre pas avoir fait preuve de sérieux et de loyauté dans sa proposition d'un unique poste d'agent routier non logé à temps plein au service de la société APRR par courrier en date du 01 juin 2016, que M. [N] a expressément refusé par lettre le 26 juin 2018.

En effet, si M. [N] développe à tort un moyen tenant au fait que le poste aurait été conditionné au résultat d'un entretien avec le responsable hiérarchique appartenant à l'entreprise dès lors qu'il ne saurait s'agir en l'espèce d'une circonstance permettant de considérer que la proposition n'aurait été qu'hypothétique alors même qu'il s'agissait manifestement non pas d'un entretien d'embauche mais uniquement comme annoncé de la vérification du point de vue de la société APRR qu'il répondait bien au profil du poste proposé, il n'en demeure pas moins que la proposition faite est certes précise quant à la durée du travail (temps plein), à la convention collective applicable et le cas échéant, possiblement quant aux missions afférentes au poste puisqu'il est joint une fiche de poste détaillée, étant observé que celle-ci figure en annexe du courrier produit par l'employeur en pièce n°13 mais pas dans l'exemplaire produit par le salarié en pièce n°13 également, la lettre ne faisant état d'aucune pièce jointe, mais qu'en tout état de cause, il n'y a aucune mention du salaire et plus largement des conditions financières correspondant au poste.

Or, M. [N] a refusé le poste proposé à raison notamment des longs déplacements, des frais découlant de ces déplacements et de la baisse importante de salaire.

Alors que l'employeur a la charge de la preuve d'avoir fait une proposition sérieuse et loyale de reclassement, la juridiction est toujours dans l'ignorance des conditions financières précises du poste de reclassement, tout au plus, est-il produit une annonce sur la bourse d'emplois du groupe Eiffage en date du 16 mai 2018 mentionnant s'agissant du salaire': employé d'exécution, grille AR convention AREA selon expérience, classe C, convention collective de branche, 13ème mois, prime de transport, avec de surcroît une contrainte de résidence à proximité du lieu de travail, figurant dans la fiche de poste mais plus précise puisque chiffrée à 20 minutes maximum du lieu de travail en période de viabilité hivernale.

Il s'ensuit que preuve suffisante n'est pas rapportée que l'employeur, en faisant cette unique proposition avec des éléments essentiels omis de reclassement, nonobstant l'avis favorable des représentants du personnel, a exécuté loyalement et sérieusement son obligation de reclassement, si bien qu'il n'est pas fondé à se prévaloir du refus d'ailleurs motivé du salarié.

En conséquence, infirmant le jugement entrepris, il convient de déclarer sans cause réelle et sérieuse le licenciement notifié par courrier du 18 octobre 2018 par la société Eiffage Construction Alpes Dauphine à M. [N].

Au jour de son licenciement sans cause réelle et sérieuse, M. [N] avait 12 ans d'ancienneté, préavis non exécuté compris.

Il est justifié du fait qu'il a des restrictions à son aptitude physique au travail et qu'il est reconnu en qualité de travailleur handicapé pour la période du 01 juin 2017 au 31 mai 2022.

M. [N] produit des relevés d'indemnités versées par Pôle Emploi en février et avril 2019 et justifie d'un travail en intérim en décembre 2018 en qualité de grutier.

Dans ces conditions, il lui est alloué la somme de 22160 euros bruts à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause et sérieuse et il est débouté du surplus de sa demande de ce chef.

Sur les demandes accessoires':

L'équité commande de condamner la société Eiffage Construction Alpes Dauphine à verser à M. [N] une indemnité de procédure de 2000 euros.

Le surplus des prétentions des parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile est rejeté.

Au visa de l'article 696 du code de procédure civile, infirmant le jugement entrepris, il convient de condamner la société Eiffage Construction Alpes Dauphine, partie perdante, aux dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS';

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi';

INFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions

Statuant à nouveau,

DIT que la société Eiffage Construction Alpes Dauphine a manqué à son obligation de prévention et de sécurité

DÉCLARE sans cause réelle et sérieuse le licenciement notifié par courrier du 18 octobre 2018 par la société Eiffage Construction Alpes Dauphine à M. [N]

CONDAMNE la société Eiffage Construction Alpes Dauphine à payer à M. [N] les sommes suivantes':

- trois mille euros (3000 euros) nets à titre de dommages et intérêts au titre du manquement à l'obligation de prévention et de sécurité

-vingt-deux mille cent soixante euros (22160 euros) bruts à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

DÉBOUTE M. [N] du surplus de ses prétentions au principal

CONDAMNE la société Eiffage Construction Alpes Dauphine à verser à M. [N] une indemnité de procédure de 2000 euros

REJETTE le surplus des prétentions des parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile

CONDAMNE la société Eiffage Construction Alpes Dauphine aux dépens de première instance et d'appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président de section, et par Mme Carole COLAS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Ch. sociale -section b
Numéro d'arrêt : 21/01886
Date de la décision : 09/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-09;21.01886 ?
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