C3
N° RG 21/01785
N° Portalis DBVM-V-B7F-K2R5
N° Minute :
Notifié le :
Copie exécutoire délivrée le :
Me Marie-Pierre LAMY-FERRAS
la SCP GIRARD-MADOUX ET ASSOCIES
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE SOCIALE - PROTECTION SOCIALE
ARRÊT DU LUNDI 27 FEVRIER 2023
Appel d'une décision (N° RG 16/01663)
rendue par le pôle social du tribunal judiciaire d'Annecy
en date du 11 mars 2021
suivant déclaration d'appel du 19 avril 2021
APPELANTE :
La SARL [6], prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité
[Adresse 8]
[Localité 2]
représentée par Me Marie-Pierre LAMY-FERRAS, avocat au barreau d'ANNECY
INTIMEE :
L'URSSAF Rhône-Alpes, prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité
[Adresse 7]
[Localité 1]
représentée par Me Antoine GIRARD-MADOUX de la SCP GIRARD-MADOUX ET ASSOCIES, avocat au barreau de CHAMBERY
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DEBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
M. Jean-Pierre DELAVENAY, président,
Mme Isabelle DEFARGE, conseillère,
M. Pascal VERGUCHT, conseiller,
Assistés lors des débats de Mme Kristina YANCHEVA, greffier,
DÉBATS :
A l'audience publique du 13 décembre 2022,
M. Jean-Pierre DELAVENAY, président, chargé du rapport, Mme Isabelle DEFARGE, conseillère et M. Pascal VERGUCHT, conseiller ont entendu les représentants des parties en leurs conclusions et plaidoiries,
Et l'affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l'arrêt a été rendu.
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Le 20 janvier 2016, l'URSSAF Rhône-Alpes a notifié à la SARL [6] TP une lettre d'observations pour la période de janvier à avril 2014, portant redressement pour un montant de 24 308 euros outre 2 981 euros de majorations de retard et 597 euros de majorations de redressement complémentaires pour infraction de travail dissimulé, sur la base de l'exploitation d'un procès-verbal de l'inspection du travail au motif de l'absence de report des heures supplémentaires effectuées par 4 salariés de janvier à avril 2014 sur leurs bulletins de salaire ([X], [U], [O], [I]).
Ont été retenus les chefs de redressement suivants :
1. Travail dissimulé avec verbalisation : minoration des heures de travail (taxation forfaitaire) : 2 387 euros.
2. Annulation consécutive des réductions Fillon suite au constat travail dissimulé :
21 921 euros.
En réponse aux observations formulées par la SARL [6] TP, l'URSSAF Rhône-Alpes a confirmé le rappel de cotisations pour son entier montant.
Le 9 août 2016, l'URSSAF Rhône-Alpes a adressé à la SARL [6] TP une mise en demeure d'avoir à régler la somme totale de 27 886 euros correspondant à 24 308 euros de cotisations, outre 2 981 euros de majorations de retard et 597 euros de majorations de redressement complémentaires pour infraction de travail dissimulé.
Le 20 décembre 2016, la SARL [6] TP a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale d'Annecy d'un recours à l'encontre du rejet implicite par la commission de recours amiable de l'URSSAF Rhône-Alpes saisie le 9 septembre 2016 de sa contestation de la mise en demeure du 9 août 2016. Le 27 janvier 2017, la commission de recours amiable a rejeté ce recours.
Par jugement du 11 mars 2021, le pôle social du tribunal judiciaire d'Annecy a :
- déclaré le recours de la SARL [6] recevable,
- débouté la SARL [6] de l'ensemble de ses demandes,
- confirmé le redressement ayant fait l'objet de la lettre d'observations du 20 janvier 2016 puis de la mise en demeure en date du 9 août 2016 pour un montant total de 27 886 euros pour la période de janvier à avril 2014,
- condamné la SARL [6] TP à payer à l'URSSAF Rhône-Alpes la somme de 27 886 euros comprenant 24 308 euros en cotisations, 2 981 euros de majorations de retard, outre 597 euros de majoration de redressement complémentaires, au titre du redressement opéré, ayant fait l'objet d'une mise en demeure du 9 août 2016,
- débouté la SARL [6] de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SARL [6] TP au paiement des dépens,
- rejeté toutes autres demandes plus amples ou contraires.
Le 19 avril 2021, la SARL [6] TP a interjeté appel de cette décision, notifiée le 24 mars.
Les débats ont eu lieu à l'audience du 13 décembre 2022 et les parties avisées de la mise à disposition au greffe de la présente décision le 27 février 2023.
EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
La SARL [6] TP, selon ses conclusions d'appelant, notifiées par RPVA le 19 octobre 2021, reprises à l'audience demande à la cour :
- d'infirmer le jugement rendu par le pôle social du tribunal judiciaire d'Annecy le 11 mars 2021, Et statuant à nouveau,
- de constater que les salariés n'avaient pas l'obligation de se rendre au siège de la société avant ou après leur prise de service,
- de constater qu'elle a correctement décompté le temps de travail effectif des salariés et les temps de trajet,
- de constater qu'elle n'a pas commis d'infraction de travail dissimulé et l'absence de poursuites à son encontre sur un plan pénal à ce titre,
Par conséquent,
- d'annuler le redressement notifié par l'URSSAF Rhône-Alpes,
- d'annuler le redressement notifié par l'URSSAF Rhône-Alpes portant sur la régularisation des cotisations et contributions sociales pour un montant de 2.387 euros par application d'une prétendue taxation forfaitaire,
En tout état de cause, en l'absence de poursuite pour délit de travail dissimulé :
- d'annuler le redressement notifié par l'URSSAF Rhône-Alpes de la majoration de redressement complémentaire pour infraction de travail dissimulé pour un montant de 597 €,
- d'annuler le redressement correspondant à l'annulation des réductions dites « Fillon» notifié par l'URSSAF Rhône-Alpes pour un montant de 21 921 €,
- de débouter l'URSSAF de ses demandes,
- de condamner l'URSSAF à lui verser la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- de condamner l'URSSAF aux dépens.
Elle fait valoir qu'elle n'a fait l'objet d'aucune poursuite pour travail dissimulé mais que le procureur s'est dessaisi du dossier et l'a transmis à l'officier du ministère public pour des contraventions uniquement.
Elle observe que le procès verbal n° UC2 S15 15 01, transmis au procureur, n'a donné lieu qu'à contraventions, tandis que la lettre d'observations vise un procès verbal n° UC2 S15 15 02.
À l'audience, elle a ajouté qu'à sa connaissance, ce 2ème procès-verbal n'avait pas été transmis et qu'aucune poursuite n'a été engagée, de sorte que l'annulation des réductions 'Fillon' pour délit de travail dissimulé n'a, selon elle, pas de fondement juridique.
Elle soutient avoir correctement décompté le temps de travail de ses salariés en ce que le temps de trajet pour se rendre sur les chantiers n'est pas du travail effectif si le salarié conserve la possibilité de se rendre directement sur les chantiers sans passer par l'entreprise, comme cela peut être justifié par la géolocalisation mise en place dans la société et a été autorisé par une note de service.
Elle rappelle qu'en application de la convention collective du [4], les salariés perçoivent une indemnité de trajet pour les petits déplacements qui n'est pas considéré comme un temps de travail effectif.
Elle considère que si les salariés passaient par commodité par l'entreprise pour covoiturer ensuite jusqu'aux chantiers, leurs déplacements collectifs ne peuvent être considérés comme du temps de travail effectif pour fonder une infraction de travail dissimulé. Les bulletins de salaire sont établis en fonction des feuilles d'heures remplies par les salariés et portent mention de l'indemnité de trajet versée.
Une fois ces temps de trajet déduits, elle conteste tout dépassement des heures de travail accomplies par les salariés et consignées dans les feuilles d'horaires individuelles par rapport à celles portées dans les bulletins de salaire.
Elle conteste également dans son intégralité l'assiette du redressement opéré par l'URSSAF Rhône-Alpes, considérant que cette dernière n'a pas appliqué la taxation forfaitaire mais a opéré un redressement « au réel », compte tenu de son interprétation personnelle des heures de travail effectuées par les salariés.
Enfin, elle prétend qu'en l'absence de démonstration du caractère intentionnel de l'infraction de travail dissimulée retenue, il ne peut y avoir annulation corrélative des réductions 'Fillon'.
L'URSSAF Rhône-Alpes au terme de ses conclusions d'appel notifiées par RPVA le 2 novembre 2022 et reprises à l'audience demande à la cour de :
- confirmer le jugement rendu par le pôle social du tribunal judiciaire d'Annecy le 11 mars 2021 en ce qu'il a :
- déclaré le recours de la SARL [6] recevable,
- débouté la SARL [6] de l'ensemble de ses demandes,
- confirmé le redressement de l'URSSAF Rhône-Alpes ayant fait l'objet d'une lettre d'observations le 20 janvier 2016 puis d'une mise en demeure en date du 9 août 2016 pour un montant total de 27 886 euros pour la période de janvier à avril 2014,
- condamné la SARL [6] TP à payer à l'URSSAF Rhône-Alpes la somme de 27 886 euros comprenant 24.308 euros en cotisations, 2 981 euros de majorations de retard, outre 597 euros de majoration de redressement complémentaire, au titre du redressement opéré, ayant fait l'objet d'une mise en demeure en date du 9 août 2016,
- débouté la SARL [6] de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SARL [6] TP au paiement des dépens,
- rejeté toutes autres demandes plus amples ou contraires.
En conséquence et statuant à nouveau sur le tout,
- débouter la SARL [6] de l'ensemble de ses demandes,
- condamner la SARL [6] à lui régler la somme de 27 886 euros conformément à la mise en demeure du 9 août 2016,
- condamner la SARL [6] à lui verser une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la SARL [6] aux entiers dépens d'appel.
L'URSSAF Rhône-Alpes soutient que le temps de trajet doit être considéré comme du temps de travail effectif, sauf si les salariés sont dispensés de se rendre au siège de l'entreprise, ce qui n'a pas été démontré lors du contrôle.
Elle oppose que les documents fournis pour en justifier sont postérieurs à celui-ci :
- une note de service du 1er décembre 2014 puisque l'existence d'une précédente note de service en 2008 et de son affichage n'est pas démontrée,
- des attestations de salariés établies postérieurement,
- une géolocalisation mise en place qu'à partir de 2016.
Par ailleurs, dans leurs attestations, les salariés indiquent qu'ils n'ont pas obligation de passer par l'entreprise seulement en certaines occasions mais pas systématiquement.
L'URSSAF relève également une discordance entre les heures supplémentaires ressortant des feuilles d'heures et celles reportées sur les bulletins de salaire.
Elle soutient donc que le travail dissimulé par minoration d'heures est établi et qu'il n'est pas nécessaire de caractériser une intention frauduleuse pour opérer, au plan civil, le redressement de cotisations afférent.
De même, le paiement de l'indemnité forfaitaire n'est pas subordonné à une condamnation pénale.
Sur le chiffrage du redressement, l'URSSAF répond qu'il a été opéré, en application des dispositions de l'article R 242-5 du Code de la sécurité sociale, à un chiffrage forfaitaire en fonction des données recueillies et notamment de ce que les temps de trajet réels étaient très inférieurs à ceux retenus (6 heures à 9 heures par semaine).
Enfin, elle estime que la minoration des heures rémunérées sur les bulletins de salaire constitue l'infraction visée à l'article L 8221-5 du Code du travail et a pour conséquence, par application des dispositions de l'article L 133-4-2 du Code de la sécurité sociale, l'annulation des réductions de cotisations sur les bas salaires.
Pour le surplus de l'exposé des moyens des parties au soutien de leurs prétentions, il est renvoyé à leurs conclusions visées ci-dessus par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIVATION
Selon l'article L 3121-1 du code du travail, la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives, sans pouvoir vaquer librement à ses occupations personnelles.
Dans sa rédaction antérieure au 10 août 2016, applicable aux faits de la cause, l'article L 8221-5 du même code répute travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :
- 1° soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;
- 2° soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L 3243-2, relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;
- 3° soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales.
Enfin, l'article L 243-7-5 du code de la sécurité sociale (dans sa rédaction antérieure au 14 juin 2018) dispose que :
'Les organismes de recouvrement mentionnés aux articles L 213-1 et L 752-4 peuvent procéder au recouvrement des cotisations et contributions dues sur la base des informations contenues dans les procès verbaux de travail dissimulé qui leur sont transmis par les agents mentionnés à l'article L 8271-1-2 du code du travail. Ces organismes ainsi que ceux mentionnés à l'article L 611-8 du présent code mettent en recouvrement ces cotisations et contributions'.
Dans ce cadre, l'URSSAF Rhône Alpes a notifié à la SARL [6] TP le 20 janvier 2016 un redressement suite à constat de délit de travail dissimulé sur la base de l'exploitation d'un procès verbal transmis au parquet du 16 janvier 2015, n° UC2 S15 15 02, établi par l'unité territoriale DIRECCTE Haute-Savoie ([5], de la Consommation, du Travail et de l'Emploi).
Des pièces versées aux débats, il ressort que seul le procès verbal n° UC2 S15 15 01 établi le même jour et émanant du même service a été produit par l'URSSAF, lequel procès-verbal a bien fait l'objet le 9 février 2015 d'une transmission par le contrôleur du travail au parquet du tribunal d'Annecy.
Ce procès verbal mentionne effectivement en sa page 15 l'existence d'un autre procès verbal basé sur les mêmes constats, ayant relevé l'infraction de travail dissimulé par dissimulation d'heures mais sans spécifier son numéro d'enregistrement.
S'agissant du procès verbal UC2 S15 15 01 seul versé aux débats, il relève la commission par le dirigeant de la SARL [6] TP de six contraventions de 4ème classe différentes passibles chacune d'une amende de 750 euros, à multiplier par le nombre de semaines ou de salariés pour parvenir à un total de 49 amendes encourues (36 750 euros) :
- emploi de salarié à horaire variable sans établir de document nécessaire au contrôle du temps de travail (M. [S]) ;
- emploi de salarié au delà du contingent réglementaire d'heures supplémentaires sans contrepartie obligatoire en repos conforme (MM [X] et [U]) ;
- emploi de salarié pendant les heures supplémentaires sans majoration de salaire conforme (MM [X], [U], [O] et [I]) ;
- dépassement de la durée maximale hebdomadaire absolue du travail (MM [X], [U], [O]) ;
- dépassement de la durée hebdomadaire maximale moyenne du travail sur une période de douze semaines consécutives (MM [X] [U] [O]) ;
- emploi de salarié sans respect de la durée maximale de repos quotidien (M. [X]).
Par jugement du 13 juin 2017 de la juridiction de proximité d'[Localité 3], le gérant de la SARL [6] TP a été relaxé de certaines infractions et condamné pour le surplus à trois amendes contraventionnelles.
En conséquence, le délit de travail dissimulé par minoration d'heures sur les bulletins de salaire fondant le redressement de cotisations n'est établi, ni par une condamnation pénale, ni par son constat éventuel par le procès verbal n° UC2 S15 15 02 fondant le redressement de cotisations, non versé aux débats ; or, il incombe à chaque partie, selon l'article 9 du code de procédure civile, de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
Dès lors que le chef de redressement n° 1 de travail dissimulé n'est pas établi, il ne peut avoir pour conséquence, par application des dispositions de l'article L 133-4-2 du code de la sécurité sociale, l'annulation des réductions de cotisations suite à constat de travail dissimulé (chef de redressement n° 2).
C'est donc l'ensemble du redressement qui sera annulé et le jugement infirmé par voie de conséquence.
L'URSSAF succombant supportera les dépens.
Il parait équitable d'allouer à l'appelante la somme de 3 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant contradictoirement et publiquement, après en avoir délibéré conformément à la loi
Infirme le jugement RG n° 16/01663 rendu le 11 mars 2021 par le pôle social du tribunal judiciaire d'Annecy.
Statuant à nouveau,
Annule le redressement notifié le 20 janvier 2016 à la SARL [6] et la mise en demeure subséquente du 9 août 2016.
Y ajoutant,
Condamne l'URSSAF Rhône-Alpes aux dépens.
Condamne l'URSSAF Rhône-Alpes à verser à la SARL [6] la somme de 3 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour frais irrépétibles d'appel.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par M. Jean-Pierre Delavenay, président et par Mme Kristina Yancheva, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier Le président