C 9
N° RG 21/02294
N° Portalis DBVM-V-B7F-K4LG
N° Minute :
Copie exécutoire délivrée le :
Me Andrée PERONNARD-PERROT
la SCP KHATIBI - SEGHIER
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
Ch. Sociale -Section B
ARRÊT DU JEUDI 23 FEVRIER 2023
Appel d'une décision (N° RG 19/01048)
rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRENOBLE
en date du 20 avril 2021
suivant déclaration d'appel du 19 mai 2021
APPELANTE :
Madame [W] [Z]
née le 28 Novembre 1966 à [Localité 5] (38)
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Andrée PERONNARD-PERROT, avocat au barreau de GRENOBLE
(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 2021/009795 du 22/09/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de GRENOBLE)
INTIME :
Monsieur [C] [F]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 3]
représenté par Me Marie France KHATIBI de la SCP KHATIBI - SEGHIER, avocat au barreau de GRENOBLE
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
M. Jean-Pierre DELAVENAY, Président,
M. Frédéric BLANC, Conseiller,
Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère,
Assistés lors des débats de Mme Carole COLAS, Greffière,
DÉBATS :
A l'audience publique du 14 décembre 2022,
Monsieur BLANC, Conseiller, a été chargé du rapport, et les avocats ont été entendus en leurs observations et conclusions.
Et l'affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l'arrêt a été rendu.
EXPOSE DU LITIGE':
Mme'[W] [Z], née le 28 novembre 1966, a été embauchée le 1er juin 2016 par M.'[C] [F], exerçant sous l'enseigne Coup de tête, suivant contrat de travail à durée indéterminée à temps complet, en qualité de coiffeuse confirmée, niveau 2, échelon 1 de la convention collective de la coiffure, à temps complet.
Mme [W] [Z] a été placée en arrêt de travail du 11 au 14 janvier 2017.
En date du 18 janvier 2017, Mme'[W] [Z] a été victime d'un accident de trajet et a été placée en arrêt de travail, prolongé plusieurs fois ensuite.
En date du 27 avril 2019, durant l'arrêt de travail de Mme [W] [Z], M. [C] [F] a constaté la présence de sa salariée dans un salon de coiffure concurrent.
Par courrier recommandé en date du 20 mai 2019, M. [F] a sollicité des explications sur cette situation auprès de Mme [W] [Z], en lui demandant de cesser son activité dans cet autre salon et à défaut qu'il la dénoncerait auprès des services de la sécurité sociale.
Dans l'intervalle, par courrier, Mme [W] [Z] a été informée par la CPAM qu'elle était consolidée le 13 mai 2019.
A compter du 4 juin 2019, Mme [W] [Z] a été placée en arrêt de travail, sans lien avec l'accident.
Par courrier en date du 17 juin 2019, Mme [W] [Z] a été convoquée par M. [C] [F] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé le 24 juin 2019 et mise à pied à titre conservatoire.
En date du 21 juin 2019, après une visite médicale de pré-reprise, Mme [W] [Z] a été déclarée inapte à tout poste dans l'entreprise et apte à un poste assis sans aucune contrainte physique par le médecin du travail.
Par lettre en date du 1er juillet 2019, M. [C] [F] a licencié Mme [W] [Z] pour faute grave.
Mme [W] [Z] a reçu son solde de tout compte le 10 juillet 2019.
Par requête en date du 13 décembre 2019, Mme [W] [Z] a saisi le conseil de prud'hommes de Grenoble afin de contester son licenciement et d'obtenir le paiement des sommes relevant d'un licenciement injustifié.
M. [C] [F] s'est opposé aux prétentions adverses.
Par jugement en date du 20 avril 2021, le conseil de prud'hommes de Grenoble a':
- dit et jugé que le licenciement pour faute grave prononcé à l'encontre de Mme [W] [Z] est justifié,
- débouté en conséquence Mme [W] [Z] de l'ensemble de ses demandes,
- débouté M. [C] [F] de sa demande reconventionnelle,
- laissé les dépens à la charge de Mme [W] [Z].
La décision a été notifiée par le greffe par lettres recommandées avec accusés de réception signés le 21 avril 2021 par les parties.
Par déclaration en date du 19 mai 2021, Mme [W] [Z] a interjeté appel à l'encontre dudit jugement.
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 23 juillet 2021, Mme [W] [Z] sollicite de la cour de':
Dire et juger recevable et bien fondé l'appel de Mme [W] [Z] à l'encontre du jugement du conseil de prud'hommes de Grenoble du 20 avril 2021.
Réformer la décision attaquée, et,
Dire et juger que Mme [W] [Z] a été licenciée sans cause réelle et sérieuse, et requalifier en ce sens son licenciement du 1er juillet 2019.
Condamner M. [C] [F] à payer à Mme [W] [Z] les sommes suivantes':
- Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse': 10'000,00€
- Indemnité légale de licenciement': 1'000,00€
- Indemnité de préavis': 3'286,00€
- Indemnité de congés payés sur préavis': 328,60€
- Congés payés des années 2016/2017 et 2017/2018': 2'363,33€
Condamner M. [C] [F] aux entiers dépens.
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 30 août 2021, M. [C] [F] sollicite de la cour de':
- Déclarer recevable l'appel interjeté par Mme [W] [Z] à l'encontre du jugement rendu le 20 avril 2021 par le conseil de prud'hommes de Grenoble,
- Le déclarer mal fondé.
- Confirmer le jugement rendu le 20 avril 2021 par le conseil de prud'hommes - Section Commerce - de Grenoble.
- Débouter Mme [W] [Z] de ['ensemble de ses demandes, fins et prétentions.
- Condamner Mme [W] [Z] à verser à M. [C] [F] la somme de 1'500 euros au titre des frais irrépétibles d'instance ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l'article 455 du code de procédure civile de se reporter aux conclusions des parties susvisées.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 24 novembre 2022.
EXPOSE DES MOTIFS':
Sur le licenciement':
L'article L. 1232-1 du code du travail dispose que tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.
La faute grave est définie comme celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis.
La charge de la preuve de la faute grave incombe à l'employeur, qui doit prouver à la fois la faute et l'imputabilité au salarié concerné.
La procédure pour licenciement pour faute grave doit être engagée dans un délai restreint après la découverte des faits.
En vertu de l'article L. 1232-6 du code du travail, la lettre de licenciement fixe les termes du litige.
Un employeur épuise son pouvoir disciplinaire lorsqu'il prononce une sanction de sorte qu'un licenciement ne peut être fondé sur des faits qui ont d'ores et déjà fait l'objet d'une précédente sanction disciplinaire ou qu'ayant connaissance de faits, il ne les a pas retenus lors d'une précédente sanction disciplinaire.
La notion de sanction disciplinaire suppose la prise en compte par l'employeur d'un fait fautif imputable au salarié et la mesure adoptée doit affecter sa présence dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération.
En l'espèce, ainsi que le soutient à juste titre Mme [Z], le courrier LRAR que lui a adressé l'employeur le 20 mai 2019, par l'intermédiaire de son conseil, doit s'analyser en une sanction disciplinaire en ce que, si M. [F] sollicite certes de connaître la position de la salariée au regard des faits qu'il a constatés le 27 avril 2019, à savoir qu'elle a été surprise en plein travail dans un salon de coiffure concurrent, il prend d'ores et déjà position à cet égard et lui fait, en effet, des reproches sur son comportement, qualifié de «'déloyal'», refusant d' «'être le complice de votre (son) comportement'», eu égard au fait qu'elle perçoit des indemnités journalières de la part de la Sécurité Sociale et en tire déjà les conséquences qui s'imposent, selon lui, dans les termes suivants': «'Par conséquent, M. [F] vous informe que si vous ne cessez pas votre activité dans cet autre salon de coiffure, il n'aura le choix que de vous dénoncer aux Services de la Sécurité Sociale'»'; ce qui est de nature indirectement mais nécessairement à affecter la rémunération de la salariée à raison de la cessation du versement de revenus de remplacement.
Par ailleurs, l'employeur fait un autre reproche à la salariée dans le même courrier, consistant à lui faire parvenir ses prolongations d'arrêt de travail systématiquement avec retard et lui demande de «'veiller à la ponctualité de vos (ses) envois à l'avenir'».
L'employeur ne pouvait, dès lors, licencier par courrier du 01 juillet 2019 la salariée pour faute grave pour des faits ayant d'ores et déjà fait l'objet d'une sanction disciplinaire, étant relevé que le grief figurant dans le courrier du 27 avril 2019 «'M. [F] est totalement désappointé par votre comportement déloyal vis-à-vis de sa société mais surtout de votre absence de réponse suite à ses interrogations tout à fait légitimes'» est quasi identique à celui énoncé dans le courrier de licenciement dans les termes suivants': «'je suis totalement désappointé par votre comportement déloyal vis-à-vis de ma société mais surtout par votre absence de réponse suite à mes interrogations tout à fait légitimes.'».
Dans ces conditions, infirmant le jugement entrepris, il convient de déclarer sans cause réelle et sérieuse le licenciement notifié le 01 juillet 2019 par M. [F] à Mme [W] [Z].
Sur les prétentions afférentes à la rupture du contrat de travail':
Premièrement, dès lors que le licenciement est jugé sans cause réelle et sérieuse, peu important que Mme [Z] ait pu ne pas être apte à effectuer son préavis, elle a droit à une indemnité compensatrice de préavis à hauteur de 3286 euros bruts, outre 328,60 euros bruts au titre des congés payés afférents.
Elle est également fondée en sa demande d'indemnité légale de licenciement à hauteur de 1000 euros, l'employeur ne développant aucun moyen critique en défense sur le montant retenu.
Deuxièmement, au visa de l'article L. 1235-3 du code du travail, au jour de son licenciement sans cause réelle et sérieuse, Mme [Z] avait une ancienneté de 3 ans et un salaire de l'ordre de 1643 euros bruts, étant relevé que le contrat de travail a été suspendu pendant 2 ans et demi à raison d'un accident de trajet.
Elle justifie d'une décision de reconnaissance de travailleur handicapé pour la période du 01 juillet 2018 au 30 juin 2023 mais ne produit aucune pièce relative à sa situation ultérieure au regard de l'emploi.
Quoique l'employeur n'en fasse pas mention dans ses conclusions, eu égard au fait que dans le cadre de la saisine, Mme [Z] a indiqué dans le formulaire Cerfa de requête que l'effectif de l'entreprise était de moins de 11, l'indemnité à laquelle elle peut prétendre est comprise entre 1 et 4 mois de salaire.
En conséquence, il convient de condamner M. [F] à payer à Mme [Z] la somme de 1643 euros bruts à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de la débouter du surplus de ses prétentions de ce chef.
Troisièmement, Mme [Z] sollicite un solde d'indemnité compensatrice de congés payés non pris en indiquant avoir perçu 836,67 euros.
Toutefois, cette somme figurant sur le solde de tout compte, outre qu'elle est en net, ne correspond pas uniquement aux congés payés non pris, valorisés à hauteur de 1972,69 euros bruts, Mme [Z] ne formulant aucune prétention au titre du solde de tout compte.
L'employeur soutient que Mme [Z] a été remplie de ses droits.
Il n'explicite toutefois aucunement les modalités de calcul de l'indemnité versée à hauteur de 1972,69 euros bruts alors que sur le bulletin de paie de mai 2019, il est mentionné un solde de congés payés non pris au titre des années N et N-1 de 42,5 (30+12,5) et que les congés ne sont ensuite plus reportés sur le mois de juin 2019 et aucun congé n'est acquis sur ce mois, étant relevé que la salariée n'est plus en arrêt pour accident de trajet à compter du 04 juin 2019 mais en maladie de droit commun.
Or, eu égard à la finalité qu'assigne aux congés payés annuels la directive 2003/88/CE du Parlement européen concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, lorsque le salarié s'est trouvé dans l'impossibilité de prendre ses congés payés annuels au cours de l'année prévue par le code du travail ou une convention collective en raison d'absences liées à une maladie, un accident du travail ou une maladie professionnelle, les congés payés acquis doivent être reportés après la date de reprise du travail ou, en cas de rupture, être indemnisés au titre de l'article L. 3141-28 du code du travail.
Cette même solution s'applique pour les congés après la suspension du contrat de travail pour accident de trajet.
Par ailleurs, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que l'article 7 § 1 de la Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à des dispositions ou à des pratiques nationales qui prévoient que le droit au congé annuel payé est subordonné à une période de travail effectif minimale de dix jours ou d'un mois pendant la période de référence.
Pour l'ouverture du droit au congé annuel payé, l'absence du travailleur pour cause d'accident de trajet doit être assimilée à l'absence pour cause d'accident du travail.
Il s'ensuit qu'un salarié en arrêt maladie pour accident de trajet ouvre des droits à congés payés dans la limite d'un an en application de l'article L. 3141-5 du code du travail.
Il est également rappelé que l'employeur supporte la charge de la preuve du paiement de l'indemnité de congés payés et qu'il doit produire les éléments de nature à justifier de ce paiement.
L'employeur avait, en conséquence, l'obligation à la fois d'ouvrir des droits à congés payés dans la limite d'un an à Mme [Z] pendant son accident de trajet et de reporter les congés payés non pris antérieurs.
Le solde de 42,5 congés payés non pris au titre des années N et N-1 figurant sur le bulletin de salaire de mai 2019 est manifestement erroné.
En effet, lors de son accident de travail du 17 janvier 2019, Mme [Z] avait 2,83 congés payés non pris, qui devaient être reportés.
Elle a acquis, pendant sa période d'arrêt pour accident de trajet, 30 jours de congés payés.
Il s'ensuit qu'au jour de la rupture du contrat de travail, le solde de congés payés non pris est de 32,83 jours.
Le montant de l'indemnité de congés payés pour 32,83 jours de congés payés non pris selon la règle la plus favorable entre le dixième et le maintien de salaire s'établit à 1798,077 euros bruts au vu des éléments produits par les parties.
Il s'ensuit que Mme [Z] a été remplie de ses droits au titre des congés payés non pris et que le jugement entrepris est confirmé de ce chef.
Sur les demandes accessoires':
L'équité commande de rejeter les demandes d'indemnité de procédure.
Au visa de l'article 696 du code de procédure civile, infirmant le jugement entrepris, il convient de condamner M. [F], partie perdante, aux dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS';
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi
INFIRME le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté Mme [Z] de sa demande d'indemnité compensatrice des congés payés non pris
Statuant à nouveau,
DÉCLARE sans cause réelle et sérieuse le licenciement notifié par M. [C] [F] à Mme [Z] par courrier du 01 juillet 2019
CONDAMNE M. [F] à payer à Mme [Z] les sommes suivantes':
- trois mille deux cent quatre-vingt-six euros (3286 euros) bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis
- trois cent vingt-huit euros et soixante centimes (328,60 euros) bruts au titre des congés payés afférents
- mille euros (1000 euros) à titre d'indemnité légale de licenciement
- mille six cent quarante-trois euros (1643 euros) bruts à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
DÉBOUTE Mme [Z] du surplus de ses prétentions au principal
REJETTE les prétentions au titre de l'article 700 du code de procédure civile
CONDAMNE M. [F] aux dépens de première instance et d'appel.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par M. Jean-Pierre DELAVENAY, Président, et par Mme Carole COLAS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière Le Président