C5
N° RG 21/01054
N° Portalis DBVM-V-B7F-KYWP
N° Minute :
Notifié le :
Copie exécutoire délivrée le :
Me Assia BOUMAZA
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE SOCIALE - PROTECTION SOCIALE
ARRÊT DU MARDI 21 FEVRIER 2023
Appel d'une décision (N° RG 18/00652)
rendue par le pôle social du tribunal judiciaire de GRENOBLE
en date du 15 janvier 2021
suivant déclaration d'appel du 26 février 2021
APPELANTES :
Association [13], prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 6]
représentée par Me Alexis GRIMAUD de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE - CHAMBERY, avocat au barreau de GRENOBLE substitué par Me Floris RAHIN, avocat au barreau de GRENOBLE
SA [11], prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
Groupe [11]
[Localité 9]
représentée par Me Alexis GRIMAUD de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE - CHAMBERY, avocat au barreau de GRENOBLE substitué par Me Floris RAHIN, avocat au barreau de GRENOBLE
INTIMES :
Monsieur [U] [N]
de nationalité Française
chez Mme [X] [V] [I]
[Adresse 5]
[Localité 3]
représenté par Me Assia BOUMAZA, avocat au barreau de GRENOBLE
La CPAM DE LA SAVOIE, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 8]
comparante en la personne de Mme [G] [P], régulièrement munie d'un pouvoir
Compagnie d'assurance [10], prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 7]
représentée par Me Josette DAUPHIN de la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC, avocat au barreau de GRENOBLE
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DEBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
M. Jean-Pierre DELAVENAY, Président,
Mme Isabelle DEFARGE, Conseiller,
M. Pascal VERGUCHT, Conseiller,
Assistés lors des débats de Mme Kristina YANCHEVA, Greffier,
DÉBATS :
A l'audience publique du 22 novembre 2022,
M. Pascal VERGUCHT, chargé du rapport, M. Jean-Pierre DELAVENAY, Président, et Mme Isabelle DEFARGE, Conseiller, ont entendu les représentants des parties en leurs observations et dépôts,
Et l'affaire a été mise en délibéré au 17 janvier 2023 prorogé à la date de ce jour à laquelle l'arrêt a été rendu.
EXPOSÉ DU LITIGE
Une déclaration d'accident du travail du 16 septembre 2015 a rapporté que M. [U] [N], surveillant de nuit au sein de l'association [13], a le 15 septembre 2015 ressenti des douleurs cervicales après qu'un résident lui ait porté un coup violent dans le dos, alors qu'il marchait devant lui pour le ramener à sa chambre, après l'avoir découvert à 1h30 devant une porte vitrée.
Un certificat médical initial du 15 septembre 2015 a constaté un traumatisme par coup direct sur la charnière cervicodorsale avec douleurs et raideurs du rachis.
L'accident du travail a été pris en charge par la CPAM de la Savoie par courrier du 28 septembre 2015 et la date de consolidation a été fixée au 8 septembre 2017 par courrier du 6 novembre 2017, avec attribution d'un taux d'incapacité permanente partielle de 10 % par notification du 29 novembre 2017.
Un procès-verbal de non-conciliation a été dressé par la caisse le 28 septembre 2017 à l'occasion d'une tentative de reconnaissance amiable d'une faute inexcusable.
Le pôle social du tribunal judiciaire de Grenoble saisi par M. [N] d'un recours contre l'association [13] en présence de la CPAM de la Savoie et de la [11] a décidé, par jugement du 15 janvier 2021, de :
- dire que l'accident était dû à la faute inexcusable de l'employeur,
- fixer au maximum la majoration de la rente,
- renvoyer l'assuré devant les services de la CPAM de la Savoie pour la liquidation de ses droits,
- ordonner une expertise médicale aux frais avancés de la CPAM,
- dire que la CPAM fera l'avance d'une indemnité provisionnelle de 6.000 euros,
- déclarer recevable l'intervention volontaire de la [11], assureur de l'association,
- condamner l'association à rembourser la CPAM des sommes dont elle aura fait l'avance,
- déclarer le jugement commun et opposable à la [11],
- inviter M. [N] à faire valoir ses demandes indemnitaires après le dépôt du rapport d'expertise,
- condamner l'association à payer 1.000 euros à M. [N] sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- débouter l'association et la [11] de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- réserver les dépens.
Par déclaration du 26 février 2021, l'association et la [11] ont relevé appel de cette décision.
Par conclusions d'appel n° 4 déposées le 21 novembre 2022 et reprises oralement à l'audience devant la cour, l'association [13] demande :
- l'infirmation du jugement en ce qu'il a retenu l'existence d'une faute inexcusable,
- le débouté des demandes de M. [N] et de l'[10],
- subsidiairement l'infirmation de l'allocation d'une provision, le débouté de cette demande et la confirmation de l'expertise ordonnée,
- l'infirmation de sa condamnation à verser 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et la condamnation de M. [N] à lui payer 2.000 euros sur ce fondement,
- la condamnation de M. [N] aux dépens.
Par conclusions n° 3 déposées le 9 novembre 2022 et reprises oralement à l'audience devant la cour, la SA [11] demande :
- l'infirmation du jugement en ce qu'il a retenu l'existence d'une faute inexcusable, et l'a condamné avec l'association à verser 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile à M. [N],
- le débouté des demandes de M. [N],
- subsidiairement l'infirmation de l'allocation d'une provision, le débouté de cette demande, et la confirmation de l'expertise ordonnée,
- la condamnation de M. [N] à lui payer 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- la condamnation de M. [N] aux dépens.
Par conclusions récapitulatives II déposées le 7 novembre 2022 et reprises oralement à l'audience devant la cour, M. [N] demande :
- la confirmation du jugement,
- la reconnaissance d'une faute inexcusable, la fixation au maximum de la majoration de la rente et que le jugement soit déclaré commun et opposable à la CPAM de la Savoie,
- une injonction à l'association de communiquer un rapport de l'ARS suite à une inspection du 18 janvier 2011,
- une expertise médicale confiée à un neurochirurgien du rachis vertébral,
- la confirmation d'une provision de 6.000 euros et la condamnation de l'association à la lui verser,
- la condamnation de l'association aux dépens et à lui verser 1.000 et 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile pour les deux instances.
Par conclusions du 9 novembre 2022 reprises oralement à l'audience devant la cour, la CPAM de la Savoie demande :
- qu'il soit pris acte qu'elle s'en rapporte sur l'existence d'une faute inexcusable et la majoration de la rente,
- en cas de reconnaissance d'une telle faute, que soit ordonnée une expertise médicale,
- que l'employeur soit condamné à lui rembourser les sommes dont elle sera tenue de faire l'avance.
Par conclusions récapitulatives et en réponse n° 1 déposées le 25 octobre 2022 et reprises oralement à l'audience devant la cour, [10] demande :
- que son intervention volontaire en qualité de tiers payeur soit déclarée recevable,
- la confirmation du jugement,
- la condamnation de l'association à lui verser 36.775,68 euros en remboursement des prestations en nature versées à M. [N] consécutivement à l'accident du travail,
- la condamnation de l'association à lui payer 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- la déclaration de la décision commune et opposable à la [11],
- la condamnation de l'association ou qui d'autre mieux le devra aux dépens.
En application de l'article 455 du Code de procédure civile, il est donc expressément référé aux dernières conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
MOTIVATION
Sur la faute inexcusable
1. - Il résulte des articles L. 452-1 du code de la sécurité sociale, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail que le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver (civ.2e, 8 octobre 2020, pourvoi n° 18-25.021 ; civ.2e, 8 octobre 2020, pourvoi n° 18-26.677).
Il est de jurisprudence constante qu'il appartient au salarié de rapporter la preuve que l'employeur avait conscience du danger auquel il était exposé et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver (civ.2e 8 juillet 2004, pourvoi no 02-30.984, Bull II no 394 ; civ.2e 22 mars 2005, pourvoi n° 03-20.044, Bull II no 74).
2. - L'association [13] gère dix établissements médicosociaux et employait M. [N] comme surveillant de nuit dans un foyer d'accueil médicalisé pour une trentaine de résidents adultes autistes, le [14], depuis le 13 septembre 2005. Elle fait principalement valoir que le risque d'être confronté à des comportements difficiles voire hétéroagressifs est irréductible avec des résidents atteints de ces troubles, mais qu'elle a mis en 'uvre tous les moyens de prévention possibles notamment par une exigence accrue de formation et par une organisation interne favorisant le travail en équipe.
3. - La SA [11], assureur en responsabilité civile de l'association, fait sienne l'argumentation développée par celle-ci.
4. - M. [N] prétend pour sa part que son employeur n'a pas adopté de protocole de prise en charge pour les pensionnaires les plus violents, n'a pas offert de moyens ou de formation professionnelle adaptée et réactualisée pour gérer les situations de violence et la spécificité du comportement des résidents atteints d'autisme, n'a pas prévu un effectif suffisant pour garantir un travail en binôme, n'a pas pris en compte l'isolement du personnel de surveillance du fait de la configuration du foyer divisé en trois bâtiments distincts, et il souligne également une insuffisance de communication des informations entre les équipes de jour et de nuit.
Sur la conscience du danger
5. - Un document unique d'évaluation des risques professionnels (DUERP) du 29 novembre 2011 (un rapport d'évaluation externe de l'organisme [12] notant en janvier 2015 qu'il n'avait pas été réactualisé) relevait un danger de surexposition psychique (violence, agressivité, passage à l'acte, dépendance, comportement du public accueilli, des familles) dans tous les services et tous les lieux, et préconisait la mise en 'uvre d'une formation spécifique et pluriannuelle à l'autisme, le renforcement du travail d'équipe et le transfert des compétences, comme une priorité n° 1, à réaliser en 2012.
La direction de l'association avait également répondu le 30 mai 2013 à des questions des délégués du personnel, selon un document versé au débat, qu'il n'était pas juste de dire que la violence était banalisée et l'accompagnement négligé, l'ensemble des cadres n'ayant de cesse d'intervenir et d'inciter les salariés à remplir les fiches d'incident, même si la direction pouvait entendre que cela n'était pas suffisant et, pour faire face aux difficultés rencontrées, « l'institution va mettre en place davantage de processus pour pallier à l'urgence, développer les outils d'accompagnement des résidents qui peuvent avoir des passages à l'acte et lutter contre l'absentéisme des salariés ».
Par ailleurs, d'une part, M. [N] a été victime d'agressions à trois reprises (et non une seule comme le conclut à tort la [11]) avant l'accident du travail du 15 septembre 2015, selon les fiches d'incidents versées au débat : tentative de poussée d'un résident le 6 mai 2010 entraînant une douleur importante à la main gauche ; tirage violent du bras le 26 mai 2014 entrainant douleur et hématome au poignet gauche ; coup de poing au visage le 7 août 2014 entrainant une douleur importante à la mâchoire. Il convient de relever par ailleurs que M. [N] bénéficiait d'une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, dont il est également justifié, de septembre 2009 à aout 2014 puis de septembre 2014 à août 2019 selon des décisions de la Maison départementale des personnes handicapées de [Localité 8].
D'autre part, un relevé de décisions et informations d'une réunion du 5 février 2015 notait, concernant l'auteur du coup porté à M. [N] le 15 septembre 2015, M. [E] [H], une violence (passage à l'acte) sur un accompagnant et auparavant avec une prénommée [W] à la suite d'un « non » de la part de l'équipe ; un protocole devait donc être réalisé la semaine suivante. Un projet d'accompagnement personnalisé de ce résident, en date du 26 février 2015, le décrit comme ayant des gestes agressifs et impulsifs envers le personnel accompagnant, de nouveau signalés depuis le mois d'avril, cette personne semblant réagir au bruit généré par des résidents, se sentant menacé dès que le personnel est physiquement trop proche, pouvant donner des claques sur le bras ou ailleurs ; les intervenants devaient donc veiller à leur positionnement dans l'espace afin de ne pas faire effraction dans son espace, et limiter les passages autour de lui.
Il résulte de ces éléments que l'employeur avait conscience du danger de violences des résidents sur son personnel, et de M. [H] notamment, auquel était exposé M. [N], et qui s'est réalisé le 15 septembre 2015. Et c'est à tort que l'association conclut que M. [H] n'était pas connu pour être sujet à une hétéroagressivité récurrente.
La demande tendant à enjoindre l'association de produire un rapport de l'ARS suite à une inspection du 18 janvier 2011 n'est donc pas pertinente, d'autant que l'ARS avait été saisie de difficultés relatives au traitement des résidents et non de la situation du personnel.
Sur les mesures de prévention du danger
6. - Il convient de retenir, en premier lieu, en ce qui concerne les protocoles de prise en charge, que l'association justifie d'un projet d'accompagnement personnalisé pour M. [H], mentionné ci-dessus, et reprenant ses évolutions, son mode de relation, son comportement, l'accompagnement au quotidien, sa socialisation et ses activités, avec des versions justifiées établies le 26 février 2015 et le 1er septembre 2016.
Il est également justifié, par un procès-verbal du CHSCT extraordinaire du 24 mars 2015, d'un protocole de conduite à tenir en cas de problème d'un résident : ce document prévoit notamment, sous le titre « Se Protéger », que « Dans les situations de crise pouvant mettre en danger l'intégrité physique des professionnels, ceux-ci doivent privilégier les actions suivantes : se maintenir à distance, se retirer dans un lieu protégé, faire appel à un tiers (par tous les moyens techniques à disposition, téléphones, talkie/walkies) ».
M. [N] soutient donc à tort que l'association ne disposait pas de plan d'accompagnement prenant en compte les comportements difficiles ou agressifs des résidents, et en particulier ceux de M. [H].
7. - En deuxième lieu, en ce qui concerne la communication des informations entre les équipes de jour et de nuit, l'association justifie de l'existence d'un cahier de liaison, notamment pour la période de septembre 2015, longuement rempli par les employés chaque jour et mentionnant notamment le coup reçu par M. [N] le 15 septembre 2015.
Elle justifie également un compte rendu de décisions à la suite d'une réunion des surveillants de nuit du 18 février 2014, à laquelle assistait M. [N], qui prévoyait la transmission d'informations orales entre les équipes de jour et de nuit et vice-versa pendant des plages horaires prévues à cet effet, de 20h45 à 21h30 et de 7h00 à 7h45, en plus des cahiers par unité ou du cahier pour les nuits, des comptes rendus de réunion et de formation ainsi que des projets d'accompagnement personnalisé, tous ces documents étant consultables dans divers locaux de l'établissement précisés dans le compte rendu.
L'association ne justifie pas des réunions quotidiennes pluriprofessionnelles dont elle allègue l'organisation, mais les pièces versées au débat font état de nombreuses réunions au sein de l'établissement et notamment entre les surveillants de nuit, ainsi que des fiches d'incident et de l'accompagnement constant des résidents par des référents.
M. [N] prétend donc à tort que l'association ne mettait pas à disposition les moyens d'assurer la transmission des informations entre les équipes de jour et de nuit.
8. - En troisième lieu, en ce qui concerne la formation assurée au salarié en matière d'autisme ou de risque d'agression, l'association justifie que M. [N] a bénéficié d'un plan de formation du 2 septembre 2005 prévoyant une formation sur l'autisme de 42 heures en septembre 2005, ainsi qu'une formation de surveillant de nuit qualifié en établissement pour personnes inadaptées de 175 heures minimum, achevée en décembre 2006.
Elle justifie également qu'il a bénéficié d'une formation sur la prise de risque éducatif et la responsabilité professionnelle pendant 12 heures en janvier 2008, et d'une formation théoricopratique sur l'autisme, dispensée par une psychologue formatrice, Mme [F] [R], pendant deux heures à chaque fois selon des feuilles d'émargement signées par M. [N] les 5 avril et 18 octobre 2012, 10 janvier 2013, et 9 janvier 2014.
Il convient donc de constater que le DUERP, comme relevé ci-dessus, n'a pas été actualisé entre 2011 et 2015, que les besoins de formation n'ont pas pu être revus, et que si la formation pluriannuelle peut sembler avoir été assurée pour M. [N] de 2012 à 2014, il n'est pas justifié de sa poursuite en 2015 (et encore moins d'une formation mensuelle alléguée par l'association dans ses conclusions, en tous les cas pour M. [N]). En outre, il n'est pas précisé le contenu de ces formations par la psychologue formatrice, qui étaient d'une durée de deux heures, ce qui apparaît court à raison d'une séance par an. Un plan de formation pour 2015 est justifié par l'association, mais pas sa mise en 'uvre, notamment pour une formation à l'approche préventive et contrôlée et aux gestes d'autoprotection et de prévention des troubles du comportement prévue du 30 novembre au 2 décembre 2015, ni même la participation prévue de M. [N] à cette formation.
Il est important de souligner en outre qu'un rapport d'évaluation externe de [12], en date de janvier 2015, concernant le foyer [14], notait après avoir constaté l'utilisation des fiches d'évènement indésirables (pouvant être améliorées selon cet organisme) et une formation sur la bientraitance, qu'il n'y avait pas d'instance spécifique qui permettrait de capitaliser les savoir-faire et compétences en la matière, de pérenniser la démarche et faire des préconisations à un niveau plus collectif ; le rapport soulignait que si le plan de formation annuel intégrait la bientraitance et l'autisme, renforcé par des réunions d'analyse clinique, il n'existait pas d'analyse des pratiques professionnelles.
M. [N] reproche donc à bon escient à son employeur une formation insuffisante sur la gestion des conflits et du stress et sur la détection des agresseurs, au regard des agressions fréquentes dont il a été victime, et dont d'autres membres du personnel ont été victime selon les éléments du débat, et de la particularité du comportement de résidents atteints de trouble de la sphère autistique ; il n'a pas davantage bénéficié d'un processus permettant un retour sur les expériences pratiques et professionnelles des employés. Les premiers juges ont donc légitimement retenu le grief de M. [N] en matière de formation.
9. - Enfin, en quatrième lieu, en ce qui concerne le travail en équipe pour éviter l'isolement des personnels, il résulte de l'enquête administrative menée par la CPAM de la Savoie, des témoignages de deux salariés et des explications des parties que deux personnes assuraient chaque nuit la surveillance des trois bâtiments du foyer d'accueil accueillant une trentaine de personnes, à savoir un surveillant et une aide-soignante. Il est justifié par des récapitulatifs horaires de septembre 2015 que les plannings prévoyaient le travail de, seulement, Mme [Z] [K] et M. [N] dans la nuit du lundi 14 au mardi 15, un autre document attestant d'une astreinte cadre confiée à M. [A] [S].
Il convient donc de constater que la surveillance n'était pas confiée à deux agents de surveillance, mais à un seul et à une aide-soignante dont la mission était par définition différente.
Les circonstances de l'accident ne sont pas contestées, l'association relevant d'ailleurs la concordance entre la déclaration d'accident du travail et la fiche de signalement d'évènement indésirable, visée par la direction, et qui rapporte selon la description écrite par M. [N] les faits suivants : « à 1h30 [E] [M] est devant la porte vitrée et regarde dehors. Je vais le voir et lui demande de retourner dans sa chambre. En le ramenant à sa chambre, je marche devant lui et il me porte un coup violent dans le dos (douleur cervicale +) ».
M. [N] fait état d e ce que, compte tenu de la configuration des lieux, il devait se retrouver devant le résident, et que l'association ne saurait lui reprocher son positionnement : sur ce point, faute pour l'association d'apporter des éléments plus précis ou une consigne interdisant de perdre de vue M. [H] (seul étant mentionné un maintien de distance dans son protocole), il n'y a pas lieu de retenir une quelconque violation de protocole par M. [N], ni de considérer que le fait de marcher devant le résident était le seul et unique facteur déterminant du passage à l'acte violent comme le soutient l'association.
M. [N] reproche à son employeur d'avoir limité les équipes nocturnes de surveillance à deux personnes. Mais, mis à part le fait d'avoir simplement évoqué que le personnel de nuit reste isolé dans le fonctionnement de l'établissement au sein d'un courrier du 18 mai 2011 adressé au directeur de l'association, M. [N] ne justifie pas d'un véritable exercice de droit d'alerte, alors même qu'il déclare par ailleurs avoir été titulaire de mandat au CHSCT depuis 2012, membre du comité d'entreprise depuis le 24 juin 2015 et délégué syndical depuis le 26 août 2015. Toutefois, dans son choix organisationnel relatif à la surveillance de nuit, l'association ne pouvait ignorer son statut d'handicapé et les agressions qu'il avait subies, ainsi que la configuration des lieux en trois bâtiments distincts.
M. [N] apporte deux témoignages qui, même s'ils sont peu circonstanciés, confirment sa critique sur l'organisation de la surveillance de nuit : M. [O] [B] atteste le 20 mars 2018 en qualité d'agent de service de nuit au foyer [14] qu'ils étaient deux personnes pour surveiller les trois bâtiments, qu'il était difficile de se concerter avec le personnel de jour car il y avait peu de temps en raison des charges de travail, et que l'encadrement ne répondait pas aux sollicitations concernant les résidents agités ; Mme [L] [T] atteste le 22 mars 2018, ayant été surveillante de nuit dans ce foyer dès son ouverture en 2005, de la difficulté entraînée par la répartition des résidents entre les trois bâtiments, du fait qu'ils n'étaient que deux surveillants la nuit alors que la direction avait certifié qu'ils seraient trois et qu'elle a toujours refusé malgré l'insistance des personnels, qu'il y a eu de nombreux incidents, elle-même ayant été victime d'un traumatisme crânien suite à des coups violents reçus pendant une ronde, et que l'astreinte de garde ne répondait pas toujours aux appels.
Il convient donc de constater, au final, que la surveillance par deux personnes n'était pas adaptée au risque élevé de violence des résidents.
L'association se prévaut en vain, sur ce point, d'un rapport de la commission départementale de sécurité, qui plus est intervenu le 6 mars 2018, qui ne concernait que la sécurité incendie et de panique. Elle ne répond pas, par ailleurs, à l'allégation de M. [N] selon lequel les rondes de nuit seraient effectuées par trois personnes depuis 2018. L'association rappelle le soutien prévu par l'astreinte d'un cadre, et souligne le fait que M. [N] n'a pas contacté le cadre d'astreinte dans la nuit du 14 au 15 septembre 2015, mais M. [B] et Mme [T] témoignent de difficultés de contact et il n'est pas démontré qu'une intervention du cadre d'astreinte aurait eu lieu dans des temps utiles pour préserver M. [N] du risque d'agression.
Enfin, la fiche de fonction de surveillant de nuit versée au débat par l'association mentionne bien que le salarié devait solliciter en premier recours l'assistance de la 2e personne présente dans l'établissement en cas de difficulté importante, et le protocole rappelé ci-dessus prévoyait également en cas de besoin de protection de faire appel à un tiers (par tous les moyens techniques à disposition, téléphones, talkie/walkies), mais en réponse aux reproches de ses salariés, il n'apporte aucun élément sur les moyens qui aurait permis à un surveillant isolé de bénéficier de cette assistance dans des délais suffisamment rapides au regard de la particularité des comportements des résidents.
Les premiers juges ont donc légitimement retenu une organisation inadaptée de la surveillance de nuit.
10. - En n'assurant pas une formation régulière et adaptée à M. [N] et en ne permettant pas un véritable travail d'équipe, en binôme, pendant ses missions de surveillance de nuit, l'association [13] n'a pas pris toutes les mesures nécessaires et possibles de formation et d'organisation du travail pour prévenir au mieux le danger de gestes agressifs et violents de la part d'un résident connu pour son comportement difficile, et elle ne saurait se contenter d'invoquer le fait que toute interaction avec une personne atteinte d'autisme présente nécessairement et par nature un aléa.
Une faute inexcusable est donc bien à l'origine de l'accident du travail subi par M. [N], et le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur les conséquences de la reconnaissance de la faute inexcusable
11. - La majoration de la rente à son maximum, la mesure d'expertise et la condamnation de l'association à rembourser la CPAM des sommes dont elle aura fait l'avance doivent être confirmées également, à défaut de toute contestation sur ces points.
12. - L'association et son assureur contestent la provision allouée par les premiers juges au motif que M. [N] ne démontrerait pas de préjudices personnels en lien avec l'accident du travail.
Ce dernier se prévaut cependant de diverses lésions à la suite de l'accident du travail (traumatisme de la charnière cervicodorsale, névralgie cervicobrachiale gauche, hernie discale, intervention par arthrodèse, céphalées et malaises, une seconde intervention compte tenu de la persistance des douleurs), d'une mise en invalidité et d'un licenciement pour inaptitude.
La provision a donc été correctement évaluée par les premiers juges et le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur l'intervention d'[10]
13. - L'[10], qui n'est pas intervenue en première instance, demande la condamnation de l'association au remboursement des indemnités journalières et rente d'invalidité qu'elle a servies à M. [N] consécutivement à l'accident du travail, en se fondant sur les articles L. 452-4 et L. 931-11 du Code de la sécurité sociale, 329, 330 et 331 du Code de procédure civile, 2234 du Code civil et 28 à 29 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, et sur les dispositions de l'article L. 431-2 du Code de la sécurité sociale pour justifier d'une absence de prescription de son intervention. Elle prétend que la compétence de la juridiction sur sa réclamation est exclusive, qu'elle a un intérêt à intervenir en qualité de tiers payeur envers le responsable des préjudices de M. [N], et que la prescription n'a pu courir qu'après la fin du versement des indemnités journalières et a été interrompue par la présente procédure.
14. - L'association et son assureur concluent que l'intervention est irrecevable dès lors que l'[10] ne justifie pas d'un lien suffisant avec l'origine du litige, que la loi de 1985 s'applique aux accidents de circulation, que l'[10] est également l'organisme de prévoyance de l'association et n'est donc pas un tiers, enfin que le régime de l'indemnisation des accidents du travail est dérogatoire au régime commun de la responsabilité, seule la CPAM pouvant disposer ici d'une action récursoire contre l'employeur.
La [11] ajoute que les sommes versées ne seront normalement pas réclamées par M. [N], que les demandes de l'[10] sont prescrites entre 2015 et les premières conclusions notifiées le 4 avril 2022, mais ne formule aucune demande sur ce point du litige dans le dispositif de ses conclusions.
15. - Il convient de rappeler que l'article 554 du Code de procédure civile dispose que peuvent intervenir en cause d'appel, dès lors qu'elles y ont intérêt, les personnes qui n'ont été ni parties ni représentées en première instance ou qui y ont figuré en une autre qualité.
Il est cependant constant que sont irrecevables les interventions volontaires en cause d'appel qui ont pour objet de soumettre un litige nouveau et de demander des condamnations personnelles non soumises aux premiers juges (Civ. 2e, 11 juin 1975, 73-14.233, 11 mars 1981, 79-16.775, 22 févr. 1984, 82-15.231 ; Civ. 1re, 11 juillet 2018, 17-18.177). Et si l'intervention en cause d'appel d'un tiers payeur non partie ni représenté en première instance, en vue d'obtenir le remboursement des prestations qu'il a versées à la victime d'un accident de la circulation, ne soumet pas à la cour d'appel un litige nouveau (Civ. 2e, 4 mars 1999, 97-10.888), il n'en reste pas moins que les premiers juges n'ont pas statué sur des demandes d'indemnisation et de remboursement de prestations en nature, mais ont sursis à statuer en ordonnant une expertise médicale. L'organisme de prévoyance n'étant pas concernée par la discussion sur la reconnaissance de la faute inexcusable, qui ne peut être débattue qu'entre le salarié et son employeur, en présence des caisses de sécurité sociale, et des assureurs sans que ces derniers ne puissent formuler de demandes qui relèveraient de la juridiction de droit commun, il convient de considérer que l'intervention d'[10] est irrecevable.
Sur les frais de l'instance en appel
L'association [13] supportera les dépens de l'instance.
L'équité et la situation des parties justifient que M. [N] ne conserve pas l'intégralité des frais exposés pour faire valoir ses droits et l'association [13] sera condamnée à lui payer une indemnité de 1.500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire, en dernier ressort après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Grenoble du 15 janvier 2021,
Y ajoutant,
Déclare irrecevable l'intervention volontaire d'[10],
Condamne l'association [13] aux dépens de la procédure d'appel,
Condamne l'association [13] à payer à M. [U] [N] la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par M. DELAVENAY, Président et par M. OEUVRAY, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président