C 2
N° RG 21/02741
N° Portalis DBVM-V-B7F-K5UV
N° Minute :
Copie exécutoire délivrée le :
Me Rabia MEBARKI
la SELARL CLEMENT-CUZIN LEYRAUD DESCHEEMAKER
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
Ch. Sociale -Section B
ARRÊT DU JEUDI 09 FEVRIER 2023
Appel d'une décision (N° RG 18/011736)
rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Grenoble
en date du 21 mai 2021
suivant déclaration d'appel du 21 juin 2021
APPELANT :
Monsieur [D] [T]
Né le 19 janvier 1972 à [Localité 6]
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 1]
représenté par Me Rabia MEBARKI, avocat au barreau de GRENOBLE
INTIMEE :
S.A.S. SIEMENS, prise en la personne de son représentant légal en exercice sis au-dit siège
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Laurent CLEMENT-CUZIN de la SELARL CLEMENT-CUZIN LEYRAUD DESCHEEMAKER, avocat au barreau de GRENOBLE
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DU DÉLIBÉRÉ :
M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de président
Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère,
M. Pascal VERGUCHT, Conseiller,
DÉBATS :
A l'audience publique du 07 décembre 2022,
Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de président chargé du rapport, assisté de Mme Carole COLAS, Greffier, a entendu les parties en leurs conclusions et plaidoiries, les parties ne s'y étant pas opposées conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile.
Puis l'affaire a été mise en délibéré au 09 février 2023, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.
L'arrêt a été rendu le 09 février 2023.
EXPOSE DU LITIGE :
A l'issue d'un contrat d'apprentissage en date du 1er décembre 1994, M. [D] [T], né le'19'janvier 1972, a été embauché par la société par actions simplifiée (SAS) Siemens, selon contrat de travail à durée indéterminée en date du 1er décembre 1995 avec reprise d'ancienneté depuis le 1er décembre 1994.
Le contrat de travail est soumis à la convention collective de la métallurgie de la région parisienne.
Au dernier état des relations contractuelles, M. [D] [T] occupait le poste de superviseur chantier, statut non-cadre.
Le 12 septembre 2017, M. [D] [T] est intervenu sur le site Enedis de [Localité 5] afin de monter et de mettre en service un disjoncteur ouvert. Un incident survenu sur le chantier a entraîné la casse d'un combiné de mesure.
Le 18 septembre 2017, M. [D] [T] a été placé en arrêt de travail pour maladie.
La société Siemens a convoqué M. [D] [T] par courrier recommandé du'9'octobre'2017 à un entretien préalable à une éventuelle sanction fixé le'23'octobre 2017 puis reporté au 3 novembre 2017.
M. [D] [T] ne s'est pas présenté à l'entretien.
Par courrier en date du 16 novembre 2017, la SAS Siemens a proposé à M. [D] [T] de s'expliquer sur l'ensemble des faits qui devaient être abordés lors de l'entretien préalable.
M.'[D] [T] n'a pas donné suite à ce courrier.
Le 17 octobre 2017 lors d'une visite de reprise, le médecin du travail a rendu une décision d'inaptitude temporaire du salarié à son poste de travail.
Par courrier en date du 23 novembre 2017, la SAS Siemens a notifié à M. [D] [T] une mise à pied à titre disciplinaire d'une durée de 4 jours.
Par courrier recommandé avec avis de réception reçu par la société Siemens le 2 mai 2018, M.'[D] [T] a contesté cette mise à pied.
La société Siemens a maintenu la sanction par courrier en réponse en date du'25'mai 2018.
A l'issue d'une nouvelle visite de reprise en date du 4 octobre 2018, le médecin du travail a déclaré M. [D] [T] inapte, indiquant que « tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé » et dispensant l'employeur d'une recherche de reclassement.
Par courrier recommandé en date du 12 octobre 2018, la SAS Siemens a informé M.'[D]'[T] de l'impossibilité de procéder à son reclassement.
Par courrier en date du 15 octobre 2018, M. [D] [T] a été convoqué par la SAS'Siemens à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 29 octobre 2018.
Par requête visée au greffe le 30 octobre 2018, M. [D] [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Grenoble de demandes tendant à voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur, annuler la mise à pied disciplinaire et constater le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, en sollicitant paiement de différentes sommes salariales et indemnitaires.
Par courrier recommandé avec avis de réception en date du 5 novembre 2018, la société Siemens a notifié à M. [D] [T] son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Par jugement en date du 21 mai 2021, le conseil de prud'hommes de Grenoble a :
- pris acte de ce que l'indemnité de licenciement a été réglée en novembre 2018,
- dit que M. [D] [T] ne démontre pas de manquements de la part de la SAS Siemens,
- dit que M. [D] [T] ne démontre pas que la mise à pied disciplinaire est injustifiée,
- dit que la SAS Siemens n'a pas manqué à son obligation de sécurité,
- dit n'y avoir lieu à résiliation judiciaire du contrat de travail,
- débouté en conséquence M. [D] [T] de l'intégralité de ses demandes.
- débouté, en équité, la SAS Siemens de sa demande reconventionnelle.
- laissé les dépens à la charge de M. [D] [T].
La décision a été notifiée par le greffe par lettres recommandées avec accusés de réception signés le 27 mai 2021 pour la société Siemens et M. [D] [T].
Par déclaration en date du 21 juin 2021, M. [D] [T] a interjeté appel à l'encontre dudit jugement.
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 16 septembre 2021, M.'[D]'[T] sollicite de la cour de :
«'Réformer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Grenoble le 21 mai 2021 et ceci dans l'ensemble de ses dispositions,
En conséquence :
Constater des manquements graves de la SAS Siemens ;
Prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [D] [T] aux torts de son employeur, la SAS Siemens,
En conséquence, condamner la SAS Siemens à verser à M. [D] [T] les sommes suivantes:
- 84.404, 29 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (17 mois)
- 9929, 91 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis (2 mois) :
- 992, 99 € de congés payés y afférents,
- 35.432, 95 € au titre de l'indemnité légale de licenciement
- 10.000,00 € à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité
- 2000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile
M. [D] [T] sollicite par ailleurs l'annulation de la mise à pied disciplinaire du'23'novembre 2017 ainsi que l'exécution provisoire de la décision à intervenir.'»
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 15 décembre 2021, la SAS Siemens sollicite de la cour de :
Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Grenoble en ce qu'il a :
- Pris acte de ce que l'indemnité de licenciement a été réglée en novembre 2018 ;
- Dit que M. [D] [T] ne démontre pas de manquements de la part de la SAS Siemens ;
- Dit que M. [D] [T] ne démontre pas que la mise à pied disciplinaire est injustifiée ;
- Dit que la SAS Siemens n'a pas manqué à son obligation de sécurité ;
- Dit n'y avoir lieu à résiliation judiciaire du contrat de travail ;
- Débouté en conséquence M. [D] [T] de l'intégralité de ses demandes ;
- Laisse les dépens à la charge de M. [D] [T] ;
Réformer le jugement du conseil de prud'hommes de Grenoble en ce qu'il a :
- Débouté la SAS Siemens de sa demande reconventionnelle.
Statuant à nouveau,
A titre principal,
- Dire et juger que la société n'a pas manqué à son obligation de sécurité ;
- Dire et juger que la mise à pied disciplinaire notifiée à M. [D] [T] le'23'novembre'2017 est justifiée ;
Et en conséquence,
- Rejeter la demande tendant à l'annulation de la mise à pied disciplinaire notifiée à M.'[D]'[T] le 23 novembre 2017 ;
- Rejeter la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [D] [T] aux torts exclusifs de la société ;
- Débouter M. [D] [T] de l'ensemble de ses autres demandes
A titre subsidiaire,
Si par extraordinaire la Cour d'appel devait considérer que la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur était justifiée :
- Limiter la demande de M. [D] [T] à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 14.894,87 euros;
- Débouter M. [D] [T] de l'ensemble de ses autres demandes ;
En tout état de cause :
- Rejeter la demande de M. [D] [T] d'un montant de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité ;
- Rejeter la demande de M. [D] [T] au titre de l'article 700 du code de procédure civile';
A titre reconventionnel :
- Condamner M. [D] [T] à verser à la société la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l'article'455 du code de procédure civile de se reporter aux conclusions des parties susvisées.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 1er décembre 2022.
L'affaire, fixée pour être plaidée à l'audience du 14 décembre 2022, a été mise en délibérée au'9 février 2023.
MOTIFS DE L'ARRÊT
1 ' Sur la demande d'annulation de la mise à pied de 4 jours notifiée le 23 novembre 2017
L'article L. 1331-1 du code du travail énonce':
Constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération.
En application des articles L. 1333-1 et L. 1333-2 du code du travail, le juge peut, au vu des éléments que doit fournir l'employeur et de ceux que peut fournir le salarié, annuler une sanction irrégulière en la forme, injustifiée, ou disproportionnée à la faute commise.
En l'espèce par courrier du 23 novembre 2017 la société Siemens a prononcé une mise à pied disciplinaire de 4 jours à l'encontre de M.'[D]'[T] lui reprochant d'avoir pris l'initiative de réaliser des travaux dans un environnement non sécurisé, dans les termes suivants :
«'['] Votre intervention consistait à monter et mettre en service un disjoncteur ouvert. [']
Lors de la phase de montage du disjoncteur, pour des raisons de sécurité lors des man'uvres, la zone doit être complétement dégagée. Cela signifie entre autres, les «'tendus'» (câbles de connexion) présents au-dessus de votre zone d'intervention ne doivent pas être installés.
Il se trouve qu'à votre arrivée sur le site, les tendus étaient déjà en place au-dessus du disjoncteur. Cette situation anormale aurait dû faire l'objet d'un point d'arrêt de votre part, et, dès ce constat, vous auriez dû alerter votre chef de projet et n'engager aucun travail sans consigne claire de ce dernier.
Or vous n'avez contacté ni votre chef de projet, ni votre management, et avez pris l'initiative de démarrer les travaux.
Au cours de l'opération, l'extrémité du bras manuscopique que vous manipuliez s'est coincée dans les «'tendus'», encore en place au-dessus du disjoncteur. Encore là, malgré cet incident, pas de point d'arrêt ni d'alerte de votre part.
Au contraire vous avez poursuivi vos man'uvres pour essayer de débloquer la situation': avec l'extrémité du bras du manuscopique, vous avez exercé des tensions et contraintes successives qui ont conduit à la casse d'un combiné de mesure qui se trouvait dans votre zone d'intervention ce qui a également engendré un événement environnemental significatif.
Suite à cet incident, la direction de votre entité a été convoquée le 26 septembre pour s'expliquer sur le problème rencontré sur site.
Pour rappel, ce même jour, le 12 septembre, en début de matinée, vous aviez fait face à un problème de potence. Dans ce cas, vous aviez bien sollicité votre manager et votre chef de projet qui se sont rendus disponibles par téléphone pour vous aider à gérer cette situation non prévue. Vous connaissiez donc la procédure à suivre en cas d'évènement imprévu sur site ; procédure qui consigne à marquer un point d'arrêt, alerter votre hiérarchie et/ou votre chef de projet, puis suivre les consignes communiquées.
Nous sommes donc interpelés par vos agissements, votre manque de recul sur une situation à risque et leurs conséquences. [']'».
M. [D] [T], conteste les circonstances de l'incident ainsi décrites par son employeur en faisant valoir que l'employeur a manqué de lui fournir des moyens adaptés pour procéder aux travaux et qu'il n'a reçu aucune consigne de ses responsables en dépit des alertes faites.
Ainsi, il ressort du courrier reçu par l'employeur le 2 mai 2018 qu'il contestait la sanction prononcée en indiquant qu'il n'avait eu à sa disposition qu'un engin manuscopique surdimensionné par rapport à la disposition des lieux, qu'il manquait la présence au sol d'une troisième personne pour guider et coordonner le déplacement des engins, qu'un sous-traitant avait préalablement raccordé un côté des tendus pour gagner du temps alors qu'il n'aurait pas dû, qu'il a marqué un point d'arrêt pour prévenir son chef de chantier, M. [I], de ces différentes difficultés sans pouvoir obtenir de réponse, puis qu'il a prévenu la chargée d'affaires, Mme'[P] sans obtenir de consignes ni écrites ni orales de sa part.
Encore, M. [T] contestait avoir poursuivi les man'uvres après que l'extrémité du bras manuscopique se soit bloquée dans les câbles et indiquait n'avoir repris la man'uvre qu'après avoir demandé au sous-traitant de retirer les câbles déjà montés, ce dernier préférant lui adresser une personne pour guider la man'uvre plutôt que de modifier le chantier et ses responsables hiérarchiques n'ayant su lui adresser des consignes.
Dans son courrier en réponse du 25 mai 2018, la société Siemens confirme que le salarié a d'abord tenté de joindre M. [I] lequel a répondu par message qu'il n'était pas disponible, qu'il a ensuite contacté Mme [P] pour évoquer avec elle le problème de surdimensionnement de l'engin, qu'il a convenu qu'il se sentait à l'aide pour manipuler l'engin, mais qu'il a manqué de l'informer du raccordement anticipé des câbles de connexion et qu'il a encore manqué de prévenir ses responsables quand l'extrémité du bras manuscopique s'est bloquée dans les câbles de connexions.
Cependant, l'employeur ne produit aucun élément probant relatif à cet échange du salarié avec Mme [P], ni aucune pièce concernant le contact pris avec M. [I] et plus généralement le déroulement de ce chantier.
Il est donc admis que le salarié avait contacté M. [I] et Mme [P] pour leurs signaler des difficultés sans qu'il soit démontré, ni que le salarié aurait manqué d'évoquer la difficulté tenant au raccordement des câbles de connexion, ni qu'il aurait engagé les opérations de sa seule initiative.
Enfin, les sanctions précédemment prononcées à son encontre les 4 juillet 2017 et'25'novembre'2015, et le fait qu'il avait suivi une formation de montage de disjoncteur en'2015 ne suffisent à caractériser un comportement fautif du salarié dès lors qu'il est établi que le salarié a tenté, au moins à trois reprises, de signaler les difficultés rencontrées sur le chantier avant d'engager les opérations litigieuses.
La mauvaise exécution des travaux ne résulte donc ni d'une abstention volontaire du salarié ni d'une mauvaise volonté délibérée de sa part.
Les faits reprochés ne présentant pas un caractère fautif, la mise à pied disciplinaire notifiée à M.'[T] le 23 novembre 2017 est annulée par infirmation du jugement déféré.
2 ' Sur la demande indemnitaire au titre d'un manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité
L'employeur a une obligation s'agissant de la sécurité et de la santé des salariés dont il ne peut le cas échéant s'exonérer que s'il établit qu'il a pris toutes les mesures nécessaires et adaptées énoncées aux articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail ou en cas de faute exclusive de la victime ou encore de force majeure.
L'article L. 4121-1 du code du travail dans sa version antérieure à l'ordonnance n°2017-1389 du'22 septembre 2017 prévoit que :
L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ;
2° Des actions d'information et de formation ;
3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.
L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.
A compter du 1er octobre 2017, la référence à la pénibilité a été remplacée par un renvoi à l'article L. 4161-1 du code du travail.
L'article L. 4121-2 du code du travail prévoit que :
L'employeur met en 'uvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :
1° Eviter les risques ;
2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
3° Combattre les risques à la source ;
4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;
5° Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;
6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;
7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1 ;
8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;
9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.
L'employeur doit, notamment, transcrire et mettre à jour un document unique des résultats de l'évaluation des risques, (physiques et psycho-sociaux), pour la santé et la sécurité des salariés qu'il est tenu de mener dans son entreprise, ainsi que les facteurs de pénibilité en vertu de l'article R 4121-1 et suivants du code du travail.
Il convient de rappeler qu'il incombe, en cas de litige, à l'employeur, tenu d'assurer l'effectivité de l'obligation de sécurité et de prévention mise à sa charge par les dispositions précitées du code du travail, de justifier qu'il a pris les mesures suffisantes pour s'acquitter de cette obligation.
M. [D] [T] avance qu'il s'est trouvé contraint de travailler dans un environnement non conforme aux règles de sécurité, sans consigne précise de sa hiérarchie, alors qu'il était confronté à des risques sérieux, notamment électriques.
La société Siemens se limite à produire une note de fonction destinée aux salariés exerçant les fonctions de superviseur chantier et précisant le déroulement des missions ainsi que les méthodes de sécurité.
Il en ressort notamment que le superviseur chantier est «'responsable de son organisation de chantier qui devra répondre aux problématiques techniques et aux règles sécurité et environnement'», qu'il «'remonte toutes les informations pour améliorer les travaux et procéder si nécessaire à l'état des lieux avant travaux pour rédiger le plan de prévention'» et qu'il «'doit suivre le mode opératoire défini dans le Plan Particulier de Sécurité et de Protection de la Santé (P.P.S.P.S.). Toute modification doit faire l'objet d'une demande écrite'».
Cependant, l'employeur s'abstient de produire tout élément relatif audit plan particulier de sécurité et de protection de la santé, ainsi que tout élément probant quant aux mesures effectivement prises pour assurer la sécurité du superviseur chantier.
Il ne verse aux débats aucun élément pertinent quant aux consignes précises transmises au salarié et à l'organisation entourant ses fonctions de superviseur chantier.
Il n'explicite nullement les mesures de prévention susceptibles d'avoir été engagées pour éviter les difficultés alléguées par le salarié résultant du fait de devoir s'organiser par lui-même.
Par un moyen inopérant, il objecte que le salarié ne justifie pas avoir alerté les représentants du personnel d'un manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité.
Enfin, l'employeur reste taisant quant aux réactions de son manager au cours d'un entretien du 11 septembre 2017, décrit par le salarié dans son courrier de mai 2018 dans les termes suivants': «'['] bien que tous informé des problèmes de ce chantier, vous avez laissé à ma disposition exactement les mêmes engins de manutention inadaptés, sans qu'aucun représentant de l'entreprise ne se déplace pour constater les difficultés, sans aucunes consignes claires, notamment sur le problème d'un engin inadapté mentionné dans mes premiers constats.
La veille de mon départ, j'avais pourtant un entretien avec mon manager, Monsieur [F], au cours duquel je l'avais avisé de mon état de fatigue avancé, de mes interrogations à continuer le métier de superviseur suite aux conditions de travail mises à ma disposition sur les derniers chantiers.
Malgré cette alerte sur mon état de santé, sa réponse fut uniquement de m'envoyer l'après-midi même à destination du [Localité 5] [']'».
Le courrier de notification de la mise à pied disciplinaire confirme pourtant l'existence de cet entretien décrit dans les termes suivants «'La veille de votre intervention sur [Localité 5], le 11 septembre 2017, vous aviez eu un échange avec Monsieur [F], responsable adjoint de l'entité CS, vous rappelant l'importance de l'excellence opérationnelle dans nos interventions, gage de sécurité et de qualité que nous offrons à nos clients.'».
Dès lors que la société Siemens manque de justifier des conditions de travail du salarié et des mesures effectivement prises par l'employeur pour prévenir toute atteinte à la santé et à la sécurité du salarié, et notamment prévenir toute souffrance morale résultant du fait de travailler sans consigne précise de sa hiérarchie, elle ne démontre pas avoir respecté l'obligation de sécurité qui lui incombe.
Les circonstances décrites attestent de l'existence du préjudice moral subi par le salarié résultant du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.
Aussi, il convient de relever que le salarié devait être placé en arrêt de travail pour maladie le'18'septembre 2017, dans un temps très proche de l'entretien du 11 septembre 2017 et de l'incident du 12 septembre 2017, et ce avant même l'engagement des poursuites disciplinaires par l'employeur le 9 octobre 2017.
Si le certificat médical rédigé par le docteur [N] [B], médecin traitant, atteste d'un suivi médical «'depuis le 18/09/2017 pour des raisons de santé'» sans autre précision quant aux symptômes du patient, en revanche, le docteur [V] [K], médecin du travail, fait état, dans un courrier en date du 17 octobre 2017, «'d'un syndrôme anxio-dépressif dans un contexte de difficultés professionnelles selon lui évoluant depuis plusieurs mois. ['] Ce jour, il présente toujours une symptomatologie très présente avec fatigue, angoisse, troubles du sommeil, perte de confiance en lui et fort sentiment de dévalorisation'[']'».
Enfin, l'arrêt de travail du 18 septembre 2017 a été prolongé sans discontinuer jusqu'à la déclaration d'inaptitude par le médecin du travail, le 4 octobre 2018, indiquant que « tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé » et dispensant l'employeur d'une recherche de reclassement.
Il en résulte que la dégradation de l'état de santé du salarié, révélée par l'arrêt de travail délivré le 18 septembre 2017, qui a perduré jusqu'à la visite médicale du'17'octobre'2017 puis jusqu'à la déclaration d'inaptitude, se trouve, au moins partiellement, liée aux conditions d'exercice par M.'[T] de ses fonctions de superviseur chantier au sein de l'entreprise Siemens et partant des manquements de l'employeur à son obligation de sécurité, à tout le moins depuis le 11 septembre 2017.
Au regard de l'ensemble de ces éléments, la cour évalue que le préjudice moral subi par M.'[D] [T] du fait du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité doit être réparé par le versement d'une indemnité de 2'000 euros nets à titre de dommages et intérêts, le salarié étant débouté du surplus de ses prétentions.
Infirmant le jugement entrepris, la société Siemens est donc condamnée à verser cette somme à M. [D] [T].
3 ' Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat
Conformément aux dispositions de l'article 1184 du code civil, devenu l'article 1224 du code civil, la condition résolutoire étant toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement, la partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté peut demander au juge la résolution du contrat.
Les dispositions combinées des articles L.1231-1 du code du travail et 1224 du code civil permettent au salarié de demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur en cas de manquements suffisamment graves de ce dernier à ses obligations contractuelles.
Lorsqu'un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation du contrat était justifiée.
Il appartient au salarié d'établir la réalité des manquements reprochés à l'employeur et de démontrer que ceux-ci sont d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de la relation contractuelle. La résiliation prononcée produit les mêmes effets qu'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le juge, saisi d'une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, doit examiner l'ensemble des griefs invoqués au soutien de celle-ci, quelle que soit leur ancienneté.
Il relève du pouvoir souverain des juges du fond d'apprécier si l'inexécution de certaines obligations résultant d'un contrat synallagmatique présente une gravité suffisante pour en justifier la résiliation.
En cas de résiliation judiciaire du contrat de travail, la date d'effet de la résiliation ne peut être fixée qu'au jour de la décision qui la prononce, sauf si le salarié a été licencié dans l'intervalle de sorte qu'elle produit alors ses effets à la date de l'envoi de la lettre de licenciement.
Au cas particulier il est jugé que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité et que ce manquement est, au moins partiellement, à l'origine d'une dégradation de l'état de santé du salarié.
La durée de l'arrêt de travail suivi d'une déclaration d'inaptitude par le médecin du travail démontre que l'atteinte à la santé du salarié résultant au moins partiellement du manquement de l'employeur, rendait impossible la poursuite du contrat de travail.
Ce manquement justifie de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail soit qu'il soit nécessaire d'examiner les autres manquements invoqués par le salarié au titre des sanctions disciplinaires prononcées à son encontre.
En conséquence, par infirmation du jugement déféré, la cour prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [D] [T] aux torts de la société intimée à effet du'5'novembre'2018, date du licenciement.
En conséquence de cette résiliation judiciaire qui s'analyse en licenciement sans cause réelle et sérieuse, il y a lieu de condamner la société Siemens à payer à M. [D] [T], qui avait plus de deux années d'ancienneté à la date de la rupture, une indemnité compensatrice de préavis égale à deux mois de salaire sur le fondement des articles L. 1234-1 et L. 1234-5 du code du travail, soit la somme de 9'929,91 euros bruts, outre la somme de 992,99 euros bruts au titre des congés payés afférents. Le jugement entrepris est donc infirmé de ce chef.
En outre, la société Siemens ne justifie pas du du paiement de l'indemnité de licenciement sollicitée par le salarié, le solde de tout compte non signé par le salarié ne faisant pas la preuve du paiement des sommes qui y sont mentionnées. En conséquence, il y a lieu de la condamner à payer à M. [D] [T] la somme de 32 548,00 euros mentionnée sur le solde de tout compte, par infirmation du jugement dont appel.
Par ailleurs, l'article L.1235-3 du code du travail dispose que si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis; et, si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux que cet article prévoit.
Ainsi, M. [D] [T] disposait d'une ancienneté, au service du même employeur, de vingt-deux années entières, déduction faite de la période d'arrêt de travail, et peut donc prétendre, par application des dispositions précitées, à une indemnisation du préjudice né de la perte injustifiée de son emploi comprise entre 3 et 16,5 mois de salaire.
Âgé de 46 ans à la date de la rupture, il percevait au dernier état de la relation un salaire mensuel moyen brut de 4.964,87 euros.
Il s'abstient d'expliciter et a fortiori de justifier de ses conditions d'emploi subséquentes à son licenciement.
Il convient, par conséquent, par infirmation du jugement déféré, de condamner la société Siemens à verser à M. [D] [T] la somme de 30 000 euros bruts à titre de dommages et intérêts pour rupture injustifiée du contrat de travail, le salarié étant débouté du surplus de sa demande.
4 ' Sur les prétentions accessoires
La société Siemens, partie perdante à l'instance au sens des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, doit être tenue d'en supporter les dépens de première instance et d'appel.
Par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, la société Siemens est donc déboutée de ses prétentions au titre des frais irrépétibles.
Il serait par ailleurs inéquitable, au regard des circonstances de l'espèce comme des situations économiques des parties, de laisser à la charge de M. [D] [T] l'intégralité des sommes qu'il a été contraint d'exposer en justice pour la défense de ses intérêts, de sorte qu'il convient de condamner la société Siemens à lui payer la somme de 2'000'euros au titre des frais exposés en première instance et en cause d'appel par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement, dans les limites de l'appel et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
INFIRME le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté la société Siemens SAS de sa demande au titre des frais irrépétibles';
Statuant à nouveau et y ajoutant,
ANNULE la mise à pied notifiée par la société Siemens SAS à M. [D] [T] le'23'novembre'2017';
CONDAMNE la société SIEMENS SAS à payer à M.'[D] [T] la somme de 3000 euros ( trois mille euros) nets à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité';
PRONONCE la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de la société Siemens SAS à la date du 5 novembre 2018 ;
CONDAMNE la société Siemens SAS à payer à M. [D] [T] les sommes suivantes':
- 9'929,91 euros bruts (neuf mille neuf cent vingt-neuf euros et quatre-vingt onze centimes) à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- 992,99 euros bruts (neuf cent quatre-vingt douze euros et quatre-vingt dix-neuf centimes) au titre des congés payés afférents,
- 32 548,00 euros (trente-deux mille cinq cent quarante-huit euros) à titre d'indemnité de licenciement,
- 30 000,00 euros bruts (trente mille euros) à titre de dommages et intérêts pour rupture injustifiée du contrat de travail,
DÉBOUTE M. [D] [T] du surplus de ses demandes financières';
CONDAMNE la société Siemens SAS à payer à M. [D] [T] la somme de 2'000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d'appel';
DÉBOUTE la société Siemens SAS de sa demande au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel';
CONDAMNE la société Siemens SAS aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président de section, et par Mme Carole COLAS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière Le Président