La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

02/02/2023 | FRANCE | N°21/01557

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Ch. sociale -section b, 02 février 2023, 21/01557


C 2



N° RG 21/01557



N° Portalis DBVM-V-B7F-KZ4P



N° Minute :























































































Copie exécutoire délivrée le :





la SCP GERMAIN-PHION JACQUEMET



la SCP VBA AVOCATS ASSOCIES

AU

NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE GRENOBLE



Ch. Sociale -Section B

ARRÊT DU JEUDI 02 FEVRIER 2023





Appel d'une décision (N° RG 18/00996)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRENOBLE

en date du 04 mars 2021

suivant déclaration d'appel du 02 avril 2021





APPELANT :



Monsieur [F] [R]

né le 06 Septembre 1962 à [Localité 4]

de nationalité Fr...

C 2

N° RG 21/01557

N° Portalis DBVM-V-B7F-KZ4P

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée le :

la SCP GERMAIN-PHION JACQUEMET

la SCP VBA AVOCATS ASSOCIES

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

Ch. Sociale -Section B

ARRÊT DU JEUDI 02 FEVRIER 2023

Appel d'une décision (N° RG 18/00996)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRENOBLE

en date du 04 mars 2021

suivant déclaration d'appel du 02 avril 2021

APPELANT :

Monsieur [F] [R]

né le 06 Septembre 1962 à [Localité 4]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 5]

représenté par Me Laure GERMAIN-PHION de la SCP GERMAIN-PHION JACQUEMET, avocat au barreau de GRENOBLE

INTIMEE :

S.A.S. SOCAMEL, prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié audit siège

[Adresse 3]

[Localité 2]

représentée par Me Franck BENHAMOU de la SCP VBA AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de GRENOBLE

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DÉLIBÉRÉ :

M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président,

Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère,

M. Pascal VERGUCHT, Conseiller,

DÉBATS :

A l'audience publique du 30 novembre 2022,

Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère chargée du rapport et M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président, ont entendu les parties en leurs conclusions et plaidoiries, assistés de Mme Carole COLAS, Greffière, conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, les parties ne s'y étant pas opposées ;

Puis l'affaire a été mise en délibéré au 02 février 2023, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.

L'arrêt a été rendu le 02 février 2023.

EXPOSE DU LITIGE':

M. [F] [R], né le 6 septembre 1962, a été embauché le 15 novembre 1989 par la société par actions simplifiée (SAS) Socamel Technologies en qualité de directeur adjoint à l'exportation suivant contrat de travail à durée indéterminée.

La société Socamel Technologies a pour activité principale la fabrication et la vente de chariots de réchauffement pour les plats à destination des collectivités et établissements de restauration collective.

Le 1er octobre 1997 M. [F] [R] a été nommé au poste de directeur export.

Le 1er novembre 2007 M. [F] [R] a acquis la position de cadre dirigeant avec le statut de cadre autonome rémunéré au forfait.

Au dernier état de la relation contractuelle, M. [F] [R] était classé au niveau III, échelon B, coefficient 180 de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie.

Le 16 novembre 2015, M. [F] [R] a été placé en arrêt de travail pour cause de maladie.

En octobre 2017, M. [F] [R] a sollicité une rupture conventionnelle que la société'Socamel Technologies a refusée.

Le 3 février 2018, M. [F] [R] a bénéficié d'une visite médicale de reprise auprès de deux médecins du travail qui l'ont déclaré inapte, précisant que l'employeur était dispensé de reclassement au motif que tout maintien dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé.

Par courrier en date du 10 juillet 2018, la société Socamel Technologies a informé M.'[F] [R] des motifs s'opposant à son reclassement.

Par courrier en date du 17 juillet 2018, l'employeur a convoqué M. [F] [R] à un entretien préalable à son éventuel licenciement fixé le'27'juillet 2018.

Par lettre en date du 31 juillet 2018, la SAS Socamel Technologies a notifié à M.'[F]'[R] son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Suivant requête en date du 7 septembre 2018, M. [F] [R] a saisi le conseil de prud'hommes de Grenoble de demandes dirigées contre la société Socamel Technologies tendant à contester son licenciement et obtenir réparation des préjudices subis au titre de la rupture injustifiée du contrat et au titre de violation par l'employeur de ses obligations de prévention et de sécurité, outre les créances salariales résultant de la rupture.

La société Socamel Technologies s'est opposée aux prétentions adverses.

Par jugement en date du 4 mars 2021, le conseil de prud'hommes de Grenoble a':

Condamné la SAS Socamel Technologies à régler à M. [F] [R] les sommes suivantes :

- 54 171 ,84 € au titre du solde de l'indemnité de licenciement,

- 1 500,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Rappelé que les sommes à caractère salarial bénéficient de l'exécution provisoire de droit, nonobstant appel et sans caution, en application de R 1454-28 du code du travail, étant précisé que ces sommes sont assorties des intérêts de droit à compter du jour de la demande et que la moyenne mensuelle des trois derniers mois de salaire à retenir est de 8 785 €,

Débouté M. [F] [R] de ses autres demandes,

Débouté la SAS Socamel Technologies de sa demande reconventionnelle,

Condamné la SAS Socamel Technologies aux dépens.

La décision a été notifiée par le greffe par lettres recommandées avec accusé de réception signé le 8 mars 2021 pour la société Socamel Technologies et sans justificatif de retour pour M.'[F] [R].

Par déclaration en date du 2 avril 2021, M. [F] [R] a interjeté appel à l'encontre dudit jugement.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 24 octobre 2022, M.'[F] [R] sollicite de la cour de':

Vu les dispositions de l'article L. 1222-1 du code du travail,

Vu les dispositions des articles L. 4121-1 et suivants du code du travail,

Vu les dispositions de l'article 1184 (devenu 1224) du code civil,

Vu les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- Condamné la SAS Socamel Technologies à régler à M. [F] [R] les sommes suivantes:

- 54 171,84 € au titre du solde de l'indemnité de licenciement ;

- 1 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- Débouté la SAS Socamel Technologies de sa demande reconventionnelle,

- Condamné la SAS Socamel Technologies aux dépens.

Infirmer le jugement entrepris pour le surplus et, statuant à nouveau,

- Juger que la société Socamel Technologies a manqué à ses obligations de prévention et de sécurité,

- Condamner en conséquence la société Socamel Technologies à verser à M.'[F]'[R] la somme de 20 000 € nets à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi ensuite du manquement de l'employeur à ses obligations de prévention et de sécurité.

- Juger que le licenciement de M. [F] [R] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- Condamner en conséquence la société Socamel Technologies à verser à M.'[F]'[R] les sommes suivantes :

- 300 000 € nets de CSG CRDS à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause et sérieuse;

- 77 267,28 € bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

- 7 726,73 € bruts au titre des congés payés afférents.

- Condamner la société Socamel Technologies à verser à M. [F] [R] les sommes suivantes:

- 10 000 € bruts à titre de rappel de prime d'objectifs pour l'année 2015 ;

- 1 000 € bruts au titre des congés payés afférents ;

Condamner la société Socamel Technologies à verser à M. [F] [R] la somme de'3'000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens,

Débouter la société Socamel Technologies de l'intégralité de ses demandes.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 23 septembre 2021, la SAS Socamel Technologies sollicite de la cour de':

Confirmer le jugement en toutes ses dispositions SAUF en ce qu'il a condamné la société Socamel Technologies à verser un complément d'indemnité conventionnelle de licenciement ;

- Dire et juger que M. [F] [R] ne rapporte pas la preuve d'une violation d'une obligation de sécurité et en conséquence le débouter de toutes ses demandes ;

- Rejeter la demande de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité ;

- Rejeter la demande de dommages et intérêts et autres demandes financières pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- Rejeter la demande de rappel de prime d'objectifs pour l'année 2015 ;

- Rejeter la demande de rappel d'indemnité conventionnelle de licenciement de M.'[F]'[R] comme étant infondée ;

A titre subsidiaire, confirmer le jugement et réduire le montant de rappel d'indemnité conventionnelle de licenciement à la somme de 54.171,84 euros ;

A titre subsidiaire, rejeter ou réduire ses demandes à de justes proportions ;

Condamner M. [F] [R] à verser à la société SAS Socamel Technologies la somme de 4.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner M. [F] [R] aux entiers dépens.

Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l'article'455 du code de procédure civile de se reporter aux conclusions des parties susvisées.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 3 novembre 2022.

L'affaire, fixée pour être plaidée à l'audience du 30 novembre 2022, a été mise en délibéré au'2'février 2023.

MOTIFS DE L'ARRÊT

1 ' Sur la violation des obligations de prévention et de sécurité

L'employeur a une obligation s'agissant de la sécurité et de la santé des salariés dont il ne peut le cas échéant s'exonérer que s'il établit qu'il a pris toutes les mesures nécessaires et adaptées énoncées aux articles L. 4121-1 et L 4121-2 du code du travail ou en cas de faute exclusive de la victime ou encore de force majeure.

L'article L. 4121-1 du code du travail dans sa version antérieure à l'ordonnance n°2017-1389 du'22 septembre 2017 prévoit que :

L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ;

2° Des actions d'information et de formation ;

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

A compter du 1er octobre 2017, la référence à la pénibilité a été remplacée par un renvoi à l'article L. 4161-1 du code du travail.

L'article L. 4121-2 du code du travail prévoit que :

L'employeur met en 'uvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :

1° Eviter les risques ;

2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

3° Combattre les risques à la source ;

4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

5° Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;

6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1 ;

8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;

9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.

L'employeur doit, notamment, transcrire et mettre à jour un document unique des résultats de l'évaluation des risques, (physiques et psycho-sociaux), pour la santé et la sécurité des salariés qu'il est tenu de mener dans son entreprise, ainsi que les facteurs de pénibilité en vertu de l'article R 4121-1 et suivants du code du travail.

Il convient de rappeler qu'il incombe, en cas de litige, à l'employeur, tenu d'assurer l'effectivité de l'obligation de sécurité et de prévention mise à sa charge par les dispositions précitées du code du travail, de justifier qu'il a pris les mesures suffisantes pour s'acquitter de cette obligation.

M. [F] [R] avance qu'il a été exposé à une surcharge de travail chronique conjuguée aux contraintes de déplacements à l'étranger, d'un changement de stratégie en 2014 et d'un changement de directeur en 2015.

En premier lieu, il ressort des comptes-rendus d'entretien annuels produits par l'employeur sur la période de 2009 à 2014 que le salarié avait pour principales missions de':

- 'Manager' l'équipe commerciale itinérante et sédentaire ainsi que l'assistance technique

- Analyser et suivre les potentiels de chaque marché

- Animer le réseau distribution

- Assurer les interfaces avec les autres services de la société

Mme [U] [Z], assistante commerciale export du 2 janvier 2014 au 4 janvier 2017 confirme l'étendue des fonctions correspondant au poste de directeur export en précisant que M. [R] assurait le management de l'équipe export en France et à l'étranger, la gestion commerciale de clients avec les déplacements à l'étranger, la coordination des relations avec les autres services pour défendre les projets internationaux.

Aussi, elle décrit une évolution, à partir de 2014, de la stratégie d'entreprise, contraire aux directions choisies par M. [R] : «'A partir de 2014, la direction a initié un changement de stratégie qui allait à l'encontre de la mise en place réalisée par M. [R] au cours de sa carrière et ce sans le consulter à ma connaissance au préalable. Des changements importants tels que, entre autres, la création de la filiale en Espagne ou par la suite l'arrêt de la commercialisation en Australie et en Israël lui ont été imposés. Toutefois il les a promus auprès du service export malgré un désaccord sous-jacent sur certains choix, assumant ainsi pleinement son rôle de filtre entre la direction et son équipe.'».

La société Socamel Technologie confirme avoir opéré ce changement de stratégie en privilégiant la création d'une filiale en Espagne plutôt que la relation commerciale avec un distributeur local, sans pour autant expliciter les conditions dans lesquelles elle a pu, au préalable, associer son directeur export à l'élaboration de ce choix ou, le cas échéant, l'en informer avant la note d'information soumise au comité d'entreprise, le 14 mai 2014.

Aussi, l'employeur démontre avoir procédé au recrutement du directeur commercial de la filiale créée, mais il reste taisant sur la charge de travail subséquente pour M.'[F] [R], auquel ce directeur commercial Espagne a été rattaché.

Même si les comptes-rendus annuels de ses entretiens de 2013, 2014 et 2015 ne formalisent pas de désaccord exprimé par M. [R], et sans que le bien-fondé des choix opérés ne puisse être apprécié par la juridiction, il est jugé que la société Socamel Technologie ne justifie pas avoir mis en 'uvre une organisation et des moyens adaptés permettant d'accompagner ce changement et d'éviter toute surcharge de travail pour le directeur export.

D'une seconde part, il est établi qu'au 1er juillet 2015, M. [T] [C], directeur commercial France, a succédé à M. [X] aux fonctions de directeur général.

M. [R] affirme que la promotion du directeur commercial France au poste de directeur général a engendré un élargissement de ses responsabilités, en ce qu'il s'est alors trouvé en charge, en sus de ses fonctions, du suivi du service administratif, du volet technique, de l'équipe de la filiale anglaise, de la gestion produit, de la gestion commerciale de plusieurs pays et du suivi la filiale espagnole.

Mme [U] [Z] confirme cet accroissement de charges : «'Le changement de direction a marqué l'apparition de signes physiques notoires, dénotant une fatigue physique et psychique de M. [R]. A partir de ce moment-là, M. [R] a été totalement surchargé de travail. Il subissait une énorme pression sur les objectifs à atteindre et vivait extrêmement mal cette pression et le surmenage qui en résultait.'».

La société Socamel Technologies conteste toute pression exercée directement par M. [C] à l'égard de M. [R].

Pour autant, la société Socamel Technologie manque d'expliciter la réorganisation opérée avec la promotion de son directeur commercial France au poste de directeur général quant à la répartition des responsabilités entre les directeurs de l'entreprise.

L'employeur, qui s'appuie sur l'ancienneté de M. [R], la maîtrise de ses fonctions, la bonne qualité de ses relations avec M. [C] et le caractère proportionné des objectifs fixés en'2015, reste taisant sur le transfert de charges allégué ou l'accroissement des responsabilités confiées à M. [R], et s'abstient de justifier de la mise en 'uvre de moyens adaptés permettant d'éviter une surcharge de travail pour ce directeur export à l'occasion du changement de fonction du directeur commercial France.

D'une troisième part, Mme [U] [Z] décrit'une dégradation de l'état de M. [R] à compter de juillet 2015 dans les termes suivants':

«'A compter d'un séminaire sur l'internationalisation réalisé au Kyriad de [Localité 5] en juillet'2015, j'ai pu constater peu à peu que son état déclinait avec parfois des hauts et des bas. ['] En septembre 2015 M. [R] a fait un premier malaise avec des collègues de travail lors d'une soirée. Il en fera un autre un peu plus tard en se rendant à un séminaire entreprise France International et Groupe. Suite à ce premier malaise et le suivant, il a alerté la direction de son état, prévenant qu'il ne se sentait plus capable d'assurer ses fonctions comme il l'avait fait jusqu'alors.

Par ailleurs à compter de septembre, plus personne, y compris la direction ne pouvait plus ignorer son état d'épuisement physique et mental. Il arborait quotidiennement une extrême pâleur, des cernes marquées, transpirait beaucoup sans effort physique particulier, se refermait sur lui-même. Il était très clairement épuisé allant une fois jusqu'à s'endormir accidentellement dans son bureau, assis sur son siège. Autant de comportements et d'aspects physiques en tous points contraires à sa personnalité et à son état habituel'».

Ces éléments, précis et détaillés, sont corroborés par un courrier de M. [K], partenaire d'affaire de la société Socamel pour la Suisse, qui écrit': « les tous derniers temps, et pour tout un chacun qui le connaissait un peu, il montrait des signes évidents d'usure'».

La société Socamel Technologies fait valoir qu'elle n'a reçu aucune alerte antérieure à l'arrêt de travail du 16 novembre 2015 et M. [R] n'établit pas avoir avisé son employeur de problèmes de santé.

En effet, il n'est pas démontré que la société Socamel Techonologies a été informée de la survenance des malaises décrits par Mme [U] [Z].

Aussi, M. [R] ne justifie pas de la date d'envoi des deux messages adressés à M.'[T] [C] signalant son état, la mention de sa présence à [Localité 4] ne suffisant pas à établir qu'il s'agissait d'un déplacement professionnel, d'autant que l'intéressé ajoute «'je finis la semaine à [Localité 4], semaine prochaine j'ai pris une thalasso à arcachon'».

Et, la société Socamel Technologies relève qu'aucune alerte n'a été mentionnée sur le cahier des incidents de 2015, ni ne lui a été transmise par le secrétaire du CHSCT, membre de l'équipe de M. [R], ni par le médecin du travail, ou n'a été communiquée à l'inspection du travail.

Pour autant, l'employeur tenu à une obligation de prévention des risques, ne justifie pas de la mise en 'uvre d'une politique de prévention des risques psycho-sociaux au sein de l'entreprise.

L'absence d'alerte ne dispensait pas l'employeur de cette obligation de prévention.

Il ressort du document unique d'évaluation des risques professionnels versé aux débats que celui-ci n'avait pas fait l'objet de mise à jour entre 2011 et 2018, qu'il ne mentionne les risques psychosociaux que par renvoi à une annexe qui n'est pas produite, et qu'il manque d'envisager les postes occupés par les cadres dirigeants.

Il en résulte que la société Socamel Technologies a manqué à ses obligations de sécurité et de prévention à l'égard de M. [R].

Finalement, M. [R] produit des éléments médicaux précis'qui démontrent suffisamment que la dégradation de son état de santé est liée à ses conditions de travail.

Ainsi, selon une attestation médicale confidentielle signée le 22 janvier 2016, le docteur'[V]'[D], médecin traitant, atteste d'un état d'épuisement physique et psychologique constaté depuis le'9'septembre 2015,

Dans une seconde attestation en date du 23 mai 2016, le docteur [D] indique que les arrêts de travail délivrés de manière ininterrompue depuis le 16 novembre 2015 reposent sur un «'diagnostic d'épuisement physique et psychologique'», le docteur [D] précisant, par courrier ultérieur, qu'il ne pouvait relier cet état clinique aux conditions de travail de son patient que par les propos tenus par ce dernier.

Aux termes d'une attestation rédigée le 5 janvier 2018, le docteur [W], médecin psychiatre, certifie suivre M. [R] depuis le 25 janvier 2017 et indique qu'il a «'subi un burn out remettant en cause ses capacités adaptatives et faisant surgir une vulnérabilité psychologique'» et que «'ses propres défenses mises à mal l'ont plongé dans un état d'insécurité transformant toute contrainte en angoisse majeure, se cristallisant en phobie sociale et professionnelle'».

La dégradation de l'état de santé du salarié est encore confirmée par l'inaptitude prononcée le'3'février 2018 et son classement en invalidité de'2ème'catégorie le 7 décembre 2018.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que le salarié a été placé en arrêt de travail prolongé de manière ininterrompue pendant deux années au motif d'un épuisement psychologique et physique survenu concomitamment aux changements opérés dans l'entreprise depuis 2014 sans que l'employeur ne justifie ni de la mise en 'uvre d'une organisation et de moyens adaptés permettant d'éviter voire de limiter les transferts de charge de travail subséquents à ces évolutions, ni d'une politique de prévention des risques psycho-sociaux.

Si les éléments médicaux ne décrivent des symptômes qu'à partir de septembre 2015, les manquements de la société Socamel Technologies à son obligation de de sécurité et de prévention sont à l'origine d'un préjudice moral subi par le salarié à raison de ses conditions de travail.

Il convient d'infirmer le jugement entrepris et de condamner la société Socamel Technologies à payer à M. [F] [R] la somme de 8'000 euros nets à titre de dommages et intérêts.

2 ' Sur la demande de rappel de prime d'objectifs

L'avenant numéro 6 du contrat de travail prévoit que le salarié se voit verser une rémunération variable sous forme de prime d'objectifs dont les modalités sont définies en début d'année lors de l'entretien annuel d'évaluation.

La lettre d'objectifs du 7 janvier 2015 définit une prime correspondant aux objectifs fixés pour 2015 d'un montant maximum de 30'000 euros brus et indique que cette prime sera déterminée lors de l'entretien annuel de 2016, en fonction des objectifs atteints.

En l'espèce, M. [F] [R] fait valoir qu'il a perçu 20'000 euros au titre de prime d'objectifs de l'année 2015 au lieu de 30'000 euros.

Il appartient à l'employeur de fournir les éléments qu'il détient permettant de calculer la rémunération variable du salarié.

La société Socamel Technologies expose que M. [R] a perçu les 2/3 de la prime convenue dès lors qu'il a réalisé un objectif de 8'569 millions d'euros au lieu de l'objectif fixé de 13,2 millions et verse aux débats un tableau des résultats de ses directions et filiales de 2009 à 2019.

M. [F] [R], qui conteste le caractère probant de ce tableau, confirme les chiffres avancés par l'employeur en concluant, au sujet du stress subi, qu'il n'avait «'[pas] atteint son objectif annuel de chiffre d'affaires, fixé pour l'année 2015 à hauteur de 13,2 millions d'euros. Il réalise en effet un chiffre d'affaires de 8.569 millions d'euros.'» (pages 11 et 12 des conclusions de l'appelant).

Il en résulte qu'il n'est pas fondé à solliciter paiement d'un solde de la prime d'objectifs.

Confirmant le jugement déféré, il est débouté de ce chef de prétention.

3 ' Sur la contestation du licenciement

Lorsque l'inaptitude du salarié trouve son origine dans un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.

Il appartient au juge de rechercher lorsqu'il y est invité, si l'inaptitude était consécutive à un manquement préalable de l'employeur à son obligation de sécurité et, dans une telle hypothèse de caractériser le lien entre la maladie du salarié et un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.

Il a été vu que l'inaptitude, déclarée par les deux médecins du travail à l'issue de la visite du'3'février 2018 avec dispense d'obligation de recherche de reclassement pour l'employeur à raison du fait que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé, fait immédiatement suite à une période continue de deux années d'arrêts de travail, motivés par un état d'épuisement physique et psychologique, qui a nécessité un suivi médical et psychologique.

Etant rappelé que le droit du travail est autonome par rapport à celui de la sécurité sociale, il est indifférent que le salarié ne justifie pas de la reconnaissance de l'origine professionnelle de la maladie.

Il a été mis en évidence que les changements opérés dans l'entreprise ont généré un accroissement des responsabilités et de la charge de travail du salarié, sans qu'il soit justifié de mesure d'anticipation ou d'adaptation prise par l'employeur ni de mesure de prévention.

Les manquements de l'employeur à son obligation de sécurité et de prévention tels que précédemment constatés n'ont donc pu, indépendamment de l'engagement d'une procédure de divorce à la même période, que participer au risque, insuffisamment appréhendé par l'employeur, d'une dégradation de l'état de santé du salarié, même brutale.

M. [F] [R] rapporte donc la preuve suffisante d'un lien de causalité entre les manquements de l'employeur à son obligation de sécurité et de prévention et l'inaptitude définitive à l'origine de son licenciement.

Infirmant le jugement entrepris, il convient de déclarer sans cause réelle et sérieuse le licenciement notifié par la société Socamel Technologies à M. [F] [R] le'31'juillet 2018.

4 ' Sur les prétentions afférentes au licenciement

Aux termes de l'article L 1234-1 du code du travail':

«'Lorsque le licenciement n'est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit :

1° S'il justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services continus inférieure à six mois, à un préavis dont la durée est déterminée par la loi, la convention ou l'accord collectif de travail ou, à défaut, par les usages pratiqués dans la localité et la profession ;

2° S'il justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services continus comprise entre six mois et moins de deux ans, à un préavis d'un mois ;

3° S'il justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services continus d'au moins deux ans, à un préavis de deux mois.

Toutefois, les dispositions des 2° et 3° ne sont applicables que si la loi, la convention ou l'accord collectif de travail, le contrat de travail ou les usages ne prévoient pas un préavis ou une condition d'ancienneté de services plus favorable pour le salarié.'».

En application de l'article L. 1234-8 du code du travail, la période de suspension du contrat de travail n'entre pas en compte pour la détermination de la durée de l'ancienneté pour la détermination du préavis, de sorte qu'embauché le 15 novembre 1989 et le contrat étant suspendu à compter du 16 novembre 2015 jusqu'à sa rupture, le salarié justifie d'une ancienneté de 26 années.

S'agissant du calcul de l'indemnité conventionnelle de licenciement, l'article 29 de la convention collective des cadres de la métallurgie prévoit':

«'L'indemnité de licenciement est calculée sur la moyenne mensuelle des appointements ainsi que des avantages et gratifications contractuels, dont l'ingénieur ou cadre a bénéficié au cours de ses 12 derniers mois précédant la notification du licenciement. Toutefois, si, à la date de fin du préavis, exécuté ou non, l'ancienneté de l'ingénieur ou cadre est inférieure à 8 années, l'indemnité de licenciement pourra être calculée sur la moyenne des 3 derniers mois si cette formule est plus avantageuse pour l'intéressé ; dans ce cas, toute prime ou gratification à périodicité supérieure au mois, versée au salarié pendant cette période, n'est prise en compte que dans la limite d'un montant calculé à due proportion. En cas de suspension du contrat de travail, pour quelque cause que ce soit, au cours des 12 ou 3 mois, il est retenu, au titre de chacune de ces périodes de suspension, la valeur de la rémunération que l'ingénieur ou cadre aurait gagnée s'il avait travaillé durant la période de suspension considérée, à l'exclusion de toutes les sommes destinées à se substituer aux salaires perdus ' telles que les indemnités de maladie ' éventuellement perçues par l'intéressé au titre de la période de suspension.'».

Le salaire de référence doit donc inclure tous les éléments de rémunération, y compris les sommes versées au titre des primes et avantages qu'il aurait perçus s'il avait travaillé pendant la période de suspension.

Au cas particulier, M. [F] [R] ne soutient ni ne démontre que les primes, qu'il qualifie d'exceptionnelles, perçues pendant la période de référence à hauteur de 3'000 euros et'10'000 euros, constituent des primes qu'il aurait perçues s'il avait travaillé pendant la période de suspension de son contrat de travail.

En revanche, la prime sur objectifs entre dans la base de calcul dès lors qu'il s'agit d'un élément de rémunération contractualisé qui aurait été perçu si le salarié avait continué à travailler et dont le montant peut être retenu à hauteur de la prime perçue l'année précédente, soit 29'000 euros.

Il en résulte que le salaire de référence de M. [F] [R] s'établit à 11 794,54 euros. Il s'ensuit qu'il devait percevoir une indemnité de licenciement de 212'301,84 euros au lieu de la somme de 158'130 euros perçue.

Confirmant le jugement déféré, la société Socamel Techonologies est donc condamnée à payer à M. [F] [R] une somme de 54'171,84 euros au titre du solde de l'indemnité de licenciement.

Aussi, en application des dispositions de l'article 27 de la convention collective M.'[F]'[R] bénéficiait d'un préavis d'une durée de six mois, de sorte que la société Socamel Techonologies est condamnée à lui verser un montant de'70'767,24 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 7'076,72 euros bruts au titre des congés payés afférents, par infirmation du jugement déféré.

Par ailleurs, l'article L.1235-3 du code du travail dispose que si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis; et, si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux que cet article prévoit.

Ainsi, M.'[F]'[R], qui disposait d'une ancienneté au service du même employeur, de 26 années entières, peut donc prétendre, par application des dispositions précitées, à une indemnisation du préjudice né de la perte injustifiée de son emploi comprise entre 3 et 18,5 mois de salaire.

Âgé de 56 ans à la date de la rupture, il justifie de son admission en invalidité de 2ème catégorie, obérant largement ses possibilités de retour à l'emploi.

Il convient, par conséquent, par infirmation du jugement déféré, de condamner la société Socamel Technologies à lui verser la somme de 215'000 euros bruts à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, le salarié étant débouté du surplus de sa demande.

5 ' Sur les demandes accessoires

La société Socamel Technologies, partie perdante à l'instance au sens des dispositions de l'article'696 du code de procédure civile, doit être tenue d'en supporter les dépens de première instance et d'appel.

Par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, la société Socamel Technologies est donc déboutée de ses prétentions au titre des frais irrépétibles.

Il serait par ailleurs inéquitable, au regard des circonstances de l'espèce comme des situations économiques des parties, de laisser à la charge de M. [F] [R] l'intégralité des sommes qu'il a été contraint d'exposer en justice pour la défense de ses intérêts, de sorte qu'il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné société Socamel Technologies à lui payer la somme de'1'500'euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et, y ajoutant, de la condamner à lui verser la somme complémentaire de'1'500'euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel dans la limite du montant sollicité.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, dans les limites de l'appel et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a :

- Condamné la SAS Socamel Technologies à payer à M. [F] [R] les sommes suivantes:

- 54 171,84 euros au titre du solde de l'indemnité de licenciement,

- 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Débouté M. [F] [R] de ses prétentions au titre de la prime d'objectifs 2015,

- Débouté la SAS Socamel Technologies de sa demande au titre des frais irrépétibles,

- Condamné la SAS Socamel Technologies aux dépens.

L'INFIRME pour le surplus

Statuant des chefs du jugement infirmés et y ajoutant,

DIT que le licenciement notifié par la SAS Socamel Technologies à M. [F] [R] le'31 juillet 2018 est sans cause réelle et sérieuse';

CONDAMNE la SAS Socamel Technologies à payer à M. [F] [R] les sommes suivantes:

- 8'000 euros nets (huit mille euros) à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait du manquement à l'obligation de sécurité et de prévention,

- 70'767,24 euros bruts (soixante-dix mille sept cent soixante-sept euros et vingt-quatre centimes) à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 7'076,72 euros bruts (sept mille soixante-seize euros et soixante-douze centimes) au titre des congés payés afférents,

- 215'000 euros bruts (deux cent quinze mille euros) à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

DÉBOUTE M. [F] [R] du surplus de ses demandes financières';

CONDAMNE la SAS Socamel Technologies à payer à M. [F] [R] une indemnité de'1'500 euros (mille cinq cents euros) au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel';

DÉBOUTE la SAS Socamel Technologies de sa demande d'indemnisation des frais irrépétibles'exposés en cour d'appel ;

CONDAMNE la SAS Socamel Technologies aux entiers dépens d'appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président de section, et par Mme Carole COLAS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Ch. sociale -section b
Numéro d'arrêt : 21/01557
Date de la décision : 02/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-02;21.01557 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award