N° RG 20/03857 - N° Portalis DBVM-V-B7E-KUKI
N° Minute :
C4
Copie exécutoire délivrée
le :
à
la SELARL CABINET BARD AVOCATS ET ASSOCIES
la SELARL CABINET JP
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
2ÈME CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU MARDI 24 JANVIER 2023
Appel d'un Jugement (N° R.G. 18/03235) rendu par le Tribunal de Grande Instance de Valence en date du 24 septembre 2020, suivant déclaration d'appel du 3 Décembre 2020
APPELANT :
M. [I] [C]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par Me Vincent BARD de la SELARL CABINET BARD AVOCATS ET ASSOCIES, avocat au barreau de VALENCE
INTIMÉE :
Mme [J] [U]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Jean POLLARD de la SELARL CABINET JP, avocat au barreau de VALENCE
COMPOSITION DE LA COUR : LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Emmanuèle Cardona, présidente,
M. Frédéric Dumas, vice-président placé, en vertu d'une ordonnance en date du 29 juin 2022 rendue par la première présidente de la cour d'appel de Grenoble,
Mme Anne-Laure Pliskine, conseillère,
DÉBATS :
A l'audience publique du 20 Septembre 2022, Frédéric Dumas, vice-président placé, qui a fait son rapport, assisté de Frédéric Sticker, Greffier, en présence de Céline Richard, greffière stagiaire, a entendu seul les avocats en leurs conclusions, les parties ne s'y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile.
Il en a rendu compte à la Cour dans son délibéré et l'arrêt a été rendu à l'audience de ce jour.
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
M. [I] [C] exerçait une activité d'élevage caprin sur la commune de [Localité 5] (26) et son troupeau de chèvres a fait l'objet d'attaques de chiens errants au cours du printemps et de l'été 2014. Déplorant une perte de quarante- cinq chèvres l'éleveur a déposé plainte auprès des services de gendarmerie.
Consécutivement à ces attaques le Préfet de la Drôme a, par arrêté du 25 juillet 2014, autorisé l'abattage de chiens en divagation de type berger allemand ou husky.
Le tribunal paritaire des baux ruraux de Montélimar a, selon jugement du 15 décembre 2016, prononcé la résiliation du bail rural le liant à M. [R].
Arguant de l'appartenance des chiens à l'origine des attaques à Mme [J] [U] M. [C] l'a, par exploit du 9 octobre 2018, fait assigner devant le tribunal de grande instance de Valence aux fins notamment de l'entendre condamner à l'indemniser.
Suivant jugement du 24 septembre 2020 le tribunal judiciaire de Valence a :
- rejeté la demande de révocation de la clôture prononcée le 13 mars 2020,
- débouté M. [C] de toutes ses prétentions, y compris de sa demande d'exécution provisoire,
- débouté Mme [U] de sa demande reconventionnelle d'indemnité fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
Le 3 décembre 2020 M. [C] a interjeté appel du jugement sauf en ce qui concerne le rejet de la demande de Mme [U] au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions, dont le dispositif doit être expurgé de toutes mentions qui ne constituent pas des demandes mais reprennent les moyens soutenu dans les motifs, l'appelant demande à la cour, sur le fondement des articles 1243 et suivants du code civil, de réformer le jugement déféré et, statuant à nouveau, de :
- condamner Mme [U] à l'indemniser à hauteur de :
- 4 500 euros au titre de la perte du cheptel,
- 15 000 euros au titre de la perte d'exploitation induite,
- 5 000 euros au titre de son préjudice moral,
- la condamner à lui verser une indemnité de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ,
- laisser à la charge de l'intimée les entiers dépens de l'instance.
Au soutien de ses prétentions l'appelant fait valoir que :
- les chiens de Mme [U] ont été identifiés comme étant les auteurs desdites attaques à l'intérieur des enclos dans lesquels le cheptel était parqué de sorte que la responsabilité de l'intimée est engagée,
- il s'est heurté à l'inertie des services judiciaires lorsqu'il a réclamé le dossier pénal permettant d'identifier les chiens ayant détruit son cheptel alors même qu'il a été informé par les enquêteurs de l'identité de la responsable, laquelle est propriétaire de huskies,
- postérieurement au jugement dont appel il a enfin obtenu copie du dossier aux termes duquel Mme [U] reconnaît la fugue de ses chiens qui auraient pu attaquer ses animaux, ces chiens ayant en outre été identifiés par M. [B], agent technique communal, ainsi que Mme [X].
En réplique, selon ses dernières écritures dont le dispositif doit également être expurgé de toutes mentions qui ne constituent pas des demandes mais reprennent les moyens soutenus dans les motifs, l'intimée conclut à ce que la cour confirme le jugement dont appel en toutes ses dispositions et :
- déboute M. [C] de sa demande tendant à voir engager sa responsabilité du fait des dommages causés par ses chiens et de ses demandes indemnitaires,
- à titre subsidiaire le déboute de l'ensemble de ses demandes indemnitaires,
- le condamne en tout état de cause à lui payer la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Mme [U] expose que :
- il n'y a aucune faute ni lien de causalité entre le fait de ses chiens et le dommage invoqué par l'appelant,
- l'arrêté préfectoral du 25 juillet 2014 indique qu'il n'a pas été possible d'identifier les propriétaires des chiens auteurs des attaques,
- quand bien même ses chiens seraient impliqués dans les premières attaques rien n'établit qu'ils seraient à l'origine des attaques ultérieures,
- ses chiens ont toujours été attachés sur sa propriété et n'ont jamais été agressifs à l'égard des chèvres,
- sa responsabilité ne saurait être engagée alors qu'il n'a pas été possible d'identifier avec exactitude les propriétaires desdits chiens, outre qu'elle n'a jamais reconnu dans ses auditions une responsabilité du fait de ses chiens et s'est contentée d'émettre des hypothèses,
- subsidiairement l'appelant ne justifie pas du quantum des préjudices allégués.
L'instruction a été clôturée suivant ordonnance du 9 février 2022.
MOTIFS
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux conclusions déposées.
Sur les demandes principales
L'article 1385 du code civil applicable au présent litige, en vigueur jusqu'au 30 septembre 2016 et que reprend à l'identique l'article 1243, dispose que le propriétaire d'un animal, ou celui qui s'en sert, pendant qu'il est à son usage, est responsable du dommage que l'animal a causé, soit que l'animal fût sous sa garde, soit qu'il fût égaré ou échappé.
En application de l'article 9 du code de procédure civile, selon lequel il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention, il appartient en l'espèce à M. [C] qui invoque la responsabilité de Mme [U] dans la perte de son cheptel de rapporter la preuve de ses préjudices et d'un lien de causalité direct et certain entre ceux-ci et les chiens de l'intimée.
A l'appui de ses allégations l'appelant produit divers documents :
- l'historique de l'organisme Atemax des collectes d'équarrissages de M. [C] pour cinquante-six caprins du mois de février au mois d'août 2014,
- un arrêté du 25 juillet 2014 du préfet de la Drôme visant un courrier du maire de [Localité 5] en date du 23 juillet 2014 concernant la divagation de deux chiens de type berger allemand ou husky depuis environ un mois sur le territoire de cette commune, mentionnant une dizaine d'attaques sur le troupeau de chèvres de M. [C] et causant la mort d'une trentaine de caprins et de graves blessures sur autant d'autres animaux de son cheptel depuis le 26 juin 2014, le ou les propriétaires de ces chiens n'ayant pu être identifiés,
- une copie de la procédure pénale comprenant :
- le dépôt de plainte du 23 août 2014 de M. [C] qui déclare que son troupeau a été victime d'attaques de deux canidés semblant être des huskies à plusieurs reprises depuis le printemps 2014 jusqu'au 16 août 2014 lui occasionnant une perte d'une soixantaine de chèvres qui se trouvaient sur ses terres, précisant ne pas être assuré pour ce type de fait,
- l'audition du 24 août 2014 de Mme [U], domiciliée à [Localité 6] et qui explique être propriétaire de deux chiens huskies croisés border collie et qu'il 'est exact que [ses] chiens se sont déjà enfuis et afin de pallier ce soucis, nous les attachons très souvent', qu'elle est 'consciente' que ses chiens aient pu commettre les attaques, indiquant que le cas échéant elle mobiliserait son assurance Groupama responsabilité civile,
- l'audition du 27 août 2014 de M. [B], agent technique communal, qui témoigne avoir vu dans la nuit du 16 au 17 août 2014 des chèvres de M. [C] affolées après deux attaques et avoir vu deux chiens sortir de la vigne en courant dans la direction de [Localité 6], lesquels chiens 'ressemblent très fortement à ceux de la photographie N°2' représentant ceux de Mme [U] et de tailles similaires selon ses déclarations recueillies le 5 septembre,
- une attestation de Mme [Z] [X] du 1er décembre 2020, secrétaire de mairie en 2014, selon laquelle, après avoir été prévenue au printemps 2014 d'une attaque de chiens sur le troupeau de M. [C], elle s'est rendue sur les lieux où elle a vu deux chiens de type husky qui s'enfuyaient ; début août 2014 elle les a revus déambulant seuls dans le village de [Localité 6] et a constaté plus tard le même jour qu'ils étaient 'couchés dehors non attachés devant la propriété de Mme [U]'.
Il ressort ainsi de l'examen des pièces versées au dossier, et notamment des témoignages circonstanciés et concordants de M. [B] et Mme [X] identifiant avec une grande probabilité pour le premier et avec certitude pour la seconde les chiens auteurs des attaques sur le cheptel de M. [C] comme étant ceux de Mme [U], celle-ci admettant en outre de possibles fuites, qu'il existe un lien de causalité direct et certain entre les pertes constatées par l'appelant et les deux huskies de l'intimée. Au surplus il n'est fait état d'aucune autre attaque dans un temps et un lieu proches de celles du troupeau de M. [C] pouvant être attribuées à d'autres animaux.
Il importe par ailleurs peu que tant les photographies que l'attestation produites par l'intimée seraient de nature à démontrer l'innocuité de ses chiens à l'égard d'autres animaux ou d'enfants dès lors que les éléments probants relatifs à leur participation à la destruction de son cheptel sont produits par M. [C].
Mme [U] doit dès lors être tenue pour entièrement responsable des préjudices subis par son contradicteur en vertu de la présomption édictée par l'article 1385 susvisé.
M. [C], qui précise avoir perdu quarante-six caprins, sollicite une indemnisation à ce titre à hauteur de 4500 euros sans nullement justifier ce montant, la déclaration PAC fournie par l'appelant n'établissant que le montant des aides financières perçues de 2011 à 2014.
Son préjudice au titre de cette perte n'étant cependant pas contesté une juste indemnité de 2 300 euros lui sera allouée.
Le préjudice d'exploitation n'étant pas davantage justifié dans son existence ou son quantum en l'absence de production de ses bénéfices d'exploitation des années précédant la perte de son cheptel et en 2014 l'appelant sera débouté de sa demande indemnitaire.
M. [C] se prévaut enfin d'un syndrome dépressif lié auxdites attaques sans qu'il n'en établisse l'existence.
Il est néanmoins indéniable qu'il a ressenti un choc psychologique résultant de la découverte de ses bêtes victimes des attaques de canidés et de leur perte, pour lequel il conviendra de lui allouer une indemnité de 2 500 euros.
Sur les demandes annexes
Il serait inéquitable de laisser à la charge de M. [C] les frais exposés pour faire valoir ses droits devant la cour. Mme [U] sera donc condamnée à lui verser une indemnité de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
L'intimée qui succombe sera en outre condamné aux entiers dépens de la procédure d'instance et d'appel en ce compris les frais d'expertise.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement et par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Infirme le jugement du 24 septembre 2020 du tribunal judiciaire de Valence en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau ;
Condamne Mme [J] [U] à payer à M. [I] [C] une somme de 4 800 euros (quatre mille huit cents euros) à titre de dommages et intérêts répartie comme suit :
- 2 300 euros au titre de la perte de son cheptel,
- 2 500 euros au titre du préjudice moral ;
Déboute M. [C] du surplus de ses demandes ;
Condamne Mme [J] [U] à verser à M. [I] [C] une indemnité de 1 500 euros (mille cinq cents euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Mme [U] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Arrêt signé par Mme Emmanuèle Cardona, Présidente de la deuxième chambre civile et par la Greffière, Caroline Bertolo, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE