C1
N° RG 20/04214
N° Portalis DBVM-V-B7E-KVQW
N° Minute :
Copie exécutoire délivrée le :
la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE - CHAMBERY
Me David HUARD
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
Ch. Sociale -Section A
ARRÊT DU MARDI 13 DECEMBRE 2022
Appel d'une décision (N° RG 20/00010)
rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VIENNE
en date du 14 décembre 2020
suivant déclaration d'appel du 24 décembre 2020
APPELANTE :
S.A. SOCARA, agissant poursuites et diligences de son représentant légal
en exercice domicilié en cette qualité audit siège,
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Me Alexis GRIMAUD de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE - CHAMBERY, avocat postulant inscrit au barreau de GRENOBLE,
et par Me Philippe ROUSSELIN-JABOULAY de la SELARL ALCYACONSEIL SOCIAL, avocat plaidant inscrit au barreau de LYON, substituée par Me Laurent ASTRUC, avocat au barreau de LYON,
plaidé par Me Laurent ASTRUC,
INTIME :
Monsieur [W] [B] [A]
né le 01 Décembre 1975 à [Localité 5]
de nationalité Congolaise
[Adresse 1]
[Localité 2]
représenté par Me David HUARD, avocat au barreau de GRENOBLE,
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Jean-Pierre DELAVENAY, Président,
Madame Gaëlle BARDOSSE, Conseillère,
Madame Isabelle DEFARGE, Conseillère,
DÉBATS :
A l'audience publique du 10 octobre 2022,
Mme Gaëlle BARDOSSE, Conseillère chargée du rapport, assistée de Mme Mériem CASTE-BELKADI, Greffière, a entendu les parties en leurs conclusions et plaidoiries, les parties ne s'y étant pas opposées conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile.
Puis l'affaire a été mise en délibéré au 13 décembre 2022, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.
L'arrêt a été rendu le 13 décembre 2022.
Exposé du litige :
M. [B] [A] a été engagé selon contrat à durée déterminée par la SA COOPERATIVE D'APPROVISIONNEMENT RHÔNE ALPES (ci-après SA SOCARA) à compter du décembre 2016 en qualité de préparateur de commandes.
Il a ensuite été engagé selon contrat à durée indéterminée à compter du 1er juin 2017 au même poste, statut ouvrier.
La convention collective nationale du commerce de détail et de gros s'applique à la relation contractuelle.
Le 13 juin 2017, une altercation a eu lieu entre M. [R] et M. [B] [A].
Le même jour, M. [B] [A] a été mis à pied à pied à titre conservatoire et s'est vu notifier une convocation à un entretien préalable qui s'est tenu le 23 juin 2017.
A la suite de cet entretien, et par courrier recommandé du 27 juin 2017, la SA SOCARA a notifié à M. [B] [A] son licenciement pour faute grave.
M. [B] [A] a saisi le Conseil des prud'hommes de Vienne le 20 février 2018 aux fins de contester le bien-fondé de son licenciement et obtenir les indemnités afférentes.
Par jugement du 14 décembre 2020, le Conseil des prud'hommes de Vienne a :
- Fixé le salaire moyen de M. [B] [A] à la somme de 1 758,12 euros bruts,
- Jugé que le licenciement de M. [B] [A] ne repose ni sur une faute grave ni sur une cause réelle et sérieuse,
En conséquence,
- Condamné la SA SOCARA à verser à M. [B] [A] les sommes suivantes :
1 758,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
644,63 euros au titre de l'indemnité de licenciement,
586,04 euros au titre du salaire pendant la mise à pied injustifiée et 58,60 euros au titre des congés payés sur le salaire pendant la mise à pied,
1 758,12 euros au titre de l'indemnité de préavis et 1 75,81 e au titre des congés payés sur préavis,
- Débouté M. [B] [A] de sa demande en réparation du préjudice moral,
- Ordonné l'exécution provisoire de l'entier jugement au sens des dispositions de l'article 515 du code de procédure civile,
- Condamné la SA SOCARA à verser à M. [B] [A] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Débouté la SA SOCARA de sa demande relative à l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamné la SA SOCARA aux entiers dépens de l'instance.
La décision a été notifiée aux parties et la société SOCARA en a interjeté appel.
Par conclusions du 16 septembre 2021, la SA SOCARA demande à la cour d'appel de :
- Infirmer le jugement rendu le 14 décembre 2020 par le Conseil de Prud'hommes et de juger que le licenciement de M. [B] [A] repose sur une faute grave,
- Rejeter en conséquence l'ensemble de ses demandes,
- Confirmer le jugement rendu le 14 décembre 2020 par le Conseil de Prud'hommes de Vienne, en ce qu'il a débouté M. [B] [A] de sa demande en réparation du préjudice moral,
- Condamner M. [B] [A] à la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner M. [B] [A] aux entiers dépens de l'instance.
Par conclusions du 1er avril 2021, M. [B] [A] demande à la cour d'appel de :
- Confirmer le jugement rendu le 14 décembre 2020 par le Conseil de prud'hommes de Vienne en ce qu'il a :
Fixé le salaire moyen de M. [B] [A] à la somme de 1 758,12 euros bruts,
Dit et jugé que le licenciement de M. [B] [A] ne repose ni sur une faute grave ni sur une cause réelle et sérieuse,
Condamné la SA SOCARA à verser à M. [B] [A] les sommes suivantes :
644,63 euros au titre de l'indemnité de licenciement,
586,04 euros au titre du salaire pendant la mise à pied injustifiée et 58,60 euros au titre des congés payés sur le salaire pendant la mise à pied,
1 758,12 euros au litre de l'indemnité de préavis et 175,81 euros au titre des congés payés sur préavis,
Condamné la SA SOCARA à verser à M. [B] [A] la somme de 1 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Débouté la SA SOCARA de sa demande relative à l'article 700 du code de procédure civile,
Condamné la SA SOCARA aux entiers dépens de l'instance,
Et statuant à nouveau, il est demandé à la Cour d'appel de :
- Condamner la société SOCARA à lui verser les sommes suivantes :
3 516 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
1 800 euros en réparation du préjudice moral subi,
2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d'appel.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 septembre 2022.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux dernières conclusions déposées.
SUR QUOI :
Sur le bien-fondé du licenciement pour faute grave :
Moyens des parties,
La SA SOCARA expose que le manquement à l'origine du licenciement pour faute grave est établi et empêchait, par sa gravité, la poursuite du contrat de travail de M. [B] [A].
Elle fait valoir que le salarié a frappé l'un de ses collègues le 13 juin 2017, M. [R], pendant son temps et sur le lieu de travail et qu'il ne conteste pas la matérialité des faits reprochés, arguant dans la présente instance d'une provocation de son collègue. Elle affirme qu'il n'y a pas eu de provocation de la part de M. [R] et à la supposée démontrée, elle ne permet pas de légitimer la violence en réponse. Il n'est pas non plus démontré que ce salarié était coutumier des actes de provocation. Les deux salariés présents lors de l'agression commise par M. [B] [A] confirment que ce dernier a asséné un coup de poing au visage de son collègue, M. [R], et les salariés ont témoigné auprès de M. [P], et ont signé leur compte- rendu d'entretien. Les deux témoignages en ce sens produits par M. [B] [A] ne sont pas probants car les attestants n'ont pas assisté à la scène. M. [R] atteste en outre dans la présente procédure et cette attestation est recevable.
Toute forme de violence sur le lieu de travail est proscrite, peu important l'absence d'antécédents, et le règlement intérieur de l'entreprise interdit toute agression physique, il s'agit en outre d'une violation de l'obligation de sécurité qui incombe à tous salariés et les violences sont passibles de poursuites pénales. Enfin l'employeur est tenu de prendre les mesures nécessaires pour faire cesser les violences et protéger les salariés et n'était pas tenu de confronter les salariés disposant des auditions de trois salariés et M. [B] [A] a été entendu lors de l'entretien préalable et a affirmé ne pas se rappeler de ce qui s'était passé dans ce moment de colère alors que dans la présente instance il se prévaut désormais d'une « absence de violence » de sa part. Il reconnait cependant que la sanction était justifiée mais que l'autre salarié aurait dû être sanctionné.
M. [B] [A] fait valoir que la faute grave n'est pas établie en l'absence de violence de sa part. Il expose qu'il a contesté avoir porté un coup à M. [R] dès l'entretien préalable et la matérialité de ce fait n'est pas établie par les trois salariés car les rapports d'incidents sont écrits d'une même main et une seule attestation est produite, celle de Mme [T], dont la signature est très différente de celle figurant sur sa carte d'identité. L'attestation de M. [R] est sujette à caution puisqu'il est à l'origine de l'altercation. Il s'agit d'une altercation entre deux salariés, la société devait donc user de son pouvoir de sanction envers les deux après les avoir entendus. M. [R] n'a jamais été invité à s'expliquer alors qu'il est le principal concerné et l'instigateur de l'altercation. Ce salarié était coutumier du fait envers d'anciens salariés mais protégé par la direction. Ainsi, pour mettre fin au litige la société met fin au contrat de l'agressé plutôt que de sanctionner l'agresseur. Il n'avait jamais fait l'objet d'aucun reproche alors qu'il occupait le poste de préparateur de commande depuis près de 2 ans et venait tout juste d'être recruté en CDI au moment de l'agression par M. [R].
Sur ce,
Selon les articles L. 1232-1 et L. 1232-6 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, énoncée dans une lettre notifiée au salarié.
Cette lettre, qui fixe les limites du litige, ce qui interdit à l'employeur d'invoquer de nouveaux griefs et au juge d'examiner d'autres griefs non évoqués dans cette lettre, doit exposer des motifs précis et matériellement vérifiables permettant au juge d'en apprécier la réalité et le sérieux.
Selon l'article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié. Ainsi, l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.
Selon l'article L. 1235-2 du même code, les motifs énoncés dans la lettre de licenciement prévue aux articles L. 1232-6, L. 1233-16 et L. 1233-42 peuvent, après la notification de celle-ci, être précisés par l'employeur, soit à son initiative soit à la demande du salarié, dans des délais et conditions fixés par décret en Conseil d'Etat.
La lettre de licenciement, précisée le cas échéant par l'employeur, fixe les limites du litige en ce qui concerne les motifs de licenciement.
A défaut pour le salarié d'avoir formé auprès de l'employeur une demande en application de l'alinéa premier, l'irrégularité que constitue une insuffisance de motivation de la lettre de licenciement ne prive pas, à elle seule, le licenciement de cause réelle et sérieuse et ouvre droit à une indemnité qui ne peut excéder un mois de salaire.
Il est de principe que la faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien de l'intéressé au sein de l'entreprise même pendant la durée du préavis. La mise en 'uvre de la procédure de licenciement doit intervenir dans un délai restreint après que l'employeur a eu connaissance des faits fautifs mais le maintien du salarié dans l'entreprise est possible pendant le temps nécessaire pour apprécier le degré de gravité des fautes commises. L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.
La gravité de la faute s'apprécie en tenant compte du contexte des faits, de l'ancienneté du salarié et des conséquences que peuvent avoir les agissements du salarié et de l'existence ou de l'absence de précédents disciplinaires. L'existence d'un préjudice subi par l'employeur en conséquence du comportement reproché au salarié n'est pas une condition de la faute grave.
En l'espèce, contrairement au fait conclu par l'employeur, il ne ressort pas des conclusions de première instance de M. [B] [A], produites par l'employeur, que le salarié aurait reconnu avoir frappé M. [R] le 13 juin 2017, M. [B] [A] se limitant dans ses écritures de première instance à faire mention d'une altercation avec ce dernier ayant fait suite à une provocation de la part de celui-ci.
En outre, il ressort de la lettre de licenciement du 27 juin 2017 que M. [B] [A], lors de l'entretien préalable, a nié avoir frappé M. [R], et a indiqué que celui-ci l'avait provoqué.
Pour démontrer que M. [B] [A] a frappé M. [R] lors de l'altercation entre les deux salariés le 13 juin 2017, la SA SOCARA verse aux débats :
Des « rapports d'incident » de trois salariés, M. [M], M. [J] et M. [R], sur l'altercation du 13 juin 2017,
Une attestation du 28 janvier 2020 de M. [M],
Une attestation de M. [R] du 27 janvier 2020.
La SA SOCARA argue dans ses écritures que les trois rapports d'incident ont été rédigés par M. [P] sur la base des entretiens que celui-ci, dont la fonction dans l'entreprise n'est pas indiquée par l'employeur, a eu avec M. [R] lui-même, M. [O], et M. [M], et que chacun d'entre eux porte la signature de M. [P], ainsi que la signature du salarié concerné. Toutefois, la SA SOCARA n'apporte aucune explication sur les circonstances dans lesquelles ces entretiens se sont déroulés, aucune date n'étant d'ailleurs portée sur les formulaires, à l'exception de la date de l'altercation.
Il doit être relevé que ces comptes- rendus, écrits de la main de M. [P] sont tous les trois extrêmement succincts, et n'apportent aucune précision sur l'enchaînement des événements. En outre, aucun n'indique de manière exhaustive les personnes présentes lors de l'altercation.
Enfin, il doit être relevé que la case intitulée « Commentaires du salarié » n'est pas remplie.
La cour d'appel relève également qu'aucun compte-rendu de M. [B] [A] n'est produit aux débats, alors que la SA SOCARA a reçu en entretien M. [R]. Ainsi, à eux seuls, eu égard à leur manque de précision, ces éléments sont insuffisants pour établir la matérialité des faits reprochés à M. [B] [A].
S'agissant de l'attestation de M. [R], principal intéressé, extrêmement laconique et dépourvue de toute précision sur les circonstances de l'altercation, l'enchaînement des faits et sur les personnes présentes, elle est dépourvue de valeur probante.
M. [M] atteste pour sa part que M. [R] aurait demandé à M. [B] [A] d'effectuer une opération car il le soupçonnait de « tricher », qu'un échange s'en serait suivi, que le ton serait monté et que M. [B] [A] se serait emporté et aurait porté un coup à M. [R]. M. [M] indique qu'il serait alors intervenu pour les séparer.
La cour relève que M. [M] précise toutefois ne pas connaître « la nature des mots que (les deux salariés) ont échangé avant l'altercation », ce qui contredit son allégation initiale selon laquelle l'altercation aurait eu lieu car M. [R] avait demandé à M. [B] [A] de « valider sa fin d'UMS car (il) le soupçonnait de tricher ». En outre, M. [M] ne précise pas où M. [B] [A] a précisément porté son coup sur M. [R].
M. [B] [A] verse aux débats une attestation de M. [H] [Z], accompagnée d'une copie de la pièce d'identité de celui-ci.
La SA SOCARA ne produit aucun argument valide permettant de remettre en cause l'authenticité de cette attestation, le fait que cet écrit ne soit pas daté n'étant pas un élément suffisant pour l'écarter des débats, eu égard notamment aux précisions qu'il comporte sur les circonstances de l'altercation.
En outre, la SA SOCARA ne démontre pas que M. [H] [Z], dont elle ne conteste pas qu'il était bien salarié de l'entreprise au moment des faits, n'était pas présent lors de l'altercation du 13 juin 2017. Elle n'explique pas non plus, s'il a bien, comme les autres salariés présents, été entendu par M. [P], et pourquoi aucun compte-rendu d'entretien à son nom n'est produit aux débats.
En effet, il ne peut être valablement soutenu par l'employeur qu'il incombe à M. [B] [A] de démontrer que [H] [Z] était bien présent lors de l'altercation, la charge d'établir les circonstances d'une altercation et de recueillir les éléments de faits permettant d'établir les responsabilités de chacun, afin d'exercer son pouvoir disciplinaire, lui incombant.
Au surplus, l'employeur, qui donne les directives de travail, doit avoir la connaissance de la présence des salariés ou de l'absence des salariés sur son lieu de travail. Or, la SA SOCARA ne verse aux débats aucun emploi du temps permettant à la cour d'appel de constater que M. [H] [Z] ne pouvait pas être présent lors de l'altercation.
La cour d'appel observe en outre que, dans son courrier, M. [H] [Z] relate avoir été témoin de l'altercation survenue entre M. [B] [A] et M. [R], que M. [R] aurait commencé à traiter M. [B] [A] de « sale tricheur de merde », que M. [B] [A] aurait répondu avec agressivité « Tu veux me faire comme tu avais fait à [I], [U] et [V] », que M. [R] aurait répondu avec la même agressivité « Et alors, qu'est-ce que tu vas me faire ' tu peux rien me faire, je suis très bien protégé ici dans cette boîte » en mettant sa tête contre celle de M. [B] [A]. M. [H] [Z] ajoute que les échanges ont continué entre les deux salariés jusqu'à « la limite de se battre » mais que M. [L] [C] et les autres sont venus les calmer.
Il ressort ainsi de cette attestation qu'un autre salarié, M. [L] [C], était présent lors de l'altercation. La SA SOCARA, qui ne conteste pas la présence de ce salarié lors de la survenance des faits, n'indique pas si ce salarié a également été entendu par M. [P], aucun compte-rendu d'entretien n'étant produit par l'employeur.
La cour relève par ailleurs que, dans son attestation, M. [H] [Z] n'indique pas qu'un coup aurait été porté par M. [B] [A] à M. [R].
Eu égard à l'ensemble des pièces produites et moyens débattus, et aux éléments contradictoires qui s'en dégagent, les seules pièces produites par l'employeur sont insuffisamment probantes pour établir la matérialité des faits reprochés à M. [B] [A], un doute existant sur le point de savoir si celui-ci a bien ou non porté un coup à M. [R], la cour d'appel relevant au surplus que ni M. [R] ni l'employeur n'ont apporté de précision sur les lésions éventuelles résultant de ce coup.
Le doute profitant au salarié, selon les dispositions de l'article L. 1235-1 du code du travail, l'unique fait invoqué par la SA SOCARA dans la lettre de licenciement du 27 juin 2017 n'est pas établi, et le licenciement pour faute grave de M. [B] [A] est en conséquence dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Le jugement entrepris est confirmé de ce chef.
Selon les dispositions des article L. 1332-2 et suivants du code du travail, l'employeur peut prononcer une mise à pied conservatoire dans l'attente de prononcer une sanction disciplinaire si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité telle, qu'ils justifient sa mise à l'écart immédiate de l'entreprise. Cette mesure doit être suivie immédiatement de l'ouverture de la procédure disciplinaire et interrompt la prescription des faits fautifs. Seul le licenciement fondé sur une faute grave ou lourde dispense l'employeur de payer au salarié concerné le salaire afférent à cette période au cours de laquelle le salarié est dispensé d'exécution de son travail.
Il n'est pas contesté que M. [B] [A] a été mis à pied à titre conservatoire le 14 juin 2017 et que le licenciement a été prononcé le 27 juin 2017. En conséquence, le salarié est bien fondé à prétendre à un rappel de salaire correspondant à la période de la mise à pied à titre conservatoire, soit la somme de 586,04 euros, dont le montant n'est pas contesté par la SA SOCARA.
La SA SOCARA doit être ainsi condamnée à payer à M. [B] [A] la somme de 586,04 euros à ce titre, outre 58,60 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés y afférents, par confirmation du jugement entrepris de ce chef.
Le licenciement étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, M. [B] [A] est également fondé à prétendre à une indemnité compensatrice de préavis, soit la somme de 1 758,12 euros, outre 175,81 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés y afférents, le montant de ces sommes n'étant pas contesté par la SA SOCARA.
Le jugement déféré est également confirmé de ce chef.
La SA SOCARA doit être condamnée à payer à M. [B] [A] la somme de 644,63 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, le montant de cette somme n'étant pas contesté par l'employeur. Le jugement entrepris est confirmé de ce chef.
Enfin, selon les dispositions de l'article L. 1235-5 du code du travail, dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce, ne sont pas applicables au licenciement d'un salarié de moins de deux ans d'ancienneté dans l'entreprise et au licenciement opéré dans une entreprise employant habituellement moins de onze salariés, les dispositions relatives :
1° Aux irrégularités de procédure, prévues à l'article L. 1235-2 ;
2° A l'absence de cause réelle et sérieuse, prévues à l'article L. 1235-3 ;
3° Au remboursement des indemnités de chômage, prévues à l'article L. 1235-4, en cas de méconnaissance des articles L. 1235-3 et L. 1235-11.
Le salarié peut prétendre, en cas de licenciement abusif, à une indemnité correspondant au préjudice subi.
Toutefois, en cas de méconnaissance des dispositions des articles L. 1232-4 et L. 1233-13, relatives à l'assistance du salarié par un conseiller, les dispositions relatives aux irrégularités de procédure prévues à l'article L. 1235-2 s'appliquent même au licenciement d'un salarié ayant moins de deux ans d'ancienneté et au licenciement opéré dans une entreprise employant habituellement moins de onze salariés.
M. [B] [A] avait un an et dix mois d'ancienneté au moment de son licenciement. La cour d'appel relève que le salarié, qui indique avoir subi un préjudice important en raison de son licenciement abusif, ne verse aux débats aucun élément permettant à la cour d'apprécier l'étendue de son préjudice.
Eu égard à ces éléments, les premiers juges, qui ont condamné la SA SOCARA à lui payer la somme de 1 758 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, ont fait une juste appréciation du préjudice subi par le salarié. Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé de ce chef.
Sur la demande au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail :
Moyens des parties,
M. [B] [A] fait valoir que l'employeur a laissé son salarié M. [R] malmener ses collègues En cas de résistance, de la part du salarié, celui-ci était alors écarté de la société. Par ce comportement qui tend à sanctionner l'agressé et à protéger l'agresseur, l'employeur a gravement manqué à son obligation d'exécuter loyalement le contrat de travail. Ce comportement déloyal lui ayant engendré un préjudice, M. [B] [A] soutient ainsi être bien fondé à solliciter la réparation de ce préjudice distinct qu'il évalue à la somme de 1 800 euros.
La SA SOCARA expose que le salarié qui invoque un manquement de l'employeur à ses obligations doit prouver l'existence de son préjudice faute de quoi, sa demande doit être rejetée. Elle soutient que M. [B] [A] se contente d'affirmer avoir subi un préjudice au motif que M. [R], qu'il désigne comme « l'agresseur », n'aurait pas été sanctionné et prétend qu'il s'agirait d'une exécution déloyale du contrat de travail. Ce grief rejoint sa contestation au fond du bien-fondé de la rupture de son contrat de travail, et ne saurait constituer un préjudice distinct de cette rupture.
Sur ce,
Selon les dispositions de l'article L. 1222-1 du code du travail, le contrat de travail est exécuté de bonne foi. Comme le salarié, l'employeur est tenu d'exécuter le contrat travail de bonne foi.
En l'espèce, les deux attestations d'anciens salariés intérimaires, M. [N] [F] et de M. [G], produits par le salarié, qui rendent compte du comportement de M. [R] à leur égard, ne permettent pas d'établir que l'employeur prenait systématiquement fait et cause pour M. [R] en licenciant les salariés avec lesquels il était en conflit.
L'attestation susvisée de M. [H] [Z] est insuffisante, faute d'être corroborée par d'autres éléments, pour établir la matérialité des propos tenus par M. [R] lors de l'altercation (« Et alors, qu'est-ce que tu vas me faire ' Tu peux rien me faire, je suis très bien protégé ici dans cette boîte »).
Au surplus, ces propos ne peuvent permettre, à eux seuls, d'établir que la SA SOCARA prenait fait et cause pour M. [R] en cas d'altercation avec un autre salarié, quelles que soient les circonstances des événements l'impliquant. Le seul fait que M. [R] n'ait pas été sanctionné ne permet pas non plus d'en déduire que la SA SOCARA a pris son parti contre le salarié.
En revanche, il a été relevé précédemment que la SA SOCARA, qui avait entendu M. [R] à la suite de l'altercation, a omis d'entendre M. [B] [A], la SA SOCARA ne pouvant valablement se prévaloir du fait qu'elle a entendu le salarié lors de l'entretien préalable, alors qu'il lui incombait, avant d'engager la procédure de licenciement, de déterminer les faits imputables au salarié constitutifs de fautes.
En outre, il ressort des écritures des parties et des pièces produites que la SA SOCARA a également omis d'entendre deux salariés présents lors de l'altercation.
Eu égard à l'ensemble de ces constatations, il y a lieu de retenir que la SA SOCARA a mené des investigations incomplètes en vue d'établir la responsabilité de M. [B] [A] dans l'altercation qui a eu lieu avec M. [R] le 13 juin 2017, constitutives d'une exécution déloyale du contrat de travail, et dont le préjudice qui en est résulté pour le salarié, qui ne se confond pas avec celui résultant de son licenciement abusif, doit être évalué à la somme de 1 000 euros.
Le jugement entrepris est infirmé de ce chef.
Sur les demandes accessoires :
Le jugement entrepris est confirmé sur les frais irrépétibles et les dépens.
La SA SOCARA, partie perdante, est condamnée à payer à M. [B] [A] la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
CONFIRME le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a débouté M. [B] [A] de sa demande de dommages et intérêts au titre du préjudice moral résultant de l'exécution déloyale du contrat de travail par la M. [B] [A],
Statuant à nouveau du chef infirmé,
CONDAMNE la SA SOCARA à payer à M. [B] [A] la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes,
Y ajoutant,
CONDAMNE la SA SOCARA à payer à M. [B] [A] la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
CONDAMNE la SA SOCARA aux dépens d'appel.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur Jean-Pierre DELAVENAY, Président, et par Madame Mériem Caste-Belkadi, Greffière, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière, Le Président,