C 9
N° RG 21/00797
N° Portalis DBVM-V-B7F-KX6M
N° Minute :
Copie exécutoire délivrée le :
la SELARL CLEMENT-CUZIN LEYRAUD DESCHEEMAKER
Me Amaury CANTAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
Ch. Sociale -Section B
ARRÊT DU JEUDI 01 DECEMBRE 2022
Appel d'une décision (N° RG 20/00080)
rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOURGOIN JALLIEU
en date du 12 janvier 2021
suivant déclaration d'appel du 11 février 2021
APPELANTE :
S.A.S.U. NEWLOG prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié audit siège
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Laurent CLEMENT-CUZIN de la SELARL CLEMENT-CUZIN LEYRAUD DESCHEEMAKER, avocat au barreau de GRENOBLE
INTIME :
Monsieur [R] [S]
né le 18 Septembre 1975 à [Localité 5]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 3]
représenté par Me Amaury CANTAIS, avocat au barreau de LYON
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DU DÉLIBÉRÉ :
M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président,
Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère,
M. Pascal VERGUCHT, Conseiller,
DÉBATS :
A l'audience publique du 28 septembre 2022,
M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président chargé du rapport, et Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère, ont entendu les parties en leurs conclusions et plaidoiries, assistés de Mme Carole COLAS, Greffière, conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, les parties ne s'y étant pas opposées ;
Puis l'affaire a été mise en délibéré au 01 décembre 2022, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.
L'arrêt a été rendu le 01 décembre 2022.
EXPOSE DU LITIGE':
M. [R] [S] est entré au service de la société par actions simplifiée unipersonnelle Newlog faisant partie du groupe Schneider par contrat à durée indéterminée du 1er septembre 2017, avec une reprise d'ancienneté au 4 décembre 2000, date de son entrée au sein de la société Schneider Electric.
Le 1er septembre 2017, il a rejoint l'établissement de [Localité 4] en qualité de responsable logistique de l'équipe de nuit, statut agent de maîtrise, niveau IV, échelon 2, coefficient 335 de la convention collective des industries métallurgiques de l'Isère.
Au cours de l'été 2019, M. [R] [S] a adressé des messages à l'une de ses collaboratrice, Madame [M] [D].
Par courrier en date du 22 novembre 2019, la société Newlog a convoqué M. [R] [S] à un entretien préalable fixé au 29 novembre 2019 et ce, en vue d'une éventuelle sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement.
Par courrier daté du 4 décembre 2019, la société Newlog a notifié à M. [R] [S] son licenciement pour insuffisance professionnelle, avec dispense d'exécution de son préavis.
Par requête en date du 17 janvier 2020, M. [R] [S] a saisi le conseil de prud'hommes de Bourgoin-Jallieu pour contester son licenciement.
La société Newlog s'est opposée aux prétentions adverses.
Par jugement en date du 12 janvier 2021, le conseil de prud'hommes de Grenoble a':
- dit que le licenciement de M. [R] [S] ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse
- condamné l'entreprise Newlog à verser à M. [R] [S] la somme de 73.031,25 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- condamné l'entreprise Newlog à verser au défendeur la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700.
Par déclaration en date du 11 février 2021, la société Newlog a interjeté appel à l'encontre dudit jugement.
La société Newlog s'en est remise à des conclusions transmises le 23 juin 2022 et demande à la cour d'appel de':
REFORMER le jugement entrepris en ce qu'il a :
Dit que le licenciement de M. [S] ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse,
Condamné l'entreprise Newlog à verser à M. [S] la somme de 73.031,25 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Condamné l'entreprise Newlog à verser à M. [S] la somme de 1.500 € au titre de l'article 700,
Et statuant à nouveau,
DIRE ET JUGER que le licenciement pour insuffisance professionnelle de M. [S] est justifié;
En conséquence,
DÉBOUTER M. [S] de l'intégralité de ses demandes ;
CONDAMNER M. [S] à payer à la société Newlog la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNER M. [S] aux entiers dépens ;
A titre subsidiaire,
LIMITER le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 14.263,53 €.
M. [R] [S] s'en est rapporté à des conclusions transmises le 03 août 2021 et entend voir':
Vu les dispositions du code du travail,
Vu la jurisprudence citée et les pièces versées aux débats,
- DIRE ET JUGER que M. [R] [S] est recevable et bien fondé en ses demandes,
SUR LE LICENCIEMENT :
- DIRE ET JUGER que le licenciement de M. [R] [S] est sans cause réelle et sérieuse ;
En conséquence,
- CONFIRMER, en toutes ses dispositions, le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Bourgoin-Jallieu du 12 janvier 2021;
- CONDAMNER la société Newlog à payer à M. [R] [S] la somme de 73 031,25 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
SUR L'ARTICLE 700 DU CPC :
- CONDAMNER la société Newlog à payer 5 000 € au titre de l'article 700 du CPC ainsi que les dépens;
Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l'article 455 du code de procédure civile de se reporter à leurs écritures sus-visées.
La clôture a été prononcée le 07 juillet 2022.
EXPOSE DES MOTIFS':
Sur le licenciement':
L'article L 1232-1 du code du travail dispose que tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.
L'article L 1235-1 du code du travail dispose notamment que le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Il justifie dans le jugement qu'il prononce le montant des indemnités qu'il octroie.
Si un doute subsiste, il profite au salarié.
La lettre de licenciement fixe les termes du litige.
Doit être jugée sans cause réelle et sérieuse un licenciement motivé par un comportement volontaire, intentionnel et fautif d'un salarié alors que l'employeur se prévaut uniquement d'une insuffisance professionnelle du salarié.
L'insuffisance professionnelle est en effet exclusive de toute faute disciplinaire.
Un motif tiré de la vie personnelle du salarié peut justifier un licenciement disciplinaire s'il constitue un manquement de l'intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail.
En l'absence de rattachement au contrat de travail, un fait de la vie personnelle constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement s'il cause un trouble objectif dans l'entreprise.
En l'espèce, il résulte de l'analyse de la lettre de licenciement que si celle-ci évoque l'entretien professionnel de 2018 et l'entretien professionnel à la mi-année 2019, seul le premier étant versé aux débats et comportant certains commentaires des supérieurs de M. [S] sur des axes d'amélioration dans sa communication et sa gestion du personnel se rattachant à ses compétences managériales, force est de constater que dans la suite du courrier de rupture, l'employeur n'évoque concrètement que la situation de deux salariées collaboratrices placées sous la responsabilité hiérarchique de M. [S], à savoir Mmes [T] et [D].
Concernant, Mme [T], aucune pièce n'est produite aux débats et la société Newlog ne développe aucun moyen de fait la concernant dans ses conclusions d'appel, dans son paragraphe «'4) sur les insuffisances professionnelles de M. [S]'» (à partir de la page 14/26).
Indépendamment de sa qualification juridique, et plus particulièrement de son rattachement à une faute disciplinaire ou à une insuffisance professionnelle, la cour d'appel ne peut qu'observer qu'aucun élément utile produit par les parties ne permet de matérialiser le fait avancé par l'employeur si bien que celui-ci ne peut constituer un motif réel et sérieux à l'appui du licenciement.
S'agissant des autres faits concernant Mme [D] et le dénigrement reproché par l'employeur au salarié, ils ne peuvent en aucun cas se revêtir la qualification d'une insuffisance professionnelle, indépendamment même de leur réalité.
En effet, le dénigrement allégué de la direction et de collègues de travail constitue incontestablement une faute délibérée et intentionnelle.
S'agissant des faits allégués au préjudice de Mme [D], consistant à avoir échangé des SMS avec une salariée placée sous sa subordination hiérarchique, M. [S] développe un moyen pertinent en droit consistant à soutenir qu'il constitue soit un fait de la vie personnelle pouvant justifier un licenciement pour cause réelle et sérieuse en cas de trouble objectif à l'entreprise, soit une faute disciplinaire'; ce qui ne correspond pas au motif avancé par l'employeur dans la lettre de licenciement fixant les termes du litige.
Manifestement, l'employeur, qui évoque le fait que la salariée s'est dite victime de harcèlement, entendait reprocher à M. [S] un comportement volontaire et intentionnel inapproprié à ce dernier, qui est exclusif de toute insuffisance professionnelle, y compris lorsqu'il lui a fait part de rumeurs sur une relation intime qu'elle entretiendrait avec un autre salarié.
La juridiction observe au demeurant qu'il s'est manifestement agi du motif déterminant du licenciement pour l'employeur au regard des échanges de correspondance par courrier du 27 novembre 2019 et par courriel du 5 décembre 2019 entre les conseils des parties de manière concomitante à l'engagement de la procédure de licenciement et à sa notification par courrier du 4 décembre 2019.
En conséquence, dès lors que les griefs qui auraient pu se rattacher à une insuffisance professionnelle ne sont aucunement établis et ne constituaient au demeurant pas le véritable motif du licenciement et que ceux relatifs au dénigrement et au comportement inapproprié de M. [S] à l'égard de Mme [D] étaient exclusifs de toute insuffisance professionnelle, soit qu'il se soit agi d'un fait de la vie personnelle avec un retentissement causant un trouble objectif dans l'entreprise soit qu'ils aient constitué une faute disciplinaire, de sorte qu'il n'est pas nécessaire pour la cour d'appel de vérifier s'ils sont matériellement établis, le jugement entrepris ne peut qu'être confirmé en ce qu'il a déclaré sans cause réelle et sérieuse le licenciement notifié par la société Newlog à M. [S] par courrier du 04 décembre 2019.
Sur les prétentions afférentes à la rupture du contrat de travail':
Au jour de son licenciement injustifié, M. [S] avait 19 ans d'ancienneté et un salaire de l'ordre de 4 790 euros, après avoir défalqué des bulletins de paie produits les éléments non récurrents.
M. [S] ne produit aucune pièce justifiant de son préjudice alors que la société Newlog a développé un moyen tenant au fait qu'il exploitait une pizzéria'; ce qui ressort d'ailleurs des échanges de SMS avec Mme [D].
Dans ces conditions, tenant compte de l'ensemble de ces éléments, infirmant le jugement entrepris, il convient de condamner la société Newlog à payer à M. [S] la somme de 29 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de le débouter du surplus de sa demande de ce chef.
Sur les demandes accessoires':
L'équité commande de confirmer l'indemnité de procédure de 1500 euros allouée par les premiers juges et de ne pas accorder d'indemnité complémentaire en cause d'appel.
Le surplus des prétentions au titre de l'article 700 du code de procédure civile est rejeté.
Au visa de l'article 696 du code de procédure civile, réformant le jugement entrepris qui a omis de statuer de ce chef, il convient de condamner la société Newlog, partie perdante, aux dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS';
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,
CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a':
- déclaré sans cause réelle et sérieuse le licenciement de M. [S]
- condamné la société Newlog à payer à M. [S] une indemnité de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
L'INFIRME pour le surplus,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
CONDAMNE la société Newlog à payer à M. [S] la somme de vingt-neuf mille euros (29000 euros) à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
DIT que les intérêts au taux légal sur les créances indemnitaires courent à compter du prononcé du présent arrêt
CONDAMNE la société Newlog à rembourser les indemnités chômage perçues par M. [S] dans la limite de 6 mois de salaire à l'établissement public Pôle Emploi
DIT qu'une copie du présent arrêt sera transmis à l'établissement public Pôle Emploi à la diligence du greffe
DÉBOUTE M. [S] du surplus de ses prétentions au principal
REJETTE le surplus des prétentions au titre de l'article 700 du code de procédure civile
CONDAMNE la société Newlog aux dépens de première instance et d'appel.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président de section, et par Mme Carole COLAS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière Le Président