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01/12/2022 | FRANCE | N°21/00786

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Ch. sociale -section b, 01 décembre 2022, 21/00786


C9



N° RG 21/00786



N° Portalis DBVM-V-B7F-KX54



N° Minute :























































































Copie exécutoire délivrée le :





la SCP FESSLER JORQUERA & ASSOCIES



la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE - CHAMB

ERY

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE GRENOBLE



Ch. Sociale -Section B

ARRÊT DU JEUDI 01 DECEMBRE 2022





Appel d'une décision (N° RG 19/00718)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRENOBLE

en date du 19 janvier 2021

suivant déclaration d'appel du 11 février 2021





APPELANT :



Monsieur [O] [V]

né le 03 Août 1971 à [Localité 5] ([L...

C9

N° RG 21/00786

N° Portalis DBVM-V-B7F-KX54

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée le :

la SCP FESSLER JORQUERA & ASSOCIES

la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE - CHAMBERY

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

Ch. Sociale -Section B

ARRÊT DU JEUDI 01 DECEMBRE 2022

Appel d'une décision (N° RG 19/00718)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRENOBLE

en date du 19 janvier 2021

suivant déclaration d'appel du 11 février 2021

APPELANT :

Monsieur [O] [V]

né le 03 Août 1971 à [Localité 5] ([Localité 5])

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 2]

représenté par Me Peggy FESSLER de la SCP FESSLER JORQUERA & ASSOCIES, avocat au barreau de GRENOBLE

(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 2021/003082 du 02/04/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de GRENOBLE)

INTIMEE :

S.A.S. COMASUD BP SAINT MARCELLIN agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 1]

représentée par Me Alexis GRIMAUD de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE-CHAMBERY, avocat postulant au barreau de Grenoble,

et par Me Denis FERRE de la SCP ABEILLE ET ASSOCIES, avocat plaidant au barreau de MARSEILLE substituée par Me Julia VIGUIER, avocat au barreau de LYON

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DÉLIBÉRÉ :

M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président,

Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère,

M. Pascal VERGUCHT, Conseiller,

DÉBATS :

A l'audience publique du 28 septembre 2022,

M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président chargé du rapport, et Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère, ont entendu les parties en leurs conclusions et plaidoiries, assistés de Mme Carole COLAS, Greffière, conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, les parties ne s'y étant pas opposées ;

Puis l'affaire a été mise en délibéré au 01 décembre 2022, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.

L'arrêt a été rendu le 01 décembre 2022.

EXPOSE DU LITIGE':

Le 7 mars 1995, M. [O] [V] est embauché par la société anonyme Comasud en qualité d'employé administratif coefficient 155 de la convention collective du négoce des matériaux de construction dans le cadre d'un contrat à durée déterminée.

Le 27 janvier 1999, il est engagé en contrat à durée indéterminée en tant qu'employé commercial, mission employé administratif, coefficient 180, niveau II, échelon B.

Les parties ont régularisé un avenant le 28 janvier 2004 à effet du 1er janvier prévoyant que M. [V] est employé commercial, niveau II, échelon C, coefficient 195.

Un nouvel avenant a été signé le 19 janvier 2006 pour le poste d'employé commercial, coefficient 195, niveau 2, échelon C prévoyant une augmentation de salaire.

L'employeur a changé la qualification de l'emploi du salarié à compter de janvier 2008, M. [V] étant alors vendeur, coefficient 195, niveau II, échelon C.

A compter du 1er mai 2012, selon avenant du 30 avril 2012, M. [O] [V] a occupé les fonctions de magasinier avec mission de vendeur niveau II échelon B coefficient 195.

Par courrier du 18 juillet 2016, l'employeur a adressé à M. [V] une mise en garde à raison d'un manque d'implication dans son attitude commerciale qui a fait l'objet d'une contestation par le salarié par lettre du 25 juillet 2016.

Par courrier en date du 28 mars 2017, la société Comasud a notifié un avertissement à M. [V] à raison en substance d'un suivi insuffisant de la formation e-learning, d'un manque de proactivité commerciale et de négligence fautive.

L'employeur a transmis le 28 mars 2017 un avenant au contrat de travail non signé au salarié faisant état d'un changement de qualification au 1er avril 2017, M. [V] devenant vendeur, niveau II, échelon C, coefficient 195.

Le poste indiqué sur les bulletins de paie, l'entretien professionnel de l'année 2017 et les documents afférents au licenciement et à la rupture est celui de magasinier vendeur.

M. [V] a bénéficié d'un congé individuel de formation du 07 décembre 2017 au 08 mars 2018 pour réaliser un bilan de compétences.

Des échanges de courriers des 20 juin, 29 juin et 7 juillet 2018 sont intervenus entre les parties au sujet d'une éventuelle rupture conventionnelle du contrat de travail n'ayant pas abouti, avec un désaccord des parties sur le montant de l'indemnité de rupture.

Le 25 septembre 2018, dans le cadre d'une visite périodique, M. [O] [V] a été déclaré inapte temporairement à son poste de travail.

Le 8 janvier 2019, dans le cadre de la visite de reprise par le médecin de travail, ce dernier a déclaré M. [O] [V] définitivement inapte à tout poste de travail avec la mention': «'tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé'».

Par courrier du 29 janvier 2019, l'employeur a convoqué le salarié à un entretien préalable fixé au 12 février 2019.

Par courrier en date du l5 février 2019, M. [O] [V] s'est vu notifier son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Considérant que son inaptitude résulte de l'exécution fautive de son contrat de travail par l'employeur de sorte que son licenciement est injustifié, M. [O] [V] a saisi le conseil de Prud'hommes de Grenoble par requête en date du 23 août 2019.

La société Comasud s'est opposée aux prétentions adverses, soulevant notamment une fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action.

Par jugement en date du 19 janvier 2021, le conseil de prud'hommes de Grenoble a':

- dit que la requête de M. [O] [V] est recevable ;

- dit que la SA Comaud n'a pas commis de faute dans l'exécution du contrat de travail de M. [O] [V] et que son licenciement pour inaptitude repose sur une cause réelle et sérieuse';

- débouté M. [O] [V] de l'intégralité de ses demandes ;

- débouté la SA Comasud de sa demande reconventionnelle ;

- dit que chaque partie conserve la charge de ses propres dépens.

Par déclaration en date du 11 février 2021, M. [O] [V] a interjeté appel à l'encontre dudit jugement.

M. [O] [V] s'en est remis à des conclusions remises le 11 mai 2021 et demande à la cour d'appel de':

DIRE ET JUGER que la chambre sociale est parfaitement compétente pour statuer sur le bien-fondé du licenciement pour inaptitude du fait des manquements de l'employeur.

En conséquence,

CONFIRMER sur ce point le jugement de première instance en ce qu'il s'est déclaré compétent pour statuer sur la demande de M. [V] et a jugé qu'elle était recevable et a rejeté l'exception d'irrecevabilité de la société Comasud.

INFIRMER le jugement dont appel et DIRE ET JUGER que la société Comasud a exécuté de manière fautive le contrat de travail de M. [V], que cette exécution fautive a contribué à la dégradation de l'état de santé ainsi qu'à l'inaptitude de ce dernier et qu'en conséquence son licenciement est sans cause réelle et sérieuse.

INFIRMER le jugement dont appel et CONDAMNER la société Comasud à verser à M. [V]':

En conséquence,

CONDAMNER la société Comasud à payer à M. [V] les sommes suivantes :

- 40.000 € nets à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive,

- 3.465 € bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 346,50 € bruts au titre des congés payés afférents.

INFIRMER le jugement dont appel et DIRE ET JUGER que M. [V] a subi un préjudice moral distinct de celui résultant de la rupture de son contrat de travail ;

En conséquence,

INFIRMER le jugement dont appel et CONDAMNER la société Comasud à payer à M. [V] la somme de :

- 5.000€ net à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral.

INFIRMER le jugement dont appel et CONDAMNER la société Comasud à payer à M. [V] la somme de 2.500€ au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, en remboursement des frais irrépétibles engagées en première instance,

CONDAMNER, enfin, la société Comasud à payer à M. [V], sur le fondement de l'alinéa 2 de l'arti cle 700 du code de procédure civile, la somme de 2.500 €, en remboursement des frais irrépétibles engagées en cause d'appel,

La société Comasud s'en est rapportée à des conclusions transmises le 08 juin 2021 et demande à la cour d'appel de':

Vu l'article L. 1235-3 du code du travail,

Vu les pièces produites aux débats,

Vu la jurisprudence de la Cour de cassation,

Confirmer la décision rendue par le conseil de prud'hommes de Grenoble en toutes ses dispositions.

Rejeter l'appel et les demandes formulés par M. [V].

Y ajoutant,

Constater que l'ensemble des prétendus manquements évoqués par M. [V] au cours de l'exécution du contrat de travail sont prescrits.

En tout état de cause,

Débouter M. [V] de l'intégralité de ses demandes, celles-ci étant non seulement prescrites, mais également infondées et injustifiées.

Le condamner au paiement d'une somme de 2 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l'article 455 du code de procédure civile de se reporter à leurs écritures sus-visées.

La clôture a été prononcée le 07 juillet 2022.

EXPOSE DES MOTIFS':

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription':

Il résulte de l'article L 1471-1 dans sa version issue de la loi n°2013-504 du 14 juin 2013 et celles successives que toute action portant sur l'exécution se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.

Le même article dans sa version en vigueur au moment du licenciement énonce que':

Toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture.

Le point de départ du délai de prescription de l'action par laquelle un salarié demande à son employeur, auquel il reproche un manquement à son obligation de sécurité, réparation de son préjudice, est la date à laquelle le salarié a eu connaissance de la manifestation du dommage subi sans que ce point de départ ne puisse être antérieur à la date à laquelle le dommage a cessé. (par analogie avec cass.Soc. Soc, 8 juillet 2020, pourvoi n° 18-26585).

Dès lors que le préjudice susceptible d'être subi par le salarié à raison du manquement par l'employeur à son obligation de formation et d'adaptation au poste en application de l'article L 6321-1 du code du travail réside dans le fait de limiter sa recherche d'emploi et/ou de compromettre son évolution professionnelle, il s'ensuit que le point de départ du délai de prescription d'une demande de ce chef en application de l'article L 1471-1 du code du travail est la date à laquelle le salarié a connaissance certaine de la manifestation du dommage.

Au cas d'espèce, d'une première part, alors que la société Comasud supporte la charge de la preuve de la fin de non-recevoir tirée de la prescription, il convient de relever que les manquements allégués par M. [V] dans l'exécution du contrat de travail par son employeur sont pour l'essentiel des moyens qu'il développe au titre de ses prétentions afférentes à la rupture du contrat de travail intervenue par un courrier de licenciement du 15 février 2019 et que M. [V] a saisi de demandes le conseil de prud'hommes par une requête du 23 août 2019, soit avant l'expiration du délai d'un an.

D'une seconde part, M. [V] formule une demande au titre du préjudice moral qu'il rattache d'après les moyens qu'il développe aux conséquences sur son sa santé du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité en faisant état de conséquences à ce titre jusqu'à son licenciement en février 2019 de sorte que la demande de ce chef ne saurait être prescrite puisque la saisine du conseil de prud'hommes est intervenue moins de deux années après cet évènement.

D'une troisième part et en tout état de cause, étant rappelé que la cour d'appel n'est saisie que par le dispositif des conclusions des parties en application de l'article 954 du code de procédure civile, il ne peut qu'être observé que la société Comasud demande la confirmation de la décision rendue en toutes ses dispositions alors même que le jugement a dit que la requête de M. [O] [V] est recevable après avoir, dans les motifs, rejeté la fin de non-recevoir soulevée tirée de la prescription, puis ensuite, de manière contradictoire, demande qu'il soit ajouté au jugement le constat selon lequel l'ensemble des prétendus manquements évoqués au cours de l'exécution du contrat de travail sont prescrits.

Sans qu'il soit nécessaire de soulever d'office la fin de non-recevoir tirée de la contradiction éventuelles de la société Comasud dans ses prétentions, la cour d'appel en déduit à tout le moins que la preuve de la fin de non-recevoir tirée de la prescription des prétentions adverses n'est pas rapportée à raison du seul fait que la société Comasud demande à ce que le jugement entrepris soit confirmé en ce qu'il a déclaré recevable M. [V] en sa requête'; ce qui s'entend nécessairement, au vu de la motivation du jugement, en ses demandes.

Il convient en conséquence, rejetant la fin de non-recevoir tirée de la prescription, de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré M. [O] [V] recevable sauf à préciser en ses prétentions.

Sur l'inaptitude provoquée fondant le licenciement':

Premièrement, l'inaptitude provoquée par un manquement préalable de l'employeur rend le licenciement pour ce motif sans cause réelle et sérieuse.

Deuxièmement, il résulte de l'article L 1222-1 du code du travail que le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi.

Troisièmement, l'employeur a une obligation s'agissant de la sécurité et de la santé des salariés dont il ne peut le cas échéant s'exonérer que s'il établit qu'il a pris toutes les mesures nécessaires et adaptées énoncées aux articles L 4121-1 et L 4121-2 du code du travail ou en cas de faute exclusive de la victime ou encore de force majeure.

L'article L 4121-1 du code du travail impose notamment à l'employeur de mettre en place une organisation et des moyens adaptés, l'employeur devant veiller à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

Quatrièmement, il résulte de l'article L 6121-1 du code du travail que l'employeur a l'obligation d'assurer l'adaptation du salarié à son poste et de veiller à sa capacité d'occuper un emploi.

Le suivi de formations ne suffit pas établir le respect de cette obligation de formation ; il convient que ces formations participent au maintien de la capacité à occuper un emploi.

La preuve du respect de l'obligation pèse sur l'employeur.

L'évaluation du préjudice distinct de celui indemnisé au titre du licenciement relève de l'appréciation souveraine des juges du fond, de même que la caractérisation de son existence.

Le fait que le manquement à l'obligation de formation ait eu pour conséquence de limiter la recherche d'emploi du salarié et de compromettre son évolution professionnelle caractérise un préjudice.

Cinquièmement, l'employeur ne peut modifier unilatéralement le contrat de travail du salarié s'agissant de ses éléments essentiels. Il peut en revanche procéder à une simple modification des conditions de travail.

Au cas d'espèce, d'une première part, M. [V] n'établit pas de manière suffisante que son employeur a modifié unilatéralement un élément essentiel de son contrat de travail.

Effet, si les pièces produites et notamment les entretiens d'évaluation du salarié mais encore l'attestation de Mme [E] mettent en évidence que les missions du salarié ont évolué du domaine administratif vers le domaine commercial et plus particulièrement la vente, ce changement s'est amorcé dès 2012 et non en 2008 comme le prétend l'employeur nonobstant la modification qu'il a faite unilatéralement de l'intitulé du poste du salarié dans la mesure où les entretiens annuels des 09 mars 2010 et 21 mars 2011 comportent comme intitulé de poste «'employé administratif'» avec la mention «'vendeur'» rayée, les principales missions et responsabilités décrites étant de nature essentiellement administratives, si ce n'est celle de vendeur interne. Or, il est versé aux débats un avenant du 30 avril 2012 à effet du 1er mai signé par le salarié aux termes duquel les parties conviennent que celui-ci occupe désormais le poste de magasinier avec mission de vendeur.

Le fait qu'il soit versé aux débats un avenant non signé par le salarié prévoyant une évolution de l'emploi avec comme qualification vendeur à compter du 1er avril 2017 ne démontre pas que cette qualification a pu en définitive être imposée au salarié puisque les bulletins de paie ultérieurs, les documents relatifs à la médecine du travail et les éléments relatifs à la rupture du contrat mentionnent comme qualification celle de magasinier vendeur, étant relevé que les fiches de poste versées aux débats par la société Comasud mettent en évidence que nombre de tâches sont communes aux deux emplois s'agissant notamment de l'accueil des clients, la conclusion de ventes et la prise de commandes ainsi que la participation aux actions commerciales et l'information aux clients.

Deuxièmement, l'employeur ne rapporte pas la preuve suffisante qui lui incombe qu'il a mis en 'uvre les mesures d'adaptation au nouveau poste du salarié, s'agissant en particulier de la formation aux techniques commerciales et de vente et développe un moyen inopérant tenant à l'absence de demande de M. [V] alors qu'il lui appartient d'en prendre l'initiative.

L'historique des formations versé aux débats par l'employeur ne met en évidence aucune action de formation orientée vers la vente de manière concomitante à l'évolution significative et contractualisée de l'emploi du salarié à partir 1er mai 2012. Tout au plus, M. [V] n'a bénéficié d'une seule journée de formation intitulée «'professionnaliser l'accueil et la prise en charge du client'» que le 17 avril 2013, soit une année après le changement de poste ainsi que d'une formation de trois jours du 30 mars au 1er avril 2016 dénommée «'conseiller pour vendre la couverture'», évoquée lors de l'entretien du 22 février 2016 mais dont le contenu reste ignoré de la cour d'appel alors que M. [V] soutient sans être démenti par des pièces utiles de l'employeur que cette formation s'est en définitive avérée, non seulement tardive, mais encore inadaptée car il n'a jamais eu à effectuer de devis ni de vente dans ce domaine d'activité, étant affecté aux espaces «'menus-travaux'», «'réfection extérieure'» et non au secteur «'toiture'».

Alors qu'il est évoqué, lors de l'entretien du 22 février 2016 mené par M. [X], nouveau directeur d'agence, la nécessité en terme de formation les thèmes suivants «'conseiller pour vendre la couverture, comprendre la construction individuelle et acquérir les réflexes commerciaux'», l'employeur ne s'est pas limité à ne pas mettre en 'uvre les mesures utiles et nécessaires à l'adaptation au poste mais a encore adressé le 18 juillet 2016 à M. [V] une mise en garde pour un manque d'implications dans son attitude commerciale ainsi que dans son travail, exclusive de toute bonne foi dans l'exécution du contrat de travail, eu égard à la carence préalable de l'employeur'; ce qui a conduit le salarié par courrier du 25 juillet 2016 à déplorer le fait qu'il n'avait «'aucune compétences et expérience requises pour effectuer les opérations commerciales et faire vendeur comptoir'».

Il appert que l'employeur a mis en place un plan de formation e-learning qui s'est exécuté sur la période du 19 septembre 2016 au 17 mars 2016.

Outre que le contenu de la formation et le plan ne sont pas versés aux débats, il ne peut qu'être constaté que le module relatif au «'commerce'» n'intervient qu'en dernier alors qu'il s'agissait manifestement d'un axe de progression prioritaire, l'employeur ayant privilégié dans les premiers mois les modules techniques.

L'employeur, qui a notifié un avertissement au salarié par courrier du 28 mars 2017 reprochant à M. [V] notamment un non-respect du plan de formation relatif au e-learning ne répond pas au demeurant au moyen utile développé par le salarié sur le fait qu'il ne lui était pas possible de suivre efficacement la formation pendant ses heures de travail sur un poste au contact du public, sans pouvoir s'isoler dans une pièce avec un ordinateur dédié.

Il est également observé que si M. [V] n'a suivi aucun module de e-learning entre le 7 novembre 2016 et le 28 février 2017, il n'est pas démenti lorsqu'il indique dans ses écritures avoir fait l'objet d'un arrêt de travail de 3 semaines en février 2017 de sorte que le reproche de l'employeur quant au non-respect du plan de formation, qui n'est pas même produit aux débats, n'est pas justifié, étant ajouté que le courriel de M. [X] du 6 mars 2017 au chargé de formation aux termes duquel le premier a indiqué au second que M. [V] ne s'était pas connecté depuis quelques mois à la plateforme Campus Pro est contraire aux autres éléments produits et notamment à l'avertissement du 28 mars 2017 faisant état d'actions de e-learning suivies par le salarié le 28 février et le 2 mars 2017.

Troisièmement, le manquement durable de l'employeur à son obligation d'adapter le salarié à son nouveau poste occupé à compter du 1er mai 2012 et les reproches corrélatifs injustifiés adressés à son égard quant à ses insuffisances alléguées dans ses missions commerciales, le 18 juillet 2016 et le 28 mars 2017, mais encore dans son évaluation professionnelle du 15 mai 2017, caractérisent par ailleurs un manquement de l'employeur à mettre en place une organisation adaptée du travail dans le cadre de son obligation de sécurité, M. [V] objectivant que la situation conflictuelle résultant de la méconnaissance préalable, par l'employeur, de son obligation de formation et d'adaptation l'ayant mis en difficulté dans ses missions, a entraîné une dégradation significative de son état de santé, selon les propres constatations du médecin du travail dans un courrier du 25 septembre 2018 au médecin traitant de M. [V]'; ce qui a, en définitive, conduit à sa déclaration d'inaptitude définitive au poste avec impossibilité de tout reclassement le 08 janvier 2019, l'employeur ne justifiant aucunement avoir pris les mesures nécessaires de nature à prévenir la réalisation avérée du risque pour la santé du salarié et avoir, au contraire, pris certaines décisions ayant aggravé la situation s'agissant des reproches formulés sur les compétences professionnelles du salarié.

Il s'ensuit que le licenciement pour inaptitude notifié le 15 février 2019 par l'employeur procède en tout ou partie des manquements préalables de la société Comasud dans l'exécution du contrat de travail si bien que ledit licenciement à raison d'une inaptitude fautivement provoquée par l'employeur est déclaré, par infirmation du jugement entrepris, sans cause réelle et sérieuse.

Sur les prétentions financières :

D'une première part, si M. [V] ne saurait obtenir dans le cadre d'un contentieux prud'homal l'indemnisation du préjudice résultant des conséquences du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité sur sa santé, il établit à tout le moins un préjudice moral à raison du manquement persistant de l'employeur a son obligation de sécurité, indépendamment de la réalisation du risque pour sa santé, de sorte qu'il lui est alloué la somme de 2000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral de ce chef par infirmation du jugement entrepris, le surplus étant rejeté.

D'une seconde part, dès lors que le licenciement est jugé sans cause réelle et sérieuse, peu important que M. [V] n'était pas en capacité d'exécuter son préavis, il a droit par réformation du jugement entrepris, à une indemnité compensatrice de préavis à hauteur de 3465 euros bruts, outre 346,50 euros bruts au titre des congés payés afférents.

D'une troisième part, au jour de son licenciement injustifié, M. [V] avait 25 ans d'ancienneté en tenant compte du préavis et un salaire de l'ordre de 1732,50 euros.

Il justifie de son inscription à l'établissement Pôle Emploi avec une indemnisation à compter du 03 avril 2019 jusqu'en juillet 2019, d'un emploi à durée indéterminée à temps partiel avec la société Keolis à compter du 05 mars 2020 moyennant une rémunération de 1229,04 euros bruts, d'une reprise de l'indemnisation par Pôle Emploi le 25 février 2020 et du fait qu'au 30 avril 2021, il avait bénéficié de 402 allocations journalières faisant suite à son licenciement.

Dans ces conditions au vu de ces éléments, il est alloué à M. [V] la somme de 31000 euros bruts à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi, les moyens développés par les parties sur le plafond de l'article L 1235-3 du code du travail, étant inopérants dès lors que l'appréciation souveraine du préjudice subi ne conduit pas à excéder celui-ci.

Le surplus de la demande de ce chef est rejeté.

Sur les demandes accessoires':

L'équité commande de condamner la société Comasud à payer à M. [V] une indemnité de procédure de 2000 euros.

Le surplus des prétentions des parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile est rejeté.

Au visa de l'article 696 du code de procédure civile, infirmant le jugement entrepris, il convient de condamner la société Comasud, partie perdante, aux dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS';

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi';

INFIRME le jugement entrepris sauf en ce qu'il a dit recevable M. [V] en sa requête et rectifiant, le dit recevable en ses prétentions

Statuant à nouveau,

DÉCLARE sans cause réelle et sérieuse le licenciement notifié le 15 février 2019 par la société Comasud à M. [V]

CONDAMNE la société Comasud à payer à M. [V] les sommes suivantes':

- trois mille quatre cent soixante-cinq euros (3465 euros) bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis

- trois cent quarante-six euros et cinquante centimes (346,50 euros) bruts au titre des congés payés afférents

- deux mille euros (2000 euros) nets à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice moral

- trente-et-un mille euros (31000 euros) bruts à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

DIT que les intérêts aux taux légal courent à compter du présent arrêt s'agissant des créances indemnitaires

DIT que les intérêts au taux légal courent à compter du 27 août 2019, date de la convocation devant le bureau de conciliation, pour les créances salariales

DÉBOUTE M. [V] du surplus de ses prétentions

CONDAMNE la société Comasud à rembourser à l'établissement Pôle Emploi les indemnités chômage perçues par M. [V], dans la limite de 6 mois de salaire

DIT qu'une expédition de la décision sera transmise à Pôle emploi par les soins du greffe

CONDAMNE la société Comasud à payer à M. [V] une indemnité de procédure de 2000 euros

REJETTE le surplus des prétentions des parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile

CONDAMNE la société Comasud aux dépens de première instance et d'appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président de section, et par Mme Carole COLAS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Ch. sociale -section b
Numéro d'arrêt : 21/00786
Date de la décision : 01/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-01;21.00786 ?
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