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01/12/2022 | FRANCE | N°21/00753

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Ch. sociale -section b, 01 décembre 2022, 21/00753


C2



N° RG 21/00753



N° Portalis DBVM-V-B7F-KX3P



N° Minute :























































































Copie exécutoire délivrée le :





Me Stella MARCELLI



Me Valérie BARALO

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAI

S



COUR D'APPEL DE GRENOBLE



Ch. Sociale -Section B

ARRÊT DU JEUDI 01 DECEMBRE 2022





Appel d'une décision (N° RG F 18/01269)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Grenoble

en date du 19 janvier 2021

suivant déclaration d'appel du 09 février 2021





APPELANTE :



Madame [B] [O]

née le 01 Juin 1973 à [Localité 4] (38)

de nationalité Française

[Adres...

C2

N° RG 21/00753

N° Portalis DBVM-V-B7F-KX3P

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée le :

Me Stella MARCELLI

Me Valérie BARALO

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

Ch. Sociale -Section B

ARRÊT DU JEUDI 01 DECEMBRE 2022

Appel d'une décision (N° RG F 18/01269)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Grenoble

en date du 19 janvier 2021

suivant déclaration d'appel du 09 février 2021

APPELANTE :

Madame [B] [O]

née le 01 Juin 1973 à [Localité 4] (38)

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Stella MARCELLI, avocat au barreau de GRENOBLE

INTIMEE :

S.A.R.L. LTDM prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié audit siège

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Valérie BARALO, avocat au barreau de VALENCE

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DÉLIBÉRÉ :

M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président,

Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère,

M. Pascal VERGUCHT, Conseiller,

DÉBATS :

A l'audience publique du 28 septembre 2022,

Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère chargée du rapport, et M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président, ont entendu les parties en leurs observations, assistés de Mme Carole COLAS, Greffière, conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, les parties ne s'y étant pas opposées ;

Puis l'affaire a été mise en délibéré au 01 décembre 2022, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.

L'arrêt a été rendu le 01 décembre 2022.

EXPOSE DU LITIGE

Mme [B] [O], née le 1er juin 1973, a été embauchée par la société à responsabilité limitée LTDM le'17'août 2011 par contrat de travail à durée indéterminée en qualité d'adjointe de magasin moyennant un salaire mensuel brut de 1'920,00 euros avec une période d'essai de deux mois.

La société LTDM exploite plusieurs magasins de vente de textile dont un magasin à l'enseigne «'Jennyfer'» situé à [Localité 5] auquel était affecté la salariée.

La société LTDM applique la convention collective du commerce de détail de l'habillement et des articles textiles du 25 novembre 1987.

Par avenant du 17 octobre 201,1 la société LTDM a prolongé'la période d'essai de Mme [O] de deux mois supplémentaires. Puis par courrier du 16 décembre 2011, la société LTDM a mis un terme à sa période d'essai.

Le même jour, Mme [B] [O] a été embauchée par la société LTDM par contrat de travail à durée indéterminée en qualité de vendeuse de magasin conseillère de vente, moyennant une rémunération brute mensuelle de'1'600 euros.

Le 24 mai 2017, la société LTDM a ouvert une nouvelle boutique à [Localité 5], à l'enseigne «'Esprit'». Mme [B] [O] a participé à l'ouverture de ce magasin auquel elle a alors été affectée.

Le 14 mars 2018, Mme [B] [O] a adressé un courrier recommandé à son employeur pour demander son repositionnement salarial aux fonctions de responsable de magasin.

Le 23 mars 2018, la société LTDM a informé l'ensemble des salariés de ses difficultés financières.

Par courrier avocat du 18 avril 2018, Mme [B] [O] a mis en demeure la société LTDM de régulariser sa prime d'ancienneté et sa situation salariale au regard des fonctions exercées de responsable de magasin.

Le 21 avril 2018, la société LTDM a procédé à la fermeture du magasin à l'enseigne «'Esprit'» et demandé à Mme'[B] [O] de reprendre le poste de vendeuse dans le magasin à l'enseigne «'Jennifer'».

Le 30 avril 2018, Mme [B] [O] a été placé en arrêt de travail pour maladie.

Le 25 juin 2018, le médecin du travail a déclaré Mme [B] [O] inapte à son poste de travail dans les termes suivants': « Confirmation de l'inaptitude à la reprise au poste de vendeuse dans l'organisation actuelle du travail. Une mutation sur un poste de vendeuse sur un autre magasin ([Localité 2]) pourrait s'envisager par la suite, avec un suivi médical en santé au travail correspondant sur cet établissement ».

Le 6 juillet 2018, la société LTDM a proposé à Mme [B] [O] un poste de vendeuse situé à [Localité 2].

Mme [B] [O] a refusé cette proposition de reclassement par courrier du 9 juillet 2018, indiquant notamment que son inaptitude était la conséquence directe de ses conditions de travail.

Par courrier du 17 juillet 2018, la société LTDM a convoqué Mme [B] [O] à un entretien préalable fixé au 27 juillet 2018.

Par courrier du 7 août 2018, la société LTDM lui a notifié son licenciement pour inaptitude et «'renoncement aux reclassements proposés'».

Contestant son licenciement Mme [B] [O] a saisi le conseil de prud'hommes de Grenoble par requête du 6 décembre 2018 de prétentions salariales et indemnitaires en soutenant notamment que le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse dès lors que l'inaptitude est la conséquence des manquements de la société LTDM.

La société LTDM s'est opposée à ces demandes.

Suivant jugement en date du 19 janvier 2021 le conseil de prud'hommes de Grenoble a':

- Dit que la SARL LTDM n'a pas commis de manquement dans l'exécution du contrat de travail de Mme [B] [O] et que la rupture du contrat de travail ne lui est pas imputable,

- Dit que le licenciement pour inaptitude de Mme [B] [O] repose sur une cause réelle et sérieuse,

- Déboute Mme [B] [O] de l'intégralité de ses demandes,

- Déboute la SARL LTDM de sa demande reconventionnelle,

- Dit que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens.

La décision a été notifiée par le greffe par lettres recommandées avec accusés de réception signés le 20 janvier 2021 par Mme [B] [O] et par la société LTDM.

Par déclaration en date du 9 février 2021, Mme [B] [O] a interjeté appel à l'encontre de cette décision.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 27 juin 2022, auxquelles il convient expressément de se référer pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, Mme'[B] [O] demande à la cour d'appel de':

Déclarer recevable et bien fondé l'appel interjeté par Mme [B] [O] à l'encontre de la décision du conseil de prud'hommes de Grenoble du 19 janvier 2021,

Infirmer la décision du conseil de prud'hommes de Grenoble du 19 janvier 2021,

Débouter la partie adverse de toutes ses demandes, fins et conclusions,

Vu les articles L 1222.1, L 4121.1, L1152.1, L 1152.4 du code du travail

Vu l'article L1235-3-1 du code du travail

Vu les pièces versées aux débats

Dire et juger que l'inaptitude de Mme [B] [O] est bien la conséquence des manquements de la SARL LTDM,

Dire et juger qu'il y a lieu d'imputer la rupture du contrat de travail à la SARL LTDM,

Dire et juger que la rupture du contrat de travail de Mme [B] [O] est sans cause réelle et sérieuse,

Condamner la SARL LTDM au paiement de :

- Indemnité de préavis (article L1234-1 du code du travail) : 2 mois de salaire, soit 4'368,00 €

- Congés payés afférents : 436,80 €

- Solde indemnité de licenciement (articles L 1234-9 et R 1234-2 du code du travail) : 522,27'€

- Dommages et intérêts : 24.000,00 €

- Rappels de salaire : 6485,87 € outre 10% au titre des congés payés afférents, soit 648,58 €

- Article 700 du CPC : 2000 € au titre des frais de première instance, outre 2000,00 €, toujours sur le fondement de l'article 700 du CPC, au titre des frais d'appel.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 22 juillet 2021, auxquelles il convient expressément de se référer pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, la société'LTDM SARL, au visa de l'article l 1235-3 du code du travail, demande à la cour d'appel de':

Déclarer l'appel formé par Mme [B] [O] mal fondé et en conséquence,

Confirmer le jugement entrepris,

Et en conséquence

- Constater que Mme [B] [O] a été licenciée pour inaptitude suite à une maladie d'origine non professionnelle ;

- Constater que Mme [B] [O] ne rapporte pas la preuve d'agissements fautifs de son employeur ;

- Constater que Mme [B] [O] ne rapporte pas la preuve qu'elle exerçait les fonctions de responsable de magasin ;

- En conséquence, débouter Mme [B] [O] de l'ensemble de ses demandes totalement infondées;

- Condamner Mme [B] [O] à verser à la société LTDM la somme de 2'000'€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l'article'455 du code de procédure civile de se reporter à leurs écritures sus-visées.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 7 juillet'2022. L'affaire, fixée pour être plaidée à l'audience du 28 septembre 2022, a été mise en délibérée au'1er décembre 2022.

MOTIFS DE L'ARRÊT

1 ' Sur la demande de requalification de l'emploi

Il appartient au salarié qui se prévaut d'une classification conventionnelle différente de celle dont il bénéficie au titre de son contrat de travail, de démontrer qu'il assure effectivement de façon habituelle, dans le cadre de ses fonctions, des tâches et responsabilités relevant de la classification qu'il revendique.

Les fonctions réellement exercées, qui sont prises en compte pour déterminer la qualification d'un salarié, sont celles qui correspondent à son activité principale, et non celles qui sont exercées à titre accessoire ou occasionnel.

En l'espèce, il ressort des termes du contrat de travail du 16 décembre 2011 que Mme'[B]'[O] a été embauchée pour exercer un emploi de vendeuse de magasin conseillère de vente en étant notamment chargée de':

«'- L'accueil des clients,

- Tenir la caisse, s'occuper des cabines d'essayages, badger les vêtements, surveiller la démarque inconnue,

- Respecter les ordres de la hiérarchie,

- Tenir le magasin dans un état de propreté irréprochable,

- Faire remonter à la direction toutes informations pouvant nuire à la société.'».

Mme [B] [O] revendique un repositionnement au poste de responsable de magasin à compter de mai 2017, date à partir de laquelle il est établi qu'elle a travaillé dans le magasin « Esprit ».

La convention collective applicable définit, aux termes de l'accord du 12 octobre 2006 relatif aux classifications , une grille de classification des emplois qui définit le poste occupé et le poste revendiqué dans les termes suivants':

- Employé - Catégorie 3':

«'Filière vente/étalagisme':

Vendeur(se) de 1 an à 3 ans révolus de pratique professionnelle ou de plus de 5 ans de pratique dans une autre branche du commerce ou vendeur(se) débutant(e) titulaire du BEP vente :

' informe et conseille les clients ;

' dispose d'une bonne connaissance des produits ;

' sait identifier les produits disponibles en rayon et en stock ;

' utilise l'outil informatique professionnel.'».

- Agent de maîtrise - Catégorie B':

«'Filière vente/achats

Responsable de magasin/responsable de rayon : en plus d'assurer de manière permanente la gestion courante du magasin ou du rayon (A 1), assure la bonne marche commerciale du rayon ou du magasin, suit l'état des stocks et procède au réapprovisionnement et à l'achat de nouveaux articles.'».

D'une première part, Mme [B] [O] verse aux débats deux attestations de Mme [Y] et Mme [W] qui manquent de valeur probante en ce qu'elles sont rédigées en des termes parfaitement identiques et trop généraux pour permettre de déterminer les fonctions exercées, les témoins déclarant «'J'ai constaté que Mme [O] [B] travaillant au magasin [Adresse 3] remplissait ses fonctions de responsable avec professionnalisme, sourire et sympathie'».

D'une seconde part, elle produit trois courriels adressés à son nom personnel entre le'20'avril'2017 et le 4 mai 2017 par Pôle Emploi confirmant l'ouverture et l'utilisation d'un compte entreprise créé sous l'identifiant «'Esprit 38500'», ce qui démontre qu'elle a effectué ces diligences en vue d'un recrutement.

Cet élément est corroboré par l'attestation rédigée par Mme [G] [J], le 9 octobre 2018, qui déclare «'mon recrutement dans l'entreprise Esprit a été fait par Mme [O] [B] (pendant son temps de vacances). J'ai rencontré le patron M. [M] [F] quelques jours avant le début de mon contrat le 18 mai 2017'».

D'une troisième part, Mme [G] [J] atteste également que Mme [O] «'à gérer seule l'organisation pour l'ouverture du magasin, tâche de chaque personne, planning, distribution des flyer, publicité, tenue du personnel, M. [M] s'en étant déchargé'», et qu'elle «'devait gérer ['] les problèmes de commande et de livraisons, ainsi que le personnel (vendeuse et apprentie) et les réclamations de clients'».

Ces déclarations sont corroborées par les éléments produits par la salariée :

- un récapitulatif de la visite de Mme [I], manager, en date du 20 juin 2017 qui précise l'organigramme du magasin en mentionnant «'[F] [M] ' Directeur boutique, Murielle ' Responsable de magasin , Jennifer ' Vendeuse'»,

- des courriels échangés avec Mme [P], manager en juin et juillet 2017, qui lui donne des indications concernant la présentation des soldes et des accessoires,

- l'envoi par courriel de Mme [O] au service social de l'employeur du contrat de travail de Mme [G] [J] et des justificatifs de relevé des heures de travail pour la préparation des fiches de paye,

- la transmission par Mme [O] à Mme [U] d'un accord favorable pour valider un contrat d'alternance en apprentissage,

- l'envoi par le service «'Business Developper'Esprit Accessoires et Chaussures'» de bons de commande à Mme [O],

- des courriels attestant des initiatives prises par Mme [O] pour des commandes de cartes cadeaux, sacs cadeaux et pochettes cadeaux pour Noël,

- des échanges de SMS avec M. [M] lui demandant des comptes sur l'état du stock du magasin.

Et, c'est par un moyen inopérant que la société fait valoir, en s'appuyant sur plusieurs attestations de salariés, que Mme [O] était dans l'incapacité d'assurer des fonctions de responsable de magasin. En effet les compétences professionnelles de la salariée sont indifférentes à la détermination des tâches confiées à la salariée.

En conséquence, Mme [O] démontre suffisamment qu'elle a assuré la gestion courante du magasin Esprit ainsi que sa bonne marche commerciale dès lors qu'elle avait la charge de certaines commandes et du suivi du stock, et que Mme [I], manager, la présente expressément comme occupant les fonctions de responsable de magasin.

Il ressort des éléments produits que le poste de responsable de magasin statut agent de maîtrise catégorie B correspond à un salaire brut mensuel de 2'184 euros par mois alors qu'elle a perçu un salaire de base brut de 1600 euros par mois du mois de mai 2017 au mois d'août 2017, puis un salaire de 1'675,33 euros bruts d'octobre 2017 à décembre 2017 et enfin un salaire de 1'855,83 euros bruts à compter de janvier 2018.

Infirmant le jugement déféré, il convient donc de faire droit à sa demande de rappel de salaire résultant de la classification au poste de responsable de magasin, agent de maîtrise, catégorie B et de condamner la société LTDM à lui payer la somme de 6'485,87 euros bruts à titre de rappel de salaire à compter de mai 2017, outre 648,58 euros bruts au titre des congés payés afférents, le calcul de ces montants ne faisant l'objet d'aucune critique utile par l'employeur.

2 ' Sur les prétentions relatives à la contestation du licenciement

2.1 ' Sur les manquements de l'employeur

D'une première part, il résulte de l'article L. 1222-1 du code du travail que le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi. La bonne foi se présumant, la charge de la preuve de l'exécution déloyale du contrat de travail par l'employeur incombe au salarié.

D'une seconde part, en application des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail l'employeur est tenu à l'égard des salariés d'une obligation légale de sécurité qui lui impose de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs et lui interdit, dans l'exercice de son pouvoir de direction, de prendre des mesures qui auraient pour objet ou pour effet de compromettre la santé et la sécurité des salariés, et dont il doit en assurer l'effectivité en engageant des actions de prévention des risques professionnels, d'information et de formation des salariés sur ces risques et sur les mesures destinées à les éviter ainsi qu'en mettant en place une organisation et des moyens adaptés.

Il incombe à l'employeur, en cas de litige, de justifier avoir pris des mesures suffisantes pour s'acquitter de ses obligations de prévention et de sécurité.

Lorsque l'inaptitude du salarié trouve son origine dans un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.

Il appartient au juge de rechercher lorsqu'il y est invité, si l'inaptitude était consécutive à un manquement préalable de l'employeur à son obligation de sécurité et, dans une telle hypothèse de caractériser le lien entre la maladie de la salariée et un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.

D'une troisième part, l'article L.1152-1 du code du travail énonce qu'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L.1152-2 du même code dispose qu'aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir les agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

L'article L. 1152-4 du code du travail précise que l'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.

Sont considérés comme harcèlement moral notamment des pratiques persécutrices, des attitudes et/ou des propos dégradants, des pratiques punitives, notamment des sanctions disciplinaires injustifiées, des retraits de fonction, des humiliations et des attributions de tâches sans rapport avec le poste.

La définition du harcèlement moral a été affinée en y incluant certaines méthodes de gestion en ce que peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de gestion mises en 'uvre par un supérieur hiérarchique lorsqu'elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d'entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits, à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Le harcèlement moral est sanctionné même en l'absence de tout élément intentionnel.

Le harcèlement peut émaner de l'employeur lui-même ou d'un autre salarié de l'entreprise.

Il n'est, en outre, pas nécessaire que le préjudice se réalise. Il suffit pour le juge de constater la possibilité d'une dégradation de la situation du salarié.

A ce titre, il doit être pris en compte non seulement les avis du médecin du travail mais également ceux du médecin traitant du salarié.

L'article L. 1154-1 du code du travail dans sa rédaction postérieure à la loi n°2016-1088 du'8'août 2016 est relatif à la charge de la preuve du harcèlement moral :

«'En cas de litige relatif à l'application des articles L 1151-1 à L 1152-3 et L 1152-3 à L 1152-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des éléments de faits qui permettent de supposer l'existence d'un harcèlement moral l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.'».

La seule obligation du salarié est d'établir la matérialité des faits précis et concordants, à charge pour le juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble et non considérés isolément, permettent de supposer l'existence d'un harcèlement, le juge ne pouvant se fonder uniquement sur l'état de santé du salarié mais devant, pour autant, le prendre en considération.

En l'espèce, Mme [O] vise l'ensemble de ces dispositions et soutient que l'employeur n'a pas pris les mesures nécessaires pour assurer sa sécurité et prévenir des agissements de harcèlement moral, mais a laissé sa situation se détériorer et son état physique et moral se dégrader.

Elle n'établit pas la matérialité des faits avancés concernant la période d'emploi entre 2014 et'2017. En effet, elle verse aux débats des photographies non datées, dont l'origine n'est pas certifiée, qui ne présentent donc aucune valeur probante, et elle ne produit aucun élément susceptible d'attester qu'elle aurait fait l'objet de dénigrement ou d'une mise à l'écart tel qu'elle le décrit.

En revanche elle établit la matérialité de plusieurs faits à compter de mai 2017.

D'une première part, elle démontre qu'elle avait sollicité la régularisation de sa situation salariale au regard des fonctions de responsable de magasin, outre la régularisation des primes d'ancienneté par courrier avocat du 18 avril 2018, sans avoir obtenu de réponse de la part de l'employeur.

D'une seconde part, Mme [O] démontre qu'elle s'est vue demander brutalement, en avril'2018, de reprendre ses précédentes fonctions de vendeuse au sein du magasin Jennyfer avec l'envoi de SMS le samedi 21 avril 2018 à 15h50, son supérieur lui indiquant «'convocation au Jennyfer à 16h30'» sans autre précision'; puis à 17h09 : «'Etant donné que je ne vous ai pas signé votre planning vous êtes dans l'obligation de suivre celui effectué par la responsable Donc le nid vous travaillez au Jennifer'».

D'une troisième part, il ressort de la suite des échanges de SMS que Mme [O] a informé son supérieur de son arrêt de travail le 30 avril 2018 et s'est vue reprocher de ne pas avoir restitué les clés de la salariée du magasin Esprit dans des termes sarcastiques et intimidants': «'et dire que vous vouliez un poste de responsable.'», «'Je vous conseille de dire à Jennyfer de nous rapporter les clés avant 17h'».

D'une quatrième part, il ressort de ces échanges de SMS que son supérieur persistait à adopter un ton brutal et intimidant. Ainsi, après avoir été informé de la prolongation de son arrêt de travail, il répondait «'Et j'ai toujours pas eu le retour de mail de vos souhaits de date de vacances'». Puis, en réponse aux objections de la salariée faisant valoir que les dates de vacances avaient été validées depuis plusieurs mois, il indiquait «'Vous avez reçu un courrier avec les dates à faire valider. Donc à partir du 1 et juin c est moi qui décide. Maintenant vous travaillez au Jennyfer'», puis «'C est con la poste a perdu le courrier Demain vous l aurez en recommandé'».

D'une cinquième part, il ressort encore de ces échanges de SMS que, le 30 mai 2018, son supérieur lui reprochait la disparition de marchandises en l'accusant d'actes délictueux : «'Ils sont où les 3 sacs manquants reçus en février'», «'Pour 6000 euros de vol je peu vous demander des explications'».

Par ailleurs, Mme [O] produit des éléments qui révèlent que son état de santé s'est dégradé ensuite de ces événements.

Ainsi, il ressort d'un courriel adressé à l'employeur le 13 juin 2018 par le médecin du travail que ce dernier l'alertait sur les risques générés par un retour au poste précédent dans le magasin Jennyfer en indiquant «'il y a un risque de destabilisation tant de l'équipe actuelle en place dans ce magasin que de Mme [O] ['] Du fait d'un climat de tension extrême résultant de cette situation, le retour comme vous l'aviez prévu de Mme [O] dans les conditions d'organisation de son nouveau de poste de travail de vendeuse ne me paraît pas adapté à une bonne prévention du risque psychosocial sans risquer très rapidement une altération à nouveau de sa santé'».

Aussi, elle justifie de l'arrêt de travail délivré le 30 avril 2018 et des arrêts de prolongation jusqu'au 10 septembre 2018.

Il résulte de ce qui précède que la salariée établit des faits précis et concordants qui, pris dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'un harcèlement à son encontre.

En réponse, la société LTDM allègue des justifications suivantes pour considérer que les éléments de fait retenus sont étrangers à tout agissement de harcèlement moral.

D'une première part, c'est par un moyen inopérant qu'elle met en cause les qualités professionnelles de Mme [O].

D'une seconde part, la société LTDM se prévaut d'attestations d'autres salariés critiquant le comportement de Mme [O] comme étant à l'origine d'insultes, de menaces, et d'altercations mais n'allègue, ni a fortiori ne justifie, d'aucune explication relative aux éléments de faits établis par la salariée.

Eu égard aux éléments de fait pris dans leur globalité matériellement établis par Mme'[B] [O], auxquels la société LTDM n'a pas apporté les justifications suffisantes, il convient de constater que Mme [B] [O] a fait l'objet de harcèlement moral ayant eu pour objet ou effet une dégradation de ses conditions de travail, avec un impact sur la santé de la salariée.

Encore, la société LTDM n'argue ni ne justifie d'aucune mesure prise aux fins de prévenir des situations de harcèlement et des risques professionnels alors que la charge de cette preuve lui incombe.

A ce titre, la cour relève que la société LTDM se prévaut d'attestations de salariées faisant état d'un conflit avec Mme [O] en décrivant menaces, insultes et altercations, sans justifier des mesures prises pour apaiser ces tensions alors qu'elle envisageait d'affecter Mme [O] à son ancienne équipe de travail et qu'elle ne pouvait pas ignorer la réalité du risque professionnel.

Il en résulte que la société LTDM a également manqué à son obligation de prévention des risques professionnels.

2.2 ' Sur le lien de causalité entre ces manquements et l'inaptitude de la salariée

Il est ainsi jugé que Mme [O] a subi des actes de harcèlement moral et que la société LTDM a'manqué à son obligation de prévention des risques professionnels.

Or le premier avis du médecin du travail, en date du 14 juin 2018, vise expressément les conditions de travail de la salariée en indiquant «'Inapte temporaire. L'état de santé actuel ne permet pas de retour au poste dans les conditions actuelles, à revoir pour un second examen le 25/06/2018 après échange supplémentaire avec l'employeur'».

Et le second avis du 25 juin 2018 confirme «'inaptitude à la reprise au poste de vendeuse dans l'organisation actuelle du travail. Une mutation sur un poste de vendeuse sur un autre magasin ([Localité 2]) pourrait s'envisager par la suite, avec le suivi médical en santé au travail correspondant sur cet établissement'».

La société LTDM relève que le courrier adressé par le médecin du travail à son médecin traitant le 27 avril 2018 prévoit, dès cette date, de prévoir un arrêt de travail de plus de trente jours et de conclure à une inaptitude. Toutefois la cour observe que le médecin du travail précisait alors «'si les conditions de retour ne me paraissent pas convenable sur le plan du risque psychosocial'».

Ces éléments démontrent que l'inaptitude est directement liée aux risques psychosociaux auxquels la salariée se trouvait exposée.

Les carences de l'employeur concernant la prévention des risques et la situation de harcèlement moral subie par Mme [B] [O] ont donc, au moins partiellement, participé à la dégradation de son état de santé à l'origine de son inaptitude.

En conséquence, il est considéré que Mme [B] [O] rapporte la preuve suffisante d'un lien de causalité entre le manquement de l'employeur à ses'obligations et son inaptitude définitive à l'origine de son licenciement.

Constatant que Mme [B] [O] ne demande pas à voir prononcer la nullité du licenciement du fait du harcèlement moral subi, la cour, infirmant le jugement entrepris, déclare sans cause réelle et sérieuse le licenciement notifié par la société LTDM à Mme'[B]'[O] le 7 août 2018.

2.3 ' Sur les prétentions financières

D'une première part, l'indemnité compensatrice de préavis est due lorsque le licenciement, déclaré sans cause réelle et sérieuse, a pour origine un manquement de l'employeur, peu important que la salariée n'était pas apte à exercer son emploi.

Au visa de l'article 1234-1 du code du travail et compte tenu du montant du salaire mensuel moyen de 2'184,00 euros, la société LTDM est condamnée à verser à Mme [B] [O] une indemnité compensatrice du préavis de deux mois d'un montant de 4'368,00 euros bruts, par infirmation du jugement déféré, outre la somme de 436,80 euros au titre des congés payés afférents.

D'une deuxième part, en application des dispositions de l'article L. 1234-9 et R. 1234-1 du code du travail, Mme [B] [O] justifie d'un solde restant dû par l'employeur au titre de l'indemnité licenciement dès lors que celle-ci est calculée sur la base d'un salaire de'2'184,00'euros.

Etant constaté que l'employeur ne développe aucun moyen utile quant au calcul de ce solde, la société LTDM est condamnée à verser à Mme [B] [O] la somme de 522,27 euros à ce titre.

D'une troisième part, l'article L.'1235-3 du code du travail dispose que si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis'; et, si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux que cet article prévoit.

Mme [B] [O] disposait d'une ancienneté, au service du même employeur, de 7 ans compte tenu du préavis, et peut prétendre, par application des dispositions précitées, à une indemnisation du préjudice né de la perte injustifiée de son emploi comprise entre 3 et 8 mois de salaire.

Il convient de rappeler que le préjudice résultant de la situation de harcèlement moral ne peut se confondre avec le préjudice résultant du licenciement.

La salariée, âgée de 45 ans à la date du licenciement, justifie être embauchée en qualité d'employée par la clinique de la Chartreuse depuis mars 2020 sans produire d'éléments relatifs à ses recherches et à sa situation professionnelle actuelle avant cette date.

Par conséquent, infirmant le jugement donc appel, la cour condamne la société LTDM à verser à Mme [O] une indemnité de 17'472,00 euros bruts à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant du licenciement sans licenciement sans cause réelle et sérieuse.

3 ' Sur les demandes accessoires

La société LTDM, partie perdante à l'instance au sens des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, doit être tenue d'en supporter les entiers dépens de première instance et d'appel.

En conséquence, la demande indemnitaire de la société au titre des frais irrépétibles est rejetée.

Il serait par ailleurs inéquitable, au regard des circonstances de l'espèce comme des situations économiques des parties, de laisser à la charge de Mme [B] [O] l'intégralité des sommes qu'elle a été contrainte d'exposer en justice pour la défense de ses intérêts, de sorte qu'il convient d'infirmer le jugement déféré et de condamner la société LTDM à lui verser la somme de 1'500'euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance, outre une indemnité complémentaire de 1'500 euros au titre des frais exposés en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, dans les limites de l'appel, et après en avoir délibéré conformément à la loi';

INFIRME le jugement déféré'en toutes ses dispositions SAUF en ce qu'il a débouté la société'LTDM SARL de sa demande reconventionnelle ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

CONDAMNE la société LTDM SARL à payer à Mme [B] [O] la somme de':

- 6'485,87 euros bruts (six mille quatre cent quatre-vingt-cinq euros et quatre-vingt-sept centimes) à titre de rappel de salaire,

- 648,58 euros bruts (six cent quarante-huit euros et cinquante-huit centimes) au titre des congés payés afférents,

DIT que le licenciement notifié par la société LTDM SARL à Mme'[B]'[O] le'7'août'2018 est sans cause réelle et sérieuse';

CONDAMNE la société LTDM SARL à payer à Mme [B] [O]':

- 4'368 euros bruts (quatre mille trois cent soixante-huit euros) à titre d'indemnité compensatrice du préavis

- 436,80 euros (quatre cent trente-six euros et quatre-vingt centimes) au titre des congés payés afférents,

- 522,27 euros (cinq cent vingt-deux euros et vingt-sept centimes) au titre du solde de l'indemnité de licenciement,

- 17'472 euros bruts (dix-sept mille quatre cent soixante-douze euros) à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans licenciement sans cause réelle et sérieuse

DEBOUTE Mme [B] [O] du surplus de ses prétentions';

CONDAMNE la société LTDM SARL à payer à Mme [B] [O] la somme de 1'500'euros (mille cinq cents euros) au titre des frais irrépétibles engagés en première instance, et une somme complémentaire de 1'500 euros (mille cinq cents euros) au titre des frais engagés en cause d'appel';

DÉBOUTE la société LTDM SARL de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile';

CONDAMNE la société LTDM SARL aux dépens de première instance et d'appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président de section, et par Mme Carole COLAS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Ch. sociale -section b
Numéro d'arrêt : 21/00753
Date de la décision : 01/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-01;21.00753 ?
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