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15/11/2022 | FRANCE | N°20/00478

France | France, Cour d'appel de Grenoble, 2ème chambre, 15 novembre 2022, 20/00478


N° RG 20/00478 - N° Portalis DBVM-V-B7E-KKRB



N° Minute :





C4

























































Copie exécutoire délivrée

le :



à



Me Laurianne ASTIER-PERRET



la S.C.P. PYRAMIDE AVOCATS.



S.E.L.A.R.L. LEXWAY AVOCATS



















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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE GRENOBLE



2ÈME CHAMBRE CIVILE



ARRÊT DU MARDI 15 NOVEMBRE 2022



Appel d'un Jugement (N° R.G. 18/00084) rendu par le Tribunal de Grande Instance de VIENNE en date du 26 décembre 2019, suivant déclaration d'appel du 22 Janvier 2020





APPELANT :



M. [N] [O]

né le [Date naissance 1] 1995 à [Local...

N° RG 20/00478 - N° Portalis DBVM-V-B7E-KKRB

N° Minute :

C4

Copie exécutoire délivrée

le :

à

Me Laurianne ASTIER-PERRET

la S.C.P. PYRAMIDE AVOCATS.

S.E.L.A.R.L. LEXWAY AVOCATS

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

2ÈME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU MARDI 15 NOVEMBRE 2022

Appel d'un Jugement (N° R.G. 18/00084) rendu par le Tribunal de Grande Instance de VIENNE en date du 26 décembre 2019, suivant déclaration d'appel du 22 Janvier 2020

APPELANT :

M. [N] [O]

né le [Date naissance 1] 1995 à [Localité 10]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représenté par Me Laurianne ASTIER-PERRET, avocat au barreau de GRENOBLE, postulant, et MeGOUYET POMMARET, Avocat au Barreau de

[Localité 5]

INTIMÉS :

M. [L] [E]

né le [Date naissance 3] 1995 à [Localité 12]

de nationalité Française

[Adresse 4]

[Adresse 4]

Représenté et plaidant par Me Fabrice POSTA de la S.C.P. PYRAMIDE AVOCATS, avocat au barreau de VIENNE

Association AS LA SANNE [Localité 8] prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

CENTRE SOCIAL INTERCOMMUNAL PROCÉDURE DES MOULINS

[Localité 8]

Représentée par Me Philippe LAURENT de la S.E.L.A.R.L. LEXWAY AVOCATS, avocat au barreau de GRENOBLE

C.P.A.M. DE [Localité 5] prise en la personne de son représentant légal en exercice

[Adresse 7]

[Adresse 7]

Défaillante

COMPOSITION DE LA COUR : LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Emmanuèle Cardona, présidente

Anne-Laure Pliskine, conseillère,

Frédéric Dumas, vice-président placé, en vertu d'une ordonnance en date du 9 mars 2022 rendue par la première présidente de la cour d'appel de Grenoble

DÉBATS :

A l'audience publique du 17 mai 2022, Frédéric Dumas, vice-président placé, qui a fait son rapport, assisté de Caroline Bertolo, greffière, a entendu seul les avocats en leurs conclusions et Me Posta en sa plaidoirie, les parties ne s'y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile.

Il en a rendu compte à la Cour dans son délibéré et l'arrêt a été rendu à l'audience de ce jour.

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Le 17 novembre 2013, lors d'un match de football entre les équipes de [Localité 10] et de [Localité 8], une altercation entre deux joueurs des deux équipes adverses a dégénéré en une bagarre générale conduisant à la fin anticipée de la rencontre sportive.

Pendant cette bagarre M. [N] [O], membre de l'équipe de [Localité 10], a été violemment frappé au visage par derrière et transporté au service des urgences de la clinique [9] de [Localité 6].

Dans un certificat établi le jour même le docteur [V] a constaté la présence de : 'un coquard 'il droit, enfoncement et fracture comminutive du malaire droit, atteinte sensitif de la cinquième paire crânienne territoire malaire, trouble de l'articulé avec fracture de l'apophyse coronoïde de l'hémimandibule droite'. Le médecin a demandé le transfert et l'hospitalisation en urgence du patient à [Localité 11] où ce dernier a subi une intervention chirurgicale.

Le compte-rendu d'hospitalisation indique que M. [O] a été opéré pour une réduction-ostéosynthèse foyer fermé sur fracture malaire et plancher droit. Le docteur [R] lui a délivré un certificat médical le 21 novembre 2013 retenant 'une fracture du malaire et du plancher de l'orbite à droite nécessitant un traitement chirurgical par ostéosynthèse sur rebord orbitaire externe et une stabilisation du plancher par PDS avec double incision au niveau sous-ciliaire et canthal externe' ainsi qu'une incapacité totale de travail de huit jours.

La commission de discipline du comité Drôme Ardèche de football a été saisie des incidents du match du 17 novembre 2013 et a décidé, lors de sa réunion du 21 novembre 2013, de prendre les mesure conservatoires suivantes à l'égard de l'équipe de l'association sportive (A.S.) La Sanne de [Localité 8] :

- arrêt de toutes compétitions de son équipe,

- suspension des joueurs mentionnés sur la feuille de match, étant précisé que ces suspensions seraient levées dès réception de l'identité des présumés coupables.

Une réunion s'est alors tenue entre les joueurs et le président du club, M. [Y], à la suite de laquelle celui-ci a, par message électronique du 25 novembre 2013, indiqué au président de la commission de discipline que M. [L] [E] l'avait informé être l'auteur du coup porté à M. [O].

M. [E] a été convoqué devant la commission de discipline dont le procès-verbal du 16 janvier 2014 indique que 'ce joueur qui s'est dénoncé, lors de la réunion de l'équipe, provoqué par le président de [Localité 8], déclare ne plus se souvenir d'avoir frappé le N°7 de [Localité 10]. Il déclare cependant être entré dans la bagarre, avoir donné des coups et en avoir reçu.', ajoutant que 'lors de l'audition, ce joueur n'a éprouvé aucun remord, ni a présenté la moindre excuse au joueur blessé'. L'intéressé a dès lors été sanctionné d'une suspension de neuf mois et d'une amende de 300 euros.

Le 22 novembre 2013 M. [O] avait déposé plainte contre X indiquant ne pas être en mesure d'identifier la personne l'ayant agressé. Une enquête de gendarmerie avait été diligentée et lors d'une audition M. [O] avait indiqué que le président de l'A.S. La Sanne l'avait informé que l'auteur de ses blessures était le joueur de son équipe portant le numéro 9, à savoir M. [E]. Entendu sur les faits M. [E] a reconnu être intervenu dans la bagarre mais contesté avoir frappé M. [O].

M. [E] a fait l'objet, le 25 juillet 2015, d'un rappel à la loi devant le délégué du procureur de la République de [Localité 13] pour 'violences suivies d'incapacité supérieure à 8 jours, à l'encontre de [N] [O], lors d'un match de football', pour lequel la victime n'a pas été convoquée.

M. [O] a, le 7 avril 2016, fait assigner devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Vienne M. [E] et la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 5] (la C.P.A.M.) aux fins de voir instaurer une mesure d'expertise médicale.

Par ordonnance du 26 mai 2016, rendue en l'absence de M. [E], le juge des référés a désigné le docteur [F] à cette fin et condamné M. [E] à payer à M. [O] la somme de 2 000 euros à titre de provision à valoir sur l'indemnisation de son préjudice et 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'expert a déposé son rapport définitif le 15 décembre 2016.

Par exploit du 8 novembre 2017 M. [O] a fait assigner M. [E] devant le tribunal de grande instance de Vienne aux fins de le voir déclarer responsable de ses préjudices et condamner à l'indemniser.

La C.P.A.M. est intervenue volontairement à l'instance par voie de conclusions du 22 juin 2018.

Suivant jugement du 26 décembre 2019 le tribunal a :

- déclaré recevable I'intervention volontaire de la C.P.A.M. de [Localité 5],

- dit qu'il n'est pas établi que M. [E] soit l'auteur du coup porté à M. [O] lors du match de football du 17 novembre 2013 à l'origine de ses blessures,

- dit que M. [E] n'a pas commis de faute,

- débouté en conséquence M. [O] et la C.P.A.M. de leurs demandes,

- condamné M. [O] à rembourser à M. [E] la provision de 2 000 euros versée en exécution de l'ordonnance de référé du 26 mai 2016,

- débouté M. [E] du surplus de sa demande,

- condamné M. [O] à payer à M. [E] une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens comprenant les frais d'expertise.

Le 22 janvier 2020 M. [O] a interjeté appel du jugement à l'encontre de M. [E] et de la C.P.A.M..

Par assignation du 28 juillet 2021 M. [O] a appelé l'A.S. La Sanne en intervention forcée devant la cour d'appel de Grenoble.

Le 21 septembre 2021 le conseiller de la mise en état a prononcé la jonction des deux procédures pendantes devant la cour.

Par une ordonnance juridictionnelle du 16 février 2022 le conseiller de la mise en état a:

- déclaré recevables les conclusions d'intimée du 27 octobre 2021 de l'A.S. La Sanne,

- déclaré irrecevables les demandes de M. [O] à l'encontre de l'A.S. La Sanne,

- mis l'A.S. La Sanne hors de cause,

- condamné M. [O] à payer à l'A.S. La Sanne la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que les dépens de l'incident suivront le sort de l'instance principale.

Aux termes de ses dernières conclusions, dont le dispositif doit être expurgé de toutes mentions qui ne constituent pas des demandes mais reprennent les moyens soutenus dans les motifs et auxquelles il y a lieu de se référer pour le détail des postes de préjudices, M. [O] demande à la cour de réformer le jugement déféré en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de :

- juger que M. [E] est responsable du préjudice subi par suite de son agression lors du match de football du 17 novembre 2013,

- fixer l'indemnisation de ses préjudices comme suit :

- préjudices patrimoniaux temporaires :

- frais de transports : 376,64 euros,

- autres frais : 613,10 euros,

- préjudices extra-patrimoniaux temporaires :

- déficit fonctionnel temporaire : 365,70 euros,

- souffrances endurées : 5 500 euros,

- préjudice esthétique temporaire : 5 500 euros,

- préjudices extra- patrimoniaux permanents :

- déficit fonctionnel permanent : 5 600 euros,

- préjudice esthétique permanent : 3 000 euros,

- condamner M. [E] à lui verser une somme globale de 20 955,44 euros,

- le condamner à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens comprenant les frais d'expertise,

- débouter les parties défenderesses de leurs demandes contraires,

- à titre subsidiaire juger l'A.S. La Sanne [Localité 8] responsable du préjudice subi par suite de son agression lors du match de football du 17 novembre 2013,

- fixer l'indemnisation de ses préjudices ainsi qu'il a été demandé précédemment,

- condamner l'A.S. La Sanne [Localité 8] à lui verser une somme globale de 18 955,44 euros après déduction de la provision réglée par M. [E],

- la condamner à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de la provision versée à M. [O],

- la condamner à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens comprenant les frais d'expertise,

- débouter les parties défenderesses de leurs demandes contraires.

Au soutien de ses prétentions M. [O] expose que :

- M. [E], non comparant à l'audience devant le juge des référés, a néanmoins réglé la provision de 2 000 euros au paiement de laquelle il a été condamné et n'a pas interjeté appel de cette décision,

- les attestations produites par l'intimé, dont certaines de ses proches, le contredisent en outre sur la position qu'il tenait sur le terrain au moment des faits,

- les attestations complémentaires versées en cause d'appel confirment la responsabilité de M. [E],

- ce dernier n'a de plus nullement contesté la sanction disciplinaire ni le rappel à la loi dont il a fait l'objet et qui visait précisément les violences commises sur M. [O], reconnaissant au contraire sa pleine et entière culpabilité.

En réplique, selon ses dernières écritures auxquelles il est renvoyé pour la discussion des postes d'indemnisation, M. [E] conclut à ce que la cour confirme le jugement critiqué, déboute M. [O] de l'intégralité de ses demandes et reconventionnellement le condamne à lui rembourser la somme de 2 000 euros au titre des indemnités allouées par l'ordonnance de référé du 26 mai 2016, et subsidiairement :

- fixe l'indemnisation des préjudices subis par M. [O] comme suit :

- préjudices extra patrimoniaux temporaires :

- déficit fonctionnel temporaire : 222,60 euros,

- souffrances endurées : 3 000 euros,

- préjudice esthétique temporaire : 800 euros,

- préjudices extra patrimoniaux permanents :

- déficit fonctionnel permanent : 4 800 euros,

- préjudice esthétique permanent : 1 000 euros,

- déduise de la somme globale de 9 822,60 euros correspondant à l'indemnisation de M. [O], celle de 2 000 euros allouée par l'ordonnance de référé et réglée par M. [E],

- déboute M. [O] du surplus de ses demandes,

- en toute hypothèse condamne M. [O] au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ainsi qu'aux entiers dépens.

M. [E] fait notamment valoir que :

- aucun des membres des deux équipes de football n'a pu identifier l'auteur du coup dont M. [O] a été victime, et pas davantage ce dernier qui avait déclaré lors de son dépôt de plainte n'avoir pas vu son agresseur avant de revenir sur cette déclaration lors d'une audition ultérieure et après la dénonciation mensongère de M. [Y],

- le président du club de [Localité 8] a en effet voulu, en désignant l'intimé, éviter les graves sanctions qui pesaient sur le club du fait de la décision de la commission de discipline de le suspendre,

- les nouvelles attestations versées en cause d'appel ne démontrent pas plus l'implication de M. [E], outre l'absence de valeur probante des deux attestations non manuscrites,

- M. [E] a uniquement reconnu, lors de son audition par la gendarmerie le 25 février 2014 ainsi que devant la commission de discipline, avoir participé à la bagarre générale au centre du terrain,

- au surplus l'appelant ne peut solliciter l'indemnisation des frais exposés par ses parents qui ont dû s'absenter de leur travail et le véhiculer auprès des différents professionnels de santé.

La C.P.A.M., à laquelle la déclaration d'appel a été signifiée à étude selon acte d'huissier du 26 mars 2020, n'a pas constitué avocat.

L'instruction a été clôturée suivant ordonnance du 16 mars 2022.

MOTIFS

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux conclusions déposées.

A titre liminaire il conviendra de déclarer les demandes formées par M. [O] à l'encontre de l'A.S. La Sanne irrecevables eu égard à l'ordonnance juridictionnelle du 16 février 2022 par laquelle le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevables ses demandes à l'encontre de l'association qu'il a mise hors de cause.

Sur les demandes principales

Sur la responsabilité de M. [E]

L'ancien article 1382 du code civil, applicable au présent litige, dispose que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer.

En vertu de l'article 9 du code de procédure civile, selon lequel il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention, il appartient à celui qui se déclare victime d'un dommage causé par autrui d'établir, outre la réalité de son préjudice, la faute de celui auquel ils sont imputés et l'existence d'un lien de causalité entre les deux.

A cet égard, et en application de l'article 1383-1 du code civil, l'aveu extrajudiciaire purement verbal, et qui n'est reçu que dans les cas où la loi permet la preuve par tout moyen, est recevable s'agissant de la preuve d'un fait juridique tel que des violences, sa valeur probante étant en tout état de cause laissée à l'appréciation du juge.

Par ailleurs l'article 41-1 1° du code de procédure pénale prévoit que, s'il lui apparaît qu'une telle mesure est susceptible d'assurer la réparation du dommage causé à la victime, de mettre fin au trouble résultant de l'infraction ou de contribuer au reclassement de l'auteur des faits, le procureur de la République peut, préalablement à sa décision sur l'action publique, directement ou par l'intermédiaire d'un officier de police judiciaire, d'un délégué ou d'un médiateur du procureur de la République procéder au rappel auprès de l'auteur des faits des obligations résultant de la loi.

En l'espèce M. [E] a été convoqué devant le délégué du procureur de la République de [Localité 13] pour un rappel à la loi au regard de l'infraction qui lui était reprochée, à savoir des 'violences exercées volontairement sur la personne de [O] [N] lors d'une manifestation sportive et ayant entraîné une incapacité de travail de 8 jours'.

Le procès-verbal de notification du rappel à la loi daté du 21 juillet 2015 et signé du délégué ainsi que de M. [E] précise de nouveau que ce dernier est mis en cause dans une procédure de 'violences suivies d'incapacité supérieure à 8 jours, à l'encontre de [N] [O], lors d'un match de football', ajoutant que la 'victime contactée téléphoniquement, va poursuivre au civil'.

De plus les observations du délégué mentionnées au bas de la convocation indiquent, outre la teneur du rappel et les dispositions pénales applicables, que :

'--Monsieur [E] [L] après lecture du dossier, nous a dit regretter de s'être emporté...

---Avons évoqué les conséquences physiques, psychiques pour l'agressé, la réparation civile,

---Concernant la réparation, monsieur [O] [N] n'étant pas présent, (aucune copie avis ou convocation à victime dans la procédure), nous l'avons contacté... Sur une somme qui correspondrait à une indemnisation , il n'a pu satisfaire à notre demande, et nous a fait part de son intention de poursuivre au civil.

---A l'issue de l'audience, monsieur [E] [L] a bien pris conscience de la gravité de son acte, mais aussi des conséquences en cas de récidive.'

Si une mesure alternative aux poursuites, telle qu'un rappel à la loi, n'est aucunement revêtue de l'autorité de la chose jugée en revanche l'énoncé circonstancié des faits incluant la désignation nominative de la victime, associé aux commentaires relatifs à son indemnisation, accompagné des réponses ainsi que de la signature de M. [E] acquiesçant à l'ensemble des faits reprochés, de même qu'au droit pour la victime d'obtenir réparation, constituent indéniablement un aveu extrajudiciaire de l'intimé relativement aux violences perpétrées à l'encontre de M. [O].

Cet aveu est en outre corroboré non seulement par le fait que le rappel à la loi n'a jamais été remis en cause par l'intéressé mais surtout par une absence totale de contestation de l'ordonnance de référé du 26 mai 2016, dont la condamnation à verser une provision de 2 000 euros a de surcroît été exécutée par M. [E].

L'agression de ce dernier sur M. [O] est par conséquent établie.

Il y aura donc lieu de déclarer M. [E] responsable du préjudice subi par M. [O] lors du match de football du 17 novembre 2013 et d'infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions.

Sur la liquidation des préjudices de M. [O]

En vertu du principe indemnitaire la victime doit être replacée dans une situation aussi proche que possible de celle qui aurait été la sienne si le fait dommageable ne s'était pas produit. Ce faisant elle est en droit d'obtenir la réparation de tout son préjudice et uniquement de son préjudice. Ce principe de la réparation intégrale sans perte ni profit implique en outre que l'indemnité dûe à la victime soit calculée en tenant compte de toutes les prestations servies par le tiers payeur.

En application de l'article 9 du code de procédure civile précité il appartient à la victime qui demande réparation de rapporter la preuve de l'existence et de l'étendue du préjudice, lequel doit être actuel, certain, direct et personnel.

Au terme de son rapport l'expert a rendu les conclusions suivantes :

- agression du 17 novembre 2013,

- déficit fonctionnel temporaire total : 17, 20 et 21 novembre 2013 majoré d'une journée,

- déficit fonctionnel temporaire partiel :

- 20 % les 18 et 19 novembre 2013 et du 22 novembre au 13 décembre 2013,

- 10 % du 14 décembre 2013 au 24 février 2014,

- date de consolidation : 25 février 2014,

- déficit fonctionnel permanent : 4 %,

- souffrances endurées : 3/7,

- préjudice esthétique temporaire pendant un mois : 3/7,

- préjudice esthétique : 2/7,

- pas de préjudice d'agrément,

- pas de préjudice scolaire,

- pas de préjudice professionnel.

Au regard des conclusions expertales non contestées, de la situation de M. [O], âgé de 18 ans à la date de consolidation, de ses demandes et des pièces produites ainsi que des moyens soutenus en défense son indemnisation sera fixée comme suit.

1 - Les préjudices patrimoniaux

M. [O] sollicite, au titre des préjudices patrimoniaux temporaires, le paiement des sommes de 376,64 euros, 13,10 euros et 613,30 euros correspondant, selon ses explications, aux frais de transport demeurés à la charge de ses parents, M. et Mme [O], pour lui permettre d'honorer ses rendez-vous médicaux, au coût d'expédition de son dossier médical par lettre recommandée et au manque à gagner de son père qui a dû poser cinq jours d'arrêt maladie pour s'occuper de son fils.

Toutefois, ainsi que l'a justement soulevé l'intimé, M. [O] n'est pas fondé à réclamer l'indemnisation de préjudices patrimoniaux subis par des tiers, quand bien même s'agit-il de ses parents, s'agissant de préjudices non personnels.

De plus il ne justifie aucunement des frais postaux liés à l'envoi de son dossier médical.

M. [O] ne pourra donc qu'être débouté de ses demandes au titre des préjudices patrimoniaux temporaires.

2 - Les préjudices extrapatrimoniaux

2-1 - Les préjudices extrapatrimoniaux temporaires

2-1-1 - Le déficit fonctionnel temporaire

Ce poste de préjudice cherche à indemniser l'invalidité subie par la victime dans sa sphère personnelle pendant la maladie traumatique, c'est à dire jusqu'à sa consolidation. Cette invalidité par nature temporaire est dégagée de toute incidence sur la rémunération professionnelle de la victime. A l'inverse, elle va traduire l'incapacité fonctionnelle totale ou partielle que va subir la victime jusqu'à sa consolidation. Elle correspond aux périodes d'hospitalisation de la victime, mais aussi à la perte de qualité de vie et à celle des joies usuelles de la vie courante que rencontre la victime pendant la maladie traumatique (séparation de la victime de son environnement familial et amical durant les hospitalisations, privation temporaire des activités privées ou des agréments auxquels se livre habituellement ou spécifiquement la victime, préjudice sexuel pendant la maladie traumatique, etc.).

L'étendue du déficit fonctionnel temporaire et sa durée, déterminées par l'expert judiciaire, ne sont pas discutées par les parties de sorte que M. [O] a subi :

- quatre jours de déficit fonctionnel total,

- vingt-quatre jours de déficit fonctionnel à 20 %,

- soixante et onze jours de déficit fonctionnel à 10 %.

Cependant à l'encontre de l'estimation de l'intimé, qui soutient que l'indemnisation est habituellement fixée à 14 euros par jour, une juste indemnité journalière de 23 euros sera retenue.

En conséquence il sera fait droit à la demande de M. [O], dont le déficit fonctionnel temporaire sera réparé à hauteur de 365,70 euros.

2-1-2 - Les souffrances endurées

Ce poste de préjudice concerne toutes les souffrances physiques et psychiques, ainsi que des troubles associés, que doit endurer la victime durant la maladie traumatique, c'est à dire du jour de l'accident à celui de sa consolidation. A compter de celle-ci les souffrances endurées relèveront du déficit fonctionnel permanent au titre duquel elles pourront être indemnisées..

Constituées par l'intensité du traumatisme initial, dans ses dimensions physiques et psychologiques, et ressenties tout au long des soins les souffrances endurées par la victime, évaluées à 3/7 par l'expert, seront réparées, en l'absence d'élément particulier fourni par M. [O] qui évoque l'existence de différentes gênes relevant du déficit fonctionnel temporaire, par l'allocation d'une juste indemnité de 4 500 euros.

2-1-3 - Le préjudice esthétique temporaire

Le préjudice esthétique temporaire concerne la victime qui, durant la maladie traumatique subit des atteintes physiques, voire une altération de son apparence physique, temporaire mais aux conséquences personnelles très préjudiciables, liée à la nécessité de se présenter dans un état physique altéré au regard des tiers.

En l'espèce l'expert judiciaire a évalué le préjudice esthétique de la victime à 3/7 pendant un mois compte tenu du traumatisme facial initial avec éviction scolaire, ce qu'attestent notamment les photographies versées au dossier.

Au regard de l'importance de ce préjudice et de sa durée M. [O] sera justement indemnisé par l'allocation d'une somme de 800 euros.

2-2 - Les préjudices extrapatrimoniaux permanents

2-2-1 - Le déficit fonctionnel permanent

Le déficit fonctionnel permanent est défini comme un préjudice extrapatrimonial découlant d'une incapacité constatée médicalement, laquelle établit que le dommage subi a une incidence sur les fonctions du corps humain qui touchent exclusivement à la sphère personnelle de la victime. Ce poste de préjudice renvoie non seulement aux atteintes à ses fonctions physiologiques, mais aussi à la douleur permanente qu'elle ressent, la perte de la qualité de vie et les troubles dans les conditions d'existence qu'elle rencontre quotidiennement après sa consolidation.

Ce poste correspond ainsi à la réduction définitive du potentiel physique, psycho-sensoriel ou intellectuel résultant de l'atteinte à l'intégrité anatomo-physiologique médicalement constatable à laquelle s'ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques, normalement liées à l'atteinte séquellaire décrite ainsi que les conséquences habituellement et objectivement liées à cette atteinte dans la vie de tous les jours.

Le docteur [F] a évalué ce poste de préjudice à 4 % par référence à la mesure de l'ouverture buccale, à l'absence de douleur des articulations temporo-mandibulaires, aux troubles sensitifs du territoire trijumeau persistants, précisant ne pas retenir de traumatisme psychique.

La valeur du point est habituellement de 2 150 euros pour une victime âgée de 18 ans à la date de consolidation, atteinte d'un taux de déficit fonctionnel permanent de 1 à 5 %.

Néanmoins, eu égard à la demande de la victime fondée sur une valeur du point de 1 400 euros, il lui sera allouée une somme de 1 400 euros x 4, soit 5 600 euros en réparation de son déficit fonctionnel permanent.

2-2-2 - Le préjudice esthétique permanent

L'expert judiciaire a évalué le préjudice esthétique permanent de M. [O] à 2/7.

En raison d'une cicatrice du bord latéral de l'arcade sourcilière droite bien visible de 25 millimètres de long l'intimé sollicite une indemnité de 3 000 euros.

Au regard des éléments du dossier son préjudice sera réparé par l'allocation d'une juste indemnité de 2 500 euros.

Le montant global de l'indemnisation des préjudices de M. [O] sera par conséquent fixé à hauteur de 13 765,70 euros, au paiement desquels M. [E] sera condamné après déduction de la provision de 2 000 euros déjà versée.

Sur les demandes annexes

Il serait inéquitable de laisser à la charge de M. [O] les frais exposés pour faire valoir ses droits devant la cour. M. [E] sera donc condamné à lui verser une indemnité de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'intimé qui succombe sera en outre condamné aux entiers dépens de la procédure d'instance et d'appel en ce compris les frais d'expertise.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement et par arrêt par défaut, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Infirme le jugement du 26 décembre 2019 du tribunal de grande instance de Vienne en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Déclare irrecevables les demandes formées par M. [O] à l'encontre de l'A.S. La Sanne,

Déclare M. [L] [E] responsable des préjudices subis par M. [N] [O] par suite de son agression lors du match de football du 17 novembre 2013,

Déboute M. [O] de ses demandes au titre des préjudices patrimoniaux temporaires,

Fixe les postes de préjudices de M. [N] [O] comme suit :

- préjudices extra-patrimoniaux temporaires :

- déficit fonctionnel temporaire : 365,70 euros,

- souffrances endurées : 4 500 euros,

- préjudice esthétique temporaire : 800 euros,

- préjudices extra- patrimoniaux permanents :

- déficit fonctionnel permanent : 5 600 euros,

- préjudice esthétique permanent : 2 500 euros,

Condamne en conséquence M. [L] [E] à payer à M. [N] [O] une somme globale de 13 765,70 euros (treize mille sept cent soixante cinq euros soixante dix cents), avant déduction de la provision de 2 000 euros (deux mille euros) déjà réglée, à titre de dommages et intérêts,

Condamne M. [L] [E] à verser à M. [N] [O] une indemnité de 3 000 euros (trois mille euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [L] [E] aux entiers dépens de première instance et d'appel en ce compris les frais d'expertise médicale.

Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Arrêt signé par Mme Emmanuèle Cardona, Présidente de la deuxième chambre civile et par la Greffière, Caroline Bertolo, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20/00478
Date de la décision : 15/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-15;20.00478 ?
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