La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/11/2022 | FRANCE | N°20/00086

France | France, Cour d'appel de Grenoble, 2ème chambre, 15 novembre 2022, 20/00086


N° RG 20/00086 - N° Portalis DBVM-V-B7E-KJLK



N° Minute :





C4

























































Copie exécutoire délivrée

le :



à



Me Nathalie CROUZET



la S.E.L.A.R.L. CABINET LAURENT FAVET



S.E.L.A.R.L. FTN













AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE GRENOBLE



2ÈME CHAMBRE CIVILE



ARRÊT DU MARDI 15 NOVEMBRE 2022



Appel d'un Jugement (N° R.G. 13/03280) rendu par le Tribunal de Grande Instance de GRENOBLE en date du 14 novembre 2019, suivant déclaration d'appel du 27 Décembre 2019





APPELANT :



M. [W] [G]

né le [Date naissance 3] 1986 à [Localité 10]

de nationalité Française

...

N° RG 20/00086 - N° Portalis DBVM-V-B7E-KJLK

N° Minute :

C4

Copie exécutoire délivrée

le :

à

Me Nathalie CROUZET

la S.E.L.A.R.L. CABINET LAURENT FAVET

S.E.L.A.R.L. FTN

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

2ÈME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU MARDI 15 NOVEMBRE 2022

Appel d'un Jugement (N° R.G. 13/03280) rendu par le Tribunal de Grande Instance de GRENOBLE en date du 14 novembre 2019, suivant déclaration d'appel du 27 Décembre 2019

APPELANT :

M. [W] [G]

né le [Date naissance 3] 1986 à [Localité 10]

de nationalité Française

[Adresse 4]

[Localité 6]

Représenté par Me Nathalie CROUZET, avocat au barreau de GRENOBLE, postulant, plaidant par Me DUTEIL, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMÉS :

M. [J] [D]

de nationalité Française

[Adresse 5]

[Localité 7]

Représenté par Me Laurent FAVET de la S.E.L.A.R.L. CABINET LAURENT FAVET, avocat au barreau de GRENOBLE, postulant, et par Me Evelyne NABA, membre de la S.C.P. NABA et Associés, avocat au Barreau de PARIS, plaidant par Me GOSSET avocat au Barreau de PARIS

SA AWP P&C prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social

[Adresse 8]

[Localité 9]

Représentée par Me Laurent FAVET de la S.E.L.A.R.L. CABINET LAURENT FAVET, avocat au barreau de GRENOBLE, postulant, et par Me Evelyne NABA, membre de la S.C.P. NABA et Associés, avocat au Barreau de PARIS, plaidant par Me GOSSET avocat au Barreau de PARIS

C.P.A.M. DES HAUTES-ALPES prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentée par Me Florence NERI de la S.E.L.A.R.L. FTN, avocat au barreau de GRENOBLE

COMPOSITION DE LA COUR : LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Emmanuèle Cardona, présidente

Anne-Laure Pliskine, conseillère,

Frédéric Dumas, vice-président placé, en vertu d'une ordonnance en date du 9 mars 2022 rendue par la première présidente de la cour d'appel de Grenoble

DÉBATS :

A l'audience publique du 17 mai 2022, Frédéric Dumas, vice-président placé, qui a fait son rapport, assisté de Caroline Bertolo, greffière, a entendu seul les avocats en leurs conclusions et plaidoiries, les parties ne s'y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile.

Il en a rendu compte à la cour dans son délibéré et l'arrêt a été rendu à l'audience de ce jour.

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Le 24 janvier 2010, lors d'une compétition internationale de ski cross organisée par la Fédération internationale de ski à [Localité 11] (Etats-Unis) à laquelle ils avaient pris part, M. [W] [G] et M. [J] [D] ont chuté alors qu'ils se trouvaient côte à côte.

Victime d'une fracture du rachis cervical M. [G] a été immédiatement atteint de tétraplégie.

Par exploits des 1er, 8 juillet 2013 et 4 novembre 2013 M. [G], estimant que sa chute avait été provoquée par un choc de ses skis avec ceux de M. [D], l'a fait assigner ainsi que la caisse primaire d'assurance maladie des Hautes-Alpes (la C.P.A.M.), la société Gras Savoie Rhône-Alpes Auvergne et la société anonyme AGA International venant aux droits de la société Mondial Assistance International en tant qu'assureur de M. [D], devant le tribunal de grande instance de Grenoble aux fins de voir ordonner, au visa de l'article 1384 alinéa 1er ancien du code civil, une mesure d'expertise médicale et l'allocation d'une provision de 500 000 euros.

Par acte d'huissier délivré le 30 juin 2014 M. [D] et la société AGA International ont appelé en cause la Fédération internationale de ski.

Le 11 octobre 2017 la Cour de cassation a censuré un arrêt du 11 juillet 2016 de la cour d'appel de Grenoble ayant confirmé la compétence du tribunal de grande instance de Grenoble pour connaître de l'entier litige et renvoyé l'affaire devant la cour d'appel de Paris. Le 27 novembre 2018 cette dernière a déclaré le tribunal de grande instance de Grenoble incompétent pour examiner l'appel en garantie formé à l'encontre de la Fédération internationale de ski au regard de la clause compromissoire signée par M. [D] au profit du tribunal arbitral de Lausanne.

Le 3 avril 2018 le juge de la mise en état a rendu une ordonnance constatant le désistement d'instance et d'action de M. [G] à l'encontre de la société Gras Savoie Rhône-Alpes Auvergne et ordonné la disjonction de la procédure opposant M. [D], la société anonyme AWP P & C, anciennement AGA International, et la Fédération internationale de ski.

Suivant jugement du 14 novembre 2019 le tribunal de grande instance de Grenoble a :

- dit que M. [G] a commis une faute dans la survenance de l'accident,

- dit que cette faute présente pour M. [D] les caractères de la force majeure,

- dit que cette faute exonère M. [D] de la responsabilité liée à la qualité de gardien de la chose,

- débouté M. [G] de l'ensemble de ses demandes,

- débouté la C.P.A.M. de l'ensemble de ses demandes,

- condamné M. [G] à payer à M. [D] et la société AWP P & C la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [G] aux dépens, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Le 27 décembre 2019 M. [G] a interjeté appel du jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions l'appelant demande à la cour de réformer le jugement déféré et, statuant à nouveau, de :

- débouter les appelants de l'exception d'irrecevabilité soulevée,

- condamner M. [D], en sa qualité de responsable de l'accident de ski subi le 24 janvier 2010, à la réparation de son préjudice corporel,

- condamner solidairement M. [D] et la société AWP P & C à prendre en charge l'indemnisation intégrale de son préjudice corporel,

- désigner tel médecin-expert qu'il plaira avec mission de l'examiner et de déterminer les conséquences dommageables de cet accident dont il a été victime,

- condamner solidairement M. [D] et la société AWP P & C à lui payer les sommes suivantes :

- 500 000 euros à titre de provision à valoir sur la réparation de son préjudice corporel,

- 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonner subsidiairement une mesure d'expertise qui sera confiée à un spécialiste de la compétition de ski cross, avec pour mission de prendre connaissance de la vidéo de la course, d'entendre tout sachant et de préciser les circonstances et les causes de la chute de M. [G],

- juger que les sommes allouées en principal seront assorties des intérêts au taux légal à compter de la demande en justice et que les intérêts seront capitalisés par année entière à compter de cette même date en application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil,

- condamner solidairement M. [D] et la société AWP P & C aux dépens, distraits au profit de maître Crouzet.

Au soutien de ses prétentions M. [G] expose que :

- par suite de l'avis du greffe en date du 11 février 2020 d'avoir à signifier sa déclaration il a effectué les formalités dans les délais réglementaires envers les intimés à l'exception de M. [D], celui-ci ayant constitué avocat le 18 février 2018, de sorte que son appel est recevable,

- sur le fond les attestations de MM. [T], [O], [U] et [F], tous professionnels expérimentés de l'activité sportive en cause, témoignent après le visionnage de l'enregistrement vidéo de la course d'une part de l'absence de trajectoire en diagonale de M. [G] devant M. [D] et d'autre part de l'implication dans l'accident du ski gauche de M. [D] qui n'a pas adapté sa trajectoire comme il était tenu de le faire,

- il ressort de ces mêmes attestations que le heurt entre les deux skieurs est intervenu sur la bosse n°6 alors que M. [G] avait intégralement terminé son dépassement sans couper la trajectoire de M. [D], se trouvant depuis la bosse n°4 devant ce dernier, lequel a pris le risque de le rattraper alors qu'il devait régler sa course en tenant compte du skieur qui le précédait, à savoir M. [G], et ce en application de la règle n°3 du règlement de la Fédération internationale de ski,

- le cabinet d'expertise [S], dont le rapport est produit par M. [D] et la société AWP P & C, n'a aucune compétence en matière de ski et ses conclusions sont de surcroît remises en cause tant par MM. [O], [U] et [F] que par M. [N], professeur de physique chimie, relativement aux effets d'optique et de perspective qui ont faussé les analyses du cabinet,

- M. [G] n'a commis aucune faute constitutive d'une cause exclusive de sa chute et sa présence devant M. [D] ne présentait aucun caractère imprévisible et irrésistible.

En réplique, selon leurs dernières écritures dont le dispositif doit être expurgé de toutes mentions qui ne constituent pas des demandes mais reprennent les moyens soutenus dans les motifs, M. [D] et la société AWP P & C concluent à ce que la cour confirme le jugement critiqué et :

- déboute la C.P.A.M. de son appel incident ainsi que M. [G] de sa demande de provision,

- juge, dans l'hypothèse d'une condamnation de la société AWP P & C, qu'elle ne saurait être tenue que dans les limites de ses obligations contractuelles,

- rejette la demande d'expertise technique comme non fondée,

- condamne tout succombant à leur payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens distraits au profit de maître Favet, en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Les intimés font valoir que :

- il incombe à M. [G] de justifier de la recevabilité de son appel eu égard à l'avis de caducité de l'appel en date du 12 mars 2020 établi par la cour d'appel de Grenoble,

- le ski cross est une discipline extrême et particulièrement dangereuse, ce dont était conscient M. [G] lorsqu'il a participé à la compétition du 24 janvier 2010, l'appelant ayant accepté les risques et conséquences de cette pratique,

- il ressort des notes techniques des experts en accidentologie du cabinet [S] que l'accident dont a été victime M. [G] a été provoqué par un changement de trajectoire de sa part et de sa seule initiative, provoquant sa chute,

- il résulte ainsi de l'analyse des images vidéo que, pour demeurer dans la trajectoire de la course, M. [G] s'est redressé brutalement vers la droite lors du cinquième saut, effectuant celui-ci en diagonale et se rapprochant fortement de deux concurrents, dont M. [D], puis coupant la trajectoire rectiligne de ceux-ci,

- M. [G] a ainsi croisé la trajectoire de M. [D] pour atterrir lors du cinquième saut juste devant lui et se trouver en dérapage, de sorte qu'à l'appel du sixième saut il était totalement déséquilibré en raison de la nécessité de rétablir sa trajectoire sur la gauche, sans que ce déséquilibre soit à imputer à l'action de M. [D] qui se trouvait éloigné de lui,

- un éventuel contact avec les skis de M. [D] concomitamment à la chute de M. [G] n'a joué aucun rôle causal dans sa perte de contrôle et sa chute, aucune faute ne pouvant être imputée à M. [D],

- l'examen des enregistrements montre au contraire que, en dérapant, M. [G] a emporté la spatule du ski gauche de M. [D] qui était resté sur une trajectoire rectiligne et que c'est ainsi son ski droit qui a provoqué la chute de M. [D] dont l'un des skis a été soudainement écarté de sa trajectoire initiale, entraînant un freinage brutal et sa chute vers l'avant,

- le rapport [S] souligne ainsi qu'en voyant M. [G] atterrir juste devant lui M. [D], qui était en plein vol, n'avait aucun contrôle de sa trajectoire aérienne,

- en violation de l'article 4 du règlement de la Fédération internationale de ski M. [G] n'a jamais achevé son dépassement dans la mesure où il aurait dû être suffisamment loin de M. [D] pour éviter tout risque d'accrochage,

- contrairement aux affirmations adverses les auteurs du rapport [S] sont des spécialistes en accidentologie traitant des accidents corporels depuis près de dix ans dans des domaines variés,

- les attestations produites par l'appelant sont discutables dès lors qu'elles émanent toutes de personnes absentes des lieux de l'accident, évoluant dans la même sphère professionnelle, et qu'elles contiennent des éléments subjectifs,

- en l'absence de lien de causalité entre l'action des skis de M. [D] et la chute de M. [G] les conditions d'application de l'article 1242 alinéa 1er ne sont pas réunies,

- le comportement de M. [G] à l'origine de sa chute est constitutif d'une cause exonératoire de responsabilité du gardien de la chose, son changement de trajectoire étant imprévisible.

La C.P.A.M., dans ses dernières conclusions, s'en rapporte à justice sur la responsabilité de l'accident du 24 janvier 2010 et, dans l'hypothèse où M. [D] serait déclaré responsable en tout ou partie, sollicite la réformation du jugement déféré ainsi que :

- la condamnation in solidum de M. [J] [D] avec son assureur, la société AGA international, à lui rembourser le montant des prestations servies à ce jour du chef de M. [G], s'élevant à la somme de 265 634,75 euros, selon l'état provisoire détaillé du 10 décembre 2018, outre intérêts au taux légal à compter des conclusions notifiées le 15 octobre 2013,

- la condamnation des mêmes à lui payer :

- l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par l'ordonnance n°96-51 du 24 janvier 1996, soit 1 066 euros,

- la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- il soit statué ce que de droit sur les dépens distraits au profit de la S.C.P. Folco-Tourrette-Neri, dont la C.P.A.M. doit en tout état de cause être déchargée pour avoir été appelée en intervention forcée.

L'instruction a été clôturée suivant ordonnance du 17 mai 2022.

MOTIFS

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux conclusions déposées.

Sur la recevabilité de l'appel de M. [G]

Il résulte des dispositions des articles 901 et 902 alinéas 1 et 2 du code de procédure civile que la déclaration d'appel est remise au greffe, valant demande d'inscription au rôle, et que le greffier adresse aussitôt à chacun des intimés, par lettre simple, un exemplaire de la déclaration avec l'indication de l'obligation de constituer avocat.

En cas de retour au greffe de la lettre de notification ou lorsque l'intimé n'a pas constitué avocat dans un délai d'un mois à compter de l'envoi de la lettre de notification, le greffier en avise l'avocat de l'appelant afin que celui-ci procède par voie de signification de la déclaration d'appel.

L'article 902 alinéa 3 édicte que, à peine de caducité de la déclaration d'appel relevée d'office, la signification doit être effectuée dans le mois de l'avis adressé par le greffe mais que, si entre-temps l'intimé a constitué avocat avant la signification de la déclaration d'appel, il est procédé par voie de notification à son avocat, étant observé que cette obligation faite à l'appelant n'est pas prescrite à peine de caducité de la déclaration d'appel.

Ensuite de la déclaration d'appel du 27 décembre 2019 le greffe de la cour d'appel de Grenoble a, par un avis du 11 février 2020, informé le conseil de M. [G] qu'aucun des trois intimés n'avait constitué avocat et l'a invité en conséquence à leur signifier la déclaration d'appel dans le mois de cet avis.

L'appelant a justifié avoir signifié ladite déclaration à la société AWP P & C et à la C.P.A.M. les 18 et 21 février 2020.

Le 18 février 2020 M. [D] et la société AWP P & C ont constitué avocat auprès du même conseil.

A défaut de caducité de la déclaration de l'appel interjeté par M. [G] à l'encontre du jugement du 14 novembre 2019 le recours de l'intéressé doit être déclaré recevable.

Sur les demandes principales

A titre liminaire il convient de rappeler qu'il résulte de l'interprétation des dispositions de l'article 3 du code civil que les parties peuvent réclamer, pour les droits dont elles ont la libre disposition, l'application de leur loi nationale commune pour la résolution d'un litige né à l'étranger.

En conséquence, bien que l'accident du 24 janvier 2010 ait eu lieu sur le territoire des Etats-Unis, dès lors que les parties articulent leurs moyens et prétentions en référence à la responsabilité extracontractuelle telle qu'elle est régie par le code civil, s'agissant de droits dont elles ont la libre disposition, il conviendra de faire application de l'article 1384 alinéa 1er, repris de manière identique par l'article 1242 à compter du 1er octobre 2016.

Aux termes de l'ancien article 1384 alinéa 1er on est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde.

De manière constante la responsabilité de plein droit établie par le texte précité, à l'encontre de celui qui a sous sa garde la chose inanimée qui a causé un dommage à autrui, ne peut être écartée que par la preuve d'un cas fortuit ou de force majeure, d'une cause étrangère qui ne lui soit pas imputable réunissant les caractères d'extériorité, d'irrésistibilité et d'imprévisibilité, ou d'une faute de la victime comme étant la cause exclusive du dommage.

En application de l'article 9 du code de procédure civile, selon lequel il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention, il appartient à la victime de rapporter la preuve du rôle causal de la chose, laquelle doit avoir été en quelque manière que ce soit l'instrument du dommage et, le cas échéant, au gardien de la chose de démontrer l'existence d'un cas de force majeure exonératoire.

Enfin la Fédération internationale de ski a édicté dix règles de conduite que les pratiquants de ski et de surf doivent observer parmi lesquelles figurent, selon une traduction du texte anglais admise par les parties, les deux consignes suivantes :

- règle n°3, choix de l'itinéraire : un skieur ou surfeur en amont doit suivre une trajectoire de telle manière qu'il ne mette pas en danger les skieurs ou surfeurs en aval,

- règle n°4, dépassement : un skieur ou surfeur peut dépasser un autre skieur ou surfeur par le dessus ou le dessous et sur la droite ou la gauche pourvu qu'il laisse suffisamment d'espace pour le skieur ou surfeur doublé lui permettant d'accomplir tout mouvement volontaire ou involontaire.

En l'espèce le seul accès direct aux faits dont dispose la cour afin d'apprécier leur déroulement ainsi que les éventuelles responsabilités est constitué d'une part de l'attestation de M. [D], intimé, et d'autre part du montage vidéo réalisé à partir de trois enregistrements audiovisuels de la course, au cours de laquelle l'accident est survenu.

La sincérité de l'écrit de M. [D] tout comme le montage vidéo ayant fait l'objet d'un constat d'huissier du 4 mars 2020 produit par M. [G] (pièce n°15) sur un support numérique (DVD), qui montre trois extraits de ladite course filmés avant, pendant et après l'accident sous trois angles différents, n'est en effet aucunement discutée par les parties.

M. [D] explique ainsi que 'nos skis se sont entrechoqués à l'appel d'un saut ce qui nous a tous deux déséquilibrés en l'air et provoqué notre chute. Etant touché d'un traumatisme crânien je ne me souviens pas de la suite...'.

L'exploitation du film par la cour a été enrichie par les éclairages techniques apportés tant par les observations de [I] [T], [M] [O], [H] [U] et [A] [F] que par le rapport d'expertise du 25 mars 2014 et les notes techniques subséquentes établis par le cabinet [S] en réponse auxdites observations.

Les attestations de MM. [T], [O], [U] et [F] ne sauraient néanmoins être reçues comme telles dès lors que les conditions d'établissement de celles-ci ne sont aucunement réunies s'agissant de documents rédigés non par des témoins relatant les faits auxquels ils ont assistés mais par des professionnels s'autorisant à les qualifier.

Par ailleurs, malgré la qualité relative des images, après visionnage du film dans les différentes perspectives et à des vitesses variables, la juridiction de céans est à même de se forger une conviction et d'écarter certaines interprétations déformantes de la réalité telle qu'elle apparaît à travers ces enregistrements sans qu'il y ait lieu d'ordonner une mesure d'expertise confiée à un spécialiste de la compétition de ski cross.

Soulignant que l'objectif de la couverture vidéo était initialement de pouvoir arbitrer les éventuels recours des compétiteurs en cas de contestation mais que les images pouvaient également servir à apprécier la matérialité des faits lors d'une chute le premier juge a pu tirer de l'examen des très nombreuses photographies extraites du film de la compétition, et sous plusieurs angles, les constatations suivantes :

- après le départ M. [G] s'est retrouvé en dernière position dans cette course à quatre skieurs et est resté dernier jusqu'au quatrième saut, à la sortie duquel il s'est positionné sur sa gauche (sens de la descente) pour revenir au niveau de M. [D] qui était en troisième position,

- l'accrochage entre les deux skieurs a eu lieu entre les cinquième et sixième sauts,

- à l'abord du cinquième saut M. [G] est proche de la limite gauche de la piste et il s'incline à droite, effectuant un mouvement diagonal, pour resserrer sa trajectoire, se rapprochant ainsi de M. [D],

- lors du cinquième saut M. [G] poursuit sa trajectoire en l'air en diagonale vers la droite.

Contrairement à ce qu'affirment les attestants sollicités par M. [G] il ressort de l'examen de l'enregistrement entre la dix-huitième et la vingtième seconde, soit immédiatement avant le début de la chute des deux concurrents, que si l'appelant avait terminé son dépassement il ne se trouvait nullement sur la même trajectoire que M. [D] mais s'était rapproché de lui tout en demeurant décalé sur sa gauche à l'amorce du cinquième saut, étant précisé que la caméra filmant sous cet angle n'a pas changé de position depuis le moment où les concurrents sont passés devant elle à la quinzième seconde de sorte que les constatations de la cour ne peuvent résulter d'un effet d'optique.

Cette position de M. [G] au décollage du cinquième saut est en outre confirmée par l'enregistrement vidéo réalisé par la caméra située au niveau de la bosse du sixième saut dans la mesure où pendant la plus grande partie de ce cinquième saut, à 10 minutes 24 puis 25 secondes, le corps de M. [G] occulte presque complètement celui de M. [D], ce qui ne pourrait être le cas si le premier précédait le second dans un même alignement.

Au regard notamment de la déclaration de M. [D] il est incontestable que les skis des deux compétiteurs sont entrés en contact à l'atterrissage du cinquième saut sans qu'il soit possible de déterminer avec certitude si le ski droit de M. [G] est venu s'intercaler entre ceux de M. [D] ou si le ski gauche de ce dernier a touché l'un de ceux de M. [G].

Dès lors les skis de M. [D] ont nécessairement joué un rôle causal dans l'accident de M. [G].

Pour autant la direction suivie par ce dernier le rapprochait de la ligne suivie par son concurrent, sans toutefois la couper, et il atterrissait à la fin du cinquième saut en chevauchant partiellement la trajectoire rectiligne de M. [D], lequel était en l'air et ne pouvait en aucune façon interagir ni modifier sa trajectoire ou ralentir comme l'a justement noté le tribunal.

Sans qu'il y ait lieu de qualifier de fautif le comportement de M. [G], qui n'a pas brutalement coupé la trajectoire de M. [D], son positionnement n'en a pas moins constitué, par son imprévisibilité, puisqu'il demeurait à la gauche de l'autre compétiteur jusqu'au cinquième saut, son extériorité et son irrésistibilité liée à l'impossibilité de M. [D] de manoeuvrer pendant le saut, une cause étrangère revêtant les caractères de la force majeure causant de surcroît également sa chute.

Ces circonstances sont par conséquent exonératoires de la responsabilité de M. [D] en sa qualité de gardien des skis et il ne saurait lui être fait grief de n'avoir pas respecté les consignes de la Fédération internationale de ski relatives aux obligations du skieur amont par rapport au skieur aval.

Dans ces conditions M. [G] ne peut qu'être débouté de l'intégralité de ses demandes, de même que la C.P.A.M..

Il conviendra donc de confirmer le jugement déféré sauf à rejeter expressément la demande d'expertise technique et à l'infirmer en ce qu'il a qualifié de faute le comportement de M. [G].

Sur les demandes annexes

Il n'est pas inéquitable de laisser à la charge des intimés les frais exposés pour faire valoir leurs droits devant la cour.

L'appelant qui succombe sera condamné aux entiers dépens de la procédure d'appel en application de l'article 699 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement et par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Déclare recevable l'appel interjeté par M. [G] à l'encontre du jugement du 14 novembre 2019 du tribunal de grande instance de Grenoble,

Confirme le jugement du 14 novembre 2019 du tribunal de grande instance de Grenoble en toutes ses dispositions sauf en ce qui concerne la qualification du comportement de M. [G],

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déboute M. [G] de sa demande d'expertise confiée à un spécialiste des compétitions de ski cross,

Dit que le comportement de M. [G] a revêtu les caractères d'un cas de force majeure exonérant M. [D] de toute responsabilité,

Déboute les parties de l'intégralité de leurs demandes,

Condamne M. [W] [G] aux entiers dépens de la procédure d'appel en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Arrêt signé par Mme Emmanuèle Cardona, Présidente de la deuxième chambre civile et par la Greffière, Caroline Bertolo, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20/00086
Date de la décision : 15/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-15;20.00086 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award