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27/10/2022 | FRANCE | N°21/04194

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Ch.secu-fiva-cdas, 27 octobre 2022, 21/04194


C5



N° RG 21/04194



N° Portalis DBVM-V-B7F-LB7S



N° Minute :





































































Notifié le :



Copie exécutoire délivrée le :





Me Kelly MONTEIRO



La [6]

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE GRENOBLE


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ARRÊT DU JEUDI 27 OCTOBRE 2022





Appel d'une décision (N° RG 16/0094)

rendue par le pôle social du tribunal judiciaire de VIENNE

en date du 08 septembre 2021

suivant déclaration d'appel du 04 octobre 2021





APPELANT :



Monsieur [O] [T]

[Adresse 5]

[Localité 3]



représenté par Me Kelly MONTEIRO, avocat au barreau...

C5

N° RG 21/04194

N° Portalis DBVM-V-B7F-LB7S

N° Minute :

Notifié le :

Copie exécutoire délivrée le :

Me Kelly MONTEIRO

La [6]

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE SOCIALE - PROTECTION SOCIALE

ARRÊT DU JEUDI 27 OCTOBRE 2022

Appel d'une décision (N° RG 16/0094)

rendue par le pôle social du tribunal judiciaire de VIENNE

en date du 08 septembre 2021

suivant déclaration d'appel du 04 octobre 2021

APPELANT :

Monsieur [O] [T]

[Adresse 5]

[Localité 3]

représenté par Me Kelly MONTEIRO, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND substitué par Me Grégoire DE PETIVILLE, avocat au barreau de GRENOBLE

INTIME :

Monsieur [M] [A]

[Adresse 8]

[Adresse 8]

[Localité 4]

représenté par Me Pascale MODELSKI de la SELARL EYDOUX MODELSKI, avocat au barreau de GRENOBLE substitué par Me Aurélie ALMY-AUBERT, avocat au barreau de GRENOBLE

La [6], prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 2]

comparante en la personne de Mme [X] [Y], régulièrement munie d'un pouvoir

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DES DEBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

M. Jean-Pierre DELAVENAY, Président,

Mme Isabelle DEFARGE, Conseiller,

M. Pascal VERGUCHT, Conseiller,

Assistés lors des débats de M. Fabien OEUVRAY, Greffier,

DÉBATS :

A l'audience publique du 1er septembre 2022,

M. Pascal VERGUCHT, chargé du rapport, M. Jean-Pierre DELAVENAY, Président et Mme Isabelle DEFARGE, Conseiller ont entendu les représentants des parties en leurs observations,

Et l'affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l'arrêt a été rendu.

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [O] [T] a été victime le 4 décembre 2014 d'un accident du travail en préparant un plancher, effectué une chute de 2,5 mètres lui causant un traumatisme crânien avec des contusions pariétale gauche et frontale droite ayant entraîné un coma. La [6] a notifié un taux d'incapacité permanente de 55'% le 19 juin 2017, à compter du 1er juin 2017, pour des séquelles à type de troubles cognitifs modérés, d'importants troubles comportementaux et des troubles psychiques avec anxiété et somatisation. Le taux a été porté à 66'% par le tribunal du contentieux de l'incapacité de Villeurbanne par jugement du 9 avril 2018, confirmé en appel par la [7] le 23 juin 2020. Ce taux a été porté à 80'% à compter du 23 aout 2018 à la suite d'un recours examiné par la commission médicale de recours amiable de la [6] le 28 octobre 2021, avec accord pour une prestation complémentaire tierce personne forfait 1.

A la suite d'une tentative de reconnaissance de faute inexcusable, la [6] a dressé un procès-verbal de carence le 18 février 2016. Un jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Vienne du 4 septembre 2019 a reconnu une faute inexcusable de l'employeur, M. [M] [A], à l'origine de l'accident du travail du 4 décembre 2014, porté au maximum la majoration de la rente servie à M. [T] en présence de la [6], accordé une provision de 15.000 euros à l'assuré et désigné le docteur [U] [Z] afin de mener une expertise, en réservant l'application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Le pôle social du tribunal judiciaire de Vienne a, par jugement en date du 8 septembre 2021, statué après le dépôt du rapport d'expertise le 21 juillet 2020 sur les demandes d'indemnisations de M. [T] en décidant de':

- fixer à':

* 3.341 euros le préjudice d'aménagement du logement,

* 67.937 euros le préjudice au titre d'une aide par tierce personne,

* 15.285 euros le déficit fonctionnel temporaire (DFT),

* 15.000 euros le préjudice de souffrances,

* 15.000 euros le préjudice sexuel,

- débouter M. [T] de ses autres demandes (préjudices d'agrément, d'établissement, permanent exceptionnel),

- condamner M. [A] au paiement de ces sommes pour un total de 101.563 euros après déduction de la provision,

- condamner M. [A] à verser à M. [T] une somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- rappeler que la [6] fera l'avance des sommes allouées au titre des préjudices personnels,

- condamner M. [A] à rembourser la [6] les sommes avancées et des frais d'expertise de 840 euros,

- déclarer le jugement opposable à la [6],

- rappeler que la procédure était exempte de dépens.

Par déclaration du 4 octobre 2021, M. [T] a relevé appel de cette décision en ce qui concerne la fixation des souffrances endurées, du préjudice sexuel et du DFT, le débouté du surplus de ses demandes, et la condamnation de M. [A] à une somme de 101.563 euros.

Par conclusions du 4 aout 2022 reprises oralement à l'audience devant la cour, M. [T] demande':

- que son appel soit déclaré recevable,

- la confirmation de la fixation des préjudices d'aménagement du logement, d'assistance par tierce personne et concernant les frais irrépétibles de la première instance,

- l'infirmation du jugement concernant les préjudices de souffrance, sexuel, le DFT et le rejet des préjudices d'agrément, d'établissement et permanent exceptionnel,

- l'allocation des sommes suivantes':

* 40.000 euros pour le préjudice de souffrances,

* 18.342 euros pour le DFT,

* 25.000 euros pour le préjudice sexuel,

* 10.000 euros pour le préjudice d'agrément,

* 25.000 euros pour le préjudice d'établissement,

* 15.000 euros pour le préjudice permanent exceptionnel,

- la déduction de la provision de 15.000 euros des sommes allouées,

- la condamnation de M. [A] à lui verser 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel,

- la condamnation du même aux dépens.

Par conclusions du 30 juin 2022 formant appel incident et reprises oralement à l'audience devant la cour, M. [M] [A] demande':

- la confirmation du jugement concernant le DFT, le préjudice de souffrances et le rejet du surplus des demandes de M. [T],

- la réformation du jugement concernant l'aide par tierce personne et le préjudice sexuel,

- le rejet de la demande au titre de l'assistance par tierce personne ou subsidiairement la réduction de la somme à allouer à 60.384 ou 45.288 euros selon la justification de la tierce personne employée,

- le rejet de la demande d'indemnisation du préjudice sexuel.

Par conclusions du 29 juin 2022 reprises oralement à l'audience devant la cour, la [6] demande':

- la fixation des préjudices en s'en remettant à la cour,

- la condamnation de l'employeur à lui rembourser l'intégralité des sommes dont elle serait amenée à faire l'avance, y compris les frais de l'expertise.

MOTIVATION

Sur le préjudice au titre de l'aménagement du logement

M. [T] demande la confirmation de la fixation à 3.341 euros de l'indemnisation de ce préjudice en première instance et cette demande n'est ni débattue ni contestée en appel, le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur les souffrances endurées

M. [T] fait valoir que le tribunal a largement minimisé l'indemnisation au regard des barèmes habituels pour un préjudice estimé par l'expert à 5/7. Il se prévaut de nombreuses pièces médicales qui démontrent ses souffrances physiques et psychologiques entre le 4 décembre 2014 et le 31 mai 2017, date de consolidation de son état de santé, soit pendant deux ans et demi. Il a nécessité l'aide constante de ses proches dans les actes de la vie courante, a été perçu comme un enfant par son épouse qui a dû lui réapprendre à manger, s'habiller, lire, écrire, et changer ses couches lorsqu'il était incontinent. Il a suivi une très longue rééducation et de nombreux examens, été hospitalisé à trois reprises, avec un traitement neuroleptique allant en augmentant et créant de nombreuses complications sur sa santé et dans sa vie familiale et sociale, sans pouvoir espérer recouvrer ses pleines facultés mentales et physiques. M. [T] rappelle qu'il n'était âgé que de 30 ans lors de l'accident, que le référentiel [E] n'est qu'indicatif et que M. [A] n'a jamais remis en cause l'estimation du docteur [Z] au cours de l'expertise. Il précise que l'accident a causé des séquelles neurologiques qui altèrent ses facultés, ce qui a été reconnu par les nombreux comptes-rendus d'examens qu'il verse au débat, et lors des poursuites et condamnations pénales notamment pour violences dont il fait l'objet, alors qu'il n'a jamais été violent et agressif auparavant. Il sollicite une somme de 40.000 euros au lieu des 15.000 euros alloués par le tribunal.

M. [A] estime la demande excessive et sollicite la confirmation de la somme allouée par le tribunal. Il fait valoir que le référentiel indicatif prévoit une fourchette d'indemnisation bien moindre que celle demandée en appel, que la cotation retenue est exagérée et qu'il semblerait que M. [T] a toujours fait preuve d'une certaine force de caractère et d'une certaine violence envers les personnes qui l'entourent.

L'expert a exposé que M. [T] avait fait une chute sur le crâne occasionnant des lésions cranio-encéphaliques importantes avec de multiples hémorragies, ainsi que des hospitalisations en neurologie puis en rééducation, laissant des séquelles neurologiques et psychoneurologiques sans qu'il y ait eu d'état antérieur médical, chirurgical ou psychiatrique. En ce qui concerne les souffrances, l'expert a tenu compte de la pénibilité dans laquelle la victime a vécu jusqu'à la consolidation de son état.

La cour retient que les conditions de l'accident, l'importance des conséquences tant au plan physique que neurologique et psychologique qui sont attestées par les nombreuses pièces médicales versées au débat et par l'expert judiciaire, mais également au plan social et familial alors que la victime était un jeune trentenaire, justifient que le préjudice au titre des souffrances endurées soit estimé à une valeur correspondant à la fourchette haute habituellement accordée pour un taux de 5/7. La cour infirmera donc le jugement sur ce point et, statuant à nouveau, allouera une somme de 35.000 euros à M. [T].

Sur le déficit fonctionnel temporaire

Les parties ne contestent pas les périodes et les taux de DFT retenus par l'expert.

Le tribunal a retenu une base de calcul de 25 euros et M. [T] revendique un taux journalier de 30 euros au regard de la jurisprudence qui a évolué, citant un arrêt de la présente cour, pour réclamer une somme de 18.342 euros au lieu d'une somme de 15.285 euros. M. [A] estime pour sa part que la base de calcul est habituellement basée sur la moitié du SMIC, entre 23 et 26 euros par jour, que la demande à 30 euros est très excessive et l'intimé propose donc la confirmation du jugement ayant retenu une base de 25 euros.

La cour estime qu'aucun argument suffisant n'est exposé pour justifier l'infirmation des premiers juges sur l'estimation de ce préjudice, sur une base de calcul médiane conforme aux sommes habituellement retenues et à la situation de M. [T] telle qu'elle est exposée. Le jugement sera donc confirmé sur ce préjudice fonctionnel temporaire.

Sur le préjudice sexuel

M. [T] fait valoir que l'expert a retenu une baisse de libido et une absence de toute relation sexuelle de quelque nature que ce soit, avec une anérection qui peut être partiellement en lien avec la prise des médicaments qui sont indispensables compte tenu de son état de santé. Il estime que l'allocation d'une somme de 15.000 euros, sans explication du tribunal, est insuffisante alors qu'il n'était âgé que de 30 ans'; qu'aujourd'hui âgé de 38 ans il n'a plus aucun moment intime avec son épouse, que les traitements tentés sont inefficaces ainsi que le relève notamment le docteur [V], psychiatre, dans un certificat du 19 novembre 2019, que les lourds traitements des séquelles de l'accident sont en lien avec son préjudice sexuel selon les nombreux comptes-rendus médicaux justifiés, comme le certificat du docteur [N] du 17 février 2022 (précisant que la dysfonction érectile est très probablement en lien avec le traitement médicamenteux à base de Risperdal, Laroxyl, Avlocardyl, le Tadalafil n'étant pas du tout efficace, le Viagra l'étant peut-être un peu plus, des injections intracaverneuses ou des installations de prostaglandines étant envisagées, une prescription de Sildenafil et de Vadernafil étant testé auparavant). L'appelant demande à ce titre une somme de 25.000 euros.

M. [A] réplique que le lien de causalité direct entre le préjudice allégué et l'accident n'est pas prouvé, que l'expert s'est borné à reproduire les doléances de M. [T] en ne se risquant pas à retenir un préjudice, que les doléances ne sont pas en lien direct avec l'accident, et que M. [T] ne justifie d'aucun examen médical spécialisé notamment d'un urologue. L'intimé demande le rejet de toute indemnisation du préjudice allégué.

La cour constate que, contrairement à ce qui est prétendu par l'intimé, l'expert judiciaire a bien retenu au titre du préjudice sexuel une baisse de libido et une absence de toute relation sexuelle s'accompagnant d'une anérection pouvant être partiellement en lien avec la prise des médicaments indispensables. De même, M. [T] a notamment consulté le docteur [N], en 2022, qui est un spécialiste de la médecine physique et de réadaptation, notamment sur ses difficultés d'ordre sexuelles, et il ne peut donc pas être reproché à l'appelant de n'avoir pas consulté un urologue. Il ressort des nombreuses pièces médicales versées au débat que ces difficultés sont apparues après l'accident, sont reliées expressément aux traitements imposés par l'état de santé de M. [T], et touchent bien à l'acte sexuel lui-même': à ce titre, le préjudice sexuel est établi. Les premiers juges n'ont pas apporté de précisions sur les motifs de la fixation du préjudice à 15.000 euros. Au regard du jeune âge de M. [T] et de l'impossibilité totale de relation sexuelle qui perdure dans le temps depuis l'accident, l'indemnisation accordée par les premiers juges apparaît insuffisante et sera infirmée pour être portée à 25.000 euros.

Sur le préjudice d'agrément

M. [T] critique le jugement qui l'a débouté de sa demande d'indemnisation à ce titre et fait valoir qu'il ne peut plus pratiquer d'activités sportives avec ses enfants qu'il accompagnait au football et à la boxe, et qu'il n'a plus la capacité de poursuivre la construction de sa maison, des témoins attestant qu'il se livrait régulièrement à des travaux de bricolage. Il demande donc une indemnisation à hauteur de 10.000 euros.

M. [A] rétorque que l'appelant ne présente toujours pas de pièce à l'appui de l'existence d'un loisir ou d'une activité sportive spécifique et que la construction de sa maison ne peut pas être entendue comme un sport ou un loisir. Il demande la confirmation du rejet de cette demande.

La cour constate que M. [T] ne justifie pas d'une activité sportive ou de loisir spécifique rendue impossible ou difficile après l'accident': l'accompagnement des enfants à leurs activités relève du déficit fonctionnel pris en charge par la rente majorée servie à la victime'; aucun élément ne vient avérer une activité sportive avec les enfants'; il n'est pas justifié suffisamment, par un simple témoignage imprécis, que M. [T] avait une activité de loisir spécifique en lien avec la construction de sa maison. A défaut de meilleurs justificatifs, la décision du tribunal doit être confirmée sur ce poste de préjudice.

Sur le préjudice d'établissement

M. [T] reproche aux premiers juges de l'avoir débouté de sa demande d'indemnisation alors qu'ils ont constaté le bouleversement de sa vie familiale et personnelle, et que les conséquences d'un handicap sur la pérennité d'un couple ou la modification du rôle au sein de la famille justifient un préjudice d'établissement. Il souligne qu'il n'est plus à même de remplir son rôle d'époux ni de s'occuper ou participer à l'éducation de ses enfants âgés de 10 ans, 7 ans et 6 mois lors de l'accident. Il fait état du témoignage d'un de ses enfants qui regrette leur vie d'avant car son père ne peut plus rien faire, ne supporte plus les bruits, les mouvements autour de lui, est très fatigué et ne l'accompagne plus à ses activités de loisir. M. [T] ajoute que son épouse supplée à son impotence et s'épuise à s'occuper de lui et de leurs trois enfants, et que leur entourage a décidé de s'éloigner compte tenu de ses troubles de comportement, limitant ainsi les moments de partage et de convivialité. Il se prévaut également d'un jugement de la commission d'indemnisation des victimes d'infraction qui, le 5 juillet 2022, a accordé des indemnités à sa femme et ses enfants pour des troubles dans les conditions d'existence et un préjudice d'affection. Il réclame donc 25.000 euros au titre de ce préjudice.

M. [A] rappelle la définition de ce préjudice qui exclut les seules difficultés à s'occuper de ses enfants, l'absence de justification d'un projet de vie, et la réalisation d'une vie de famille déjà établie.

La cour rappelle que ce préjudice doit être distingué du préjudice d'agrément et du préjudice sexuel, et que la difficulté d'assumer un rôle d'époux ou de père, en bouleversant la vie familiale et empêchant de faire des projets d'avenir ou en altérant le rôle tenu au sein de la cellule familiale, ne caractérise pas un préjudice distinct du déficit fonctionnel permanent indemnisé par la rente majorée qui est servie à M. [T]. Il ressort des explications et des pièces versées au débat que si la vie familiale a été bouleversée par l'état de santé dégradé de M. [T], il n'est pas fait état d'un projet précis qui aurait été en cours et qui serait empêché ou limité dorénavant, le rôle de celui-ci au sein de la cellule familiale ne pouvant être à lui seul considéré comme un projet de vie avorté ou rendu difficile et justifiant une indemnisation. Le jugement doit donc être confirmé sur le débouté de la demande d'indemnisation à ce titre.

Sur le préjudice permanent exceptionnel

M. [T] reproche le débouté de sa demande par le tribunal qui a estimé que sa perte d'identité n'était pas démontrée et que, s'il était fait état d'une très grande irritabilité menant à des épisodes agressifs contre l'épouse et les forces de l'ordre avec des conséquences dramatiques sur le plan social, ainsi que d'une altération du discernement reconnue, il n'était pas question dans les pièces versées au débat d'un sentiment de dépersonnalisation. M. [T] insiste sur le fait qu'il souffre d'un véritable préjudice identitaire et que ses troubles des fonctions cognitives entrainent une rupture de continuité de la pensée, du sentiment d'intégrité et d'identité et de la perception de la continuité de soi': dans le contexte de sa culture et du système de valeurs dans lequel il vit, en relation avec ses objectifs, attentes, normes et inquiétudes, il est très affecté, ayant l'impression de ne servir à rien et d'être en outre en permanence saoul, pas stable. Il ajoute que son instabilité sociale intensifie cette perte identitaire, qu'il se sent prisonnier d'une identité qui ne correspond pas à son histoire personnelle mais découle de ses séquelles neurologiques. L'absence d'activité physique et la prise de médicaments a également entraîné une prise de poids importante avec des troubles alimentaires et la prescription du port d'une canne. Il rappelle être régulièrement suivi sur le plan psychiatrique. Il sollicite une somme de 15.000 euros.

M. [A] réplique que ce poste de préjudice doit être distingué du préjudice fonctionnel, que l'expert ne l'a pas retenu dès lors qu'il n'a pas été évoqué, et que le préjudice évoqué relève d'un préjudice moral indemnisé par ailleurs. Il demande donc la confirmation du rejet de cette demande d'indemnisation.

La cour retient que, si l'expert judiciaire n'a pas évoqué de préjudice permanent exceptionnel dans sa conclusion, il a bien relevé lors de l'examen que M. [T], sur le plan psychiatrique, présente un trouble de l'humeur en lien avec une déchéance sociale, familiale et fonctionnelle, qu'il n'est plus le même qu'auparavant et n'est pas apte à effectuer un travail de deuil conséquent qui lui permettrait d'alléger son psychisme. Il ressort également d'une expertise psychiatrique ordonnée à l'occasion d'une procédure correctionnelle, réalisée par le docteur [L] [V] le 19 novembre 2019, que M. [T] présente depuis son accident de 2014 une irritabilité, une impulsivité, des troubles du comportement et une tendance au repli qu'on retrouve souvent chez les traumatisés crâniens, ainsi qu'un état dépressif post-traumatique et au final un trouble grave et patent de la personnalité post-traumatique qui a entraîné une altération de son discernement lors des faits alors poursuivis. Il résulte donc bien des pièces et des explications des parties que M. [T] souffre particulièrement des conséquences et séquelles de son accident du travail, qui ont totalement modifié son comportement et sa représentation personnelle, familiale, professionnelle et sociale. La cour estime par conséquent que M. [T], qui ne se reconnaît plus et n'avait pas les traits de caractère qui, notamment, l'ont conduit à être plusieurs fois poursuivi devant le tribunal correctionnel et à se retrouver incarcéré à la suite de violences, subit une perte d'identité, un état dépressif et un défaut de stabilité accompagné de tensions remettant en jeu son identité, tout cela alors qu'il n'était âgé que de 30 ans lors de l'accident du travail. C'est à tort que les premiers juges ont rejeté une demande d'indemnisation au titre de ce préjudice extrapatrimonial permanent, exceptionnel au regard de la nature de la personnalité de M. [T] et de la nature des conséquences engendrées par l'accident': le jugement sera réformé et il sera alloué à M. [T] l'indemnisation demandée à hauteur de 15.000 euros.

Sur l'assistance par tierce personne

La cour constate que les périodes et les nombres d'heures d'assistance fixés par l'expert judiciaire ne sont pas remis en cause.

M. [A] conteste l'évaluation faite par le tribunal sur une base journalière de 18 euros qui lui semble excessive. Il propose de retenir une base de 16 euros (soit une indemnité de 60.384 euros) si M. [T] justifie du recours à une aide extérieure, ou de 12 euros (soit une indemnité de 45.288 euros) si l'aide a été apportée par la famille ou l'épouse.

M. [T] répond qu'il est constamment rappelé par la jurisprudence que le recours à des aides familiales plutôt qu'à des aides extérieures ne doit pas être pris en compte dans le calcul du coût horaire de l'assistance, qui doit être calculé en fonction des besoins de la victime, en sachant que les pièces versées au débat démontrent bien son absence d'autonomie sur les périodes retenues par l'expert.

La cour retient que, mis à part le fait que M. [T] aurait eu recours à son entourage plutôt qu'à des personnels professionnels ou extérieurs, aucun argument ne vient justifier la contestation de l'estimation faite par les premiers juges, et que l'indemnité allouée au titre de l'assistance d'une tierce personne ne saurait être réduite du seul fait d'une assistance par un proche de la victime, étant précisé que le taux horaire retenu par le tribunal reste dans une fourchette basse au regard des indemnisations habituellement pratiquées. Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

Sur la demandes de remboursement de la [6]

La caisse demande que l'employeur soit condamné à lui rembourser les sommes dont elle sera amenée à faire l'avance, en ce compris les frais d'expertise, et le jugement qui avait statué en ce sens sera donc confirmé sur ce point.

Les parties ne discutent pas cette demande de remboursement concernant les sommes allouées par la cour, qui découle de l'application des dispositions du Code de la sécurité sociale. La cour précisera donc que les sommes allouées par la présente décision devront être versées par la caisse, conformément à ces dispositions, l'employeur devant les lui rembourser, étant précisé que la provision de 15.000 euros devra bien être déduite des sommes versées par la caisse au titre du jugement comme de l'arrêt de la cour.

Sur les frais irrépétibles

M. [T] demande la confirmation de la condamnation de M. [A] à lui verser 1.500 euros en première instance sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile. Cette demande n'est pas contestée en appel et le jugement sera confirmé sur ce point.

M. [A] sera condamné aux dépens de cette instance en appel.

L'équité et la situation des parties justifient que M. [T] ne supporte pas l'intégralité des frais qu'il a dû exposer pour faire valoir ses droits en appel, et M. [A] sera condamné à lui verser une somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement et publiquement, après en avoir délibéré conformément à la loi':

Confirme le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Vienne en date du 8 septembre 2021 en ce qu'il a':

- fixé à 3.341 euros le préjudice au titre de l'aménagement du logement, à 15.285 euros le déficit fonctionnel temporaire, et à 67.937 euros le préjudice au titre d'une assistance par tierce personne,

- débouté M. [O] [T] de sa demande d'indemnisation d'un préjudice d'agrément et d'un préjudice d'établissement,

- rappelé que la [6] fera l'avance des sommes allouées au titre des préjudices personnels,

- condamné M. [A] à rembourser la [6] les sommes avancées et les frais d'expertise de 840 euros,

- dit que les frais irrépétibles de M. [O] [T] seront pris en charge par M. [M] [A] dans la limite de 1.500 euros,

Infirme ce même jugement en ce qu'il a':

- fixé à 15.000 euros le préjudice de souffrances et à 15.000 euros le préjudice sexuel,

- débouté M. [O] [T] de sa demande d'indemnisation pour un préjudice permanent exceptionnel,

- condamné M. [M] [A] au paiement des sommes allouées pour un total de 101.563 euros après déduction de la provision de 15.000 euros,

Et statuant à nouveau,

Alloue à M. [O] [T] les sommes suivantes en réparation de son préjudice personnel :

- 35.000 euros au titre des souffrances endurées,

- 25.000 euros au titre du préjudice sexuel,

- 15.000 euros au titre de son préjudice permanent exceptionnel,

Fixe à 161 563 euros la somme globale devant revenir à M. [O] [T] en réparation des préjudices consécutifs à l'accident du travail du 4 décembre 2014.

Dit que la [6] versera directement ces sommes à M. [O] [T], après déduction de la provision de 15.000 euros déjà versée, et dit que M. [M] [A] devra rembourser lesdites sommes à cette caisse en application des dispositions du Code de la sécurité sociale,

Y ajoutant,

Condamne M. [M] [A] aux dépens de la procédure d'appel,

Condamne M. [M] [A] à payer à M. [O] [T] la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par M. Jean-Pierre Delavenay, président et par Mme Chrystel Rohrer, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le GreffierLe Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Ch.secu-fiva-cdas
Numéro d'arrêt : 21/04194
Date de la décision : 27/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-27;21.04194 ?
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