C4
N° RG 20/01375
N° Portalis DBVM-V-B7E-KNAY
N° Minute :
Copie exécutoire délivrée le :
la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC
la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE - CHAMBERY
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
Ch. Sociale -Section A
ARRÊT DU MARDI 04 OCTOBRE 2022
Appel d'une décision (N° RG 19/00175)
rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VIENNE
en date du 11 mars 2020
suivant déclaration d'appel du 19 mars 2020
APPELANT :
Monsieur [R] [M] [J]
né le 12 Mai 1979 à [Localité 5]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 3]
représenté par Me Josette DAUPHIN de la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC, avocat postulant inscrit au barreau de GRENOBLE,
et par Me Pascale REVEL de la SCP REVEL MAHUSSIER & ASSOCIES, avocat plaidant inscrit au barreau de LYON,
INTIMEE :
ASSOCIATION POUR L'ÉDUCATION RENFORCÉE (APLER), agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège,
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 1]
représentée par Me Alexis GRIMAUD de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE - CHAMBERY, avocat postulant inscrit au barreau de GRENOBLE,
et par Me Lucie KIEFFER, avocat plaidant inscrit au barreau de CLERMONT-FERRAND,
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Madame Valéry CHARBONNIER, Conseillère faisant fonction de Présidente,
Madame Gaëlle BARDOSSE, Conseillère,
Madame Isabelle DEFARGE, Conseillère,
DÉBATS :
A l'audience publique du 14 juin 2022,
Mme Valéry CHARBONNIER, Conseillère faisant fonction de Présidente, chargée du rapport, assistée de Mme Mériem CASTE-BELKADI, Greffière, en présence de M. Victor BAILLY, Juriste assistant près la Cour d'appel de GRENOBLE, a entendu les parties en leurs conclusions et plaidoiries, les parties ne s'y étant pas opposées conformément aux dispositionsde l'article 805 du code de procédure civile.
Puis l'affaire a été mise en délibéré au 04 octobre 2022, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.
L'arrêt a été rendu le 04 octobre 2022.
Exposé du litige :
M. [R] [M] [J] a été engagé en qualité de moniteur adjoint d'animation à compter du 13 avril 2017 dans le cadre d'un contrat à durée déterminée par l'Association Pour l'éducation Renforcée (ci-après dénomée APLER).
Entre les mois d'avril et juillet 2017, M. [J] a bénéficié de plusieurs contrats à durée déterminée, dont le dernier, conclu le 5 septembre 2017, s'est poursuivi en contrat à durée indéterminée à compter du 1er octobre 2017.
En octobre 2017, une plainte a été déposée auprès des services de police à l'encontre de M. [J] et une enquête préliminaire a été ouverte.
Cette plainte a été classée sans suite le 9 novembre 2017 pour absence d'infraction.
M. [J] a été convoqué à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement par courrier du 30 novembre 2017 et mis à pied à titre conservatoire.
Le 27 décembre 2017, M. [J] a été licencié pour faute grave.
M. [J] a saisi le conseil des prud'hommes de Lyon, en date du 20 mars 2018 afin de faire juger son licenciement comme dépourvu de cause réelle et sérieuse. Le conseil de prud'hommes de Lyon s'est déclaré territorialement incompétent et a transmis le dossier au conseil de prud'hommes de Vienne en date du 21 juin 2018.
Par jugement du 11 mars 2020, le conseil des prud'hommes de Vienne a :
- Dit et jugé que la mesure de mise à pied conservatoire prise à l'encontre de M. [J] par l'association pour l'éducation renforcée est parfaitement justifiée,
- Dit et jugé que le licenciement pour faute grave de M. [J] est fondé et justifié,
- Débouté M. [J] de ses demandes :
D'indemnité de préavis et de congés payés afférents,
De salaire pendant la période de mise à pied et congés payés afférents,
De dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
De dommages et intérêts pour perte de chance de l'obtention du diplôme de moniteur éducateur,
D'article 700 du Code de Procédure civile,
- Débouté l'association pour l'éducation renforcée de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Condamné M. [J] aux entiers dépens de l'instance.
La décision a été notifiée aux parties et M. [J] en a interjeté appel.
Par conclusions du 18 juin 2020, M. [J] demande à la cour d'appel de :
- Juger bien fondées ses demandes,
- Juger sans cause réelle et sérieuse son licenciement,
- Condamner l'association pour l'éducation renforcée à verser à M. [J] les sommes suivantes :
1153,78 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire,
115,38 euros au titre des congés payés afférents,
1716, 67 euros à titre de rappel d'indemnité compensatrice de préavis,
171, 97 euros au titre des congés payés afférents,
9000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sur le fondement de l'article 24 de la Charte Sociale Européenne ou, à tout le moins, la somme de 1 716, 67 euros nets à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article L. 1235-3 du Code du travail,
5 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour perte de chance d'obtention du diplôme de moniteur éducateur,
- Condamner l'association pour l'éducation renforcée à verser à M. [J] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Condamner l'association pour l'éducation renforcée aux entiers dépens de l'instance.
Par conclusions en réponse du 8 septembre 2020, l'Association pour l'éducation renforcée demande à la cour d'appel de :
A titre principal,
- Confirmer le jugement en ce qu'il a :
- Jugé que la mesure de mise à pied conservatoire prise à l'encontre de M. [J] par l'association pour l'éducation renforcée est parfaitement justifiée ;
- Jugé que le licenciement pour faute grave de M. [J] est fondé et justifié ;
- Débouté M. [J] de ses demandes :
D'indemnité de préavis et congés payés afférents,
De salaire pendant la période de mise à pied et congés payés afférents,
De dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
De dommages et intérêts pour perte de chance de l'obtention du diplôme de moniteur éducateur,
D'article 700 du Code de procédure civile,
Condamné M. [J] aux entiers dépens de l'instance,
- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté l'association pour l'éducation renforcée de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
A titre infiniment subsidiaire,
- Fixer les dommages et intérêts accordés conformément aux dispositions du Code du travail, c'est-à-dire à un niveau inférieur à un mois de salaire brut, en fonction des éléments fournis par M. [J],
En tout état de cause,
- Condamner M. [J] à payer et porter à l'association concluante, la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Condamner M. [J] aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 10 mai 2022.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux dernières conclusions déposées.
SUR QUOI :
Sur le bien-fondé du licenciement pour faute grave :
Moyens des parties :
M. [J] soutient que son licenciement pour faute grave est dépourvu de cause réelle et sérieuse. Il déclare qu'en matière de faute grave, la charge de la preuve incombe exclusivement à l'employeur et qu'il ne démontre pas pas les prétendues fautes alléguées. Il ajoute que l'association ne démontre pas qu'il a commis une faute d'une gravité telle qu'elle empêchait la poursuite du contrat de travail. Par ailleurs, M. [J] soutient qu'il a toujours donné pleine satisfaction à son employeur et qu'il n'a jamais été destinataire d'aucune sanction disciplinaire.Il fait également valoir que les salariés de l'association le décrivent comme étant « respectueux », « courtois », « professionnel », « bienveillant », « calme », « constant », non violent.
M. [J] conteste les accusations portées à son encontre par l'association selon lesquelles :
- il aurait tenu des propos humiliants et intimidants envers les jeunes accueillies par l'association,
- il aurait donné une sanction à une jeune fille,
- il aurait manqué à son devoir de neutralité,
- il aurait adopté des gestes inconvenants à l'égard d'une mineure.
S'agissant des propos humiliants et intimidants, M. [J] soutient qu'il a toujours fait preuve de professionnalisme et de respect à l'égard tant des mineures que du personnel de l'association.
Il ajoute que l'employeur, sur qui repose la charge de la preuve s'agissant d'une faute grave, ne rapporte pas la preuve de ce grief. En effet, il fait valoir que le « compte-rendu d'entretien avec le psychologue » n'est ni daté, ni signé, qu'on ignore qui l'a rédigé et que l'emploi du conditionnel suggère qu'il ne s'agit pas de faits avérés. De plus, M. [J] fait valoir que son supérieur hiérarchique atteste que ce type de rapport éducatif ne peut être probant devant une juridiction puisque ces rapports ne permettent pas «d'affirmer des vérités » mais seulement « d'émettre des hypothèses ». Enfin, il déclare que les propos tenus par les jeunes filles (délinquantes placées par un juge des enfants), dès lors qu'ils ne sont confirmés par aucun élément objectif, doivent être examinés avec circonspection et ne sauraient constituer des témoignages irréfutables.
S'agissant de la sanction donnée à une jeune fille, M. [J] déclare ne pas se souvenir d'avoir demandé à [Z] de rédiger un écrit pour s'excuser de son comportement à son égard.
Il ajoute qu'aucune preuve n'est rapportée par l'employeur s'agissant de la réalité de cet événement et de son imputabilité. En effet, la seule pièce communiquée par l'association (« extrait du cahier de liaison ») ne concerne pas M. [J] qui n'est cité à aucun moment. M. [J] fait également valoir que les pages ne se suivent pas, que les phrases sont coupées et qu'on ignore qui en est / en sont le(s) auteur(s).
S'agissant du manquement au devoir de neutralité, M. [J] dément avoir mis en relation des mineures avec un collègue de travail (M. [C]) par l'intermédiaire de son téléphone portable.
Il ajoute que l'employeur n'établit pas la matérialité du grief invoqué. En effet, on ignore par qui et dans quelles circonstances le compte-rendu d'entretien avec le psychologue a été rédigé. De plus l'auteur rapporte des faits auxquels il n'a pas personnellement assisté. Enfin, la cour ne saurait se référer aux seuls dires des adolescentes en difficulté.
Enfin M. [J] dément avoir eu des gestes inconvenants à l'égard d'une mineure ([Z]). Il ressort de l'enquête pénale que [Z] a reconnu devant les services de police qu'elle avait effectivement menti (« Il est innocent et n'a jamais rien fait ni avec moi ni avec les autres filles ).La plainte a été classée sans suite.
Par ailleurs, le salarié soutient que l'association n'a pas tenu ses engagements. En effet, dans une note d'incident, le chef de service avait indiqué à la juge des enfants que si les propos de la mineure étaient diffamatoires, alors « le maintien de cette dernière dans l'établissement ne serait plus possible au-delà de la procédure de mise à pied conservatoire, qui devra, de fait, réintégrer le salarié ».
Enfin, le salarié déclare que si la Cour devait conclure à l'existence d'une faute simple, le licenciement serait également requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse puisqu'il ressort de la convention collective applicable qu'aucun licenciement ne peut intervenir sans que le salarié n'ait fait l'objet de deux sanctions disciplinaires au minimum et au préalable. Or, M. [J] n'a jamais fait l'objet d'aucune sanction disciplinaire.
L'employeur fait valoir, pour sa part, que l'administration de la preuve n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties.
Il ajoute qu'il ressort des pièces versées au dossier que les faits reprochés à M. [J] sont avérés, notamment :
- Un manquement au devoir de neutralité,
- Des propos humiliants et dénigrants,
- Une sanction donnée par M. [J] à une jeune fille,
- Des gestes inconvenants à l'égard d'une jeune fille.
S'agissant du manquement au devoir de neutralité, l'APLER fait valoir que [Z] et [Y] attestent que M. [J] les a mis en relation téléphonique avec [G] afin que ces dernières changent de version.Il ajoute que les jeunes filles ont confirmé, en présence du chef de service, de la psychologue, de la coordinatrice pédagogique, du directeur et des gendarmes « avoir eu [G] au téléphone par l'intermédiaire » de M. [J].M. [J] se rendant ainsi coupable d'insubordination.
S'agissant des propos humiliants et dégradants, l'association fait valoir que les jeunes filles ont déclaré aux services de gendarmerie que M. [J] avait eu des discours dénigrants et humiliants vis-à-vis de [F] et [Z].
S'agissant de la sanction infligée par M. [J] à une jeune fille, l'employeur fait valoir qu'il n'est pas contesté que M. [J] a demandé à [Z] de rédiger un texte sur son état de santé psychique. Cette demande a placé [Z] en situation de souffrance et cette dernière en a fait part au reste de l'équipe éducative, qui a retransmis ses inquiétudes sur le cahier de liaison.
En outre, l'employeur déclare que M. [J] ne produit aucune pièce aux débats de nature à convaincre que les faits ne sont pas avérés.
Il soutient que:
- Le fait que M. [J] se montre « intéressé », « observateur », à « l'écoute de ses collègues », n'est pas de nature à démontrer que les faits ne seraient pas avérés,
- Les attestations versées aux débats par M. [J] ne démontrent rien quant à l'objet du litige,
- Le responsable de service, M. [B], n'a pas présenté M. [J] comme « un professionnel avéré » puisqu'il ne le connaissait que peu,
- M. [J] reconnaissait être « connu de la justice », « pour une gifle portée à [son] ex-femme et apparemment des soucis avec [son] ancien Bar où des stupéfiants auraient été trouvés dedans».
S'agissant des gestes inconvenants à l'égard de [Z], l'association soutient que c'est la dénommée [Y] qui a informé l'éducateur de garde des échanges qu'elle aurait eu avec [Z] selon lesquels cette dernière n'aurait pas nié faire des faveurs sexuelles à M. [J]. Elle ajoute que [Y] n'est jamais revenue sur sa déclaration alors même qu'elle a fait l'objet de pression.
En outre, elle déclare que le seul fait que [Z] se soit rétractée ne permet pas d'affirmer qu'elle a menti. De plus, l'employeur affirme que M. [J] a menacé [Z] de bien plus qu'une gifle si elle parlait. Enfin, l'employeur fait valoir que [Z] n'est pas la seule mineure ayant témoigné de la réalité des faits reprochés à M. [J] et que le classement sans suite n'a pas l'autorité de la chose jugée.
Concernant le compte-rendu d'entretien avec la psychologue, l'association fait valoir qu'elle verse aux débats l'attestation de M. [B] qui indique que ce document a été rédigé par Mme [H] [N] (psychologue) et que M. [J] n'apporte aucun élément permettant de le remettre en cause. L'employeur affirme par ailleurs qu'en matière prud'homale, la preuve est libre et qu'ainsi rien ne s'oppose à ce que le juge prud'homal examine une attestation établie par un salarié.
De plus, l'association affirme que l'usage du conditionnel dans la rédaction des écrits éducatifs est propre au secteur sanitaire et social. Elle ajoute, que ce soient la psychologue, le chef de service, le directeur de l'association, la coordinatrice pédagogique, tous, avec leur expérience, leur compétence, leur ancienneté, ont estimé que les propos des jeunes filles étaient cohérents et concordants et dignes de foi.
Concernant le placement de [Z] dans un autre centre, l'association soutient que cette hypothèse a été écartée par l'ensemble de l'équipe éducative, qui a jugé que les faits n'étaient pas incompatibles avec sa prise en charge.
En outre, l'association déclare que dénigrer des mineurs en situation de grande souffrance, les encourager à cacher la vérité et à « couvrir un comportement déviant » n'est pas l'attitude attendue d'un moniteur adjoint d'éducation. Il s'agit même d'un acte de maltraitance. Enfin, l'employeur soutient que M. [J] s'est comporté non pas comme un adulte référent et structurant, mais comme un mineur délinquant ce qui justifie qu'il ait été mis un terme immédiat à son contrat de travail.
Sur ce,
Il est de principe que la faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien de l'intéressé au sein de l'entreprise même pendant la durée du préavis. La mise en 'uvre de la procédure de licenciement doit intervenir dans un délai restreint après que l'employeur a eu connaissance des faits fautifs mais le maintien du salarié dans l'entreprise est possible pendant le temps nécessaire pour apprécier le degré de gravité des fautes commises. L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.
La gravité de la faute s'apprécie en tenant compte du contexte des faits, de l'ancienneté du salarié et des conséquences que peuvent avoir les agissements du salarié et de l'existence ou de l'absence de précédents disciplinaires. L'existence d'un préjudice subi par l'employeur en conséquence du comportement reproché au salarié n'est pas une condition de la faute grave.
Selon les articles L. 1232-1 et L. 1232-6 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, énoncée dans une lettre notifiée au salarié. Cette lettre, qui fixe les limites du litige doit exposer des motifs précis et matériellement vérifiables, permettant au juge d'en apprécier la réalité et le sérieux.
Aux termes du courrier du 27 décembre 2017, M. [J] a été licencié pour faute grave pour avoir :
demandé, alors qu'il avait été mis à pied, à un collègue éducateur, M. [A] [P], de « sortir » une note d'incident du 27 octobre 2017 sur laquelle le nom du salarié était mentionné et son attitude mise en cause,
demandé à l'une des adolescentes du CER, [Z], de lui rendre un écrit d'excuse de cinq pages,
insulté et tenu des jugements de valeur sur les adolescentes du CER,
adopté des gestes inconvenants avec une adolescente du CER,
manqué à son devoir de neutralité en mettant en relation plusieurs adolescentes avec un autre éducateur, M. [C], alors que celui-ci était mis à pied à titre conservatoire concernant des faits relatifs à ces adolescentes, cela dans le but d'inciter ces dernières à revenir sur leurs allégations à l'encontre de M. [C].
S'agissant du premier grief, l'APLER verse aux débats un courriel de M. [A] [P] du 4 décembre 2017 adressé à M. [B], chef de service éducatif, dans lequel M. [P] confirme qu'il a reçu le 2 décembre à 13h54 un appel téléphonique de M. [J], au cours duquel celui-ci lui aurait dit avoir reçu un courrier de convocation à un entretien, qu'il était en difficulté, et lui aurait demandé de récupérer pour lui dans le bureau des éducateurs une note d'incident le concernant, ce que M. [P] dit avoir a refusé de faire. Ce courriel, du principal intéressé, précis et circonstancié, est suffisamment probant pour établir la matérialité du fait reproché à M. [J].
S'agissant du deuxième grief invoqué par l'employeur,à savoir, avoir demandé à l'une des adolescentes du CER, [Z], de lui rendre un écrit d'excuse de cinq pages, l'APLER produit plusieurs pages manuscrites du cahier de liaison du CER pour la nuit du 17 au 18 novembre, desquelles il ressort qu'il a été demandé à l'une des adolescentes, [Z], de rédiger un écrit concernant son « son soin psychique », mais que l'adolescente « ne comprend pas ce qui est attendu et (') n'est pas en capacité d'élaborer sur sa santé psychique. Elle est inquiète de cela ».
Il est constant que M. [J] n'est visé ni directement ni indirectement dans ce passage.
L'APLER, qui n'apporte aucune précision sur l'auteur de ce passage du carnet de liaison, et ne produit aucune attestation de son auteur, ne démontre pas que M. [J] serait à l'origine de cette demande adressée à l'adolescente. En outre, l'APLER, qui indique dans la lettre de licenciement, que M. [J] aurait reconnu lors de l'entretien préalable du 12 décembre 2017, ce que le salarié conteste, avoir demandé à [Z] de lui rendre un écrit de cinq pages pour « s'excuser de son comportement », ne produit aucun compte rendu de l'entretien préalable, ni aucune attestation des autres personnes présentes, permettant d'étayer ces allégations.
Dès lors, les éléments produits par l'APLER sont insuffisants pour établir que M. [J] serait à l'origine de la punition adressée à l'adolescente concernée. Ce fait n'est pas établi.
S'agissant des insultes adressées à plusieurs adolescentes du CER, l'APLER produit un compte-rendu d'entretiens avec les adolescentes concernées, dans lequel il est fait état de propos injurieux tenus par M. [J] à l'encontre de plusieurs d'entre elles. Il n'est pas contestable que ce compte-rendu, qui précise que les entretiens ont eu lieu les 4 et 5 décembre 2017, n'est ni daté ni signé. Si l'APLER produit une attestation de M. [B], chef de service, qui atteste que le rapport en question a été rédigé par Mme [H] [N], psychologue clinicienne du CER, ce seul élément est insuffisant pour établir l'authenticité du rapport produit.
Au surplus, les propos des adolescentes rapportés dans le compte-rendu ne sont corroborés par aucun autre élément versé aux débats, aucune des attestations des adolescentes concernées produites ne faisant mention des insultes et des propos prêtés à M. [J]. En conséquence, ce fait non établi, ne peut être retenu à l'encontre du salarié.
S'agissant des gestes inconvenants que le salarié aurait adoptés à l'égard de l'une des adolescentes, prénommée [Z], il ressort de l'enquête préliminaire versée aux débats que le parquet du Tribunal de grande instance de Vienne a classé l'affaire sans suite au motif de l'absence d'infraction. L'APLER ne verse aux débats aucun élément permettant de retenir que les faits reprochés à M. [J] à l'encontre de [Z] se seraient bien produits. Dès lors, à défaut d'être établi par l'employeur, ce fait ne peut être retenu contre M. [J] pour justifier son licenciement et doit être écarté.
S'agissant enfin du grief d'avoir manqué à son devoir de neutralité en mettant en relation plusieurs adolescentes avec un autre éducateur (M. [C]), alors que celui-ci était mis à pied à titre conservatoire concernant des faits relatifs à ces adolescentes, cela dans le but d'inciter ces dernières à revenir sur leurs allégations à l'encontre de M. [C], l'APLER verse aux débats :
Un texte manuscrit daté du 5 décembre portant la signature de l'une des adolescentes concernées, du prénom de [Y], dans lequel celle-ci indique que M. [J] est venu dans sa chambre le samedi 25 novembre 2017 pour lui dire que M. [C] souhaitait lui parler, qu'elle a accepté d'avoir une conversation avec lui en utilisant le téléphone de M. [J], et que M. [C], lors de cette conversation, lui a demandé de se rendre dans le bureau de M. [B] pour faire un scandale et de dire qu'elle-même, [Z], et [F] avaient menti, qu'il s'agissait d'un complot et qu'elle souhaitait changer sa version,
Un texte manuscrit daté du 5 décembre 2017 mentionnant le prénom « [O] », mais présenté dans le bordereau de pièces de l'APLER sous l'intitulé « attestation [Z] », duquel il ressort que M. [J], lors d'une séance de nettoyage de pinceaux, a passé à l'adolescente son téléphone en lui disant que quelqu'un souhaitait lui parler, qu'il s'agissait de M. [C], lequel lui aurait demandé de changer sa version lors de sa déposition à la gendarmerie. L'auteur du texte ajoute qu'elle a répondu à M. [C] qu'elle ne changerait pas sa version, mais que se sentant sous pression, elle a un peu défendu M. [C] à la gendarmerie,
Une attestation de Mme [I] [U] datée du 18 janvier 2018, qui se présente comme coordinatrice pédagogique à l'APLER, et indique avoir vu en entretien individuel l'ensemble des jeunes filles ayant été témoins ou victimes des pressions de M. [J] dans le cadre de la mise à pied à titre conservatoire de M. [C] pour des faits de maltraitance. Mme [U] expose que les entretiens avec les adolescentes étaient cohérents les uns avec les autres et semblaient tous sincères, et qu'elle a reçu ensuite l'ensemble des adolescentes pour confronter leur point de vue, en leur rappelant la gravité d'un faux témoignage, mais qu'aucune n'a souhaité revenir sur sa version des faits.
Le salarié ne verse aux débats aucun élément permettant de contredire ces différentes attestations. Le fait que [Z] ait pu revenir sur ses allégations dans le cadre de l'enquête concernant une « possible relation sexuelle » entre lui et ladite adolescente, n'est pas un motif suffisant pour écarter son attestation s'agissant de la mise en relation avec M. [C], dès lors que celle-ci est corroborée par une attestation d'une autre mineure rendant compte de faits similaires, et par l'attestation de la coordinatrice pédagogique qui indique avoir entendu l'ensemble des adolescentes concernées, et que toutes tenaient des discours cohérents et concordants.
Dès lors, l'ensemble de ces éléments, concordants et précis, sont suffisants pour retenir que M. [J] a bien cherché à intercéder en faveur de M. [C] en mettant en relation par son téléphone portable plusieurs des adolescentes concernées avec celui-ci, dans le cadre de la mise à pied à titre conservatoire de ce dernier.
Ainsi, l'employeur établit que le salarié a par deux fois tenté d'interférer dans une procédure disciplinaire initiée par son employeur, soit qu'elle concernait l'un de ses collègues, soit qu'elle la concernait directement. En cherchant à intervenir dans le déroulement de la procédure disciplinaire, laquelle relève du pouvoir de l'employeur, dans le but manifeste d'en biaiser l'issue, M. [J] a adopté un comportement fautif.
Ces tentatives, qui impliquaient notamment d'obtenir d'autres personnes qu'elles accomplissent des actes eux-mêmes condamnables (la subtilisation d'un document de l'entreprise concernant la procédure disciplinaire le concernant, de faux témoignages des adolescentes placées dans le centre, en les mettant en relation avec un autre éducateur mis à pied à titre conservatoire pour des faits de violence à leur encontre), sont d'une gravité telle qu'elles rendaient impossibles le maintien du salarié dans l'entreprise.
L'employeur justifie ainsi de faits imputables au salarié et démontre leur gravité. Le licenciement pour faute grave de M. [J] est en conséquence justifié. Le jugement entrepris est confirmé de ce chef.
Dès lors, les demandes du salarié de rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire, d'indemnité compensatrice de préavis, et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sont rejetées, par confirmation du jugement déféré de ces chefs.
Il y a également lieu de rejeter la demande de M. [J] de dommages et intérêts pour perte de chance d'obtention du diplôme de moniteur éducateur, celle-ci étant fondée sur le caractère abusif du licenciement du salarié. Le jugement dont appel est également confirmé de ce chef.
Demandes accessoires :
Il y a lieu de confirmer le jugement entrepris sur les frais irrépétibles et les dépens.
M. [J], partie perdante, est condamné aux dépens d'appel et à payer à l'APLER la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, cette condamnation emportant nécessairement rejet de sa demande formulée à ce titre.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant publiquement et contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
CONFIRME le jugement déféré dans toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes,
CONDAMNE M. [J] à payer à l'Association Pour L'éducation Renforcée (APLER) la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
CONDAMNE M. [J] aux dépens d'appel.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Valéry CHARBONNIER, Conseillère faisant fonction de Présidente, et par Madame Mériem CASTE-BELKADI, Greffière, à qui la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.
La Greffière, La Conseillère faisant fonction de Présidente,