La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/09/2022 | FRANCE | N°20/00916

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Ch. sociale -section a, 20 septembre 2022, 20/00916


C1



N° RG 20/00916



N° Portalis DBVM-V-B7E-KL3T



N° Minute :

















































































Copie exécutoire délivrée le :





Me Frédéric MATCHARADZE



la SELARL LEGER ANDRE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


<

br>COUR D'APPEL DE GRENOBLE



Ch. Sociale -Section A

ARRÊT DU MARDI 20 SEPTEMBRE 2022





Appel d'une décision (N° RG F 19/00164)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VALENCE

en date du 30 janvier 2020

suivant déclaration d'appel du 19 Février 2020



APPELANT :



Monsieur [T] [H]

né le 31 Octobre 1961 à [Localité 4]

de nationalité Française

[Adress...

C1

N° RG 20/00916

N° Portalis DBVM-V-B7E-KL3T

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée le :

Me Frédéric MATCHARADZE

la SELARL LEGER ANDRE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

Ch. Sociale -Section A

ARRÊT DU MARDI 20 SEPTEMBRE 2022

Appel d'une décision (N° RG F 19/00164)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VALENCE

en date du 30 janvier 2020

suivant déclaration d'appel du 19 Février 2020

APPELANT :

Monsieur [T] [H]

né le 31 Octobre 1961 à [Localité 4]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 2]

représenté par Me Frédéric MATCHARADZE, avocat au barreau de CHAMBERY,

INTIMEE :

S.A.R.L. PKM LOGISTIQUE, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège,

[Adresse 5]

[Localité 3]

représentée par Me Delphine ANDRE de la SELARL LEGER ANDRE, avocat postulant inscrit au barreau de GRENOBLE,

et par Me Sophie LANCKRIET, avocat plaidant inscrit au barreau de COMPIEGNE,

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Madame Valéry CHARBONNIER, Conseillère faisant fonction de Présidente,

Madame Gaëlle BARDOSSE, Conseillère,

Madame Magali DURAND-MULIN, Conseillère,

DÉBATS :

A l'audience publique du 31 Mai 2022,

Mme Gaëlle BARDOSSE, Conseillère chargée du rapport, assistée de Mme Mériem CASTE-BELKADI, Greffière, a entendu les parties en leurs conclusions et plaidoiries, les parties ne s'y étant pas opposées conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile.

Puis l'affaire a été mise en délibéré au 20 septembre 2022, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.

L'arrêt a été rendu le 20 Septembre 2022.

Exposé du litige :

M. [H] a été engagé en qualité de conducteur routier à compter du 5 octobre 2015 par la société PKM LOGISTIQUE dans le cadre d'un contrat à durée déterminée avec un terme fixé au 6 avril 2016.

Par avenant du 7 avril 2016, il a été convenu que le contrat de travail se poursuivrait selon un contrat à durée indéterminée.

M. [H] a pris acte de la rupture de son contrat de travail par courrier du 26 avril 2018.

M. [H] a saisi le Conseil des prud'hommes de Valence, le 6 mars 2019, pour solliciter le paiement d'un rappel de salaire au titre d'heures supplémentaires, de l'information tardive sur les congés payés, du défaut d'information sur le repos compensateur et de la violation de la durée du temps de travail ainsi que d'une demande aux fins de voir jugé que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail produit l'effet d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et obtenir la condamnation de l'employeur au paiement des indemnités afférentes.

Par jugement du 30 janvier 2020, le conseil des prud'hommes de Valence a :

Débouté M. [H] de l'ensemble de ses demandes.

Débouté la société PKM LOGISTIQUE de l'ensemble de ses demandes.

Mis les dépens de l'instance à la charge de M. [H].

La décision a été notifiée aux parties et M. [H] en a interjeté appel.

Par conclusions du 19 mai 2020, M. [H] demande à la cour d'appel de :

Dire et juger ses demandes et son appel recevables et bien fondés ;

Réformer le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Valence le 30 janvier 2020 de l'intégralité de ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté la société PKM LOGISTIQUE de l'ensemble de ses fins, demandes, moyens et prétentions ;

Fixer à 2 664,09 le salaire moyen de référence ;

Condamner la société PKM LOGISTIQUE à payer à M. [H] les sommes suivantes :

Une indemnité d'un montant de 616,87 euros au titre de l'information tardive s'agissant de la prise des congés payés ;

Un rappel de salaire d'un montant de 5 081,86 euros, outre 508,19 euros de congés payés afférents, au titre des heures supplémentaires impayées ;

Une indemnité d'un montant de 15 984,54 euros au titre du travail dissimulé ;

Une indemnité d'un montant net de 1 622,32 euros au titre du défaut d'information sur les droits à repos compensateur ;

Une indemnité d'un montant de 1 500 euros au titre de la violation de la durée de travail maximale hebdomadaire ;

Une indemnité d'un montant de 6 100 euros au titre de la violation de la durée maximale de travail quotidienne ;

Dire et juger que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail notifié le 26 avril 2018 produit les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

Condamner en conséquence la société PKM LOGISTIQUE à lui payer les sommes suivantes:

Une indemnité compensatrice de préavis d'un montant de 5 328,18 euros, outre 532,82 euros de congés payés afférents ;

Une indemnité de licenciement d'un montant de 1 818,24 euros ;

Une indemnité d'un montant de 21 300 euros au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Condamner la société PKM LOGISTIQUE à transmettre à M. [H] une attestation Pôle emploi rectifiée ainsi que des bulletins de paie rectifiés sur l'ensemble de la période considérée, tenant compte de la décision à intervenir ;

Dire et juger que cette condamnation sera assortie d'une astreinte de 50,00 euros par jour de retard, pour l'ensemble des documents, passé un délai de 15 jours suivant le délibéré ;

Dire et juger que la Cour se réservera le droit de liquider ladite astreinte ;

Condamner la société PKM LOGISTIQUE à payer à M. [H] une somme de 2 520 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, au titre des frais exposés en première instance ;

Condamner la société PKM LOGISTIQUE à payer à M. [H] une somme de 2 400 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, au titre des frais exposés en cause d'appel ;

Condamner la société PKM LOGISTIQUE aux entiers dépens de l'instance et d'exécution, dont notamment les éventuels droits proportionnels de recouvrement.

Par conclusions du 23 septembre 2020, la société PKM LOGISTIQUE demande à la cour d'appel de :

Recevoir la société PKM LOGISTIQUE en ses demandes, fins et prétentions ;

Confirmer le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de Valence le 30 janvier 2020 en ce qu'il a débouté M. [H] de l'ensemble de ses demandes ;

Infirmer le même jugement en ce qu'il a débouté la SARL PKM LOGISTIQUE de ses demandes ;

Débouter M. [H] de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la SARL PKM LOGISTIQUE.

Fixer le salaire moyen de référence à la somme de 2 361,16 euros, ou, à titre subsidiaire, la somme de 2 449,79 euros.

Condamner M. [H] à payer à la SARL PKM LOGISTIQUE la somme de 5 335,34 euros au titre des découchés indûment perçues.

Condamner M. [H] à payer à la SARL PKM LOGISTIQUE la somme de 2 021,55 euros au titre des heures supplémentaires indûment versées.

Condamner M. [H] à payer à la SARL PKM LOGISTIQUE la somme de 2 389,62 euros au titre de la surconsommation injustifiée de gasoil pour l'année 2017.

Condamner M. [H] à payer à la SARL PKM LOGISTIQUE une somme pour mémoire au titre de la surconsommation injustifiée de gasoil pour les années 2015, 2016 et 2018.

Condamner M. [H] à payer à la SARL PKM LOGESTEQUE la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance en vertu de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamner M. [H] à payer à la SARL PKM LOGISTIQUE la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel en vertu de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamner M. [H] aux entiers dépens de l'instance.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 avril 2022.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux dernières conclusions déposées.

SUR QUOI :

Sur la demande d'indemnité au titre des congés payés :

Moyens des parties :

M. [H] fait valoir que son employeur lui a imposé à la dernière minute, sans respect du délai légal d'un mois, la prise de jour de congés payés les 24 décembre 2015 et 6 mai 2016 et l'a placé en congés payés du 26 au 29 décembre 2016. Il n'a ainsi pas pu utiliser effectivement son droit à congés. Le fait qu'il ait transmis ses demandes de congés par courriel au lieu de remplir le formulaire prévu n'a aucun rapport avec la fixation de jours de congés payés par l'employeur de manière abusive.

La Société PKM LOGISITQUE expose que la règle instaurée au sein de la société était celle de l'émission par le salarié d'une demande de congés mais M. [H], qui demandait régulièrement des congés, refusait de remplir le formulaire de congés prévu à cet effet. Les congés payés du 24 décembre 2015 et du 6 mai 2016 lui ont permis de bénéficier d'une plus longue période de repos puisqu'ils précédaient des jours fériés et le défaut de preuve écrite résulte du comportement fautif de M. [H] qui a refusé de remplir la demande de congé. Les chauffeurs disposent de leur planning à l'avance et sont dans l'obligation de télécharger une application sur leur téléphone leur permettant notamment de visualiser leur planning. Enfin, M. [H] ne démontre pas l'existence d'un abus de l'employeur, pas plus qu'un préjudice né de cet abus.

Réponse de la cour :

Il résulte des dispositions des articles L.3147-1 et D. 3141-5 et suivants du code du travail que tout salarié du secteur privé a droit, chaque année, à un congé payé à la charge de l'employeur. Il appartient à l'employeur de prendre les mesures nécessaires pour permettre au salarié d'en bénéficier. Corrélativement, le salarié à l'obligation de prendre ses congés. À défaut il ne saurait réclamer aucune indemnisation.

Il incombe à l'employeur de prouver qu'il a bien satisfait à ses obligations d'information des salariés sur la période de prise des congés et sur l'ordre des départs. À défaut, il est condamné à réparer le préjudice subi par le salarié.

Le droit aux congés payés doit s'exercer en nature et chaque année. Ni l'employeur ni le salarié ne peut exiger le report de tout ou partie des congés sur l'année suivante sauf dispositions conventionnelles plus favorables et accord des parties. Cet accord ne peut résulter du simple silence de l'employeur à la suite d'une demande de report du salarié.

La période de prise de congés est fixée par la convention collective applicable à l'établissement ou à défaut par l'employeur après avis le cas échéant des délégués du personnel. Elle comprend obligatoirement la période du 1er mai au 31 octobre de chaque année.

A l'intérieur de la période de congés, à moins que l'ordre des départs ne résulte de la convention collective ou des usages, cet ordre est fixé par l'employeur. La période de prise des congés payés est portée par l'employeur à la connaissance des salariés au moins deux mois avant l'ouverture de cette période.

En application des dispositions de l'article D.3141-16 du même code, l'ordre des départs en congé doit être communiqué à chaque salarié un mois avant son départ, et affiché dans les locaux normalement accessibles aux salariés (article D.3141-6 du Code du travail). L'employeur qui n'observe pas ce délai est redevable de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par le salarié.

Il est de jurisprudence constante que pour autant l'accomplissement de ces formalités ne saurait épuiser les obligations de l'employeur en la matière car, compte tenu du souci de protection efficace de la sécurité et de la santé du salarié, de l'exigence d'effectivité d'un droit à congés, il doit plus largement faire preuve d'une vigilance particulière dans le cadre de l'organisation, la préparation et la prise des congés auxquels le salarié peut prétendre, afin que ce dernier puisse effectivement faire usage de ses droits.

En l'espèce, sur les modalités de prise de congés des salariés, la Société PKM LOGISTIQUE allègue qu'au sein de la société, le salarié émet une demande de congé et que M. [H] aurait refusé de remplir le formulaire en question. Cependant, le formulaire de demande n'est pas produit et aucune pièce n'est versée pour confirmer un quelconque refus du salarié.

L'employeur verse en effet uniquement un mail d'avril 2018 émanant du salarié et par lequel il formule une demande pour des congés du 24 décembre 2018 au 1er Janvier 2019. Outre le fait que cette demande n'apparaît pas tardive, cette seule pièce ne peut suffire à démontrer le refus du salarié de remplir le document idoine.

Il convient en conséquence de relever que la société PKM LOGISTIQUE, qui ne conteste pas avoir imposé au salarié une prise de congé, ne démontre pas l'existence de circonstances exceptionnelles qui justifiaient de lui imposer ses congés du 06 mai 2016 et du 26 décembre au 29 décembre 2016.

Cependant, M. [H], qui ne démontre pas, ne pas avoir pris les congés en question, ne justifie d'aucun préjudice résultant des dates imposées par l'employeur qui doit, en tout état de cause, s'assurer d'une prise effective des congés des salariés.

Par voie de confirmation de la décision déférée, il convient de rejeter la demande de dommages et intérêts formulée de ce chef par M. [H].

Sur les heures supplémentaires et le travail dissimulé :

Moyens des parties :

M. [H] fait valoir avoir accompli des heures supplémentaires non rémunérées. Il expose que :

Il n'a jamais reçu de synthèse d'activité mensuelle bien que l'employeur ait l'obligation d'en transmettre une, annexée au bulletin de paie et la durée des temps de conduite et la durée des temps de service autres que la conduite sont absentes des bulletins de paie. L'employeur a été alerté sur l'absence de transmission des synthèses d'activité mensuelle par des salariés qui l'ont également alerté sur le fait que les documents en leur possession démontraient que des heures de travail n'étaient pas prises en compte. L'inspecteur du travail a également rappelé à l'employeur son obligation d'annexer systématiquement au bulletin de salaire de ses conducteurs le document de décompte de la durée de travail.

Les salaires étaient payés sous la forme d'un forfait, en dehors de toute convention de forfait, et les heures effectivement réalisées n'étaient pas payées et son contrat de travail ne prévoyait pas de rémunération au-delà de 220 heures de travail effectives. Certains mois, il n'a pas bénéficié du taux horaire minimal prévu par la convention collective et l'employeur n'a pas intégré la prime de week-end dans le taux horaire appliqué aux heures supplémentaires.

Son employeur n'a jamais écrit le moindre courrier pour se plaindre d'une prétendue mauvaise manipulation de sa part du sélecteur du chronotachygraphe pendant la relation de travail ni même après. Au surplus, il était totalement autonome et indépendant dans la réalisation de ses tournées et le tableau fourni par l'employeur, qui résume chaque journée de travail, est irrecevable car établit par l'employeur lui-même sans aucun document pour l'étayer.

Il n'a jamais été informé qu'un système de géolocalisation permettait de tracer son activité. Enfin, la société recevait chaque mois des relevés d'infractions car il ne pouvait pas respecter les durées maximales de travail autorisées pour pouvoir réaliser ses tournées. 

Les heures supplémentaires n'ont pas été déclarées ni payées de sorte qu'il a été victime de travail dissimulé. Il ajoute que l'inspecteur du travail a lui-même constaté le travail dissimulé. Cette dissimulation était volontaire dans la mesure où l'employeur ne transmettait pas les synthèses d'activités à ses salariés. En effet, il savait qu'en transmettant lesdits documents, les salariés allaient se rendre compte du fait qu'ils accomplissaient des heures supplémentaires impayées.

La société PKM LOGISTIQUE expose que le salarié n'a pas accompli d'heures supplémentaires non rémunérées et expose :

Avoir appliqué la convention collective alors en vigueur afin de rémunérer son salarié, la société, qui n'est pas adhérente à un syndicat patronal et n'était tenue d'appliquer l'accord collectif qu'à compter de son extension.

Qu'aucun des dimanches déclarés travaillés par M. [H] ne sont justifiés, hormis un, le salarié pouvant partir le lundi matin afin d'effectuer les livraisons, M. [H] partait le dimanche soir puis faisait des pauses de quelques heures avant de reprendre la route afin de pouvoir solliciter des primes.

La durée des interruptions, repos, temps pendant lesquels le conducteur n'exerce aucune activité et dispose librement de son temps ne correspond pas à du temps de travail effectif et n'est donc pas rémunérée. La durée maximale de 220 heures de temps de travail n'était jamais dépassée et M. [H] a d'ailleurs souvent été rémunéré au-delà de 204 heures. Un aléa peut parfois conduire le salarié à effectuer plus de 220 heures, dans ce cas le conducteur est rémunéré de toutes les heures de travail effectif.

L'indemnité de découché n'est due que lorsque le conducteur est dans l'impossibilité de regagner son domicile pour prendre son repos journalier. Compte tenu des réponses apportées, tous les salariés ont cessé leurs demandes à l'exception de M. [H].

M. [H] a été payé de toutes ses heures travaillées et même au-delà de ce qui était réellement dû puisque ses mauvaises manipulations du chronotachygraphe ont entraîné un trop perçu. Ainsi, les heures demandées ne constituent pas un travail effectif et ne peuvent être rémunérées.

Concernant l'absence de synthèse d'activité mensuelle, le fondement sur lequel M. [H] se fonde pour solliciter la communication de la synthèse d'activité mensuelle a été abrogé. De plus, il déclare que les documents visés à l'article D 3312-60 ont été tenus à la disposition des conducteurs.

S'agissant des mentions relatives au temps de conduite, à la durée du service et au temps de service rémunéré, outre les données à disposition du conducteur par le biais du chronotachygraphe, celles-ci ne pouvaient être communiquées au salarié qu'après régularisation et compte tenu du délai nécessaire à leur connaissance effective. Des réserves ont été émises sur le temps de travail effectif de M. [H], lequel a refusé de s'expliquer sur les heures litigieuses, de sorte que la société n'a pu régulariser les bulletins de paie. Après avoir fait appel à un expert, ce dernier a constaté « des erreurs flagrantes de manipulation » du chronotachygraphe.

Le tableau qu'il produit correspond au relevé informatique des données du chronotachygraphe et seules les annotations oranges sur le côté du tableau ont été rédigées par lui. Ce salarié se déclarait en travail alors qu'il était à son domicile, ce que la société a pu constater à l'aide du système de géolocalisation présent dans le camion.

S'agissant de la géolocalisation, elle n'a pas été mise en place par la société mais par la société SCANIA sur les camions qu'elle vendait. La société SGGL, client de la société PKM LOGISTIQUE pour lequel M. [H] effectuait la quasi-totalité des trajets, impose l'utilisation d'une application pour géolocaliser les camions transportant ses verres. Pour utiliser cette application, le conducteur devait accepter sa géolocalisation, ce que M. [H] a fait.

M. [H] ne démontre pas que l'employeur a volontairement dissimulé ses heures de travail. Il a été rémunéré de toutes les heures de travail effectuées et a même été rémunéré pour des heures indument demandées. L'inspecteur du travail n'a pas constaté de travail dissimulé.

Réponse de la Cour,

Toute heure accomplie au-delà de la durée légale hebdomadaire ou de la durée considérée comme équivalente est une heure supplémentaire qui ouvre droit à une majoration salariale ou le cas échéant à un repos compensateur équivalent.

Sont des heures supplémentaires celles effectuées à la demande de l'employeur, ou à tout le moins avec son accord implicite, au-delà de la durée légale de travail telle qu'elle résulte de l'article L. 3121-27 du code du travail.

Selon l'article L. 3121-29 du code du travail, les heures supplémentaires se décomptent par semaine.

Le salarié peut prétendre au paiement des heures supplémentaires accomplies, soit avec l'accord de l'employeur, soit s'il est établi que la réalisation de telles heures a été rendue nécessaire par les tâches qui lui ont été confiées. L'absence d'autorisation préalable n'exclut pas la réalité de l'accord implicite de l'employeur à la réalisation d'heures supplémentaires.

En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, en vertu de l'article L. 3171-4 du code du travail, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires. Ainsi, si la preuve des horaires de travail effectués n'incombe spécialement à aucune des parties et si l'employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient aussi à ce dernier de présenter préalablement des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies de nature à permettre également à l'employeur d'y répondre utilement. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Une fois constatée l'existence d'heures supplémentaires, le juge est souverain pour évaluer l'importance des heures effectuées et fixer le montant du rappel de salaire qui en résulte sans qu'il soit nécessaire de préciser le détail du calcul appliqué.

Il résulte des dispositions de l'article L. 8221-5 du code du travail qu'est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :

1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;

2° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 3243-2, relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales.

En l'espèce, M. [H] qui se prévaut de l'accomplissement d'heures supplémentaires non rémunérées produit :

Deux courriers et un mail émanant de 6 salariés, dont M.[H], du 02 décembre 2016 1er janvier 2017 et le 20 février 2017 signalant à l'employeur, notamment, des heures supplémentaires non réglées et l'absence de transmission de la synthèse mensuelle d'activité avec les bulletins de salaires par lequel les salariés,

Un courrier adressé le 06 février 2017 à l'Inspection du travail à ce sujet, par 5 des 6 salariés ayant écrit à l'employeur et la réponse de l'inspection du 23 mars 2017. L'inspectrice indique qu'une visite de contrôle a eu lieu au sein de l'entreprise le 24 janvier qui a donné lieu à des observations adressées à l'employeur le 21 février 2017. Il est notamment demandé à l'entreprise de « justifier, par retour de courrier, des nombreuses infractions relevées à la durée du travail (notamment dépassement des durées maximales quotidienne de 10 h pour le travail de nuit, des durées journalières et hebdomadaire). L'inspectrice du travail précise encore avoir rappelé à l'employeur « un certain nombre de règles en matière d'heures supplémentaires, de document de décompte de la durée du travail et l'obligation d'annexer systématiquement au bulletin de salaire des conducteurs le document de décompte de la durée du travail.

Les relevés hebdomadaires des heures de travail d'octobre 2015.

Un tableau présentant les heures supplémentaires réglées, celles qu'il estime dues d'octobre 2015 à mars 2018 et les bulletins de salaires correspondant.

Il convient de constater que M. [H] produit des éléments suffisamment précis qui sont de nature à permettre à l'employeur, chargé d'assurer le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

La société PKM LOGISTIQUE qui conteste la matérialité des heures supplémentaires fait tout d'abord valoir que le salarié pouvait obtenir la synthèse d'activité mensuelle sur demande.

En l'espèce, il n'est pas contesté que par deux courriers (02 décembre 2016, 01er janvier 2017) plusieurs salariés dont M. [H] ont demandé la transmission des synthèses en question. Il est encore justifié du fait que l'inspection du travail a rappelé à l'employeur l'obligation d'annexer au bulletin de salaire le document de décompte de la durée du temps de travail prévu à l'article D.3312-63 du code des transports.

Cet article prévoit que « le bulletin de paie, ou un document mensuel annexé au bulletin de paie, précise le total cumulé des heures supplémentaires et des compensations obligatoires en repos acquises par le salarié depuis le début de l'année civile.

Le bulletin de paie, ou le document mensuel annexé mentionné au précédent alinéa, comporte obligatoirement, pour les personnels de conduite, sans préjudice des dispositions des articles R. 3243-1 à R. 3243-5 et D. 3171-13 du code du travail, après régularisation éventuelle le mois suivant, compte tenu du délai nécessaire à leur connaissance effective :

1° La durée des temps de conduite ;

2° La durée des temps de service autres que la conduite ;

3° L'ensemble de ces temps représentant le temps de service rémunéré, récapitulés mensuellement ;

4° Les heures qui sont payées au taux normal et celles qui comportent une majoration pour heures supplémentaires ou pour toute autre cause ;

5° Les informations relatives aux compensations obligatoires en repos acquises en fonction des heures supplémentaires accomplies.

La lecture des bulletins de salaires produits permet de constater qu'ils ne comportent ni document en annexe ni les indications imposées par l'article D.3312-63 susvisé.

Concernant la transmission aux salariés des relevés mensuels d'activité, il est établi que cette transmission n'est pas obligatoire, l'article D.3312-61 (version applicable depuis 2017) indiquant que cette transmission est faite sur demande des salariés.

Si les relevés de M. [H] sont produits dans la présente instance, il n'est justifié par l'employeur d'aucune réponse aux demandes faites. Ainsi le mail de l'employeur du 30 janvier 2017 qui répond aux interrogations des salariés sur le paiement des heures supplémentaires et sollicite un délai d'analyse de leurs heures, ne comporte pas de réponse à cette demande spécifique. Par un courriel du 20 février 2017, les salariés vont de nouveau souligner leur impossibilité de faire une analyse de leur temps de travail et l'absence des synthèses mensuelles. L'inspection du travail, saisie par les mêmes salariés va intervenir pour rappeler les règles à l'employeur s'agissant notamment de la question des heures supplémentaires. Il convient de relever que l'employeur est taisant sur les constats de l'inspectrice du travail lors de son déplacement sur site le 24 janvier 2018.

Cependant, il est établi que M. [H] avait la possibilité d'imprimer les rapport d'activité mensuelle qu'il verse d'ailleurs aux débats et était donc valablement informé en détail de son temps d'activité et les éléments produits par les parties permettent dès lors à la Cour de céans de se prononcer sur l'existence d'heures supplémentaires impayées.

Sur le caractère allégué par le salarié du caractère forfaitaire de la rémunération, il convient tout d'abord de rappeler que tout forfait, qu'il soit en heures ou en jours, requiert l'accord du salarié et donne lieu à la conclusion d'une convention individuelle de forfait qui doit être établie par écrit. Il peut s'agir d'une clause du contrat de travail ou bien d'une convention à part entière. Si le forfait prend la forme d'une clause du contrat de travail qui n'est pas prévue au contrat de travail initial, sa mise en 'uvre constituera une modification de ce dernier, qui devra donc être acceptée par le salarié et faire l'objet d'un avenant écrit.

En l'espèce, il est constant que le contrat de travail signé par le salarié prévoit une rémunération supplémentaire en cas d'heures accomplies entre 151,67 heures et 220 heures.

Il est établi que les bulletins de salaires du salarié font état d'un temps de travail de 204 heures, et sur certains d'entre eux, M. [H] est rémunéré pour des heures supplémentaires réalisées au-delà des 204 heures mais encore au-delà des 220 heures.

Il découle de ce qui précède que la société ne rémunérait pas forfaitairement les salariés mais leur garantissait un minimum de rémunération et en cas de dépassement des heures procédait au règlements d'heures supplémentaires.

Sur la réalité des heures supplémentaires sollicitées, l'employeur argue d'une manipulation du chronotachygraphe par le salarié. Il ressort du mail du 30 janvier 2017 adressé notamment à M. [H], que l'employeur lui indique, ainsi qu'à d'autre salariés, qu'il va procéder à une analyse détaillée des heures sollicitées et leur précise que chacun des salariés recevra « dans les jours qui viennent » le détail des heures de travail effectives auxquelles » pour lesquelles il ne trouve pas d'explication et qu'une régularisation ne pourra intervenir qu'après explication de chacun.

Aucun résultat de cette analyse détaillée n'est transmis au salarié et il ne lui est pas fait grief d'une mauvaise manipulation du chronotachygraphe avant un courrier du 03 mai 2018 en réponse à la prise d'acte de M. [H], ce courrier évoquant une difficulté sur le mois de mars 2018. Il lui est encore précisé qu'il en serait de même en avril et « autres mois » de l'activité du salarié.

Outre l'ensemble des synthèses d'activité mensuelles du salarié, les justifications du travail demandé, les relevés de péage et de carburant, l'employeur produit, pour étayer l'existence d'une mauvaise manipulation du chronotachygraphe, l'analyse d'un expert en règlementation sociale européenne et chronotachygraphe près la cour d'appel d'Aix en Provence.

Celui-ci a ainsi examiné les données de la carte conducteur et du chronotachygraphe pour les mois de novembre 2015 et novembre 2017, mois correspondant à une moyenne représentative de l'activité du salarié. Il précise avoir d'abord procédé à l'analyse de la carte conducteur dont les données sont infalsifiables puis à celle du relevé chronotachygraphe pour les comparer à « la moyenne nationale des activités autre que la conduite dans le cadre des transports longues distance » est située à 25% (information communiquée par le comité national des routiers).

L'expert relève en conclusion des « erreurs flagrantes de manipulation » du chronotachygraphe entraînant une durée du temps de travail/conduite supérieure à la réalité. Il constate ainsi en novembre 2015 que le pourcentage de temps de conduite/ travail n'est pas de 52 % mais de 20 %. S'agissant du mois de novembre 2017, il n'est pas de 44 % mais de 23%. Il constate enfin que sur les deux mois examinés, le salarié a bénéficié d'un écart de rémunération de 465,17 euros brut.

En complément des constats de l'expert, la société PKM LOGISTIQUE a repris toute l'activité de M. [H] de sa date d'embauche à son départ en se fondant sur les relevés du chronotachygraphe, les lettres de voiture (justificatifs du travail demandé) les relevés de péage et de carburant et relève à partir de ces comparaisons de nombreuses heures réglées indument et produit un tableau récapitulatif.

Il est ainsi relevé à plusieurs reprises des départs anticipés du salarié de son domicile entraînant des dépassements du temps journalier, une absence de mise en pause, des conduites en continu et des relevés d'infractions à ce titre.

Ces constats rejoignent les conclusions de l'expert sur le fait que la réalité des heures de travail effectif est faussée par la manipulation du chronotachygraphe par M. [H], le salarié se déclarant en travail effectif durant des périodes où il n'était pas en réalité à la disposition de l'employeur.

M. [H], qui se limite à contester les éléments produits, alors même que l'employeur procède à une analyse poussée de son activité jour par jour, est totalement taisant sur les constats réalisés via l'expertise et ne peut contester qu'il disposait de la possibilité de manipuler le chronotachygraphe. L'expert souligne d'ailleurs que de telles manipulations influent sur les infractions relevées à l'encontre du salarié. L'expert note encore « je tiens à attirer l'attention sur les responsabilités directes du conducteur sur les infractions commises de son seul fait, et donc imputable au conducteur ».

Au vu de cette analyse, M. [H] est en conséquence mal fondé à s'appuyer sur le relevé des infractions conducteurs pour solliciter le règlement des heures supplémentaires sans apporter de contradiction sérieuse aux nombreux éléments produits par l'employeur qui montrent que la durée de son temps de travail a été faussée par la manipulation du chronotachygraphe dont les données ne correspondaient pas à celles issues de la carte conducteur.

Sans avoir à se prononcer sur la recevabilité des éléments tirés de la géolocalisation, il convient donc juger que l'employeur fournit les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié et démontrant la fausseté des éléments présentés pas le salarié.

Par voie de confirmation de la décision déférée, la demande formulée par M. [H] au titre des heures supplémentaires et du travail dissimulé sont rejetées.

Sur l'information des droits à repos compensateur :

M. [H] soutient qu'il n'a jamais été informé de ses droits à repos compensateur. Aucun document ne mentionne que des jours de repos compensateurs ont été posés, et/ou imposés par l'employeur. L'employeur a commis une faute qui lui a causé un préjudice, lequel doit faire l'objet d'une indemnisation.

La société PKM LOGISTIQUE expose que M. [H] ne pouvait prétendre à un quelconque repos compensateur autre que ceux qui lui ont été accordés. Il a bénéficié de repos compensateurs à plusieurs reprises puisqu'il n'a pas travaillé certains jours. Or, aucun jour de congé payé n'a été déduit. M. [H] a nécessairement été informé de ses repos compensateurs puisqu'il indique lui-même sur ses synthèses hebdomadaires qu'il n'a pas travaillé certains jours. M. [H] n'a en conséquence subi aucun préjudice.

Réponse de la cour :

En vertu de l'article L. 3121-28 du code du travail, les heures supplémentaires ouvrent droit à une majoration salariale dans les conditions prévues à l'article L. 3121-33 du code du travail, sans que cette majoration puisse être inférieure à 10% ou à l'octroi d'un repos compensateur équivalent, lequel ne se confond pas avec la contrepartie obligatoire en repos prévue à l'article  L. 3121-30 du code du travail, à laquelle le salarié peut prétendre lorsque le contingent annuel d'heures supplémentaires est dépassé.

Il résulte des dispositions de l'article D3181-11 du code du travail qu'« à défaut de précision conventionnelle contraire, les salariés sont informés du nombre d'heures de repos compensateur de remplacement et de contrepartie obligatoire en repos portés à leur crédit par un document annexé au bulletin de paie. Dès que ce nombre atteint sept heures, ce document comporte une mention notifiant l'ouverture du droit à repos et l'obligation de le prendre dans un délai maximum de deux mois après son ouverture ».

Il est de jurisprudence constante que cette information est prévue pour permettre au salarié de formuler une demande de repos compensateur, dues en contrepartie d'heures supplémentaires effectuées au-delà du contingent annuel. Ainsi, l'employeur doit s'assurer de mettre en mesure ses salariés de formuler des demandes de repos compensateur, notamment par la remise du document d'information ; à défaut, celui-ci s'expose à des condamnations financières, même si ces salariés n'apportent pas la preuve qu'ils n'avaient pas été remplis de leurs droits au titre de ces repos compensateurs nonobstant l'absence d'information.

L'employeur est donc tenu d'informer ses salariés du nombre d'heures de repos compensateur de remplacement et de contrepartie obligatoire en repos portés à leur crédit par un document annexé au bulletin de paie ou en l'indiquant dans le bulletin de salaire.

Les relevés hebdomadaires établis par le salarié montrent que certains jours n'ont pas été travaillés sans que l'employeur ne lui décompte de jours de congés payés. En outre, contrairement au fait conclu par le salarié, certains bulletins de paie font état de repos compensateurs. Il est donc établi que le salarié a pu bénéficier de repos compensateur.

Il a été relevé que les bulletins de salaires ne comportaient aucune annexe et aucune information quant au droit à repos compensateur. L'employeur ne justifie donc pas avoir remis au salarié le document d'information prévu par l'article D. 3171-11 du Code du travail. Ce manquement ouvre doit à l'attribution de dommages et intérêts.

Par voie d'infirmation de la décision déférée, la Société PKM LOGISTIQUE est condamnée à verser à M. [H] la somme de 500 euros de dommage et intérêts pour défaut d'information du salarié des droits à repos compensateur.

Sur le respect de la durée du temps de travail :

M. [H] fait valoir que les règles relatives à la durée maximale de travail quotidienne et hebdomadaire n'ont pas été respectées.

Il a été contraint de réaliser de nombreuses heures de travail, au-delà de la durée légale ce que révèlent les relevés d'infraction. Si des infractions ont été commises, c'est précisément parce que les missions confiées ne pouvaient pas être accomplies dans les temps et l'employeur en a nécessairement pris connaissance à la lecture du chronotachygraphe.

Il était en service commandé : il devait accomplir la mission qui lui était impartie et n'était pas maître du temps de travail réalisé.

Il a subi un préjudice puisqu'il a dû réaliser de nombreuses heures de travail au-delà de la limite légale.

La Société KPM LOGISTIQUE fait valoir que les infractions à la durée maximale de travail ont toutes été causées par un comportement volontaire de M. [H] :

Les tournées de M. [H] permettaient de respecter les durées de travail hebdomadaires et quotidiennes. S'il avait respecté les durées normales de conduite au lieu de se placer indument en travail ou en mise à disposition alors qu'il se trouvait en réalité en pause, ou était arrivé plusieurs heures à l'avance pour le chargement ou le déchargement de son véhicule, ces infractions n'auraient jamais existé.

M. [N], expert près la Cour d'appel d'Aix en Provence, affirme que « le fait d'avoir corrigé les erreurs de manipulation du chronotachygraphe a réduit considérablement les infractions imputables à M. [H] ».

M. [H] ne démontre pas qu'il a effectivement subi un préjudice. En effet, c'est lui qui a volontairement créé cette situation.

Réponse de la cour :

Il résulte des dispositions des articles L. 3121-10 et suivants et L. 3121-35 et suivants que la durée légale de travail effectif est fixée à 35 heures par semaine et des heures supplémentaires ne peuvent être effectuées qu'à la double condition de ne pas dépasser sur une même semaine 48 heures et une durée moyenne de travail calculée sur une période de 12 semaines consécutives ne peut excéder 44 heures. En outre la durée maximale quotidienne de travail effectif ne peut excéder 10 heures. La durée légale du travail effectif prévue à l'article L.3121-10 du code du travail constitue le seuil de déclenchement des heures supplémentaires payées à un taux majoré dans les conditions de l'article L.3121-22 du même code. L'employeur est en droit de demander au salarié de faire des heures supplémentaires sans la limite du contingent susvisé et sans motif légitime du salarié. Il résulte également des dispositions de l'article L.3131-1 et L. 3132-2 du code du travail que tout salarié bénéficie d'un repos quotidien d'une durée minimale de 11 heures consécutives, en plus du repos hebdomadaire de 35 heures consécutives.

La preuve qu'il a respecté le repos quotidien incombe à l'employeur.

Il est de jurisprudence constante qu'en cas de litige sur le temps de pause ou les limites maximales de travail, l'employeur doit donc fournir au juge les éléments permettant de s'assurer du respect de ces dispositions.

En l'espèce, la société KPM LOGISTIQUE verse l'ensemble des relevés d'activité du salarié relevant notamment le temps de travail du salarié, les pauses et temps de repos. S'il en ressort des dépassements de la durée limite maximale du travail, il a été jugé par la Cour de céans que les manipulations du chronotachygraphe par le salarié avaient faussé la réalité de son temps de travail et par voie de conséquence l'allégation d'un dépassement de la durée maximale d'activité. De même, que les relevés d'infractions ne sont pas probants pour démontrer l'existence d'un dépassement du temps d'activité du salarié alors que ce dernier a pu fausser les donner.

En outre, M. [H] qui fait valoir que la charge de travail qui lui était imposée entraînait de fait un dépassement du temps de travail ne verse aucune pièce pour étayer cette allégation. Au surplus, il ne justifie d'aucun préjudice.

Il convient en conséquence de confirmer la décision des premiers juges.

Sur la demande de remboursement de sommes perçues par M. [H] :

La société KPM LOGISTIQUE expose s'être aperçue des manipulations frauduleuses de M. [H] à l'occasion de l'instance prud'homale engagée par ce dernier ; M. [H] a indument perçu des indemnités de découchés, alors qu'il regagnait son domicile et/ou qu'il n'était pas dans l'impossibilité de regagner son domicile. Des heures supplémentaires non réalisées ont été payées à M. [H] alors que l'utilisation frauduleuse du chronotachygraphe par M. [H] a fictivement gonflé les heures figurant sur les synthèses d'activité et les données recueillies par la société. Il a enfin été relevé une surconsommation injustifiée de gasoil par son salarié.

M. [H] conteste avoir perçu des indemnités de découchés indues et demande à ce que les relevés issus de la géolocalisation soient écartés des débats dans la mesure où il n'avait pas été informé de l'utilisation d'un tel système. Si les indemnités de découchés étaient injustifiées, pourquoi l'employeur les a-t-il payées alors qu'il disposait déjà des lettres de voiture, des bons de livraison et même des relevés de géolocalisation. Il expose n'avoir commis aucune erreur dans la manipulation du sélecteur du chronotachygraphe. Il soutient n'avoir consommé que la quantité de gasoil qui était nécessaire pour l'exercice de son activité professionnelle et qu'une comparaison entre une consommation réelle et une consommation théorique ne démontre rien de sorte que l'employeur ne rapporte aucune preuve réelle d'un vol de carburant. Il effectuait régulièrement des tournées sur des routes montagneuses ce qui entraînait une surconsommation et que tout calcul d'une consommation moyenne qui ne tient pas compte ni de la force du vent, ni du poids du chargement est inutile et erronée.

Réponse de la cour :

En vertu de l'article 1315 du code civil, il appartient alors à celui qui se prétend créancier d'apporter la preuve de sa créance, aussi bien en son principe qu'en son montant, sans possibilité d'invoquer les dispositions de l'article 1348 du code civil, s'agissant d'une créance contre un tiers.

Sur le trop-perçu allégué d'heures supplémentaires, la cour de céans a jugé que les manipulations du chronotachygraphe avaient faussé la réalité du travail accomplie. Dès lors non seulement le salarié est mal fondé à solliciter le paiement d'heures supplémentaires mais encore l'employeur est fondé à solliciter le remboursement des heures réglées qui ne seraient pas justifiées.

Compte tenu des résultats de l'expertise qui relève un trop perçu d'heures supplémentaires en raison de la manipulation du chronotachygraphe et des relevés comparatifs accomplis par l'employeur, il convient de condamner M. [H] au remboursement de la somme de 2 361,16 euros de trop-perçu d'heures supplémentaires.

S'agissant de la surconsommation de carburant, il est établi qu'avant la présente procédure et la plainte pour vol déposée par l'employeur le 10 juillet 2019, aucune remarque n'a été adressée au salarié. La suite donnée à cette plainte n'est pas apportée et M. [H] expose sans être contredit qu'elle aurait fait l'objet d'un classement sans suite. Aucune des pièces produites ne vient donc confirmer que le salarié aurait prélevé du carburant pour son propre profit. Il convient de confirmer la décision des premiers juges et de rejeter la demande formulée à ce titre.

Concernant les découchés qui auraient été rémunérés de manière indue, l'employeur entend démontrer la réalité de cette créance par l'analyse de la géolocalisation du véhicule conduit par le salarié.

Il convient de rappeler que la géolocalisation est strictement encadrée par la CNIL et ce procédé doit en premier lieu respecter toutes les règles prescrites en matière de contrôle des salariés. Ainsi, en application du principe prévu à l'article L. 1121-1 du Code du travail, selon lequel « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché », la mise sous surveillance des salariés ne doit pas être disproportionnée face à l'intérêt de l'entreprise et aux missions du salarié. La finalité du dispositif doit notamment être préalablement définie et déclarée. La CNIL estime que la mise en 'uvre d'un tel dispositif n'est admissible que dans le cadre des certaines finalités précises et sous certaines conditions. Ainsi, le suivi du temps de travail via ce système ne peut être mis en 'uvre que lorsque le contrôle du temps de travail n'est pas possible par un autre moyen.

En l'espèce, il n'est pas contesté que ce contrôle pouvait s'opérer dans l'entreprise via d'autres moyens (tel que le chronotachygraphe). Si l'employeur produit des attestations de salariés indiquant qu'ils savaient que le système existait, il est cependant établi que le système de géolocalisation dont bénéficiaient les camions de l'entreprise, n'a pas été déclaré à la CNIL, ni que les représentants du personnel ont été consultés s'agissant de son utilisation potentielle dans le cadre du suivi du temps de travail des salariés. Dès lors ce moyen de preuve doit être déclaré irrecevable.

Par voie de confirmation de la décision déférée, la demande de remboursement de frais de découchés reposant sur ce mode de preuve est en conséquence rejetée.

Sur la prise d'acte de la rupture du contrat de travail :

M. [H] soutient que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse en ce que :

L'employeur a commis des manquements graves tels que le défaut de paiement des heures supplémentaires ; le non-respect de la convention collective notamment en ce qui concerne la rémunération ; le travail dissimulé ; l'absence totale de repos compensateur ; violation de l'ensemble des règles relatives au temps de travail.

Il ajoute que ces faits se sont répétés dans le temps, jusqu'au jour de la prise d'acte de la rupture du contrat de travail, bien que les salariés et l'inspecteur du travail aient rappelé ses obligations à l'employeur.

La société KPM LOGISTIQUE expose que l'ensemble des manquements reprochés par M. [H] sont infondés et que la société a loyalement exécuté la relation de travail. Dès lors, l'employeur estime que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail doit produire les effets d'une démission.

Réponse de la Cour :

La prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur empêchant la poursuite du contrat de travail. C'est au salarié qu'il incombe de rapporter la preuve des manquements invoqués à l'encontre de son employeur. Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture, qui entraîne la cessation immédiate du contrat de travail, produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission.

En l'espèce, M. [H], qui a pris acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur par lettre du 26 avril 2018, reproche à ce dernier de ne pas lui avoir rémunéré toutes ses heures, de ne pas avoir remis de synthèse d'activités, de ne pas lui avoir fait bénéficier des repos compensateurs et de lui avoir imposé des congés.

La Cour de céans a rejeté les demandes formulées au titre des heures supplémentaires, du travail dissimulé, du respect de la durée maximale du temps de travail. Il a été en outre constaté que les synthèses mensuelles d'activités n'étaient pas remises mais que le salarié pouvait imprimer les relevés lui permettant d'en disposer. Enfin, il a été jugé que le salarié avait bénéficié de repos compensateurs mais que l'employeur était défaillant s'agissant de l'obligation d'information du salarié en la matière. En revanche il a été jugé que l'employeur lui avait imposé des congés du 06 mai 2016 et du 26 décembre au 29 décembre 2016.

Ces seuls faits reprochés à l'employeur ne sont pas d'une gravité telle qu'ils empêchaient la poursuite du contrat de travail et la prise d'acte n'était donc pas justifiée. Par voie de confirmation de la décision déférée, la prise d'acte doit donc produire les effets d'une démission et M. [H] doit être débouté de l'ensemble de ses demandes afférentes à la rupture du contrat de travail.

Sur les demandes accessoires

Il convient de confirmer la décision de première instance s'agissant des dépens et des frais irrépétibles.

Chaque partie a été partiellement déboutée de ses demandes dans le cadre de l'instance d'appel. Dans ces circonstances, l'équité commande de les débouter de leurs demandes au titre de leurs frais irrépétibles et de dire qu'elles supporteront chacune la charge des frais et dépens qu'elles ont engagés en première instance et en appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,

DECLARE M. [H] recevable en son appel et la Société PKM LOGISTIQUE recevable en son appel incident,

CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions, excepté en ce qu'il a :

Rejeté la demande de M. [H] au titre du défaut d'information sur le droit à repos compensateur,

Rejeté la demande de la société KPM LOGISTIQUE de condamnation de M. [H] au remboursement du trop-perçu d'heures supplémentaires,

STATUANT à nouveau sur les chefs d'infirmation,

CONDAMNE la société KPM LOGISTIQUE à payer à M. [H] la somme de 500 euros de dommage et intérêts pour défaut d'information du salarié des droits à repos compensateur,

CONDAMNE M. [H] à payer à la société KPM LOGISTIQUE la somme de 2 361,16 euros de trop-perçu d'heures supplémentaires,

Y ajoutant,

DIT n'y avoir à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Valéry CHARBONNIER, Conseillère faisant fonction de Présidente, et par Madame Mériem CASTE-BELKADI, Greffière, à qui la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.

La Greffière, La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Ch. sociale -section a
Numéro d'arrêt : 20/00916
Date de la décision : 20/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-20;20.00916 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award