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13/09/2022 | FRANCE | N°20/01320

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Ch.secu-fiva-cdas, 13 septembre 2022, 20/01320


C9



N° RG 20/01320



N° Portalis DBVM-V-B7E-KM43



N° Minute :







































































Notifié le :



Copie exécutoire délivrée le :







Me Angélique KIEHN



la SELARL L. LIGAS-RAYMOND - JB PETIT



la CPAM DE LA SAVOIE


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE GRENOBLE



CHAMBRE SOCIALE - PROTECTION SOCIALE

ARRÊT DU MARDI 13 SEPTEMBRE 2022

Ch.secu-fiva-cdas





Appel d'une décision (N° RG 17/00661)

rendue par le Pole social du Tribunal judiciaire de CHAMBERY

en date du 16 décembre 2019

suivant déclaration d'appel du 13 mars 2020





APPELANTE :



Mme [D] [S]

[Adresse 6...

C9

N° RG 20/01320

N° Portalis DBVM-V-B7E-KM43

N° Minute :

Notifié le :

Copie exécutoire délivrée le :

Me Angélique KIEHN

la SELARL L. LIGAS-RAYMOND - JB PETIT

la CPAM DE LA SAVOIE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE SOCIALE - PROTECTION SOCIALE

ARRÊT DU MARDI 13 SEPTEMBRE 2022

Ch.secu-fiva-cdas

Appel d'une décision (N° RG 17/00661)

rendue par le Pole social du Tribunal judiciaire de CHAMBERY

en date du 16 décembre 2019

suivant déclaration d'appel du 13 mars 2020

APPELANTE :

Mme [D] [S]

[Adresse 6]

[Localité 5]

représentée par Me Angélique KIEHN, avocat au barreau de CHAMBERY

INTIMEES :

Association Maison des Jeunes de la Culture de [Localité 4] (MJC), dont le siège social est situé [Adresse 1], prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Laurence LIGAS de la SELARL L. LIGAS-RAYMOND - JB PETIT, avocat au barreau de GRENOBLE

La CPAM DE LA SAVOIE, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 4]

comparante en la personne de Mme [A] [P], régulièrement munie d'un pouvoir

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Magali DURAND-MULIN, Conseiller faisant fonction de Président,

Mme Isabelle DEFARGE, Conseiller,

M. Frédéric Blanc, Conseiller,

DÉBATS :

A l'audience publique du 24 mai 2022

Mme Magali DURAND-MULIN, chargée du rapport, a entendu les représentants des parties en leurs conclusions et plaidoiries, assistée de Mme Kristina YANCHEVA, Greffier, conformément aux dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, les parties ne s'y étant pas opposées ;

Puis l'affaire a été mise en délibéré au 13 septembre 2022, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.

L'arrêt a été rendu le 13 septembre 2022.

EXPOSE DU LITIGE':

Le 14 juin 2016, l'association maison des jeunes de la culture de [Localité 4] (MJC) a déclaré un accident du travail concernant Mme [D] [S] s'étant produit le 02 juin 2016 à 9h00 à raison de propos rapportés, l'employeur n'effectuant aucune réserve et indiquant avoir connu ledit accident du travail le 07 juin 2016, date à laquelle Mme [S] s'est trouvée en arrêt maladie.

Le certificat médical initial du 07 juin 2016 mentionne au titre des constatations détaillées de nature médicale': «épuisement / Sd anxiodépressif réactionnel à attaques verbales personnelles rapportées par la patiente».

Par décision en date du 5 septembre 2016, la caisse primaire d'assurance maladie de la Savoie (CPAM) a pris en charge l'accident au titre de la législation professionnelle sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

L'état de santé de Mme [S] a été déclaré consolidé le 25 juillet 2017 avec l'attribution d'un taux d'incapacité permanente partielle de 8 % dont 3 % pour le taux professionnel.

Ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation dressé par la CPAM de la Savoie le 25 octobre 2017, par requête en date du 24 novembre 2017, Mme [S] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Chambéry aux fins de voir reconnaître la faute inexcusable de son employeur, l'association MJC [Localité 4], dans la survenance de son accident du travail le 02 juin 2016.

L'association MJC de [Localité 4] s'est opposée aux prétentions adverses.

La CPAM s'en est remise à la décision de la juridiction quant à la reconnaissance de la faute inexcusable.

Par jugement en date du 16 décembre 2019, le pôle social du Tribunal de Grande Instance de Chambéry a':

- débouté Mme [D] [S] de sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l'association MJC [Localité 4],

- condamné Mme [D] [S] à verser à l'association MJC de [Localité 4] une somme de 1000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision,

- condamné Mme [D] [S] au paiement des dépens

La décision a été notifiée par le greffe par lettres recommandées avec accusé de réception signé le 03 mars 2020 par Mme [D] [S] et le 25 février 2020 par l'association MJC [Localité 4].

Par déclaration en date du 13 mars 2020, Mme [D] [S] a interjeté appel à l'encontre de ladite décision.

Mme [D] [S] s'en est remise oralement à des conclusions transmises le 04 janvier 2022 et entend voir':

Vu notamment les articles L. 452-1 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale, L. 4131-4 du code du travail,

Dire et juger recevable et bien fondé l'appel interjeté par Mme [S] contre le jugement prononcé par le tribunal judiciaire de Chambéry le 16 décembre 2019,

Dire et juger que l'employeur a manqué à son obligation de résultat, et que ces manquements ont conduit à la réalisation de l'accident du travail subi par Mme [S] le 02 juin 2016,

Dire et juger que la faute inexcusable est de droit dans la mesure où Mme [S] avait alerté l'employeur pendant plus de 6 mois sur ses conditions de travail déplorables pouvant conduire à la réalisation de l'accident, sans que ce dernier n'ait pris aucune mesure corrective,

Dire et juger en tout état de cause que Mme [S] a rapporté la preuve que l'employeur avait conscience du danger et n'a pris aucune mesure pour l'en protéger,

En conséquence,

Condamner l'employeur pour faute inexcusable,

Ordonner la majoration de la rente service à Mme [S] conformément à l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale,

Dire et juger que cette majoration suivra l'évolution éventuelle du taux d'IP reconnu à la victime,

Dire et juger Mme [S] bien fondée à solliciter en complément l'indemnisation de ses préjudices complémentaires,

En conséquence,

Ordonner une expertise médicale de Mme [S] confiée à tel expert qu'il plaira avec une mission proposée détaillée dans lesdites conclusions,

Dire et juger qu'il appartiendra à la CPAM de faire l'avance des frais d'expertise,

Condamner la MJC de [Localité 4] à verser à Mme [S] la somme de 5000 euros à titre de provision à valoir sur l'ensemble de ses préjudices,

Condamner la MJC de [Localité 4] à verser à Mme [S] la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuer ce que de droit quant aux dépens.

Mme [S] explique en substance que son employeur a commis divers manquements à l'origine de son accident du travail, et en particulier, que dans un contexte de difficultés économiques rencontrées par l'association, elle a été nommée à un poste de coordination et devait être secondée par Mme [F] pour la partie RH, que sous couvert d'un poste de responsable de projet, elle assumait en réalité des missions de direction, qu'elle a rencontré dans ce cadre des difficultés avec certains salariés ([W] notamment) dont elle a vainement averti son employeur, que ce n'est que le 25 mai 2016 que le bureau élargi a décidé de réaffirmer son rôle de codirection avec Mme [F] et le conseil d'administration, que les délégués du personnel lors d'une réunion le lendemain ont attiré l'attention de la direction sur une problématique liée à la définition des postes, que lors d'une réunion s'étant tenue le 01 juin 2016 entre le conseil d'administration et les salariés, en son absence, elle a fait l'objet de critiques très vives de la part de salariés (dénigrement de son travail qualifié de «torchon» par M. [U], demande de MM. [W] et [U] pour qu'elle soit écartée du projet et des relations avec la ville, accusation de profiter de la MJC pour se compter des heures complémentaires), que l'employeur aurait dû la soutenir et hausser le ton et sanctionner les salariés virulents mais qu'il a fait l'inverse puisque lors du conseil d'administration du 08 juin 2016, il a annoncé un retour de la direction à cet organe en mettant fin à la codirection mise en place.

L'association MJC de [Localité 4] s'en est rapportée oralement à des conclusions déposées le 12 avril 2022 et entend voir':

A titre principal :

Dire qu'aucune faute inexcusable en lien avec l'accident de travail de Mme [S], ne saurait être reconnue à l'encontre de la MJC de [Localité 4], en raison du comportement et du positionnement de Mme [S] dans l'association qui a été à l'origine de la tension et des difficultés alléguées par cette dernière,

En conséquence,

Confirmer le jugement dont appel a été interjeté, en toutes ses dispositions en ce qu'il a débouté Mme [S] de l'intégralité de ses prétentions, fins et conclusions,

Condamner Mme [S] à payer à la MJC de [Localité 4] une somme de 2.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ainsi qu'aux entiers dépens,

A titre subsidiaire :

Si par extraordinaire le tribunal retenait l'existence d'une faute inexcusable de la MJC de [Localité 4] en lien avec l'accident de travail de Mme [S],

Ordonner une expertise médicale de Mme [S] aux fins d'évaluation de ses préjudices, mais dans la limite de ceux spécifiés par l'article L. 452-3 le code de la sécurité sociale,

Rejeter toute demande visant à indemniser les préjudices déjà couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale,

Dire que la CPAM de la Savoie devra faire l'avance des sommes qui seraient dues à Mme [S] au titre d'une reconnaissance de faute inexcusable et des frais d'expertise,

Débouter Mme [S] de sa demande de provision non fondée ni justifiée,

Débouter Mme [S] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuer ce que de droit sur les dépens.

L'association MJC de [Localité 4] soutient en substance que':

- la cour d'appel de Chambéry dans un arrêt du 29 septembre 2020 a débouté Mme [S] de ses prétentions au titre d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité,

- les difficultés relationnelles alléguées par Mme [S] avec ses collègues de travail sont dues à son positionnement inadapté à leur égard en qualité de directrice de la MJC alors que s'il avait été envisagé de lui confier le poste de directrice, cette option a été définitivement écartée et elle a été désignée uniquement en qualité de responsable de projets, avec une promotion professionnelle s'étant traduite par l'octroi du statut d'agent de maîtrise et de 4 échelons supplémentaires,

- les propos allégués comme tenus à l'égard de Mme [S] lors de la réunion entre le conseil d'administration et les salariés à laquelle elle n'était pas présente lui ont été rapportés et ont nécessairement été déformés et exagérés.

La CPAM de la Savoie s'en est remise oralement à des conclusions déposées le 26 avril 2022 et demande à la cour de':

Au visa des articles L. 411-1, L. 452-1, L. 452-2, L. 452-3, L. 452-3-1 et L. 452-4 du code de la sécurité sociale,

Lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte à justice sur le mérite de la demande en reconnaissance de faute inexcusable présentée par Mme [D] [S],

Dans l'hypothèse où le tribunal retiendrait l'existence d'une faute inexcusable de l'employeur,

Rejeter toutes demandes d'indemnisation déjà couvertes par le Livre IV du code de la sécurité sociale,

Dire que la majoration de rente devra suivre l'évolution du taux d'incapacité permanente partielle,

Fixer la mission de l'expert afin qu'elle soit limitée aux différents préjudices non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale,

Lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte à justice sur la demande de provision,

Condamner l'association MJC de [Localité 4] à lui rembourser toutes les sommes dont elle sera tenue de faire l'avance.

Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l'article 455 du code de procédure civile de s'en rapporter à leurs écritures sus-visées.

EXPOSE DES MOTIFS'

Sur la faute inexcusable':

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié ainsi que des accidents du travail. Dès lors, le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

La charge de la preuve de la conscience du danger incombe à la victime de la faute inexcusable.

Il est indifférent que la faute de l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident survenu au salarié ; il suffit qu'elle soit une cause nécessaire du dommage.

Il importe peu que le salarié ait lui-même commis une imprudence ayant concouru à son dommage. Cette circonstance ne peut atténuer la gravité de la faute de l'employeur. Cette imprudence n'a également aucune incidence sur le droit à réparation de la victime, en tout état de cause, celle-ci a droit au taux maximal de la majoration de la rente, à la seule exception de l'hypothèse où le salarié victime a lui-même commis une faute inexcusable, au sens de l'article L.'453-1 du même code.

En l'espèce, sans qu'il soit nécessaire de rentrer dans le détail de l'argumentation divergente des parties sur la nature et le degré de responsabilité attachées aux fonctions de responsable de projet de Mme [S] au sein de l'association MJC de [Localité 4] selon avenant du 18 janvier 2016 et sur l'imputabilité des difficultés relationnelles admises par l'employeur entre Mme [S] et d'autres salariés ayant donné lieu à divers incidents au cours des mois et semaines ayant précédé l'accident du travail du 2 juin 2016, dont le caractère professionnel n'est pas remis en cause par l'employeur, la faute inexcusable de l'association MJC de [Localité 4] à l'origine dudit accident du travail est pour autant établie de manière certaine.

En effet, l'accident reconnu et non discuté par l'association, qui développe uniquement des moyens portant sur les conséquences sur l'état de santé de la salariée, a consisté pour Mme [S] en un syndrome réactionnel suite des propos qui lui ont été rapportés le 2 juin 2016 relatifs à des critiques émises à son encontre par des salariés lors d'une réunion s'étant tenue la veille, à laquelle elle était absente, entre les membres du conseil d'administration et les salariés.

Mme [I], qui était membre du conseil d'administration de l'association jusqu'au 12 décembre 2018 a en effet témoigné avoir assisté à cette réunion et avoir constaté les faits suivants': «M. [H] [L] rapporteur désigné par les salariés lit un texte. Mise en cause du CA, mise en cause du choix fait et des compétences de Mme [S]. J'ai dénoncé la violence des propos en l'absence de la personne concernée. M. [G] [U], qui lui aussi avait postulé pour le poste a ajouté qu'une personne de l'équipe municipale avait dénigré le travail de Mme [S] «ni fait, ni à faire'» j'ai entendu le mot «torchon» qualifiant le travail de Mme [S]».

La matérialité de la tenue de cette réunion n'est pas discutée par l'employeur et ressort au demeurant des échanges de courriels internes produits aux débats en pièce n°12 par Mme [S] dont M. [B] [N] dit [E], président de l'association est l'un des destinataires.

L'employeur allègue que les propos tenus ont nécessairement été déformés, exagérés ou sortis de leur contexte et que Mme [S] procède par extrapolation.

Si l'association soutient à juste titre que Mme [I] ne rapporte pas que des salariés auraient demandé à ce que Mme [S] soit écartée du projet avec la ville et qu'elle profiterait de la MJC pour obtenir indument le paiement d'heures complémentaires, l'employeur, sans inverser la charge de la preuve, reste taisant sur le fait que le témoin indique que M. [U] a déclaré qu'une personne de l'équipe municipale avait dénigré le travail de Mme [S] en le considérant comme «ni fait, ni à faire..» et qu'il avait ensuite été qualifié de «torchon» .

L'attestation n'est certes pas conforme aux exigences de l'article 202 du code de procédure civile mais apparaît suffisamment probante à la juridiction dès lors que l'employeur n'a pas seulement omis de développer le moindre moyen de défense sur les propos litigieux mais n'a pas davantage répondu au courriel de Mme [S] du 7 juin 2016 aux termes duquel elle a transmis son arrêt de travail, en faisant expressément référence à la réunion du 01 juin 2016 lors de laquelle elle était absente et où des propos diffamatoires ont été colportés à son égard, exprimant le souhait qu'ils soient sanctionnés par le conseil d'administration.

Par ailleurs, le moyen développé par l'employeur selon lequel Mme [I] a été consultée pour la défense des intérêts de la MJC de [Localité 4] dans le cadre de la procédure prud'homale rendant mal venue son attestation et laissant songeur sur la crédibilité des propos qu'elle rapporte, est dénué de toute base factuelle en l'absence d'éléments corroborant cette allégation.

La conscience du danger est suffisamment établie puisque les propos outranciers tenus par un autre salarié à l'égard de Mme [S] l'ont été en présence de l'employeur.

Or, la MJC de [Localité 4], sans inverser la charge de la preuve, Mme [S] ne pouvant démontrer un fait négatif mais justifiant avoir réclamé une sanction pour les faits litigieux, n'allègue aucunement avoir, immédiatement ou dans les suites de cette réunion, recadré voire sanctionné M. [U].

En s'abstenant de faire usage de son pouvoir hiérarchique à l'égard d'un salarié tenant des propos outranciers sur le travail de l'une de ses collègues, en son absence mais en présence des membres du conseil d'administration et des autres salariés, dans un contexte avéré de tensions récurrentes antérieures entre Mme [S] et d'autres salariés, dont MM. [U] et [W], peu important leur imputabilité, l'employeur a incontestablement commis une faute à l'origine de l'accident du travail dont Mme [S] a été victime le lendemain lorsque les propos lui ont été rapportés par une autre salariée, étant relevé que l'employeur avait nécessairement conscience du danger certain que ces propos parviennent à sa connaissance puisque la réunion portait sur la situation économique de la structure et ses réorganisations et qu'il est constant, quoique Mme [S] et l'employeur soient en désaccord sur le rôle joué par celle-ci dans la réorganisation alors en cours de l'entreprise, que Mme [S] en était un acteur clé, discuté et même controversé puisque les parties s'accordent à tout le moins sur le fait qu'une réunion du bureau s'était tenue le 25 mai 2016, une autre des délégués du personnel le 26 mai et enfin du conseil d'administration le 8 juin 2016.

L'employeur développe un moyen inopérant dans une défense au fond tenant au fait que par arrêt en date du 29 septembre 2020, la cour d'appel de Chambéry, dans le cadre d'une instance prud'homale initiée par Mme [S], a débouté celle-ci de ses prétentions au titre du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité et à raison de l'inaptitude provoquée fondant son licenciement dans la mesure où il ne résulte aucunement des motifs de l'arrêt qu'il ait été soutenu et répondu au moyen spécifique tenant à l'absence de réponse adaptée de l'employeur à des propos outranciers de salariés, dont M. [U], lors de la réunion s'étant tenue le 01 juin 2016 à l'origine de l'accident du travail du 2 juin 2016.

Il s'ensuit qu'infirmant le jugement entrepris, il convient de dire que l'association MJC de [Localité 4] a commis une faute inexcusable à l'origine de l'accident du travail dont Mme [D] [S] a été victime le 02 juin 2016.

Sur la réparation du préjudice subi':

En cas de faute inexcusable, la victime ou ses ayants droit reçoivent une majoration des indemnités qui sont dues en vertu de la législation sur les accidents du travail (CSS, art. L. 452-2, al. 1).

L'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale dispose qu'en cas de faute inexcusable de l'employeur, et indépendamment de la majoration de rente, la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle peut demander à l'employeur, devant la juridiction de sécurité sociale, la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales endurées, de ses préjudices esthétique et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.

Ces dispositions ne font pas obstacle à ce que la victime d'un accident du travail, demande également à l'employeur, la réparation, outre des chefs de préjudice énumérés par le texte susvisé, mais aussi celle de l'ensemble des dommages non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale comprenant notamment ainsi que le sollicite la victime le déficit fonctionnel temporaire et les préjudices permanents exceptionnels dès lors qu'il est prouvé qu'ils sont distincts de l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent.

La réparation de ces préjudices est versée directement aux bénéficiaires par la caisse qui en récupère le montant auprès de l'employeur.

En l'espèce, dès lors que la faute inexcusable est reconnue, il y a lieu de dire que le capital ou la rente servi par la caisse sera majoré au maximum.

En outre, Mme [S] est fondée à solliciter une expertise aux fins de détermination de son préjudice complémentaire au vu de son taux d'incapacité permanente et des éléments médicaux produits.

S'agissant d'une éventuelle diminution des possibilités de promotion professionnelle, dont l'indemnisation ne dépend pas des conclusions d'une expertise médicale, son indemnisation suppose que la salariée établisse qu'elle aurait eu, au jour de son arrêt de travail, de sérieuses chances de promotion professionnelle, quel que soit le cadre dans lequel elles étaient susceptibles de se réaliser.

Il n'y a donc pas lieu de prévoir ce chef de préjudice dans la mission de l'expert et il appartiendra ultérieurement à Mme [S], si elle entend solliciter une indemnisation à ce titre, de rapporter la preuve de ce préjudice.

Il convient dès lors avant dire droit d'ordonner l'expertise médicale sollicitée aux frais avancés de la CPAM de la Savoie, selon les modalités précisées au dispositif de la décision en tenant compte des règles sus-rappelées s'agissant de l'évaluation du préjudice subi en matière de faute inexcusable de l'employeur.

Compte tenu des éléments médicaux fournis, il sera fait droit à la demande de provision à valoir sur l'indemnisation du préjudice subi à hauteur de 3000 euros.

Il y a lieu de dire que la CPAM de la Savoie fera l'avance des sommes allouées à Mme [S] au titre de la faute inexcusable de son employeur en application de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale.

Par ailleurs, il y a lieu de condamner l'association MJC de [Localité 4] à rembourser à la CPAM de la Savoie les sommes qu'elle aura été amenée à verser à Mme [S], y compris les frais d'expertise.

Enfin, les prétentions au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que des dépens sur lesquels la cour d'appel doit statuer à raison de l'abrogation de l'article R.144-10 du code de la sécurité sociale, seront réservés.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi ;

INFIRME le jugement en l'ensemble de ses dispositions,

Statuant à nouveau,

DIT que l'accident de travail dont Mme [D] [S] a été victime le 02 juin 2016 est dû à la faute inexcusable de son employeur, l'association MJC de [Localité 4],

FIXE au maximum la majoration de la rente ou du capital servi à Mme [D] [S],

Avant dire droit sur l'indemnisation des préjudices complémentaires de Mme [D] [S] :

ORDONNE une expertise médicale,

COMMET pour y procéder le Docteur [J] [C], expert inscrit sur la liste des experts de la cour d'appel de Grenoble, [Adresse 2]

avec pour mission de :

- convoquer, dans le respect des textes en vigueur, Mme [D] [S],

- Après avoir recueilli les renseignements nécessaires sur l'identité de Mme [D] [S] et sa situation, les conditions de son activité professionnelle, son statut et/ou sa formation s'il s'agit d'un demandeur d'emploi, son mode de vie antérieur à l'accident et sa situation actuelle,

- A partir des déclarations de Mme [D] [S], au besoin de ses proches et de tout sachant, et des documents médicaux fournis, décrire en détail les lésions initiales, les modalités de traitement, en précisant le cas échéant, les durées exactes d'hospitalisation et, pour chaque période d'hospitalisation, le nom de l'établissement, les services concernés et la nature des soins,

- Recueillir les doléances de Mme [D] [S] et au besoin de ses proches, l'interroger sur les conditions d'apparition des lésions, l'importance des douleurs, la gêne fonctionnelle subie et leurs conséquences,

- Décrire au besoin un état antérieur en ne retenant que les seuls antécédents qui peuvent avoir une incidence sur les lésions ou leurs séquelles,

- Procéder, en présence des médecins mandatés par les parties avec l'assentiment de Mme [D] [S], à un examen clinique détaillé en fonction des lésions initiales et des doléances exprimées par elle,

- Analyser dans un exposé précis et synthétique :

* la réalité des lésions initiales,

* la réalité de l'état séquellaire,

* l'imputabilité directe et certaine des séquelles aux lésions initiales en précisant au besoin l'incidence d'un état antérieur.

- Tenir compte de la date de consolidation fixée par l'organisme social,

- Préciser les éléments des préjudices limitativement listés à l'article L452-3 du code de la sécurité sociale :

* Souffrances endurées temporaires et/ou définitives :

Décrire les souffrances physiques, psychiques ou morales découlant des blessures subies pendant la maladie traumatique en distinguant le préjudice temporaire et le préjudice définitif, les évaluer distinctement dans une échelle de 1 à 7,

* Préjudice esthétique temporaire et/ou définitif :

Donner un avis sur l'existence, la nature et l'importance du préjudice esthétique, en distinguant le préjudice temporaire et le préjudice définitif. Évaluer distinctement les préjudices temporaire et définitif dans une échelle de 1 à 7,

* Préjudice d'agrément :

Indiquer si la victime est empêchée en tout ou partie de se livrer à des activités spécifiques de sport ou de loisir, en distinguant les préjudices temporaires et définitif,

- Préciser les éléments des préjudices suivants, non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale :

* Déficit fonctionnel temporaire:

Indiquer les périodes pendant lesquelles la victime a été, pour la période antérieure à la date de consolidation, affectée d'une incapacité fonctionnelle totale ou partielle, ainsi que le temps d'hospitalisation.

En cas d'incapacité partielle, préciser le taux et la durée,

* Assistance par tierce personne avant consolidation :

Indiquer le cas échéant si l'assistance constante ou occasionnelle d'une tierce personne (étrangère ou non à la famille) est ou a été nécessaire, avant consolidation, pour effectuer les démarches et plus généralement pour accomplir les actes de la vie quotidienne, préciser la nature de l'aide prodiguée et sa durée quotidienne,

* Frais de logement et/ou de véhicule adaptés :

Donner son avis sur d'éventuels aménagements nécessaires pour permettre, le cas échéant, à la victime d'adapter son logement et/ou son véhicule à son handicap,

* Préjudices permanents exceptionnels et préjudice d'établissement :

Dire si la victime subit, de manière distincte du déficit fonctionnel permanent, des préjudices permanents exceptionnels correspondant à des préjudices atypiques directement liés aux handicaps permanents et un préjudice d'établissement

* Préjudice sexuel :

Indiquer s'il existe ou s'il existera un préjudice sexuel (perte ou diminution de la libido, impuissance ou frigidité, perte de fertilité),

* Préjudices permanents exceptionnels :

Dire si la victime subit, de manière distincte du déficit fonctionnel permanent, des préjudices permanents exceptionnels correspondant à des préjudices atypiques directement liés aux handicaps permanents,

- Établir un état récapitulatif de l'ensemble des postes énumérés dans la mission,

DIT que l'expert pourra s'adjoindre tout spécialiste de son choix, à charge pour lui d'en informer préalablement le magistrat chargé du contrôle des expertises et de joindre l'avis du sapiteur à son rapport, et que si le sapiteur n'a pas pu réaliser ses opérations de manière contradictoire, son avis devra être immédiatement communiqué aux parties par l'expert,

DIT que l'expert devra communiquer un pré rapport aux parties en leur impartissant un délai raisonnable pour la production de leurs dires écrits auxquels il devra répondre dans son rapport définitif,

DIT que les frais de l'expertise seront avancés par la Caisse primaire d'assurance maladie de la Savoie,

DIT que l'expert déposera au greffe de la cour son rapport dans le délai de six mois à compter de sa saisine,

DIT que l'expert fera connaître sans délai son acceptation, qu'en cas de refus ou d'empêchement légitime, il sera pourvu à son remplacement,

DESIGNE le président ou tout magistrat de la Chambre sociale de la cour pour surveiller les opérations d'expertise,

ALLOUE à Mme [D] [S] une indemnité provisionnelle de trois mille euros (3000 euros) à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices,

DIT que la Caisse primaire d'assurance maladie de la Savoie fera l'avance des sommes allouées à Mme [D] [S] au titre de la majoration de la rente ou du capital, de l'indemnité provisionnelle ainsi que des frais d'expertise,

CONDAMNE l'association MJC de [Localité 4] à rembourser à la CPAM de la Savoie les sommes qu'elle aura été amenée à verser à Mme [D] [S], y compris les frais d'expertise,

DIT que l'affaire sera de nouveau appelée sur la liquidation des préjudices au titre de l'indemnisation complémentaire, après dépôt du rapport, à l'initiative de la partie la plus diligente,

RESERVE le surplus des prétentions au principal, les dépens et les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile en fin de cause.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Mme Magali DURAND-MULIN, Conseiller faisant fonction de président et par Mme Chrystel ROHRER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le GreffierLe Conseiller


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Ch.secu-fiva-cdas
Numéro d'arrêt : 20/01320
Date de la décision : 13/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-13;20.01320 ?
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