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13/09/2022 | FRANCE | N°20/01153

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Ch.secu-fiva-cdas, 13 septembre 2022, 20/01153


C9



N° RG 20/01153



N° Portalis DBVM-V-B7E-KMRR



N° Minute :











































































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Copie exécutoire délivrée le :







Me Sophie GEYNET-BOURGEON



la SELARL FTN



Me Cécile GABION

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la CPAM DE L'ISÈRE





























AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE GRENOBLE



CHAMBRE SOCIALE - PROTECTION SOCIALE

ARRÊT DU MARDI 13 SEPTEMBRE 2022

Ch.secu-fiva-cdas





Appel d'une décision (N° RG 17/01338)

rendue par le Pole social du Tribunal judiciaire de GRENOBLE

en date du 23 janvier 2020

suivant déclaration d'appel du 09 mars 2020





APPELA...

C9

N° RG 20/01153

N° Portalis DBVM-V-B7E-KMRR

N° Minute :

Notifié le :

Copie exécutoire délivrée le :

Me Sophie GEYNET-BOURGEON

la SELARL FTN

Me Cécile GABION

la CPAM DE L'ISÈRE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE SOCIALE - PROTECTION SOCIALE

ARRÊT DU MARDI 13 SEPTEMBRE 2022

Ch.secu-fiva-cdas

Appel d'une décision (N° RG 17/01338)

rendue par le Pole social du Tribunal judiciaire de GRENOBLE

en date du 23 janvier 2020

suivant déclaration d'appel du 09 mars 2020

APPELANT :

M. [Z] [L]

[Adresse 2]

[Localité 5]

représenté par Me Sophie GEYNET-BOURGEON, avocat au barreau de GRENOBLE

INTIMEES :

La CPAM DE L'ISERE, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

Service Contentieux Général

[Adresse 1]

[Localité 3]

comparante en la personne de Mme [G] [N], régulièrement munie d'un pouvoir

S.A. [8]

[Adresse 9]

[Localité 4]

représentée par Me Florence NERI de la SELARL FTN, avocat au barreau de GRENOBLE, substituée par Me Alexandre FRANCE, avocat au barreau de GRENOBLE

S.A.S.U. [11]

[Adresse 6]

[Localité 7]

représentée par Me Cécile GABION, avocat au barreau de GRENOBLE

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Magali DURAND-MULIN, Conseiller faisant fonction de Président,

Mme Isabelle DEFARGE, Conseiller,

M. Frédéric Blanc, Conseiller,

DÉBATS :

A l'audience publique du 24 mai 2022

Mme Magali DURAND-MULIN, chargée du rapport a entendu les parties en leurs dépôts de conclusions et observations, assistée de Mme Kristina YANCHEVA, Greffier, conformément aux dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, les parties ne s'y étant pas opposées ;

Puis l'affaire a été mise en délibéré au 13 septembre 2022, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.

L'arrêt a été rendu le 13 septembre 2022.

EXPOSE DU LITIGE':

M. [Z] [L] a été mis à disposition, par la société [11], de la société [8] selon contrat de mission d'intérim sur la période du 29 novembre 2010 au 10 décembre 2010 en qualité d'agent de production.

Le 09 décembre 2010, la société [11] a déclaré un accident du travail subi par M. [L] le 7 décembre 2010 au service de la société [8] avec les circonstances suivantes': «M. [L] rangeait les riblons coupés par la cisaille ébouteuse. C'est en se déplaçant pour prendre l'un de ces riblons qu'il a mis le pied dans l'espace entre les tôles de couverture de la fosse à éboutures, et il a passé la jambe à travers», étant relevé qu'il est précisé que l'accident est alors décrit ainsi par la victime.

Il est fait état de lésions au niveau de la jambe droite sous forme de contusion (hématomes).

Le certificat médical initial n'est pas produit mais le certificat final fait état d'une luxation de la rotule droite du genou.

L'accident a été pris en charge au titre de la législation professionnelle par la CPAM de l'Isère selon décision du 24 décembre 2010.

Par courrier du 4 décembre 2012, la CPAM de l'Isère a informé M. [L] de la consolidation de son état à la date du 16 décembre 2012, le taux initial retenu d'IPP étant de 5 %, qui a été élevé à 8 % ensuite d'une décision du tribunal du contentieux de l'incapacité du 18 mars 2014.

Par courrier du 15 janvier 2013, M. [L] a demandé à la CPAM de l'Isère la reconnaissance d'une faute inexcusable de son employeur.

Un procès-verbal de carence a été dressé le 05 septembre 2013.

Par courrier du 28 octobre 2013, M. [Z] [L] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Grenoble d'une demande de reconnaissance de faute inexcusable de son employeur, la société [11] au contradictoire de la société [8].

Par jugement en date du 30 septembre 2016, le tribunal des affaires de sécurité sociales de Grenoble a ordonné la radiation de l'affaire.

M. [L] a formulé une demande de remise au rôle le 20 novembre 2017.

La société [11] a fait valoir que la faute inexcusable alléguée ne pouvait relever que de la responsabilité de la société utilisatrice à l'égard de laquelle elle a formé un recours en garantie.

La société [8] s'est opposée aux prétentions adverses.

La CPAM de l'Isère s'en est rapportée à justice sur le principe de la reconnaissance de la faute inexcusable.

Par jugement en date du 23 janvier 2020, le pôle social du tribunal judiciaire de Grenoble a':

-dit que l'accident dont a été victime M. [Z] [L] le 07 décembre 2010 n'est pas dû à la faute inexcusable de son employeur,

-débouté M. [Z] [L] de l'intégralité de ses demandes,

-condamné M. [Z] [L] aux dépens nés postérieurement au 01 janvier 2019.

La décision a été notifiée par lettres recommandées avec accusé de réception signé le 25 février 2020 par la société [11], M. [L], la société [8] et tamponné le 25 février 2020 par la CPAM de l'Isère.

Par déclaration en date du 09 mars 2020, M. [Z] [L] a interjeté appel à l'encontre dudit jugement.

M. [Z] [L] s'en est remis à oralement à des conclusions transmises le 24 mars 2022 et demande à la cour de':

Vu le jugement du 23 janvier 2020,

Vu les articles L. 452-1 et suivants du code de la sécurité sociale,

Réformer en son entier le jugement entrepris,

En conséquence,

Dire et juger que l'accident du travail dont M. [Z] [L] a été victime le 7 décembre 2010 est due à la faute inexcusable de l'entreprise utilisatrice, la société [8] substituée dans la direction à son employeur la société de travail temporaire [11].

En conséquence,

Voir porter au taux maximum le taux de la rente versée à M. [Z] [L].

Ordonner avant dire droit sur l'indemnisation des préjudices corporels subis par M. [Z] [L] une expertise médicale et commettre tel expert qu'il plaira pour :

'Décrire les lésions imputables à l'accident de travail litigieux ;

'Dégager, en les spécifiant les éléments propres à justifier une indemnisation au titre des souffrances endurées et ce propre à justifier une indemnisation au titre du déficit fonctionnel temporaire total et partiel aux fins d'évaluer le préjudice résultant de la gêne dans les actes de la vie courante (séparation familiale durant hospitalisations, perte de la qualité de vie etc.) ;

' Indiquer, le cas échéant, quels sont parmi les activités sportives, loisirs et d'agréments mentionnés par la victime, celles qui ne peuvent être exercées ou accomplissant gêne en précisant si cette privation ou gêne est temporaire ou définitive ;

'Donner un avis sur l'existence, la nature ou l'importance du préjudice esthétique en précisant s'il est temporaire (avant consolidation) ou définitif et l'évaluer selon l'échelle habituelle ;

'Donner un avis sur l'incidence professionnelle de l'accident en précisant notamment si du fait des séquelles dont demeure atteint M. [Z] [L], il résulte une perte ou d'une diminution de ses possibilités de promotion professionnelle ;

Dire que l'expert devra accomplir sa mission en présence des parties ou l'dûment convoquée, recueillir leurs observations et déposées rapport de ses opérations dans le délai de quatre mois suivant la notification de sa mission ;

Dire que les frais d'expertise seront avancés par l'entreprise utilisatrice, la société [8] ;

Allouer à M. [Z] [L] une indemnité provisionnelle de 2.000 € à valoir sur l'indemnisation de son préjudice personnel en cours ;

Condamner la société de travail temporaire [11] à payer à M. [Z] [L] la somme de 1.500 € en application de l'Art. 700 du code de procédure civile ;

Dire que la société de travail temporaire devra rembourser à la caisse primaire d'assurance-maladie de l'Isère les sommes dont elle aurait fait l'avance en application des articles L. 4 152-deux et L4 153-trois du code de la sécurité sociale ainsi que les frais d'expertise et les intérêts au taux légal de toute condamnation au fond ;

Dire que l'entreprise utilisatrice la société [8] devra garantir l'entreprise de travail temporaire [11] de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre tant en principal, intérêts et frais qu'au titre de l'Art. 700 du code de procédure civile ;

Condamner la société [11] garantie par la société [8] aux entiers dépens.

La société [11] s'en est remise oralement à des conclusions transmises le 16 février 2022 et entend voir':

-confirmer en toutes ses dispositions le jugement du 23 janvier 2020,

Et ainsi,

A titre principal': sur l'absence de faute inexcusable':

-dire que l'appelant ne prouve aucunement ses allégations,

-constater qu'aucun grief n'est dirigé contre la société [11],

-dire et juger qu'aucune faute ne peut être imputée à la société [11],

-dire et juger qu'aucune faute ne peut être imputée à la société [8],

-débouter par conséquent M. [L] de l'ensemble de ses demandes et prétentions,

A titre subsidiaire, dans l'hypothèse de la reconnaissance de la faute inexcusable':

-constater qu'aucun grief n'est dirigé contre la société [11],

-dire et juger que la société [11] n'a commis aucune faute ni manquement dans la survenance de l'accident de M. [L],

-constater que la société [11] a respecté les obligations qui lui incombaient,

-dire et juger que la faute inexcusable relève de la seule responsabilité de l'entreprise utilisatrice, la société [8], substituée dans la direction des salariés en application de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale,

-condamner la société [8], en application des articles L. 412-6 et L. 241-5-1 du code de la sécurité sociale, à garantir la société [11] de toutes les condamnations qui seront prononcées au titre de la faute inexcusable tant en principal, qu'en intérêts et frais,

-constater que la société [11] s'en remet à la sagesse de la cour concernant l'organisation d'une expertise médicale judiciaire dans la limite des préjudices indemnisables au titre de la faute inexcusable,

-dire et juger que la société [11] ne fera pas l'avance des frais d'expertise,

-débouter les autres parties de toute demande de condamnation qui pourrait être formulée à l'encontre de la société [11] au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de toute autre demande formulée à son encontre,

Et subsidiairement,

-condamner la société [8] à garantir la société [11] des sommes auxquelles elle serait éventuellement condamnée au titre de l'article 700 du code de procédure civile

-déclarer le jugement commun et opposable à la CPAM.

La société [8] s'en est rapportée oralement à des conclusions transmises le 26 août 2020 et entend voir':

-constater que M. [Z] [L] ne démontre pas que le poste confié était un poste à risques,

-dire que M. [Z] [L] ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de l'existence de la faute inexcusable de la société [8],

-débouter M. [Z] [L] de sa demande en reconnaissance de faute inexcusable et de l'ensemble de ses autres demandes,

En conséquence,

-confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Grenoble en date du 23 janvier 2020,

A titre subsidiaire,

-limiter la mission de l'expert à l'évaluation des préjudices personnels énumérés par l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale et aux préjudices qui ne sont pas couverts en tout ou partie ou de manière restrictive par le livre IV du code de la sécurité sociale, à l'exclusion notamment des préjudices liés à l'incidence professionnelle et à la perte ou la diminution des possibilités de promotions professionnelles,

-débouter M. [Z] [L] de sa demande au titre des dépens.

La CPAM de l'Isère s'en est remise oralement à un courrier reçu le 23 mai 2022 aux termes duquel elle s'en rapporte à justice sur la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur ainsi qu'à l'évaluation des préjudices et demande la condamnation de l'employeur à lui rembourser les sommes dont elle aurait fait l'avance.

Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l'article 455 du code de procédure civile de se reporter à leurs écritures sus-visées.

EXPOSE DES MOTIFS':

Sur la faute inexcusable':

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié ainsi que des accidents du travail. Dès lors, le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

La charge de la preuve de la conscience du danger incombe à la victime de la faute inexcusable.

L'exigence d'une conscience du danger ne vise pas une connaissance effective de celui-ci. La seule condition est que l'auteur ne pouvait ignorer le danger, ou ne pouvait pas ne pas en avoir conscience ou encore qu'il aurait dû en avoir conscience et l'appréciation de la conscience du danger, in abstracto.

Il résulte toutefois des articles L. 4154-2 et L. 4154-3 du code du travail et L. 452-1 du code de la sécurité sociale que l'existence d'une faute inexcusable de l'employeur, au sens du dernier, est présumée établie pour les salariés titulaires d'un contrat de travail à durée déterminée, victimes d'un accident du travail, alors qu'affectés à des postes de travail présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité, ils n'ont pas bénéficié de la formation renforcée à la sécurité prévue par le premier.

Il est indifférent que la faute de l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident survenu au salarié ; il suffit qu'elle soit une cause nécessaire du dommage.

Les causes indéterminées n'ont pas pour conséquence qu'il ne peut y avoir de faute inexcusable de l'employeur mais la relation de causalité entre les manquements susceptibles d'être imputés à l'employeur et la survenance de l'accident doit exister à défaut de laquelle la faute inexcusable ne peut être retenue (Civ. 2ème, 20 mars 2008 pourvoi n°07-12.417).

Au-delà des circonstances imprécises et indéterminées des causes de l'accident, les juges du fond doivent vérifier l'existence ou non d'un tel manquement de l'employeur dans la réalisation de l'accident par une appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve produits. (cass.2e Civ., 18 mars 2021, pourvoi n° 19-24.284)

Il importe peu que le salarié ait lui-même commis une imprudence ayant concouru à son dommage. Cette circonstance ne peut atténuer la gravité de la faute de l'employeur. Cette imprudence n'a également aucune incidence sur le droit à réparation de la victime, en tout état de cause, celle-ci a droit au taux maximal de la majoration de la rente, à la seule exception de l'hypothèse où le salarié victime a lui-même commis une faute inexcusable, au sens de l'article L.'453-1 du même code.

La faute inexcusable n'est pas nécessairement unique : il peut y avoir eu plusieurs actes ou omissions volontaires, et donc, éventuellement, plusieurs personnes responsables de ces actes ou omissions ayant un lien de causalité avec l'accident.

La faute inexcusable du salarié est définie comme étant une faute volontaire d'une exceptionnelle gravité exposant, sans raison valable, son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience.

L'article L. 412-6 du code de la sécurité sociale énonce que':

Pour l'application des articles L. 452-1 à L. 452-4, l'utilisateur, le chef de l'entreprise utilisatrice ou ceux qu'ils se sont substitués dans la direction sont regardés comme substitués dans la direction, au sens desdits articles, à l'employeur. Ce dernier demeure tenu des obligations prévues audit article sans préjudice de l'action en remboursement qu'il peut exercer contre l'auteur de la faute inexcusable.

L'alinéa 3 de l'article L 241-5-1 du code de la sécurité sociale énonce que':

Dans le cas où le salarié intérimaire engage une action en responsabilité fondée sur la faute inexcusable de l'employeur, sans qu'il y ait eu mise en cause de l'entreprise utilisatrice, l'entreprise de travail temporaire est tenue d'appeler en la cause l'entreprise utilisatrice pour qu'il soit statué dans la même instance sur la demande du salarié intérimaire et sur la garantie des conséquences financières d'une reconnaissance éventuelle de faute inexcusable.

En l'espèce, premièrement, alors qu'aucune mention d'un risque particulier sur le poste ne résulte du contrat de mission et que les parties intimées contestent que le salarié ait dû bénéficier d'une formation renforcée, M. [L], embauché comme agent de production, n'explicite aucunement en quoi «compte tenu du lieu où il travaille, il est manifeste qu'il doit être formé spécifiquement» (page 7 § 6 de ses conclusions d'appel), ne produisant aucun élément précis et utile relatif aux tâches qui lui étaient confiées et à leur dangerosité spécifique.

Il s'ensuit que c'est à tort que M. [L] se prévaut d'une présomption de faute inexcusable.

Deuxièmement, certes, la version des faits de M. [L] de l'accident du travail telle que relatée dans son courrier du 15 janvier 2013 à la CPAM de demande de reconnaissance d'une faute inexcusable de l'employeur et qu'il reprend dans l'exposé du litige de ses conclusions, selon laquelle «le lieu de l'accident est une fosse d'environ 3 mètres de fond, assortie à son extrémité inférieure d'une benne de récupération de métaux ainsi que d'une cisaille à découper la ferraille. Cette fosse, lieu de travail très dangereux, n'est pas protégée par une main courante de sécurité assortie d'un portillon d'accès. Ce jour-là, mardi 07 décembre 2010, lors de l'activité professionnelle qui m'avait été imposée, j'ai été contraint de me hisser sur les deux tôles qui se trouvaient en porte à faux au sommet de la fosse et ce, afin de débarrasser des morceaux de ferraille gênants. Cela faisait partie de mes fonctions sur cet atelier. A ce moment précis, 14h20, les tôles ont bougé, j'ai passé le pied droit entre les deux tôles et j'ai fini par basculer dans le vide, ce qui m'a déplacé la rotule droite en plus de la chute. Mon collègue de travail qui était présent à juste eu le temps d'appuyer sur le bouton d'arrêt d'urgence de la cisaille, sous laquelle je me précipitais» ne résulte que de ses propres déclarations.

Or, cette relation des faits par le salarié victime de l'accident sur les circonstances l'entourant est pour une large part contredite ou à tout le moins non compatible avec les éléments sérieux fournis par l'employeur, dont certains sont d'ailleurs repris ensuite à son compte par M. [L] dans ses conclusions, en particulier les témoignages d'autres salariés présents.

Ainsi, M. [A] [Y] a ainsi attesté que': «après avoir lu les propos de M. [L], je m'inscris en faux. Nous étions en changement de production et donc le laminoir et la cisaille était (ent) arrêté (s). Personne n'a eu à appuyer sur un arrêt d'urgence puisque la cisaille était arrêté(e). Il indique devoir descendre dans la fosse ce qui est faux, puisqu'il avait encore la tôle couvercle qui recouvre la benne. Cette action de sortir la benne existe depuis très longtemps et rien n'a été modifié depuis dans la façon de faire.(')».

M. [H] a de son côté témoigné du fait que': «j'étais en activité le jour de l'accident. J'ai été averti par le contremaître de poste. En me rendant sur le site, j'ai pu constater que la victime avait la jambe droite partiellement engagée dans l'espace entre deux tôles de matelage (''). Un des opérateurs l'aidait à se dégager. La victime allait procéder au remplacement d'une benne à éboutures sous la cisaille CVD. Cette opération se fait laminoir et cisaille arrêtés, sans précipitation et sans utilité de descendre dans la fosse, de toute(s) façon(s) il n'y a pas la place pour le faire. La manutention de la benne se fait à l'aide de chaînes pré-positionnées et avec un pont roulant».

M. [R] [B] a quant à lui expliqué que': «j'étais présent lors l'accident de M. [L] et ('). En se déplaçant, il a mis le pied entre les deux tôles qui recouvrent la benne. On a toujours sorti la benne lorsque le laminoir est en arrêt. (')»

La pièce n°9 de la société [8] permet également à la juridiction d'avoir une vision précise des lieux où s'est produit l'accident grâce aux photographies couleur produites ainsi qu'une compréhension claire de la procédure de changement de benne à éboutures sous cisailles CVD.

La cour d'appel observe également que les circonstances détaillées de l'accident figurant dans la déclaration d'accident du travail sont encore différentes des versions fournies par les uns et les autres puisqu'il est précisé': «M. [L] rangeait les riblons coupés par la cisaille ébouteuse. C'est en se déplaçant pour prendre l'un de ces riblons qu'il a mis le pied dans l'espace entre les tôles de couverture de la fosse à éboutures, et il a passé la jambe à travers».

Pour autant, si toutes les circonstances précises de l'accident ne sont pas éclaircies et en particulier s'agissant de l'activité à laquelle le salarié se livrait précisément lors de l'incident, il est pour autant a minima établi et non discutable que M. [L] a coincé sa jambe droite dans l'espace entre les deux tôles de protection à la fosse se trouvant en-dessous et servant à recueillir au moyen d'une benne les déchets résultant des travaux d'éboutage.

Or, cet accident, indépendamment d'une éventuelle imprudence de M. [L] n'a pu se produire qu'à raison d'un écart trop important entre les deux tôles, visible sur les photographies produites'; la fiche d'étude ultérieure de l'accident du travail, que le salarié vise dans ses conclusions, ayant conclu à la nécessité de «réduire le passage entre les deux tôles qui a été mesuré à 120 mm.»

La société [8], substitué à l'employeur, avait incontestablement conscience au préalable de ce risque de chute, glissade ou faux pas puisqu'il s'agit d'un risque identifié pour l'atelier laminoir train 3 dans le livret qu'il produit en pièce n°17 dont il soutient qu'il a été remis au salarié.

Si M. [L] invoque à tort au vu de la configuration des lieux et de son poste de travail une faute de l'employeur ayant consisté à ne pas avoir mis en 'uvre un garde-corps aux abords de la fosse recouverte de deux tôles, il se prévaut à juste titre, en visant le rapport d'accident du travail, d'un manquement de l'entreprise utilisatrice substituée à l'employeur, constitutif d'une des causes de l'accident, ayant consisté à maintenir inutilement et sans raison objective un espace anormalement important entre les deux tôles, dont l'usure sur les photographies apparaît d'ailleurs avancée, au point que la jambe d'une personne puisse y glisser et, à supposer même, que cet espace ait été techniquement nécessaire ' ce qui n'est pas soutenu par l'entreprise utilisatrice ' de n'avoir pas prévu une signalétique appropriée dans une zone de circulation comportant un danger visible et objectif de chute.

En conséquence, infirmant le jugement entrepris, il convient de retenir l'existence d'une faute inexcusable à l'origine de l'accident du travail dont M. [L] a été victime 7 décembre 2010.

Sur la réparation du préjudice subi':

En cas de faute inexcusable, la victime ou ses ayants droit reçoivent une majoration des indemnités qui sont dues en vertu de la législation sur les accidents du travail (CSS, art. L. 452-2, al. 1).

L'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale dispose qu'en cas de faute inexcusable de l'employeur, et indépendamment de la majoration de rente, la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle peut demander à l'employeur, devant la juridiction de sécurité sociale, la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales endurées, de ses préjudices esthétique et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.

Ces dispositions ne font pas obstacle à ce que la victime d'un accident du travail, demande également à l'employeur, la réparation, outre des chefs de préjudice énumérés par le texte susvisé, mais aussi celle de l'ensemble des dommages non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale comprenant notamment le déficit fonctionnel temporaire ainsi que le sollicite la victime.

La réparation de ces préjudices est versée directement aux bénéficiaires par la caisse qui en récupère le montant auprès de l'employeur.

En l'espèce, dès lors que la faute inexcusable est reconnue et qu'aucune faute au sens de l'article L. 453-1 du code de la sécurité sociale n'est imputée au salarié, il y a lieu de dire que le capital servi par la caisse sera majoré au maximum.

En outre, M. [Z] [L] est fondé à solliciter une expertise aux fins de détermination de son préjudice au vu de son taux d'incapacité permanente et des éléments médicaux produits.

S'agissant d'une éventuelle diminution des possibilités de promotion professionnelle, dont l'indemnisation ne dépend pas des conclusions d'une expertise médicale, son indemnisation suppose que le salarié établisse qu'il aurait eu, au jour de son arrêt de travail, de sérieuses chances de promotion professionnelle, quel que soit le cadre dans lequel elles étaient susceptibles de se réaliser.

Il n'y a donc pas lieu de prévoir ce chef de préjudice dans la mission de l'expert et il appartiendra ultérieurement à M. [L], s'il entend solliciter une indemnisation à ce titre, de rapporter la preuve de ce préjudice.

Il convient dès lors avant dire droit d'ordonner l'expertise médicale sollicitée aux frais avancés de la CPAM de l'Isère, selon les modalités précisées au dispositif de la décision en tenant compte des règles sus-rappelées s'agissant de l'évaluation du préjudice subi en matière de faute inexcusable de l'employeur et des postes de préjudices visés par le salarié dans la mission d'expertise qu'il a sollicitée.

Compte tenu des éléments médicaux fournis, il sera fait droit à la demande de provision à valoir sur l'indemnisation du préjudice subi à hauteur de 2000 euros.

Il y a lieu de dire que la CPAM de l'Isère fera l'avance des sommes allouées à M. [Z] [L] au titre de la faute inexcusable de son employeur en application de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale.

Il convient de condamner la société [11], employeur de M. [L] à rembourser à la CPAM de l'Isère l'ensemble des sommes qu'elle a avancées, y compris au titre des frais d'expertise, dans le cadre de la reconnaissance de faute inexcusable commise au préjudice de M. [Z] [L], sauf à préciser sur la base du taux initial d'IPP de 5 %.

Dès lors que la faute inexcusable reconnue a été causée exclusivement par l'entreprise utilisatrice, il convient également de condamner la société [8] à garantir la société [11] de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre en principal, intérêts et frais.

Sur les demandes accessoires':

Les prétentions au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que des dépens sur lesquels la cour d'appel doit statuer à raison de l'abrogation de l'article R. 144-10 du code de la sécurité sociale, seront réservés.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi ;

INFIRME le jugement en l'ensemble de ses dispositions,

Statuant à nouveau,

DIT que l'accident de travail dont M. [Z] [L] a été victime le 7 décembre 2010 est dû à la faute inexcusable de son employeur la société [11] auquel était substituée la société [8],

FIXE au maximum la majoration du capital servi à M. [Z] [L],

Avant dire droit sur l'indemnisation des préjudices complémentaires de M. [Z] [L] :

ORDONNE une expertise médicale,

Commet pour y procéder le Docteur [P] [T], expert inscrit sur la liste des experts de la cour d'appel de Grenoble, Service de médecine légale [Adresse 10]

avec pour mission de :

- convoquer, dans le respect des textes en vigueur, M. [Z] [L],

- Après avoir recueilli les renseignements nécessaires sur l'identité de M. [Z] [L] et sa situation, les conditions de son activité professionnelle, son statut et/ou sa formation s'il s'agit d'un demandeur d'emploi, son mode de vie antérieur à l'accident et sa situation actuelle,

- A partir des déclarations de M. [Z] [L], au besoin de ses proches et de tout sachant, et des documents médicaux fournis, décrire en détail les lésions initiales, les modalités de traitement, en précisant le cas échéant, les durées exactes d'hospitalisation et, pour chaque période d'hospitalisation, le nom de l'établissement, les services concernés et la nature des soins,

- Recueillir les doléances de M. [Z] [L] et au besoin de ses proches, l'interroger sur les conditions d'apparition des lésions, l'importance des douleurs, la gêne fonctionnelle subie et leurs conséquences,

- Décrire au besoin un état antérieur en ne retenant que les seuls antécédents qui peuvent avoir une incidence sur les lésions ou leurs séquelles,

- Procéder, en présence des médecins mandatés par les parties avec l'assentiment de M. [Z] [L], à un examen clinique détaillé en fonction des lésions initiales et des doléances exprimées par elle,

- Analyser dans un exposé précis et synthétique :

*la réalité des lésions initiales,

*la réalité de l'état séquellaire,

* l'imputabilité directe et certaine des séquelles aux lésions initiales en précisant au besoin l'incidence d'un état antérieur.

- Tenir compte de la date de consolidation fixée par l'organisme social,

- Préciser les éléments des préjudices limitativement listés à l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale :

* Souffrances endurées temporaires et/ou définitives :

Décrire les souffrances physiques, psychiques ou morales découlant des blessures subies pendant la maladie traumatique en distinguant le préjudice temporaire et le préjudice définitif, les évaluer distinctement dans une échelle de 1 à 7,

* Préjudice esthétique temporaire et/ou définitif :

Donner un avis sur l'existence, la nature et l'importance du préjudice esthétique, en distinguant le préjudice temporaire et le préjudice définitif. Évaluer distinctement les préjudices temporaire et définitif dans une échelle de 1 à 7,

* Préjudice d'agrément :

Indiquer si la victime est empêchée en tout ou partie de se livrer à des activités spécifiques de sport ou de loisir, en distinguant les préjudices temporaires et définitif,

- Préciser les éléments des préjudices suivants, non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale :

* Déficit fonctionnel temporaire :

Indiquer les périodes pendant lesquelles la victime a été, pour la période antérieure à la date de consolidation, affectée d'une incapacité fonctionnelle totale ou partielle, ainsi que le temps d'hospitalisation.

En cas d'incapacité partielle, préciser le taux et la durée,

- Établir un état récapitulatif de l'ensemble des postes énumérés dans la mission,

DIT que l'expert pourra s'adjoindre tout spécialiste de son choix, à charge pour lui d'en informer préalablement le magistrat chargé du contrôle des expertises et de joindre l'avis du sapiteur à son rapport, et que si le sapiteur n'a pas pu réaliser ses opérations de manière contradictoire, son avis devra être immédiatement communiqué aux parties par l'expert,

DIT que l'expert devra communiquer un pré rapport aux parties en leur impartissant un délai raisonnable pour la production de leurs dires écrits auxquels il devra répondre dans son rapport définitif,

DIT que les frais de l'expertise seront avancés par la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère,

DIT que l'expert déposera au greffe de la cour son rapport dans le délai de six mois à compter de sa saisine,

DIT que l'expert fera connaître sans délai son acceptation, qu'en cas de refus ou d'empêchement légitime, il sera pourvu à son remplacement ;

DESIGNE le président ou tout magistrat de la Chambre sociale de la cour pour surveiller les opérations d'expertise,

ALLOUE à M. [Z] [L] une indemnité provisionnelle de deux mille euros (2000 euros) à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices,

DIT que la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère fera l'avance des sommes allouées à M. [Z] [L] au titre de la majoration du capital, de l'indemnité provisionnelle ainsi que des frais d'expertise,

CONDAMNE la société [11] à rembourser à la CPAM de l'Isère les sommes qu'elle aura été amenée à verser à M. [Z] [L], y compris les frais d'expertise, sauf à préciser sur la base du taux initial d'IPP de 5 %,

CONDAMNE la SA [8] à relever et garantir la société [11] de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre en principal, intérêts et frais,

DIT que l'affaire sera de nouveau appelée sur la liquidation des préjudices au titre de l'indemnisation complémentaire, après dépôt du rapport, à l'initiative de la partie la plus diligente,

RESERVE le surplus des prétentions au principal, les dépens et les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile en fin de cause.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Mme Magali DURAND-MULIN, Conseiller faisant fonction de président et par Mme Chrystel ROHRER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le GreffierLe Conseiller


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Ch.secu-fiva-cdas
Numéro d'arrêt : 20/01153
Date de la décision : 13/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-13;20.01153 ?
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