N° RG 20/00394 - N° Portalis DBVM-V-B7E-KKJP
N° Minute :
C2
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE - CHAMBERY
la SELARL CLEMENT-CUZIN LEYRAUD DESCHEEMAKER
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
DEUXIEME CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU MARDI 30 AOUT 2022
Appel d'un Jugement (N° R.G. 17/02972) rendu par le Tribunal de Grande Instance de GRENOBLE en date du 19 décembre 2019, suivant déclaration d'appel du 17 Janvier 2020
APPELANT :
M. [T] [U]
né le [Date naissance 2] 1967 à [Localité 7]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 6]
Représenté par Me Alexis GRIMAUD de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE - CHAMBERY, avocat au barreau de GRENOBLE, postulant, plaidant par Me Jean-Jacques BERTRAND, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉ :
M. [O] [J]
né le [Date naissance 1] 1947 à [Localité 8]
de nationalité Française
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représenté et plaidant par Me Charlotte DESCHEEMAKER de la SELARL CLEMENT-CUZIN LEYRAUD DESCHEEMAKER, avocat au barreau de GRENOBLE
COMPOSITION DE LA COUR : LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Emmanuèle Cardona, présidente
Laurent Grava, conseiller,
Anne-Laure Pliskine, conseillère
DÉBATS :
A l'audience publique du 10 mai 2022 Emmanuèle Cardona, Présidente chargée du rapport, assistée de Frédéric Sticker, greffier, a entendu seule les avocats en leurs conclusions et plaidoiries, les parties ne s'y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile.
Elle en a rendu compte à la Cour dans son délibéré et l'arrêt a été rendu à l'audience de ce jour.
FAITS ET PROCÉDURE
Durant les années 1990, M. [T] [U] était un athlète de haut niveau inscrit au sein de la fédération française des sports de glace (ci-après la FFSG) dans la catégorie bobsleigh depuis 1994.
Après une procédure de conciliation sous l'autorité du comité national olympique et sportif français (ci-après le CNOSF) infructueuse, par requête du 10 juillet 2007, M. [U] a saisi le tribunal administratif de Paris aux fins d'engager la responsabilité de la FFSG, considérant qu'elle avait commis une faute en ne le convoquant pas aux épreuves de présélection pour la constitution de l'équipe de France de bobsleigh.
Par jugement du 3 février 2011, le tribunal administratif de Paris a condamné la FFSG à verser à M. [U] la somme de 52 000 euros au motif qu'elle lui avait fait perdre une chance sérieuse d'être sélectionné en équipe de France au titre des sélections effectuées en 1998.
Par arrêt du 18 février 2013, la cour administrative d'appel de Paris, devant laquelle la FFSG avait produit une attestation de M. [O] [J] du 10 juillet 2012, a annulé le jugement du tribunal administratif et a rejeté la demande de M. [U].
Le pourvoi formé par M. [U] a été déclaré non admis par décision du 5 mars 2014 du Conseil d'Etat.
Par acte du 7 juillet 2017, M. [U] a assigné M. [J] devant le tribunal de grande instance de Grenoble pour voir la responsabilité de ce dernier engagée et voir indemniser ses préjudices, l'attestation dont il est l'auteur, ayant été déterminante dans la décision prise par la cour administrative d'appel de Paris.
Par jugement réputé contradictoire du 19 décembre 2019, le tribunal de grande instance de Grenoble a':
Débouté M. [U] de toutes ses demandes ;
Débouté M. [J] de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
Condamné M. [U] à payer à M. [J] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamné M. [U] aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Descheemaker pour ceux dont il a été fait l'avance sans avoir reçu provision suffisante.
Le tribunal a retenu que :
- tous les développements consacrés au processus de sélection des membres de l'équipe de France de bobsleigh dans l'attestation de M. [J] n'ont eu aucune incidence sur le sens de l'arrêt de la cour administrative d'appel,
- même sans l'attestation de M. [J], le juge administratif serait parvenu à la même conclusion,
- M. [U] a pu discuter le contenu et la force probante de l'attestation devant la cour administrative d'appel sans que cela n'ait emporté la conviction de la juridiction administrative en ce qu'elle n'a pas retenu de faute de la FFSG dans son absence de sélection en équipe de France,
- par conséquent, M. [U] ne rapporte pas la preuve que l'attestation litigieuse ait été déterminante dans l'issue du procès qui l'a opposé à la FFSG.
Le 17 janvier 2020, M. [U] a interjeté appel de cette décision en ce qu'elle a :
- débouté M. [U] de toutes ses demandes ;
- condamné M. [U] à payer à M. [J] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné M. [U] aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Descheemaker pour ceux dont il a été fait l'avance sans avoir reçu provision suffisante.
Par conclusions d'appelant n° 1 notifiées le 17 avril 2020, M. [U] demande à la cour de':
Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [J] de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
L'infirmer en ce qu'il a :
- débouté M. [U] de toutes ses demandes,
- condamné M. [U] à payer à M. [J] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [U] aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Descheemaker pour ceux dont il a été fait l'avance sans avoir reçu provision suffisante ;
Et statuant à nouveau,
Déclarer son appel recevable et bien fondé ;
Constater le caractère mensonger et inexact des affirmations reprises dans l'attestation sur l'honneur établie par M. [J] le 10 juillet 2012 ;
Dire qu'en établissant cette attestation mensongère, en la transmettant à la FFSG et en sachant qu'elle avait vocation à être communiquée dans le cadre d'une procédure juridictionnelle en cours, dans le litige opposant M. [U] à la FFSG, M. [J] a commis une faute délictuelle ;
Constater la mauvaise foi manifeste de M. [J] ;
Dire que cette attestation lui a occasionné un préjudice ne serait-ce que sur le plan moral ;
Dire et constater qu'il y a un lien de connexité entre la faute commise par M. [J] et le préjudice subi par M. [U] ;
En conséquence,
Condamner M. [J] à lui payer la somme de 150 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral subi ;
Débouter M. [J] de toutes ses demandes, fins et conclusions à son encontre ;
Condamner M. [J] à lui verser la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamner M. [J] aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Me Franck Grimaud du cabinet Lexavoué, avocat au barreau de Grenoble.
Par conclusions d'intimé n° 1 notifiées le 15 juillet 2020, M. [J] demande à la cour de':
Confirmer la décision déférée en toutes ses dispositions ;
Débouter M. [U] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
Y ajoutant parte in qua,
Le condamner à lui verser la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure et appel abusifs et celle de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Le condamner en tous les dépens dont distraction au profit de Me Charlotte Descheemaker, avocat.
Le présent arrêt sera contradictoire en application des dispositions de l'article 467 du code de procédure civile.
La clôture de l'instruction est intervenue le 15 septembre 2021.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Il est renvoyé aux dernières conclusions des parties, en vertu des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, pour le détail de leur argumentation.
A titre liminaire, la cour rappelle qu'en application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif. Elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes de « constater » ou de « dire et juger » qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions en ce qu'elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques.
Sur les demandes de M. [U] :
En application de l'article 9 du code de procédure civile il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention et, selon l'article 1353 du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver et réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
Il revient ainsi à la victime d'un préjudice de démontrer qu'elle a subi un préjudice personnel, direct, certain et licite.
L'article 1382 devenu 1240 du code civil prévoit que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, ce qui suppose un rapport de causalité certain entre la faute et le dommage.
Il est de principe que la responsabilité civile s'encourt dès lors que le dommage allégué se trouve lié à la faute établie par un rapport de causalité adéquate.
Le préjudice constitué par la perte d'une chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition de la probabilité d'un événement favorable, étant précisé que, par définition, la réalisation d'une chance n'est jamais certaine. Seule peut constituer une perte de chance réparable la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable. La perte de chance doit reposer sur l'espoir légitime et sérieux, et non simplement hypothétique, que l'événement favorable se soit produit si les circonstances n'en avaient pas empêché la survenance.
En l'espèce, M. [U] soutient que M. [J], en vue de lui nuire, a produit une attestation dans le cadre d'une instance devant le juge administratif. Il souligne que la cour administrative d'appel de Paris a, par décision du 18 février 2013, annulé le jugement du tribunal administratif du 3 février 2011 ayant condamné la FFSG la somme de 52 000 euros, pour lui avoir fait perdre une chance sérieuse d'être sélectionné en équipe de France au titre des sélections effectuées en 1998. Il fait valoir que la cour administrative d'appel s'est appuyée sur cette attestation, dont il conteste la véracité, pour remettre en cause ses qualités sportives, athlétiques et humaines.
M. [U] soutient que l'attestation litigieuse, par son caractère mensonger, est constitutive d'une faute qui lui est préjudiciable. Il indique avoir perdu la chance d'être convoqué aux épreuves de sélection en équipe de France de bobsleigh pour les années 1997 à 1999. Il ajoute que l'objectif de M. [J] consistait à justifier sa non-convocation à ces épreuves de sélection, ce qui lui a causé d'importants préjudices matériel, financier, professionnel et moral.
Il est établi que pour annuler le jugement du tribunal administratif du 3 février 2011, la cour administrative d'appel de Paris a, par sa décision du 18 février 2013, explicitement indiqué qu'il n'appartenait pas au juge administratif « de se prononcer sur l'appréciation à laquelle s'est livrée la FFSG dans le cadre de l'examen [des] critères de sélection » des athlètes au sein de l'équipe nationale dès lors que « l'appréciation des performances des participants ne peuvent être discutées devant lui ».
La cour administrative d'appel, rappelant qu'il lui appartenait uniquement « de s'assurer que les décisions concernant notamment la sélection des athlètes aux compétitions sportives internationales ne sont pas entachées d'erreur de droit ou de fait ou de détournement de pouvoir», a relevé qu'il ne résultait pas de l'instruction que les décisions de non-convocation de M. [U] auraient reposé sur des considérations liées à ses origines antillaises.
Par ailleurs, il ne peut être sérieusement soutenu que l'attestation produite par M. [J], établie le 10 juillet 2012, aux seules fins de production par la FFSG devant le juge administratif d'appel, ait eu pour conséquence la non-sélection de M. [U] au sein de l'équipe de France à la fin des années 1990 dès lors qu'elle a été établie postérieurement aux dates de sélections pour les compétitions de cette époque, pas plus qu'il n'est démontré que l'attestation litigieuse aurait mis fin à sa carrière sportive. Dans ces conditions, M. [J] ne peut être à l'origine, par l'établissement de cette seule attestation, du préjudice allégué par M. [U].
Ainsi, même à supposer le caractère mensonger de l'attestation litigieuse, aucun lien n'est établi entre le contenu de celle-ci et la non-sélection de M. [U] dans l'équipe de France de bobsleigh ou la décision de la cour administrative d'appel de Paris du 18 février 2013.
C'est donc à bon droit que les premiers juges ont considéré que l'attestation de M. [J] n'avait pas eu d'incidence sur le sens de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris, qui serait parvenu à la même conclusion sans cette attestation dont il n'était pas même fait mention dans les motifs de son arrêt.
Par conséquent, le jugement déféré sera confirmé en toutes ses dispositions.
Sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive et appel abusif :
L'exercice d'une action en justice ne dégénère en faute pouvant donner lieu à des dommages-intérêts que si l'appelant a agi par malice ou de mauvaise foi ou avec une légèreté blâmable.
Le simple fait que la procédure soit injustifiée et l'appel rejeté ne la rend pas abusive.
En l'espèce, M. [U] n'a pas interjeté appel du jugement déféré en ce qu'il a débouté M. [J] de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive et M. [J] n'ayant pas interjeté appel incident de ce chef de jugement, l'acte d'appel n'opère aucun effet dévolutif sur ce point, étant souligné, d'une part, que la cour d'appel doit statuer dans la limite du litige dont elle est saisie, et d'autre part, que M. [J] demande, aux termes du dispositif de ses conclusions la confirmation de la décision déférée en toutes ses dispositions.
La cour n'étant pas saisie de cette contestation, il n'y a pas lieu de statuer sur la demande d'indemnisation pour procédure abusive en première instance.
Concernant la demande relative à l'appel abusif, l'intimé n'établit pas l'intention malicieuse, la mauvaise foi ou la légèreté blâmable de M. [U]. Il ne ressort pas du comportement de l'appelant que celui-ci ait été fautif ou dilatoire au point de dégénérer en abus de droit.
De plus, M. [J] se contente, à hauteur d'appel, de demander la condamnation de M. [U] à lui verser 5 000 euros pour procédure abusive sans même caractériser le préjudice qu'il aurait subi à ce titre.
M. [J] sera donc débouté de sa demande à ce titre.
Sur les demandes accessoires :
M. [U], partie perdante, sera condamné aux dépens de la procédure d'appel.
L'équité commande de condamner M. [U] payer à M. [J] la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe après en avoir délibéré conformément à la loi :
Confirme le jugement déféré dans toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Rejette toutes les autres demandes ;
Condamne M. [T] [U] à payer à M. [O] [J] la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre de l'instance d'appel ;
Condamne M. [T] [U] aux dépens de la procédure d'appel, qui seront distraits en application des dispositions de l'article 699 code de procédure civile.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Arrêt signé par Mme Emmanuèle Cardona, Présidente de la deuxième chambre civile et par la Greffière,Caroline Bertolo, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIERELA PRESIDENTE