C1
N° RG 20/01004
N° Portalis DBVM-V-B7E-KMCN
N° Minute :
Copie exécutoire délivrée le :
Me Julie BRUYERE
la SCP ALPAZUR AVOCATS
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
Ch. Sociale -Section A
ARRÊT DU MARDI 05 JUILLET 2022
Appel d'une décision (N° RG F18/00019)
rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GAP
en date du 03 février 2020
suivant déclaration d'appel du 27 Février 2020
APPELANTE :
Madame [L] [U]
La Selle n°17
05000 FREISSINOUSE
représentée par Me Julie BRUYERE, avocat au barreau de GRENOBLE,
INTIMEE :
S.A.R.L. SOCIETE D'EXPLOITATION DES ETABLISSEMENTS [U], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège,
ZA LES FAUVINS
4, Rue des Métiers
05000 GAP
représentée par Me Jean-Pierre AOUDIANI de la SCP ALPAZUR AVOCATS, avocat au barreau de HAUTES-ALPES, substitué par Me Mike BORNICAT, avocat au barreau de HAUTES-ALPES,
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Madame Valéry CHARBONNIER, Conseillère faisant fonction de Présidente,
Madame Gaëlle BARDOSSE, Conseillère,
Madame Magali DURAND-MULIN, Conseillère,
DÉBATS :
A l'audience publique du 02 Mai 2022,
Mme Gaëlle BARDOSSE, Conseillère chargée du rapport, et Mme Valéry CHARBONNIER, Conseillère faisant fonction de Présidente, ont entendu les parties en leurs conclusions et observations, assistées de Mme Mériem CASTE-BELKADI, Greffière, conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, les parties ne s'y étant pas opposées ;
Puis l'affaire a été mise en délibéré au 05 Juillet 2022, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.
L'arrêt a été rendu le 05 Juillet 2022.
Exposé du litige :
Mme [U] a été embauchée comme secrétaire le 1er janvier 1998 suivant contrat à durée indéterminée par son père, M.[U], dirigeant et principal actionnaire de la SARL SOCIÉTÉ D'EXPLOITATION DES ÉTABLISSEMENTS [U] (SEE [U]), entreprise de carrosserie.
Elle est devenue co-gérante de la SARL en septembre 2001 avec son frère, [M] [U].
En juin 2010, M. [V] [U] a consenti une donation-partage au profit de ses 2 enfants, portant sur des parts sociales de la société par l'effet de laquelle la répartition du capital est devenue la suivante :
M. [V] [U] : 3752 parts (50%),
Mme [L] [U] : 1874 parts (25 %),
Monsieur [M] [U] : 1874 parts (25%).
Lors de l'assemblée générale ordinaire du 06 aout 2016, Mme [U] a été révoquée de ses fonctions de co-gérante.
Mme [U] a été placée en arrêt de maladie du 2 décembre 2016 jusqu'en septembre 2017.
Le 21 septembre 2017, elle a été déclarée inapte à son poste de secrétaire par le médecin du travail avec impossibilité de reclassement dans l'entreprise.
Mme [U] a été licenciée pour inaptitude le 26 Octobre 2017.
Elle a saisi le conseil des prud'hommes de Gap aux fins de solliciter un rappel de salaire, des dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de formation et pour manquements à l'obligation de sécurité ainsi qu'à l'obligation de loyauté et enfin contester le bienfondé du licenciement, constater le manquement à l'obligation de reclassement et obtenir les indemnités afférentes.
Par jugement du 03 février 2020, le conseil des prud'hommes de Gap a rejeté les demandes de Mme [U] et les demandes reconventionnelles de l'employeur.
La décision a été notifiée aux parties et Mme [U] en a interjeté appel.
Par conclusions du 27 avril 2020, Mme [U] demande à la cour d'appel de :
Réformer le Jugement du 3 février 2020 en ce qu'il l'a déboutée de toutes ses demandes.
Statuant de nouveau :
- Dire et juger qu'elle est recevable et bien fondée dans son action.
- Condamner la SARL SOCIÉTÉ D'EXPLOITATION DES ÉTABLISSEMENTS [U] à lui payer 32 749,56 € au titre de sa rémunération complémentaire, outre les intérêts légaux à compter de la date du dépôt de la requête outre 3 274.95 € au titre des congés payés afférents.
- Condamner la SARL SOCIÉTÉ D'EXPLOITATION DES ÉTABLISSEMENTS [U] à lui payer 10 000 € à titre de dommages et intérêts du fait de son ancienneté et du défaut patent de formation à son poste de travail.
- Dire et juger que la SARL SOCIÉTÉ D'EXPLOITATION DES ÉTABLISSEMENTS [U] a manqué à son obligation de sécurité de résultat et à l'obligation de loyauté dans l'exécution du contrat de travail,
En conséquence:
- Condamner la SARL SOCIÉTÉ D'EXPLOITATION DES ÉTABLISSEMENTS [U] à lui verser 30 000 € à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité de résultat et manquement à l'obligation de loyauté ;
Sur le licenciement :
A titre principal :
- Dire et juger que la SEE [U] a commis des fautes ayant provoqué l'inaptitude de Madame [U] son poste de travail rendant ainsi son licenciement pour inaptitude non professionnelle sans cause réelle ni sérieuse,
En conséquence :
- Condamner la SARL SOCIÉTÉ D'EXPLOITATION DES ÉTABLISSEMENTS [U] à lui verser la somme de 70 000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse ;
- Condamner la SARL SOCIÉTÉ D'EXPLOITATION DES ÉTABLISSEMENTS [U] à lui verser la somme de 6 542 € bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, ainsi que la somme de 654.2 € bruts au titre des congés payés afférents ;
A titre subsidiaire
- Dire et juger que l'employeur a manqué à son obligation de reclassement,
En conséquence,
- Dire que le licenciement de Mme [U] intervenu le 26 octobre 2017 est sans cause réelle et sérieuse,
- Condamner la SARL SOCIÉTÉ D'EXPLOITATION DES ÉTABLISSEMENTS [U] à lui verser les sommes suivantes :
Indemnité pour licenciement sans cause réelle sérieuse : 70 000 € ;
Indemnité compensatrice de préavis : 6 542 €, outre 10 % de congés payés afférents;
En tout état de cause,
- Condamner la SARL SOCIÉTÉ D'EXPLOITATION DES ÉTABLISSEMENTS [U] à lui payer la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Par conclusions du 17 juillet 2020, la SARL SOCIÉTÉ D'EXPLOITATION DES ÉTABLISSEMENTS [U] demande à la cour d'appel de :
- Confirmer le jugement du 03 Février 2020 ;
- Débouter Mme [U] de toutes ses demandes ;
- Condamner Mme [U] à payer la somme de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner Mme [U] aux dépens de l'instance.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 29 mars 2022.
Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l'article 455 du code de procédure civile de se reporter à leurs écritures susvisées.
SUR QUOI :
Sur l'existence d'un contrat de travail :
Mme [U] expose que son contrat de travail en tant que secrétaire n'a jamais été suspendu durant la période de co-gérance. Elle fait valoir que :
Elle a été embauchée en qualité de secrétaire le 1er septembre 1998 et, en septembre 2001, nommée co-gérante avec son frère [M], suite à la démission de leur père, sans avoir d'intérêt financier dans l'entreprise. Elle a continué d'exercer ses fonctions de secrétaire sous autorité, ses tâches étaient contrôlées et délimitées. Certaines de ses tâches lui ont été enlevées notamment celles de comptabilité ;
Elle a bénéficié de la remise de bulletins de paye et s'est vue appliquer la procédure de licenciement.
La SARL SEE [U] expose que le contrat de travail de secrétaire de Mme [U] a été suspendu durant l'exercice de la co-gérance de septembre 2001 jusqu'à la révocation de son mandat en août 2016. Elle n'était pas sous un lien de subordination mais disposait des pouvoirs de direction et de contrôle. La fiche de poste produite par Mme [U] date de 2016 ce qui confirme qu'après cette date son statut juridique avait de nouveau changé.
Sur ce,
Il résulte des dispositions de l'article 1779 du code civil que le contrat de travail est une convention par laquelle une personne s'engage à travailler pour le compte d'une autre et sous sa subordination moyennant une rémunération.
En application de l'article L. 1221-1 du code du travail, ce lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner le manquement de son subordonné. L'existence d'un contrat de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination de leurs conventions, mais se caractérise par les conditions de faits dans lesquelles s'exerce l'activité professionnelle.
Dès lors, l'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donné à leurs conventions, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs.
Par ailleurs, il appartient à la partie qui entend se prévaloir de l'existence d'un contrat de travail de rapporter la preuve de l'existence d'un lien de subordination. En présence d'un contrat de travail apparent, il appartient à la partie qui entend contester l'existence d'un contrat de travail de rapporter la preuve de l'absence de lien de subordination.
Il est de jurisprudence constante que lorsqu'un salarié est nommé mandataire social, son contrat de travail est suspendu pendant l'exécution du mandat social. Toutefois, le cumul d'un mandat social et d'un contrat de travail, que celui-ci ait été conclu avant ou après le début du mandat, est admis à la condition que l'intéressé exerce des fonctions techniques distinctes du mandat, dans le cadre d'un lien de subordination à l'égard de la société, et que l'intéressé, perçoive une rémunération distincte de celle pouvant lui être allouée comme mandataire social. Il appartient au mandataire social qui prétend avoir eu des fonctions salariées d'en rapporter la preuve.
En l'espèce, bien que le contrat ne soit pas produit par les parties, il n'est pas contesté que Mme [U] a signé un contrat de travail le 1er janvier 1998 en qualité de secrétaire. Il est en outre acquis qu'en septembre 2001, elle est devenue co-gérante de la société avec son frère et que suite à l'assemblée générale ordinaire des ETABLISSEMENTS [U] le 06 août 2016, au cours duquel son frère et co-gérant M. [U] contestait sa gestion, Mme [U] a démissionné de son mandat social. Les parties s'accordent sur le fait que cette démission est en réalité une révocation. Une fiche de poste « secrétaire » lui a été remise le 06 novembre 2016.
Les bulletins de salaires versés par Mme [U], postérieurs à la fin de son mandat social, portent la mention « secrétaire » tandis que les bulletins portant sur la période antérieure portent la mention « secrétaire/ co-gérante ».
Mme [U], qui argue que son contrat de travail n'aurait pas été suspendu à compter de septembre 2001, ne verse aucun élément permettant de constater qu'elle recevait des instructions ou encore rendait des comptes de son activité à quiconque et ne démontre pas ainsi l'existence d'un lien de subordination.
Elle n'apporte aucune contradiction au fait conclu selon lequel il existait au sein de l'entreprise familiale une répartition des responsabilités, non formalisée, qui suivaient les tâches des contrats de travail respectifs, à savoir celui de secrétaire pour elle et celui de responsable technique de la carrosserie pour son frère.
Il est produit par ailleurs par la SARL SEE [U] une copie de l'assignation délivrée par Mme [U] à la SARL SEE [U], devant le tribunal de commerce, dans lequel l'exposé du litige mentionne que le mandat social de Mme [U] a pris fin suite à des griefs quant à ses décisions de gestion et notamment du fait qu'elle se serait octroyée une augmentation de salaire ou aurait des relations tendues avec les salariés.
Enfin, Mme [U] ne rapporte pas la preuve d'une rémunération distincte de celles de ses fonctions de co-gérante et ne démontre pas l'existence de fonctions techniques distinctes du mandat social dans le cadre d'un lien de subordination avec la SARL SEE [U].
Il est établi ainsi que de 2001 à 2016 Mme [U] s'investissait dans la gestion de la société et se trouvait sur un pied d'égalité avec son co-gérant, M. [U] et que dès lors son contrat de travail était donc suspendu jusqu'au 06 août 2016, date à laquelle elle redevient « simple » salariée.
Il convient donc par voie de confirmation de la décision déférée, de juger que Mme [U] ne peut revendiquer le statut de salariée de septembre 2001 à août 2016.
Sur la classification :
Moyens des parties :
Mme [U] demande sa reclassification et fait valoir qu'elle était employée comme secrétaire, statut cadre, et que ses fonctions relevaient du niveau V de la convention collective. Elle expose avoir eu à exercer des missions d'accueil, de gestion commerciale, de secrétariat, de gestion de la flotte automobile de prêts, de prise de commandes, facturation clients, gestion des fournitures de bureau, traitement des rapports d'expert et prise en charge assurance, accueil physique des clients, accueil téléphonique. Elle indique avoir en outre assumé des tâches de comptabilité : saisine de la comptabilité-relance clients-déclaration TVA-rapprochement bancaire- préparation situation bilan.
La SARL SEE [U] expose que les trois années visées pour un rattrapage de salaires suite à une reclassification sont couvertes par la période de co-gérance, jusqu'à la date de sa révocation le 6 août 2016, et pour la dernière période allant jusqu'à la date de son licenciement, Mme [U] était en arrêt de travail pour maladie et n'a donc accompli aucune tâche, aucun travail.
Sur ce,
Il appartient au salarié qui se prévaut d'une classification conventionnelle différente de celle dont il bénéficie au titre de son contrat de travail, de démontrer qu'il assure de façon permanente, dans le cadre de ses fonctions, des tâches et responsabilités relevant de la classification qu'il revendique. La classification d'un salarié dépend des fonctions effectivement exercées que le juge apprécie.
En l'espèce, la Cour de céans ayant jugé que de septembre 2011 à août 2016, le contrat de travail de Mme [U] était suspendu, dès lors la demande formulée au titre de la classification ne peut porter que sur la période postérieure à la fin de son mandat social soit à partir du mois d'août 2016.
La convention collective IDCC 1090 du commerce et de l'automobile applicable à l'espèce prévoit que la rémunération de la classification cadre niveau IVB revendiquée par Mme [U] est fixée à 4 180 € mensuel.
Il convient de relever que les bulletins de salaire de Mme [U], portant sur la période de juillet 2016 à octobre 2017, qui comportent la mention « cadre », n'indiquent ni le coefficient ni même la convention applicable. Le salaire de base était de 3 271€.
La fiche de poste « secrétaire » remise à la salariée en novembre 2016, montre que les tâches qui lui étaient confiées correspondent à celles d'une secrétaire telles que listées dans la convention IDCC 1090 mais encore à la description des tâches faites par Mme [U] elle-même. Le salaire prévu pour cette classification est au maximum de 2 338 € soit un salaire inférieur à celui perçu par Mme [U].
Ainsi, s'agissant de la période postérieure à la révocation de son mandat de co-gérante, Mme [U] n'apporte aucun élément permettant de considérer qu'elle accomplissait des tâches relevant de celles d'un cadre titulaire qui dispose d'après la convention « d'une importante délégation de pouvoir ». Au contraire, il est acquis qu'à compter de la révocation de son mandat social des tâches « de responsabilité » lui ont été logiquement retirées.
En conséquence, faute pour Mme [U] de démontrer qu'elle assurait de façon permanente, dans le cadre de ses fonctions, des tâches et responsabilités relevant de la classification revendiquée, la demande formulée à ce titre doit être rejetée par voie de confirmation de la décision déférée.
Sur l'obligation de formation :
Moyens des parties :
Mme [U] expose ne pas avoir bénéficié de formations, contrairement à son frère, et alors même notamment que la carrosserie [U] a fait l'objet d'une informatisation.
La SARL SEE [U] fait valoir que du fait de sa fonction de co-gérant, Mme [U] avait toute latitude pour décider de formations à son profit disposant de la signature sociale pour engager la société sur ce point. Elle a suivi une formation en comptabilité en 2015, et une commande de nouvelles formations pour elle a été signée de sa main, en rapport avec un nouveau logiciel professionnel qui devait rentrer en application en Janvier 2017 (imposée par le réseau AD auquel adhère l'entreprise). Elle a été formée au logiciel Vulcain. Elle préférait que son frère aille aux formations techniques et sur les ventes additionnelles.
Sur ce,
L'article L. 6321-1 du code du travail prévoit que l'employeur assure l'adaptation des salariés à leur poste de travail, veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi au regard notamment de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations. Il peut proposer des formations qui participent au développement des compétences.
Cette obligation de l'employeur de veiller au maintien de la capacité du salarié à occuper un emploi existe même en l'absence d'évolution de l'emploi ou de développement prévisible de la carrière du salarié et relève de l'initiative de l'employeur, peu important que le salarié n'ait pas demandé de formations au cours de l'exécution du contrat de travail ni sollicité une évolution de son emploi rendant nécessaire une adaptation à son poste de travail
En l'espèce, Mme [U], qui argue qu'elle n'aurait pas suivi de formation contrairement à son frère, ne verse aucune pièce pour le démontrer. Elle ne produit ainsi aucune demande de formation ou de refus. Elle ne conteste pas qu'il a été organisé au sein de la SARL SEE [U] une formation en 2015 sur différents logiciels informatiques dont elle a pu bénéficier.
Mme [U] ne justifie pas plus l'existence d'un préjudice découlant d'un manque de formation et au surplus il a été jugé par la cour de céans qu'elle disposait, en sa qualité de co-gérante, du pouvoir de prendre des décisions engageant l'entreprise.
Il convient donc, par voie de confirmation de la décision déférée de rejeter la demande de Mme [U] formulée au titre d'un manquement à l'obligation de formation.
Sur l'exécution loyale du contrat de travail et l'obligation de sécurité :
Moyens des parties :
Mme [U] expose que la Société d'exploitation des Etablissements [U] a manqué à son obligation de sécurité à plusieurs niveaux, ce qui a entraîné une dégradation importante de son état de santé constatée médicalement. Elle fait valoir que:
Durant la relation contractuelle : elle n'a pas eu d'entretien individuel annuel, ni d'objectif attribué ; ses compétences n'étaient pas reconnues, les conditions matérielles d'exercice de ses tâches étaient dégradées ; elle rencontrait une absence totale de communication avec le personnel et la direction, de prise en compte de ses remarques sur ses mauvaises conditions de travail ; elle a été mise à l'écart ; n'a pas été formée ni rémunérée en rapport avec ses attributions ; elle a été traitée différemment des autres salariés.
En 2016, elle a obtenu sa fiche de poste qui diluait ses fonctions et lui enlevait les tâches de comptabilité et, en novembre 2016 suite à l'embauche de Mme [I], certaines de ses tâches lui ont été retirées. Cette dernière ne lui parlait pas, la dénigrait et l'ensemble de la direction et du personnel ne lui parlait plus.
Elle a été révoquée de ses fonctions de co-gérante et son frère voulait qu'elle quitte son poste, sa boite mail lui a été ôtée.
Elle devait rattraper et contrôler les tâches de chacun, les attributions n'étant pas clairement définies, ce qui générait plus de travail, du stress et des difficultés pour se positionner.
A compter de décembre 2016, elle a souffert de dépression réactionnelle et malgré les alertes l'employeur n'a pas agi persistant dans une attitude de pression jusqu'à son licenciement.
La SARL SEE [U] expose que la salariée ne peut viser que la situation postérieure à sa révocation comme co-gérante, soit après le mois d'août 2016 et jusqu'à son arrêt de travail du 02 décembre, donc une très courte période de trois mois.
S'agissant de tâches ayant une connotation de responsabilité dans l'entreprise qui lui auraient été retirées, il s'agissait des attributions de l'ancienne co-gérante ;
Sur la dégradation dans le climat de l'entreprise, Mme [U] n'a pas accepté, à partir de sa révocation du poste de co-gérante, de devoir accomplir des taches bien précises qui lui ont été listées sur une fiche de poste. Elle ne pouvait plus agir à sa guise et devenait une salariée comme les autres ce qu'elle a très mal accepté.
Les mauvaises relations entre Mme [U] et son frère étaient bien antérieures à la révocation et un ensemble de faits et de comportements ont conduit les associés majoritaires à prendre une mesure de révocation pour le bien de l'entreprise.
Concernant l'embauche de Mme [I], sollicitée par le gérant, elle avait pour fonction d'exécuter des tâches de comptabilité pour lesquelles Mme [U] n'avait pas accepté de se former.
S'agissant de son arrêt de travail, Mme [U] omet de préciser que l'attestation médicale fait état de souffrance au travail et de problèmes familiaux. Ses conditions de travail n'ont pas été modifiées, mise à part le fait qu'elle avait quelques tâches en moins, son environnement de travail n'a pas changé, son poste de travail n'a pas été déplacé, ce ne sont pas ses conditions de travail qui ont conduit à une dépression, mais le fait de s'être fâchée avec son père qui, dans l'intérêt de l'entreprise, avait décidé de laisser le pouvoir de gestion à son frère.
Sur ce,
Il résulte de l'article L. 1222-1 du code du travail que le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi. L'employeur doit en respecter les dispositions et fournir au salarié le travail prévu et les moyens nécessaires à son exécution en le payant le salaire convenu. Le salarié doit s'abstenir de tout acte contraire à l'intérêt de l'entreprise et de commettre un acte moralement ou pénalement répréhensible à l'égard de l'entreprise. Il lui est notamment interdit d'abuser de ses fonctions pour s'octroyer un avantage particulier.
En application de l'article L. 4121-1 du code du travail, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels ;
2° Des actions d'information et de formation ;
3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.
L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.
L'article L. 4121-2 du même code précise que l'employeur met en 'uvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :
1° Eviter les risques ;
2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
3° Combattre les risques à la source ;
4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;
5° Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;
6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;
7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral, tel qu'il est défini à l'article L. 1152-1 ;
8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;
9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.
En l'espèce, il convient de rappeler que la période durant laquelle Mme [U] exerçait un mandat social n'est pas retenue par la Cour de céans du fait de la suspension du contrat de travail de Mme [U]. Il a en outre été jugé précédemment que la SARL SEE [U] n'avait pas manqué à l'obligation de formation envers Mme [U] et lui avait appliqué une juste classification et rémunération.
S'agissant du fait qu'elle a dû solliciter sa fiche de poste en août 2016, Mme [U] ne produit aucune pièce permettant de le démontrer. De même elle n'apporte aucun élément permettant de confirmer le fait que certaines tâches lui auraient été retirées, étant relevé que n'étant plus co-gérante, elle perdait de fait une partie des tâches liées à cette responsabilité notamment la signature bancaire ou la surveillance des ateliers.
Mme [U] n'apporte pas d'avantage de preuves concernant une mise à l'écart, un partage de bureau imposé, une différence de traitement entre les salariés, un retrait de sa boîte mail ou une dilution de ses tâches.
Concernant les difficultés liées à Mme [I], compagne de son frère, Mme [U] verse deux documents sur lesquels des corrections ou remarques manuscrites sont portées faisant état d'erreurs dans le travail accompli. Ces deux seules pièces sont insuffisantes pour confirmer le fait conclu que Mme [U] devait vérifier et reprendre le travail de cette personne. Elles ne démontrent au surplus pas une mise à l'écart ou un manque de reconnaissance de ses capacités professionnelles.
Concernant l'absence d'entretien annuel, la SARL SEE [U] ne produit ni ne justifie d'aucun entretien annuel. Pour autant, Mme [U] n'allègue ni ne démontre avoir sollicité cet entretien ou l'existence d'un préjudice qui en découlerait étant rappelé que ce type d'entretien n'est pas obligatoire pour l'employeur.
Au vu de ce qui précède, il convient par voie de confirmation de la décision déférée de juger que la SARL SEE [U] n'a pas manqué à l'obligation d'exécution loyale du contrat de travail.
S'agissant du manquement à l'obligation de sécurité, Mme [U] fait grief à son employeur de n'avoir pris aucune mesure de soutien durant son arrêt de travail pour dépression réactionnelle.
Il est constant que Mme [U] a été placée en arrêt maladie à compter de décembre 2016 et n'a pas repris son emploi. Il est établi par ailleurs que l'avis d'inaptitude du 21 septembre 2017 mentionne la possibilité d'occuper les mêmes fonctions « dans un autre contexte professionnel ».
La Cour relève que l'existence d'un conflit familial est incontestable, les motifs et conditions dans lesquels le mandat social de Mme [U] a pris fin le confirment. Le motif du premier arrêt de travail est d'ailleurs libellé comme suit « début de syndrome dépressif réactionnel à des problèmes professionnels et familiaux ».
Etant constaté de nouveau que de septembre 2011 à septembre 2016, Mme [U] disposait du pouvoir pour prendre toutes mesures de prévention des risques, étant relevé en outre qu'avant son arrêt maladie, intervenu très rapidement après la fin de ses responsabilités de co-gérante Mme [U] ne justifie d'aucune alerte faite à l'employeur sur ses conditions de travail, il convient de juger que la SARL SEE [U] n'a pas manqué à son obligation de prévention.
Par voie de confirmation de la décision déférée, il convient de rejeter la demande de dommage et intérêts formulée par Mme [U] au titre de la violation de l'obligation de sécurité et de loyauté.
Sur le bien-fondé du licenciement :
Mme [U] expose que l'inaptitude à son poste de travail au sein de la Société des Etablissements [U] est la conséquence directe de l'attitude fautive exposée précédemment qu'a eue son employeur à son encontre.
La SARL SEE [U] fait valoir qu'aucune faute ne peut lui être imputée dans la réorganisation de l'entreprise après le mois d'août 2016, consécutivement à la perte par Mme [U] de son statut de co-gérante dans l'entreprise. Le licenciement pour inaptitude est intervenu dans des conditions régulières.
Sur ce,
Aux termes de l'article L. 1226-2 du code du travail, lorsque le salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.
Est sans cause réelle et sérieuse le licenciement pour inaptitude du salarié lorsque cette inaptitude est la conséquence d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.
En l'espèce, Mme [U], qui fait valoir que le comportement de l'employeur est à l'origine de l'inaptitude, verse des attestations qui confirment la dégradation de son état de santé, l'expression d'une souffrance, d'un changement d'attitude à compter de 2017 « suite à sa révocation de l'entreprise familiale ». Ainsi que relevé par le Conseil des prud'hommes, le mandat social a été révoqué précisément suite au conflit opposant les co-gérants.
S'il apparaît ainsi que l'arrêt maladie, suivi de l'inaptitude de la salariée sont en lien avec le conflit existant entre les membres d'une société « familiale », ce seul élément est insuffisant pour établir que l'inaptitude trouve sa cause dans les manquements de l'employeur, la cour de céans ayant jugé qu'aucun manquement à l'obligation d'exécuter loyalement le contrat ou à l'obligation de prévention des risques ne pouvait lui être imputé.
En conséquence, il convient de confirmer la décision des premiers juges et de dire que le comportement de l'employeur n'est pas à l'origine de l'inaptitude de Mme [U].
Sur l'obligation de reclassement :
Mme [U] expose que l'obligation de reclassement n'a pas été respectée :
Le 19 septembre 2017, le médecin du travail a rendu un avis non définitif en précisant « Avis définitif reporté à un deuxième entretien conformément à l'article R 4624-42 du Code du travail. Dans l'attente : pas de retour de l'employeur. ».
La Société d'exploitation des Etablissements [U] ne justifie pas avoir pris attache avec le médecin du travail afin d'évoquer les transformations, les aménagements de poste, aménagements du temps de travail afin de satisfaire son obligation de reclassement.
L'employeur devait rechercher des possibilités de reclassement dans l'entreprise, le cas échéant, en sollicitant des préconisations du médecin du travail ou en lui soumettant les postes disponibles identifiés afin qu'il apprécie leur compatibilité avec l'état de santé du salarié et propose, si besoin, les aménagements nécessaires.
La Société d'exploitation des Etablissements [U] a considéré à tort que l'avis d'inaptitude indiquant « Inapte au poste et à tout poste de l'entreprise. Est en capacité d'occuper un emploi similaire dans un autre contexte professionnel.» émis par le médecin du travail rendait à lui seul impossible le reclassement.
La SARL SEE [U] expose que le médecin du travail a formulé dans un courrier du 13 octobre 2017 un avis d'inaptitude avec impossibilité de reclassement dans l'entreprise.
Il s'agit d'une entreprise de moins de 10 salariés, les postes de travail dans une petite entreprise sont très limités et l'employeur n'allait pas proposer à Mme [U] de faire un travail de carrossier, sans qualification à ce titre.
Il ne lui était pas possible de faire une proposition de reclassement ni dans l'entreprise ni à l'extérieur, n'ayant pas connaissance auprès d'entreprises similaires de recherche d'emploi de secrétaire, au même moment.
Le médecin du travail n'ayant pas formulé de proposition pour un reclassement, l'employeur n'a pas à justifier de l'impossibilité où il se trouvait de donner suite à une telle proposition inexistante.
Sur ce,
Aux termes de l'article L. 1226-10 du code du travail dans sa version applicable aux faist d'espèce, lorsque le salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4 du même code, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.
Cette proposition prend en compte, après avis du comité social et économique lorsqu'il existe, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur la capacité du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté.
L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en 'uvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.
La recherche de reclassement doit être sincère et loyale et la proposition de reclassement de l'employeur doit être précise et contenir la qualification du poste, les horaires de travail et la rémunération.
L'employeur ne peut procéder au licenciement du salarié déclaré inapte pour impossibilité de reclassement que si toutes les possibilités de reclassement ont été épuisées. Lorsque le salarié refuse le poste offert par l'employeur, ce dernier doit en tirer les conséquences qui s'imposent, soit en formulant de nouvelles propositions de reclassement, soit, en cas d'impossibilité de reclassement, en procédant à son licenciement
En l'espèce, il est établi que le poste de Mme [U] a fait l'objet d'une étude le 21 septembre 2017 et il ressort de la fiche d'aptitude médicale établie le même jour que le médecin du travail relève concernant Mme [U] qu'elle est « inapte au poste et à tout poste dans l'entreprise. Est en capacité d'occuper un emploi similaire dans un autre contexte professionnel ».
Le médecin du travail par courrier du même jour adressé à la salariée et à l'employeur rend un avis d'inaptitude libellé en ces termes « définitivement inapte à son poste de secrétaire du fait des contraintes de ce poste de travail incompatible avec son état de santé » et relève que « l'état de santé de Mme [U] ne permet pas d'effectuer de proposition de reclassement dans l'entreprise ».
Il en découle que le médecin du travail a bien relevé l'impossibilité de reclassement au sein de l'entreprise dont il n'est pas contesté qu'elle employait moins de 10 salariés. Par courrier adressé à la salariée, le 13 octobre 2017, l'employeur lui a donc valablement donné connaissance de l'impossibilité de lui proposer un autre emploi en reclassement et ainsi fait connaître par écrit les motifs qui s'opposaient à son reclassement.
La SARL SEE [U] ayant ainsi justifié de l'impossibilité de proposer un emploi de reclassement dans les conditions requises pouvait procéder au licenciement de Mme [U] pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Sur les demandes accessoires :
Il convient de condamner Mme [U], partie perdante, aux entiers dépens et à la somme de 1 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,
DECLARE Mme [U] recevable en son appel,
CONFIRME en toutes ses dispositions, le jugement déféré,
Y ajoutant,
CONDAMNE Mme [U] à payer la SARL SOCIETE D'EXPLOITATION DES ETABLISSEMENTS [U] la somme de 1 000 € à sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens en cause d'appel.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Valéry CHARBONNIER, Conseillère faisant fonction de Présidente, et par Madame Mériem CASTE-BELKADI, Greffière, à qui la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.
La Greffière, La Présidente,