La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

30/06/2022 | FRANCE | N°20/00339

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Ch. sociale -section b, 30 juin 2022, 20/00339


C2



N° RG 20/00339



N° Portalis DBVM-V-B7E-KKFH



N° Minute :























































































Copie exécutoire délivrée le :





la SELARL GIBERT-COLPIN



la SELARL CLEMENT-CUZIN LEYRAUD DESCHEEMAKERr>
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE GRENOBLE



Ch. Sociale -Section B

ARRÊT DU JEUDI 30 JUIN 2022





Appel d'une décision (N° RG 18/01341)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRENOBLE

en date du 17 décembre 2019

suivant déclaration d'appel du 16 janvier 2020





APPELANT :



Monsieur [U] [Y]

né le 13 octobre 1961 à RABAT (MAROC)

de nat...

C2

N° RG 20/00339

N° Portalis DBVM-V-B7E-KKFH

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée le :

la SELARL GIBERT-COLPIN

la SELARL CLEMENT-CUZIN LEYRAUD DESCHEEMAKER

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

Ch. Sociale -Section B

ARRÊT DU JEUDI 30 JUIN 2022

Appel d'une décision (N° RG 18/01341)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRENOBLE

en date du 17 décembre 2019

suivant déclaration d'appel du 16 janvier 2020

APPELANT :

Monsieur [U] [Y]

né le 13 octobre 1961 à RABAT (MAROC)

de nationalité Française

4 allée des Symphorines

38420 DOMENE

représenté par Me Sylvie GIBERT de la SELARL GIBERT-COLPIN, avocat au barreau de GRENOBLE

INTIMEE :

SA VFD, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

22 avenue Doyen Louis Weil

38000 GRENOBLE

représentée par Me Laurent CLEMENT-CUZIN de la SELARL CLEMENT-CUZIN LEYRAUD DESCHEEMAKER, avocat au barreau de GRENOBLE

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Blandine FRESSARD, Présidente,

M. Frédéric BLANC, Conseiller,

Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère,

DÉBATS :

A l'audience publique du 04 mai 2022,

Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère chargée du rapport, et Mme Blandine FRESSARD, Présidente, ont entendu les parties en leurs conclusions et plaidoiries, assistées de M. Fabien OEUVRAY, Greffier, conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, les parties ne s'y étant pas opposées ;

Puis l'affaire a été mise en délibéré au 30 juin 2022, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.

L'arrêt a été rendu le 30 juin 2022.

EXPOSE DU LITIGE

M. [U] [Y], né le 13 octobre 1961, a été embauché en qualité de chauffeur d'autobus par la régie départementale des Voies Ferrées du Dauphiné - VFD en vertu d'un contrat de travail à durée déterminée à temps partiel du 1er février 1990, suivi d'un contrat de travail intermittent à durée indéterminée à temps partiel à compter du 10 septembre 1990.

A compter du 1er janvier 1996, M. [U] [Y] a été embauché à temps complet pour une durée hebdomadaire de travail de 39 heures.

A compter du 1er juillet 2006, M [U] [Y] a été engagé en qualité de conducteur receveur, avec une reprise d'ancienneté au 10 septembre 1990.

Au dernier état de la relation contractuelle, M. [U] [Y] occupait le poste de conducteur receveur, groupe 9, annexe 1, coefficient 140V de la convention collective des transports routiers.

Sa rémunération mensuelle moyenne brute s'établissait à 2 854,16 euros.

Le vendredi 28 septembre 2018 en fin de journée, une violente altercation a opposé M.'[U]'[Y] et son collègue M. [C] [T], sur le site du dépôt de Crolles, dans des circonstances contestées entre les parties.

Par lettre remise en main propre le 1er octobre 2018, la société VFD a convoqué M.'[U]'[Y], à un entretien préalable à une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement, avec mise à pied à titre conservatoire.

Le même jour, M. [U] [Y] a été placé en arrêt de travail suite à l'accident du travail du 28 septembre 2018.

Le 5 octobre 2018, la caisse primaire d'assurance maladie a reconnu l'origine professionnelle de l'accident du travail déclaré.

Le 9 octobre 2018, M. [U] [Y] s'est présenté à l'entretien préalable au cours duquel il a décrit des faits d'agression dont il a été victime les 26 et 28 septembre 2018.

Le 12 octobre 2018, la société VFD a notifié à M. [U] [Y] son licenciement pour faute grave.

Suivant courrier du 15 octobre 2018, M. [U] [Y] a contesté la décision prise par l'employeur en réitérant sa version des faits. Par courrier en réponse du 30 octobre 2018, la société'VFD a maintenu sa décision de licencier le salarié.

Le 21 décembre 2018, M. [U] [Y] a saisi le conseil de prud'hommes de Grenoble d'une action dirigée contre la société VFD aux fins notamment de voir prononcer la nullité du licenciement.

Par jugement en date du 17 décembre 2019, le conseil de prud'hommes de Grenoble a':

DIT que le licenciement pour faute grave de M. [U] [Y] est justifié,

DÉBOUTE M. [U] [Y] de l'ensemble de ses demandes,

DEBOUTE la SA VFD de sa demande reconventionnelle,

CONDAMNE M. [U] [Y] aux dépens.

La décision rendue a été notifiée par lettres recommandées avec accusés de réception signés le'19 décembre 2019 par la société VFD et le 18 décembre 2019 par M. [U] [Y].

Appel de la décision a été interjeté par'M. [U] [Y] par déclaration de son conseil au greffe de la présente juridiction le 16 janvier 2020.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 15 novembre 2021, M.'[U] [Y] sollicite de la cour de':

Réformer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Grenoble le 17 décembre 2019 en ce que ce dernier a :

-Dit que le licenciement pour faute grave de M. [U] [Y] est justifié ;

-Débouté M. [U] [Y] de l'ensemble de ses demandes ;

-Condamné M. [U] [Y] A aux dépens.

Confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Grenoble le 17 décembre 2019 en ce que ce dernier a débouté la société VFD de sa demande reconventionnelle.

Et la Cour statuant à nouveau :

Constater que M. [U] [Y] a été victime de deux agressions de la part de M.'[C]'[T] les 26 et 28 septembre 2018.

Dire et juger que la société VFD ne rapporte nullement la preuve, qui lui incombe, de la faute grave invoquée à l'appui du licenciement de M. [U] [Y] pendant son arrêt de travail faisant suite à un accident du travail.

Dire et juger, en tout état de cause, que M. [U] [Y] n'a commis aucun manquement de nature à justifier la rupture de son contrat de travail pour faute grave.

En conséquence,

Dire et juger que le licenciement pour faute grave de M. [U] [Y] est nul.

Condamner la société VFD à verser à M. [U] [Y] les sommes suivantes :

- 922,69 € brut au titre de la mise à pied à titre conservatoire,

- 92,26 € brut au titre des congés payés afférents,

- 5 708,32 € brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 570,83 € brut au titre des congés payés afférents,

- 23 289,59 € net à titre d'indemnité de licenciement,

- 55 656,12 € net à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul.

Ordonner la remise des documents de fin de contrat rectifiés (bulletin de paie, reçu pour solde de tout compte, certificat de travail, attestation pôle emploi), sous astreinte de 50 € par jour de retard dans le délai d'un mois suivant la signification de la décision à intervenir.

Dire et juger que la société VFD a manqué à son obligation de sécurité de résultat en ne prenant pas les mesures nécessaires de nature à protéger la santé et la sécurité de M. [U] [Y], victime de deux agressions aux temps et lieu de travail.

En conséquence,

Condamner la société VFD à verser à M. [U] [Y] la somme de 10 000 € net à titre de dommages et intérêts pour manquement à son obligation de sécurité de résultat.

Dire et juger que M. [U] [Y] rapporte la preuve du préjudice moral par lui subit.

En conséquence,

Condamner la société VFD à verser à M. [U] [Y] la somme de 5 000 € net à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi.

Débouter la société VFD de l'intégralité de ses demandes.

Condamner la société VFD à verser à M. [U] [Y] la somme de 3 000 € au titre de l'article'700 du code de procédure civile.

Condamner la société VFD aux dépens éventuels.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 30 novembre 2021, la société VFD SA sollicite de la cour de':

Confirmer en tous points le jugement entrepris ;

Dire et juger que M. [Y] a commis une faute grave ;

Dire et juger que le licenciement pour faute grave de M. [Y] est justifié ;

Dire et juger que la société VFD n'a pas manqué à son obligation de sécurité,

En conséquence,

Débouter M. [Y] de l'intégralité de ses demandes ;

Condamner M. [Y] à verser à la société VFD la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner M. [Y] aux entiers dépens.

Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l'article'455 du code de procédure civile de se reporter à leurs écritures susvisées.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 décembre 2021.

L'affaire, fixée pour être plaidée à l'audience du 5 janvier 2022, a été renvoyée à l'audience de plaidoirie du 4 mai 2022. A cette date, elle était mise en délibéré au'30 juin 2022.

MOTIFS DE L'ARRÊT

1 ' Sur l'obligation de sécurité

Aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail :

«'L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels ;

2° Des actions d'information et de formation ;

3 ° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.'».

En application de l'article L. 4121-2 du même code, l'employeur doit mettre en 'uvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention tels que : éviter les risques, les combattre à leur source, une planification de la prévention en y intégrant dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel.

L'employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs et il lui est interdit de prendre des mesures qui auraient pour objet ou pour effet de compromettre la santé et la sécurité des salariés.

Il appartient à l'employeur, lorsque le salarié invoque une inobservation des règles de prévention et de sécurité à l'origine d'un accident, de démontrer que la survenance de cet accident est étrangère à tout manquement à son obligation de sécurité.

En dehors d'un accident du travail, l'employeur d'assurer l'effectivité de son obligation de sécurité.

Il ne méconnaît pas son obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, s'il justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail (Ass'Plén, 25 novembre 2015, n°14-24.444).

Au cas d'espèce, M. [U] [Y] avance qu'il a été victime d'une agression le vendredi soir, alors qu'aucun responsable n'était présent sur le site privé de tout dispositif de sécurité, que sa hiérarchie n'a pris aucune mesure pour lui venir en aide après son signalement et que la seule mesure prise avant sa reprise de poste, le lundi matin, a été d'engager une procédure disciplinaire.

Nonobstant l'absence de responsable hiérarchique sur le site du dépôt de Crolles entre 18h00 et 19h00, il est établi que chaque salarié avait la possibilité de contacter un service de permanence pour signaler tout incident ou difficulté. M.'[Y] avait pu ainsi prendre l'initiative d'appeler ce service d'astreinte, le vendredi'28'septembre 2018 à 19h30, pour demander à parler à ses responsables, Mme'[A]'[L] ou M. [R] [W]. L'employeur justifie donc de l'existence d'un dispositif de sécurité qui a permis au salarié de contacter le service d'astreinte.

Et même si M. [U] [Y] conteste les termes de l'attestation rédigée par M. [W], déclarant lui avoir proposé les coordonnées d'une cellule psychologique et celle d'un médecin, au cours de son appel téléphonique du 28 septembre 2018, il demeure que l'employeur démontre que le salarié a été contacté par téléphone le soir même par un de ses supérieurs hiérarchiques.

En revanche, alors même que M. [W] attestait que M. [Y] avait «'répété à plusieurs reprises qu'il avait peur pour sa sécurité'» au cours de cette conversation téléphonique du 28 septembre 2018,

l'employeur ne justifie d'aucune mesure prise pour accompagner la reprise de poste du salarié le lundi 1er octobre 2018 à 6h30.

Ainsi, d'une première part, il n'est pas démontré qu'un responsable a rencontré M. [Y] avant sa reprise de poste. Au contraire, il résulte de l'attestation de M. [W] qu'il n'a pas pu être présent sur le site. En outre le compte-rendu de l'astreinte du week-end n'a été transmis aux responsables hiérarchiques que postérieurement à sa reprise que par courriel expédié à 7h34. Et Mme [L] a rencontré le salarié pour lui remettre sa convocation à un entretien préalable avec mise à pied conservatoire à 10h20, sans qu'il soit justifié d'une entrevue préalable.

D'une seconde part, l'employeur ne justifie d'aucune mesure autre que l'engagement de la procédure disciplinaire litigieuse. Aucun élément ne tend à établir que le salarié aurait été informé ni des coordonnées des services médicaux à contacter, ni du déclenchement d'une enquête interne, ni des éventuelles mesures prises par l'employeur pour éviter tout contact entre les deux salariés.

L'employeur ne justifie donc d'aucune mesure prise avant la reprise de poste de M. [U] [Y] alors que celui-ci avait signalé ses craintes pour sa sécurité à la suite d'un épisode de violence.

Il s'en déduit que la société VFD a manqué au respect de son obligation d'assurer la sécurité et protéger la santé du salarié.

Par infirmation du jugement entrepris, la société VFD est condamnée à réparer ce préjudice par le versement d'une indemnité que la cour évalue à 1 500 euros, M. [U] [Y] étant débouté du surplus de sa demande indemnitaire.

2 ' Sur le licenciement

En application des dispositions de l'article L. 1226-9 du code du travail, au cours des périodes de suspension du contrat de travail, l'employeur ne peut rompre ce dernier que s'il justifie soit d'une faute grave de l'intéressé, soit de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l'accident ou à la maladie.

En application des dispositions de l'article L 1226-13 du code du travail, toute rupture du contrat de travail prononcé en méconnaissance des dispositions des articles L 1226-9 et L1226-18 est nulle.

En l'absence d'une faute grave du salarié ou d'une impossibilité pour l'employeur de maintenir le contrat, le licenciement prononcé pendant la période de suspension provoquée par un accident du travail, quand bien même il serait intervenu après l'entretien préalable, est nul en raison de l'origine professionnelle de l'accident.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée du préavis.

L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve. Les motifs invoqués par l'employeur doivent être précis, objectifs et vérifiables.

Au cas d'espèce, la motivation énoncée dans la lettre de licenciement fixe les limites du litige dans les termes suivants':

«'Sur votre comportement d'intempérance incompatible avec votre fonction.

Pour rappel, vous occupez depuis le 1 er juillet 2006 (avec une reprise d'ancienneté au 10 septembre 1990) les fonctions de conducteur receveur.

A ce titre, vous assurez quotidiennement la desserte des lignes de transport interurbain confiées à l'entreprise au sein de l'agglomération grenobloise.

Par ailleurs en contact régulier avec de nombreux usagers, vous vous devez d'assurer un service de la meilleure qualité possible aux nombreux publics que vous transportez (lignes scolaires, régulières ou encore occasionnelles).

Plus largement, dans le cadre de vos obligations, vous êtes tenu d'entretenir un dialogue serein avec votre entourage et d'alerter votre hiérarchie ou tout autre tiers présent le cas échéant en cas de difficulté quelconque rencontrée y compris relationnelle.

Pour vous y aider, vous avez été formé à la gestion de conflits le 14 juin 2016 et avez à votre disposition une équipe de management de proximité et un numéro d'astreinte en cas d'éloignement géographique au moment des faits.

Enfin, le contrat de travail qui vous lie avec l'entreprise vous soumet à une obligation de réserve et de loyauté vous obligeant à adopter une attitude excluant tout comportement excessif pouvant troubler son bon fonctionnement.

Or, le 28 septembre 2018, deux salariés de l'entreprise ont dû intervenir lors d'une violente rixe sur votre lieu de travail entre vous-même et un de vos collègues de travail.

Lors de votre entretien, vous n'avez pas contesté les faits. Vous nous avez indiqué que l'origine de cette altercation réside, selon vos dires, dans un désaccord quant au stationnement de vos véhicules réciproques le 26 septembre dernier à l'arrêt Grand Sablon que vous desserviez tous les deux à des horaires concomitants.

Quel que fut le sujet de votre désaccord, force est de constater que vous en êtes venu aux mains avec un tiers, en l'occurrence votre collègue, au lieu d'adopter le comportement et l'attitude attendus en milieu professionnel, et ce alors que vous étiez soumis au lien de subordination.

Arriver à un tel degré de violence en situation professionnelle normale, obligeant des tiers à intervenir pour vous séparer provoquant à l'un et/ou à l'autre des dommages physiques et psychologiques possibles, trouble considérablement la bonne marche de l'entreprise et perturbe son climat social. En outre, vous portez préjudice à l'entreprise qui doit garantir la sécurité de ses collaborateurs en son sein puisque votre comportement aurait pu blesser un autre salarié.

C'est la raison pour laquelle vous avez d'ailleurs été mis à pied à titre conservatoire à partir du 1er octobre dernier.

Pire, de par le métier de service que vous exercez, vous ne pouvez réagir de la sorte face à une quelconque difficulté ou provocation et devez par tous moyens tenter d'agir pour votre propre sécurité ou celle de votre entourage. La maîtrise de votre comportement, et de vos pulsions, fait partie intégrante de la mission d'un agent incarnant, même par délégation, un service public à destination d'usagers, dont certains sont particulièrement fragiles dans nos métiers (enfants, personnes âgées'). Vous devez être garant, par votre maîtrise et votre professionnalisme, de la sécurité et de la protection des biens et des personnes qui vous sont confiés, comme de la vôtre.

Or, force est de constater que vous n'êtes pas en mesure de gérer avec recul, tempérance, mesure et professionnalisme, une situation minimale de tension. Dans la situation que vous avez connue, et quels que soient les sujets de désaccord, ou les éventuelles provocations des uns ou des autres, il vous appartenait de faire en sorte que la situation ne dégénère pas, de vous en extraire et d'avoir recours à votre hiérarchie pour trancher un éventuel différend.

Une attitude inverse est en effet non conforme aux attentes de l'entreprise et totalement inacceptable et incompatible avec vos missions et responsabilités au quotidien.

Ainsi, nous constatons que votre comportement met à mal la confiance indispensable à la poursuite de notre relation contractuelle par l'intempérance dont vous avez fait preuve le 28 septembre dernier et bien pire, va à l'encontre des règles fondamentales de bon fonctionnement engendrant des conséquences préjudiciables pour l'entreprise.

Un tel degré de violence et d'intempérance démontre votre incapacité à vous délier d'une situation complexe sur votre lieu de travail. De tels comportements sont inadmissibles, extrêmement préjudiciables à l'entreprise, et empêchent votre maintien dans vos fonctions, même pendant la durée d'un préavis.

Nous nous voyons donc contraints de vous notifier par la présente votre licenciement pour faute grave, et la date d'envoi de cette lettre marquera la fin de nos relations contractuelles, soit le 12 octobre 2018».

Il en ressort que l'employeur reproche à son salarié de s'être livré à des actes de violence obligeant des tiers à intervenir et révélant un manque de maîtrise et de tempérance pour gérer la situation.

D'une première part, il ressort des éléments produits par la société VFD que M. [U] [Y] s'est déclaré victime d'actes de violence commis par son collègue M. [C] [T], sans jamais déclarer avoir lui-même porté des coups sur son collègue.

Ainsi,'il ressort du compte rendu d'astreinte que M.'[Y] avait pris l'initiative d'appeler le service d'astreinte le vendredi'28'septembre 2018 à 19h30 pour demander à parler directement à Mme'[A]'[L] ou à M. [R] [W] sans donner la raison de sa demande. Aussi, l'attestation rédigée par M. [R] [W] confirme que le soir des faits, M.'[U]'[Y] lui a dit «'s'être fait agresser par Monsieur [T] sur le dépôt. Il m'a répété à plusieurs reprises avoir peur pour sa sécurité ['] j'ai effectivement constaté par la suite que j'avais plusieurs appels manqués de sa part.'».

Et, il ressort du compte-rendu d'entretien tenu le 9 octobre 2018 par M.'[R]'[W] que M. [U] [Y] a décrit avoir été agressé par M. [C] [T], d'abord lors d'une première altercation survenue le 26 septembre 2018 avec M. [T] à l'arrêt «'Grand Sablons'», puis le 28 septembre 2018 sur le site du dépôt de Crolles, sans avoir porté aucun coup': «'M.'Aitout serait venu jusqu'à son bus et l'aurait empoigné par le col, puis lui aurait mis un coup de tête, ce qui aurait fait tomber M. [Y]. M. [Y] déclare qu'il n'avoir porté aucun coup à M. [T]'».

Aussi le certificat médical, rédigé le 1er octobre 2018 par le docteur [N], relève un traumatisme facial, un choc psychologique important, des douleurs au niveau de la hanche et des vertèbres lombaires et un traumatisme de la main droite, pour établir un arrêt de travail de plus de huit jours.

D'une seconde part, l'employeur produit le compte-rendu de la version des faits présentée par M. [C] [T] décrivant une première agression verbale par M. [U] [Y], survenue le 26 septembre 2018 à l'arrêt «'Grand Sablons'», puis des échanges de coups provoqués par M.'[U] [Y] le'28'septembre 2018 sur le site du dépôt de Crolles, en contestant avoir porté un coup de tête «'M.'[Y] lui aurait dit «'et alors'''» et se serait mis nez à nez pour provoquer M.'Aitout. Suite à cela M. [Y] aurait émis une claque à M. [T] et ils se serait battus'».

Cependant, les déclarations de M. [C] [T] ne sont corroborées d'aucun autre élément probant ni certificat médical, le compte-rendu du cadre d'astreinte, relevant seulement que M.'[C] [T] avait également appelé le soir des faits, à 19h40, pour signaler «'il a eu une altercation violente avec M. [Y] sur le parking du dépôt. Je n'en saurai pas plus'».

D'une troisième part, le courrier rédigé par M. [H] [F] ne permet de déterminer ni l'origine de l'altercation, ni l'attitude de chacun des deux protagonistes, le témoin se limitant à déclarer «'j'ai dû intervenir avec [O] [U] pour faire en sorte que [U] [Y] et [C] [T] puissent partir l'un après l'autre du dépôt afin d'éviter que la situation s'envenime encore plus. Je n'ai pas vu le début du conflit. Mais je trouve regrettable que l'on en viennent à de telles extrêmes entre collègues de travail'».

En conséquence, si l'employeur démontre ainsi qu'un épisode violent a opposé M. [Y] et M.'Aitout le 28 septembre 2018, la société VFD reconnaît qu'elle n'a pas pu établir les circonstances exactes de ces violences ni le rôle de chacun des protagonistes. Elle n'a donc pas pu déterminer si M. [U] [Y] a été agressé tel qu'il le prétend, ni s'il a adopté une attitude provocatrice ou violente susceptible d'avoir généré le conflit, ni s'il a exercé des gestes d'auto-défense, ni s'il a manqué de maîtrise et de tempérance pour savoir gérer et apaiser le conflit survenu.

Il en résulte qu'un doute subsiste quant à la possibilité d'action dont pouvait disposer ce salarié pour gérer ce conflit, s'en extraire, ou, le cas échéant, avoir recours à sa hiérarchie et faire trancher le différend l'opposant à son collègue.

La société VFD échoue donc à établir l'imputabilité d'un manquement du salarié à ses obligations professionnelles et à son obligation de loyauté.

En l'absence de preuve d'une faute grave du salarié, le licenciement, prononcé pendant la période de suspension provoquée par un accident du travail, est nul en raison de l'origine professionnelle de l'accident. Le jugement dont appel est infirmé en ce sens.

Le licenciement étant nul, M. [U] [Y] est fondé à obtenir paiement des salaires dus pendant la mise à pied dont il a fait l'objet du 1er au 12 octobre 2018, ainsi que des montants dus au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et de l'indemnité de licenciement.

Par infirmation du jugement entrepris, la société VFD est donc condamnée à verser au salarié la somme de 922,69 euros bruts à titre de rappel de salaire sur mise à pied, outre'92,26 euros bruts au titre des congés payés afférents, ainsi que la somme de 5'708,32 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, correspondant à un préavis de deux mois pour le personnel ayant plus de deux années d'ancienneté conformément aux dispositions conventionnelles, outre 570,83 euros bruts au titre des congés payés afférents.

La société VFD est également condamnée à verser au salarié la somme de 23'289,59 euros au titre de l'indemnité de licenciement, dont le calcul, conforme aux dispositions de l'article'R'1234-2 du code du travail, n'est pas discuté.

En application de l'article L. 1235-3-1 du code du travail, lorsque le juge constate que le licenciement est intervenu en méconnaissance des articles L. 1226-7, L. 1226-9 et L. 1226-13 du code du travail, le salarié qui ne demande pas sa réintégration peut prétendre à une indemnité qui ne peut être inférieure au salaire des six derniers mois.

Au jour de son licenciement, M. [U] [Y] présentait une ancienneté de 28 années dans l'entreprise et percevait un salaire brut mensuel moyen de 2'854,16 euros. Âgé de 57 ans au jour de la rupture, M. [U] [Y] a été placé en arrêt de travail du 1er octobre au 30 novembre 2018, ses arrêts de travail faisant état d'un choc psychologique.

Il justifie avoir retrouvé un emploi selon plusieurs contrats de travail à durée déterminée, dès le'28 novembre 2018, puis par contrat de travail à durée indéterminée depuis le début du mois de mars 2019, avec une perte de rémunération mensuelle de plus de 300 euros sur son salaire de base.

Tenant compte de ces éléments, infirmant le jugement déféré, la cour condamne la société'VFD à payer à M. [U] [Y] une indemnité de 45'000 euros bruts à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la nullité du licenciement, le salarié étant débouté du surplus de ses prétentions.

3 ' Sur la demande en dommages et intérêts pour préjudice moral

M. [U] [Y] sollicite l'indemnisation d'un préjudice complémentaire en faisant état des séquelles psychologiques résultant de l'agression subie et de l'absence de soutien de son employeur. Cependant, à défaut d'établir qu'il a été uniquement victime des agissements de son collègue, il ne justifie pas d'un préjudice moral imputable à son employeur, distinct du préjudice indemnisé par application de l'article 1235-3-1 du code du travail. Confirmant le jugement déféré, il est donc débouté de sa demande de réparation d'un préjudice moral distinct.

4 ' Sur la remise des documents de fin de contrat

M. [U] [Y] est fondé à obtenir la remise des documents de fin de contrat rectifiés (bulletin de paie, reçu pour solde de tout compte, certificat de travail, attestation pôle emploi), sans qu'il apparaisse d'ores et déjà nécessaire de fixer une astreinte.

5 ' Sur les demandes accessoires

La société VFD, partie perdante à l'instance au sens des dispositions de l'article'696 du code de procédure civile, doit être tenue d'en supporter les entiers dépens de première instance, par infirmation du jugement entrepris, y ajoutant les dépens d'appel.

Elle est donc déboutée de sa demande d'indemnisation fondée sur les dispositions de l'article'700'du code de procédure civile en première instance et en appel.

Il serait par ailleurs inéquitable, au regard des circonstances de l'espèce comme des situations économiques des parties, de laisser à la charge de M. [U] [Y] l'intégralité des sommes qu'il a été contraint d'exposer en justice pour la défense de ses intérêts, de sorte qu'il convient d'infirmer le jugement déféré et de condamner la société VFD à lui verser la somme de'2'500'euros au titre des frais irrépétibles engagés en première instance et en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, et après en avoir délibéré conformément à la loi,

CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a débouté M.'[U]'[Y] de sa demande en dommages et intérêts au titre du préjudice moral subi et débouté la société VFD SA de sa demande d'indemnisation des frais irrépétibles';

L'INFIRME sur le surplus des dispositions soumises à la cour,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

CONDAMNE la société VFD SA à payer à M. [U] [Y] une somme de 1'500 euros nets à titre de dommages et intérêts du fait d'un manquement à l'obligation de sécurité';

DIT que le licenciement notifié par la société VFD SA à M. [U] [Y] le 12 octobre 2018 est nul';

CONDAMNE la société VFD SA à payer à M. [U] [Y]'la somme de :

- 922,69 euros bruts à titre de rappel de salaire sur mise à pied du 1er au 12'octobre'2018, outre'92,26 euros bruts au titre des congés payés afférents,

- 5'708,32 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre'570,83 euros bruts au titre des congés payés afférents.

- 23'289,59 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

- 45'000 euros bruts à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul

DEBOUTE M. [U] [Y] du surplus de ses prétentions financières';

CONDAMNE la société VFD SA à remettre à M. [U] [Y] les documents de fin de contrat rectifiés': bulletin de paie, reçu pour solde de tout compte, certificat de travail, attestation pôle emploi';

DIT n'y avoir lieu à astreinte';

DEBOUTE la société VFD SA de sa demande d'indemnisation au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile';

CONDAMNE la société VFD SA à payer à M. [U] [Y] une somme de 2'500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel ;

CONDAMNE la société VFD SA aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Mme Blandine FRESSARD, Présidente et par Mme Carole COLAS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Ch. sociale -section b
Numéro d'arrêt : 20/00339
Date de la décision : 30/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-30;20.00339 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award