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30/06/2022 | FRANCE | N°20/00084

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Ch. sociale -section b, 30 juin 2022, 20/00084


C2



N° RG 20/00084



N° Portalis DBVM-V-B7E-KJLG



N° Minute :























































































Copie exécutoire délivrée le :





Me Sandrine MONCHO



la SELARL CLEMENT-CUZIN LEYRAUD DESCHEEMAKER
>

Me Virginie FOURNIER

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE GRENOBLE



Ch. Sociale -Section B

ARRÊT DU JEUDI 30 JUIN 2022





Appel d'une décision (N° RG F 19/00683)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRENOBLE

en date du 12 décembre 2019

suivant déclaration d'appel du 27 décembre 2019





APPELANT :



Monsieur [F] [G]

né le 22 mai 1971 à LYO...

C2

N° RG 20/00084

N° Portalis DBVM-V-B7E-KJLG

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée le :

Me Sandrine MONCHO

la SELARL CLEMENT-CUZIN LEYRAUD DESCHEEMAKER

Me Virginie FOURNIER

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

Ch. Sociale -Section B

ARRÊT DU JEUDI 30 JUIN 2022

Appel d'une décision (N° RG F 19/00683)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRENOBLE

en date du 12 décembre 2019

suivant déclaration d'appel du 27 décembre 2019

APPELANT :

Monsieur [F] [G]

né le 22 mai 1971 à LYON (69000)

de nationalité Française

45 impasse des Aulnes

73100 GRESY SUR AIX

représenté par Me Sandrine MONCHO, avocat postulant au barreau de GRENOBLE,

et par Me Eric DE BERAIL de la SCP KAIROS AVOCATS, avocat plaidant au barreau de LYON

INTIMEES :

SAS FEU VERT, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

11 allée du Moulin Berger

39130 ECULLY

représentée par Me Charlotte DESCHEEMAKER de la SELARL CLEMENT-CUZIN LEYRAUD DESCHEEMAKER, avocat postulant au barreau de GRENOBLE,

et par Me Laurent CHABRY, avocat plaidant au barreau de LYON

SAS MIGNAUTO, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

ZAC des Blanchisseries

38500 Voiron

représentée par Me Virginie FOURNIER, avocat postulant au barreau de GRENOBLE,

et par Me Karen MOURARET, avocat plaidant au barreau de LYON

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Blandine FRESSARD, Présidente,

M. Frédéric BLANC, Conseiller,

Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère,

DÉBATS :

A l'audience publique du 04 mai 2022,

Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère chargée du rapport, et Mme Blandine FRESSARD, Présidente, ont entendu les parties en leurs observations, assistées de M. Fabien OEUVRAY, Greffier, conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, les parties ne s'y étant pas opposées ;

Puis l'affaire a été mise en délibéré au 30 juin 2022, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.

L'arrêt a été rendu le 30 juin 2022.

EXPOSE DU LITIGE

M. [F] [G], né le 22 mai 1971, a été embauché par la société Feu Vert SAS à compter du 19 juillet 2004 en qualité de directeur de centre stagiaire. Le 1er février 2006, il a été promu directeur de centre statut cadre, niveau II ' degré B sous la qualification «'cadre expert'» de la convention collective nationale des services de l'automobile.

En novembre 2016, M. [F] [G] a pris les fonctions de directeur du centre de'Voiron.'

Au dernier état de la relation contractuelle, il percevait un salaire mensuel brut de'2'470 euros.

Le 14 février 2019, la société Feu Vert a informé les salariés du centre de Voiron d'un projet de cession de l'établissement au profit de la société Mignauto SAS représentée par M.'[X].

La société Mignauto, constituée le 19 février 2019, a reçu en location-gérance de la société Feu Vert, le fonds de commerce que celle-ci exploitait à Voiron avec effet au 1er mars 2019.

Le 27 février 2019, la société Feu Vert a notifié à M. [F] [G] sa mutation au poste de directeur du centre de Viriat avec effet au 12 mars 2019.

Le 8 mars 2019, M. [F] [G] a contesté ce changement d'affectation géographique lui imposant un changement de résidence.

M. [F] [G] était placé en arrêt de travail pour maladie du 11 mars 2019 jusqu'au'31'mars 2019.

Par courrier du 20 mars 2019, la société Feu Vert a confirmé à M. [F] [G] son changement d'affectation au terme de son arrêt de travail.

Puis par courrier du 24 avril 2019, la société Feu Vert a informé le salarié du transfert de son contrat de travail à la société Mignauto depuis le 1er mars 2019.

Par courrier daté du 29 avril 2019, la société Mignauto a informé M. [F] [G] qu'elle exploitait le centre de Voiron depuis le 1er mars 2019 et que son contrat de travail lui avait été transféré depuis cette date.

Par lettre du 2 mai 2019, adressée à la société Feu Vert, M. [F] [G] a pris acte de la rupture de son contrat de travail.

Le 7 mai 2019, la société Mignauto a confirmé à M. [F] [G] le caractère d'ordre public de l'article L. 1224-1 du code du travail et le transfert de son contrat de travail.

Le 14 mai 2019, la société Mignauto a mis en demeure M. [F] [G] de reprendre son poste de travail.

Convoqué par lettre du 20 mai 2019 à un entretien préalable fixé au 28 mai 2019, M.'[F] [G] a été licencié par la société Mignauto avec effet immédiat et privation des indemnités de rupture, selon lettre du 3 juin 2019 visant un abandon de poste.

Par requête du 1er août 2019, M. [F] [G] a saisila formation de bureau de jugement du conseil de prud'hommes de Grenoble, de demandes dirigées contre la société eu Vert et contre la société Mignauto, aux fins de voir qualifier sa prise d'acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamner in solidum les deux sociétés au paiement des indemnités de rupture et des dommages et intérêts, en raison de leur collusion.

Par jugement en date du 12 décembre 2019, le conseil de prud'hommes de Grenoble a :

DIT que le contrat de travail de M. [F] [G] a été transféré le 1er mars 2019 au bénéfice de la SAS Mignauto,

DIT que la prise d'acte notifiée le 2 mai 2019 est sans effet à l'égard de la SAS Feu Vert,

DIT le licenciement prononcé par la SAS Mignauto fondé sur une faute grave,

DÉBOUTE M. [F] [G] de l'intégralité de ses demandes,

DÉBOUTE la SAS Feu Vert et la SAS Mignauto de leurs demandes reconventionnelles,

DIT que chaque partie conservera à sa charge ses propres dépens.

La décision rendue a été notifiée par lettres recommandées avec accusés de réception signés le'13 décembre 2019 par M. [F] [G], par la société Feu Vert SAS et par la société Mignauto'SAS.

Appel de la décision a été interjeté par'M. [F] [G] par déclaration de son conseil au greffe de la présente juridiction le 27 décembre 2019.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 17 novembre 2021, M.'[F] [G] sollicite de la cour de':

Réformer le jugement rendu le 12 décembre 2019 par la Section Encadrement du Conseil de Prud'hommes de Grenoble en ce qu'il l'a débouté de toutes ses demandes.

Condamner in solidum les sociétés Feu Vert et Mignauto au paiement des sommes suivantes :

- indemnité compensatrice de préavis 10.704,51 €

- congés payés afférents 1.070,45 €

- indemnité légale de licenciement 14.966,48 € outre intérêts légaux à compter de la saisine, et avec capitalisation par année entière des intérêts conformément à l'article 1343-2 du code civil.

Condamner in solidum les sociétés Feu Vert et Mignauto au paiement de la somme de'«'46.3786,21 €'» à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse, outre intérêts légaux à compter de la notification du jugement à intervenir, et avec capitalisation par année entière des intérêts conformément à l'article 1343-2 du Code civil.

Condamner la société Feu Vert à délivrer sous quinzaine à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, et à peine d'astreinte définitive de 50,00 € par jour de retard, un certificat de travail, une attestation Pôle Emploi et des bulletins de salaire en conformité des condamnations prononcées au titre des prétentions ci-dessus formulées.

Dans tous les cas,

Condamner in solidum les sociétés Feu Vert et Mignauto, ou celle d'entre elles qui mieux le devrait, au paiement de la somme de 1.489,23 €, au titre du salaire du mois d'avril 2019,

Condamner in solidum les sociétés Feu Vert et Mignauto, ou celle d'entre elles qui mieux le devrait, au paiement de la somme de 19.220,60 € au titre des droits cumulés par M.'[F]'[G] dans son compte épargne temps.

Débouter les sociétés Feu Vert et Mignauto de leur demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamner in solidum les sociétés Feu Vert et Mignauto au paiement de la somme de'3.000,00'€ en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamner in solidum les sociétés Feu Vert et Mignauto aux entiers dépens.

Au visa des dispositions de l'article L 1224-1 du code du travail, M [F] [G] soutient que le transfert de son contrat de travail est intervenu au jour de la modification de la situation juridique de l'employeur, soit le 1er mars 2019, sans possibilité pour celui-ci de le différer.

Il oppose le moyen tiré d'une fraude aux dispositions de l'article L 1224-1 du code du travail au regard de son exclusion de la liste des salariés à transfert, de son changement d'affectation notifié brutalement deux jours avant la mise en location-gérance, puis du transfert forcé de son contrat décidé le 24 avril 2019.

Il soutient que la prise d'acte est justifiée par la décision de la société Mignauto de ne pas reprendre son contrat, par la mutation notifiée par la société Feu Vert avec précipitation hors périmètre de la clause de mobilité dans l'objectif de contourner les dispositions de l'article'L.'1224-1 du code du travail, ainsi que par les pressions exercées pour le contraindre à accepter cette mutation.

Il ajoute que l'existence d'une collusion entre les deux sociétés justifie leur condamnation solidaire au paiement des indemnités et dommages et intérêts dus au titre de la rupture.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 15 juin 2020, la société'Feu Vert SAS sollicite de la cour de':

Confirmer le jugement rendu le 12 décembre 2019 par le conseil de prud'hommes de Grenoble en ce qu'il a :

- dit que le contrat de travail de M. [G] a été transféré le 1er mars 2019 au bénéfice de la SAS Mignauto,

- dit que la prise d'acte notifiée le 2 mai 2019 est sans effet à l'égard de la SAS Feu Vert,

- débouté M. [F] [G] de l'intégralité de ses demandes telles que dirigées à l'encontre de la société Feu Vert,

Subsidiairement, dire et juger que la prise d'acte de M. [F] [G] notifiée le'2'mai 2019 à l'égard de la société Feu Vert doit s'analyser en une démission,

En conséquence,

Débouter M. [F] [G] de l'intégralité de ses demandes,

Condamner M. [F] [G] à payer à la société Feu Vert une somme brute de'7'410 € à titre d'indemnité de préavis non exécuté par M. [G],

En tout état de cause,

Débouter M. [F] [G] de l'intégralité de ses demandes,

Et y ajoutant,

Condamner M. [F] [G] à payer à la société Feu Vert une somme de 3'000'€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamner M. [F] [G] aux entiers dépens tant de première instance que d'appel.

La société Feu Vert soutient avoir tenu compte des intentions du salarié pour maintenir son contrat au sein de la société Feu Vert, puis avoir pris acte de sa demande de transfert du contrat au sein de la société Mignauto.

Elle objecte qu'il est incohérent pour le salarié de solliciter l'application des dispositions de l'article 1224-1 du code du travail alors qu'il s'est opposé au transfert de son contrat tel que notifié le 24 avril 2019.

Elle conteste toute collusion frauduleuse entre les deux sociétés relevant que le salarié échoue à l'établir alors que la charge de cette preuve lui incombe. Elle en déduit que le salarié n'est pas fondé à formuler à son encontre une demande de requalification de la prise d'acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse dès lors qu'elle n'était plus contractuellement liée au salarié.

A titre subsidiaire elle soutient que la prise d'acte intervenue postérieurement à la décision de ne plus lui imposer une mutation géographique doit s'analyser en une démission dès lors que le grief reproché n'existait plus au moment de la prise d'acte.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 9 novembre 2021, la société'Mignauto SAS sollicite de la cour de':

Confirmer que les dispositions de l'article L1224-1 CT ont été respectées

Constater que la prise d'acte querellée est dirigée à l'encontre exclusivement de la société Feu Vert,

Confirmer l'absence de collusion frauduleuse entre les sociétés Feu Vert et Mignauto,

Confirmer que le licenciement pour faute grave de M. [G] est établi,

Confirmer le jugement rendu le 12 décembre 2019 par le conseil de prud'hommes de Grenoble en ce qu'il a débouté M. [G] de l'ensemble de ses demandes,

Condamner à titre reconventionnel M. [G] au paiement d'une indemnité de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle soutient que le contrat de travail de M. [F] [G] lui a été transféré dès le'1er'mars'2019 et qu'elle doit être mise en hors de cause dès lors que le salarié a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts exclusifs de la société Feu Vert.

Elle conteste toute collusion frauduleuse en faisant valoir qu'elle ne s'est jamais opposée à l'application des dispositions de l'article 1224-1 du code du travail ni au transfert du contrat alors que le salarié a fait échec à ce transfert en refusant d'intégrer les effectifs de la société Mignauto.

A titre subsidiaire, elle fait valoir que le licenciement est fondé sur la faute grave du salarié pour manquement grave à ses obligations professionnelles et abandon de poste.

Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l'article'455 du code de procédure civile de se reporter à leurs écritures susvisées.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 décembre 2021.

L'affaire, fixée pour être plaidée à l'audience du 5 janvier 2022, a été renvoyée à l'audience de plaidoirie du 4 mai 2022. A cette date, elle était mise en délibéré au'30 juin 2022.

MOTIFS DE L'ARRÊT

1 ' Sur l'application des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail

Aux termes de l'article L. 1224-1 du code du travail, lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise.

Cette règle du maintien des contrats de travail en cas de modification dans la situation juridique de l'employeur est d'ordre public.

Ce texte, interprété à la lumière de la Directive n° 2001/23/CE du 12 mars 2001, s'applique en cas de transfert d'une entité économique autonome qui conserve son identité et dont l'activité est poursuivie ou reprise.

Le transfert des contrats de travail des salariés s'opère donc de plein droit, de manière impérative et automatique. Il s'impose aux employeurs, ancien et nouveau, comme aux salariés sans qu'aucune procédure ne soit requise.

Et, il est de principe que la location-gérance d'un fonds de commerce emporte transfert de l'activité et des éléments corporels ou incorporels du fonds de commerce, c'est-à-dire d'un ensemble organisé, constitutif d'une entité économique.

En l'espèce, la société Feu Vert a donné en location-gérance son fonds de commerce du centre de Voiron à la société Mignauto à compter du 1er mars 2019.

Il en résulte que tous les contrats de travail des salariés du centre Feu Vert de Voiron ont été automatiquement transférés à la société Mignauto dès le 1er mars 2019.

Or, M. [F] [G] démontre que son contrat n'a pas été transféré à la société cessionnaire à la date du 1er mars 2019 en violation de ces dispositions.

En effet, d'une première part, alors que la société Mignauto, immatriculée le 19 février 2019, a reçu le fonds de commerce en location-gérance dès le 1er mars 2019, la société Feu Vert a pourtant notifié à M. [F] [G] sa mutation au centre de Viriat avec effet au 12 mars 2019, par courrier du'27'février'2019.

D'une seconde part, il est établi que la société Feu Vert n'avait pas mentionné le contrat de travail de M.'[F]'[G] sur la liste des contrats de travail en cours au mois de janvier 2019 dans la note présentée le 14 février 2019 aux institutions représentatives du personnel et à l'ensemble du personnel.

D'une troisième part, en dépit de la contestation du salarié transmise par pli recommandé signé le 11 mars 2019 relevant notamment «'cette mutation géographique traduit une violation manifeste des dispositions de l'article L 1224-1 du code du travail, dès lors qu'elle a pour seul objet de faire échec au transfert de plein droit de mon contrat de travail à l'acquéreur du fonds de commerce exploité sur le site de Voiron'», la société Feu Vert a ignoré les effets d'un transfert de contrat en indiquant au salarié, par courrier en réponse du'20'mars'2019, «'Nous vous confirmons que nous vous demandons de rejoindre le centre de Bourg en Bresse dès votre retour d'arrêt maladie'» sans s'expliquer sur l'application des dispositions de l'article 1224-1 du code du travail.

D'une quatrième part, la société Feu Vert argue du souhait du salarié pour se maintenir dans ses effectifs sans justifier d'une telle demande ; les éléments versés aux débats ne révèlent aucunement l'existence potentielle d'un accord du salarié pour une mutation par application de la clause de mobilité du contrat pour faire échec au transfert de son contrat.

D'une cinquième part, le salarié produit ses bulletins de salaire des mois de mars et avril 2019 établis par la société Feu Vert postérieurement à la mise en location-gérance du centre de Voiron attestant du maintien du contrat de travail auprès de la société cédante.

D'une sixième part, ce n'est que par courrier du 24 avril 2019, en réponse aux contestations réitérées du salarié faisant état d'une fraude aux dispositions de l'article 1224-1 du code du travail, que la société Feu Vert a répondu «'nous n'entendons pas polémiquer sur l'application de l'article L 1224-1 du code du travail dès l'instant où vous exprimez la volonté de voir transférer votre contrat de travail, lequel est effectivement de plein droit. Vous reprendrez par conséquent vos fonctions de directeur au sein du centre de Voiron dès que votre arrêt de travail aura pris fin'».

En conséquence, M. [F] [G] est fondé à reprocher à la société Feu Vert d'avoir fait'échec au transfert de son contrat de travail au profit de la société Mignauto, qui devait intervenir de plein droit le 1er mars 2019, date du transfert en location-gérance, par application des dispositions d'ordre public de l'article L 1224-1 du code du travail.

2 ' Sur la prise d'acte de la rupture

Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette prise d'acte emporte les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur la poursuite du contrat de travail, et les effets d'une démission dans le cas contraire.

La prise d'acte est un mode de rupture du contrat de travail par lequel le salarié met un terme à son contrat en se fondant sur des manquements qu'il reproche à son employeur.

Elle n'est soumise à aucun formalisme en particulier mais doit être adressée directement à l'employeur.

Elle met de manière immédiate un terme au contrat de travail.

Pour que la prise d'acte produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, les manquements invoqués par le salarié doivent non seulement être établis, mais ils doivent de surcroît être suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail. A défaut, la prise d'acte est requalifiée en démission.

Pour évaluer si les griefs du salarié sont fondés et justifient que la prise d'acte produise les effets d'un licenciement, les juges doivent prendre en compte la totalité des reproches formulés par le salarié et ne peuvent pas en laisser de côté : l'appréciation doit être globale et non manquement par manquement.

Lorsque la prise d'acte est justifiée, elle produit les effets selon le cas d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou nul de sorte que le salarié peut obtenir l'indemnisation du préjudice à raison de la rupture injustifiée, une indemnité compensatrice de préavis ainsi que l'indemnité de licenciement, qui est toutefois calculée sans tenir compte du préavis non exécuté dès lors que la prise d'acte produit un effet immédiat.

Au cas d'espèce, M. [F] [G] a pris acte de la rupture aux torts de la société Feu Vert par courrier recommandé daté du 2 mai 2019, en lui reprochant notamment d'avoir tenté de lui imposer une mutation précipitée hors périmètre de la clause de mobilité, dans l'objectif de contourner les dispositions de l'article'L.'1224-1 du code du travail et d'avoir exercé des pressions pour le contraindre à accepter cette mutation.

D'une première part, il est jugé que M. [F] [G] est fondé à reprocher à la société Feu Vert d'avoir fait échec au transfert de son contrat de travail le 1er mars 2019 conformément aux dispositions d'ordre public de l'article L 1224-1 du code du travail.

D'une seconde part, l'avenant au contrat de travail du 1er octobre 2017 définissait une clause de mobilité réduite aux «'centres auto proches géographiquement'de son centre d'affectation pour utiliser ses services au mieux des intérêts de la société Feu Vert », alors que le changement d'affectation notifié par la société Feu Vert avec prise d'effet dans un délai de deux semaines portait vers un centre situé à plus de 100 kilomètres de son lieu d'affectation.

D'une troisième part, il ressort du courrier de la société Feu Vert, en date du 20 mars 2019, que celle-ci a insisté pour donner effet à ce changement d'affectation en écrivant notamment au salarié': «'Il est en effet surprenant que vous parliez de brutalité alors que vous avez échangé à plusieurs reprises sur cette mutation avec votre hiérarchie, notre besoin sur Bourg en Bresse étant connu depuis plusieurs semaines. Comme tous les directeurs de centre vous pouvez être conduits à changer de centre d'affectation pour la bonne marche de l'entreprise et en fonction des besoins exprimés ['] conformément à la clause de mobilité de votre contrat de travail initial. ['] Notre proposition d'affectation sur Bourg en Bresse ne saurait en aucun cas porter atteinte à votre vie personnelle et familiale ['] Nous vous confirmons que nous vous demandons de rejoindre le centre de Bourg en Bresse dès votre retour d'arrêt maladie'».

D'une quatrième part, il a été constaté que la société Feu Vert n'a renoncé au changement d'affectation du salarié en acceptant le transfert du contrat au bénéfice de la société'Mignauto que par courrier du'24'avril'2019, en réponse aux contestations réitérées du salarié dénonçant une violation frauduleuse des dispositions de l'article L 1224-1 du code du travail.

D'une cinquième part, le courrier du 24 avril 2019 démontre qu'à la date de la prise d'acte le 2 mai 2019, la société Feu Vert avait certes informé le salarié de son revirement pour accepter le transfert de son contrat de travail à la société cessionnaire avec effet rétroactif au'1er mars'2019, sans toutefois établir qu'elle avait permis la réalisation effective de ce transfert.

En effet, la société Feu Vert n'argue ni ne démontre avoir informé la société cessionnaire du transfert de ce contrat avant le 2 mai 2019, ni avoir mis le salarié en situation de reprendre ses fonctions de directeur au sein du centre de Voiron au terme de son arrêt de travail, le'31'mars'2019, d'autant que le bulletin de salaire d'avril 2019 était établi par la société Feu Vert.

Le salarié produit un courrier recommandé de la société cessionnaire daté du'29'avril'2019l'informant du transfert automatique de son contrat depuis le 1er mars 2019 et l'invitant à lui communiquer son arrêt de travail pour régulariser sa situation. Cependant, la date de réception du pli recommandé par le salarié n'est pas établie, et la société cédante, qui avait fait échec au transfert du contrat, ne démontre pas avoir effectué des démarches pour permettre la reprise effective des fonctions de directeur du centre de Voiron par M.'[F] [G], ni l'en avoir informé avant le'2'mai'2019.

En conséquence, M. [F] [G] est fondé à reprocher à la société cédante d'avoir fait échec au transfert de son contrat, sans qu'il soit suffisamment démontré que ce grief n'était plus d'actualité à la date de la prise d'acte le 2 mai 2019, ni que le transfert du contrat avait pu prendre effet de manière rétroactive au 1er mars 2019.

Cette situation démontre qu'à la date de la prise d'acte, la poursuite de la relation contractuelle, que la société Feu Vert avait imposé en refusant les effets des dispositions de l'article L 1224-1 du code du travail, était impossible.

Dans ces conditions, il convient d'infirmer le jugement entrepris et de dire que la société Feu Vert a fait échec au transfert du contrat le 1er mars 2019 et que la prise d'acte par M.'[F]'[G] de la rupture de son contrat de travail avec la société Feu Vert par courrier du 2 mai 2019 emporte les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La demande subsidiaire de la société Feu Vert tendant à voir constater que la prise d'acte produit les effets d'une démission est donc rejetée avec la demande en paiement d'une indemnité de préavis par le salarié, le jugement dont appel qui a omis de statuer sur ces prétentions étant infirmé de ce chef.

Partant, M. [F] [G] est fondé à obtenir paiement d'une indemnité compensatrice de préavis représentant trois mois de salaire, conformément aux dispositions de l'article 4.10 de la convention collective applicable, soit, sur la base d'une rémunération mensuelle moyenne de 3 568,17 euros bruts, la somme de 10 704,51 euros bruts, outre celle de 1 070,45 euros bruts au titre des congés payés afférents.

Il est également fondé à obtenir paiement d'une indemnité légale de licenciement de'14'966,48'euros, étant relevé que la société Feu Vert n'en conteste pas les calculs.

Enfin, l'article L 1235-3 du code du travail dans ses versions postérieures au 24 septembre 2017 instaure un barème d'indemnisation des licenciements sans cause réelle et sérieuse en fonction de l'ancienneté du salarié et de son salaire brut.

Au cas d'espèce, à la date de la rupture, le 2 mai 2019, M. [F] [G] présentait une ancienneté de plus de 14 années de sorte qu'il peut prétendre à une indemnité pour licenciement sans cause réelle sérieuse d'un montant situé entre un minimum de trois mois de salaire brut et d'un maximum de douze mois de salaire brut.

Âgé de 47 ans à la date de la prise d'acte, il justifie de la reconnaissance par Pôle Emploi de son statut de demandeur d'emploi au moins jusqu'en février 2020.

Tenant compte de ces éléments, par infirmation du jugement déféré, il est alloué à M.'[F]'[G] une indemnité de 40 000'euros bruts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, le surplus de la demande de ce chef étant rejeté.

La société Feu Vert est donc déboutée de sa demande reconventionnelle en paiement d'une indemnité de préavis par le salarié, par confirmation du jugement dont appel.

La rupture du contrat étant intervenue le 2 mai 2019, la société Feu Vert reste redevable du paiement du salaire du mois d'avril 2019. Par infirmation du jugement dont appel, elle est condamnée à verser à M. [F] [G] le salaire du mois d'avril 2019 correspondant à 1'397,72 euros nets après déduction de l'imposition sur le revenu ou 1'950,89 euros bruts.

Enfin, M. [F] [G] justifie des droits cumulés sur son compte épargne temps conformément au bulletin de paie d'avril 2019 et du solde de tout compte dressé par la société Mignauto le 14 juin 2019. La société Feu Vert, qui n'a contesté utilement le montant réclamé à ce titre, est condamnée à verser au salarié la somme réclamée à ce titre, soit 19'220,60 euros nets, par infirmation du jugement entrepris.

3 ' Sur les prétentions dirigées contre la société Mignauto SAS

En cas de collusion frauduleuse entre l'ancien et le nouvel employeur, il y a lieu de condamner in solidum les deux employeurs au paiement de dommages et intérêts.

Il résulte de l'interprétation de l'article L 1224-1 du code du travail que si le salarié licencié à l'occasion du transfert de l'entité économique autonome dont il relève peut exiger du cessionnaire qu'il l'indemnise c'est à la condition que celui-ci ait refusé la poursuite du contrat de travail en cours au jour du transfert ou s'il a contribué par ses agissements à la perte de l'emploi.

Au cas d'espèce, M. [F] [G] échoue à démontrer l'existence d'une collusion frauduleuse entre l'ancien et le nouvel employeur.

En effet, nonobstant le retard pris par la société cessionnaire pour se signaler auprès du salarié en ne lui adressant aucune correspondance avant le courrier recommandé daté du'29'avril'2019, M.'[F] [G] n'établit aucun acte positif de la société'Mignauto pour refuser le transfert de son contrat de travail.

Aussi, la circonstance selon laquelle le gérant de la société Mignauto a assuré les fonctions de directeur du centre reste insuffisante à caractériser le refus, pour cette société, de reprendre le contrat de travail de M. [F] [G].

Au contraire M. [F] [G] produit la copie d'un chèque de paiement en date du'2'mai'2019, établi par la société Mignauto au bénéfice de M. [F] [G], pour un montant de 1'397,72 euros correspondant à son bulletin de salaire d'avril 2019, qui démontre l'intention de la société cessionnaire de reprendre ledit contrat de travail, sans révéler une collusion avec la société cédante.

Enfin, il ne peut être reproché à M. [F] [G] d'avoir refusé le transfert de son contrat par la société Mignauto en lui adressant des courriers de refus à compter du 6 mai 2019, dès lors qu'il est jugé que le contrat était rompu par la prise d'acte de la rupture le 2 mai 2019.

En conséquence, par confirmation du jugement entrepris, M. [F] [G] est débouté de ses demandes dirigées contre la société Mignauto SAS.

4 ' Sur les demandes accessoires

La société Feu Vert, partie perdante à l'instance au sens des dispositions de l'article'696 du code de procédure civile, doit être tenue d'en supporter les entiers dépens de première instance et d'appel.

Elle doit donc être déboutée de sa demande d'indemnisation fondée sur les dispositions de l'article'700 du code de procédure civile.

Il serait par ailleurs inéquitable, au regard des circonstances de l'espèce comme des situations économiques des parties, de laisser à la charge de M. [F] [G] l'intégralité des sommes qu'il a été contraint d'exposer en justice pour la défense de ses intérêts, de sorte qu'il convient, par infirmation du jugement dont appel, de condamner la société Feu Vert à lui verser la somme de'3'000'euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en première instance et en appel.

Enfin, il est équitable de rejeter la demande d'indemnisation de la société Mignauto SAS au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,

CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a':

- débouté M. [F] [G] de ses demandes dirigées contre la société Mignauto SAS';

- débouté la société Feu Vert SAS de sa demande reconventionnelle';

L'INFIRME pour le surplus';

Statuant à nouveau et y ajoutant,

DIT que la prise d'acte par M. [F] [G] de la rupture de son contrat de travail avec la société Feu Vert SAS par courrier du 2 mai 2019 emporte les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse';

CONDAMNE la société Feu Vert SAS à payer à M. [F] [G]'la somme de :

- 10 704,51 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 1 070,45 euros bruts au titre des congés payés afférents.

- 14'966,48'euros au titre de l'indemnité légale de licenciement

- 40'000 euros bruts à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle sérieuse,

- le salaire du mois d'avril 2019 correspondant à 1'397,72 euros nets après déduction de l'imposition sur le revenu, ou 1'950,89 euros bruts

- la somme réclamée à ce titre soit 19'220,60 euros nets au titre des droits cumulés sur son compte épargne temps,

DEBOUTE M. [F] [G] du surplus de ses demandes financières';

DEBOUTE la société Feu Vert SAS de sa demande reconventionnelle en paiement d'une indemnité de préavis';

CONDAMNE la société Feu Vert SAS à payer à M. [F] [G] une indemnité de'3'000'euros au titre des frais exposés en première instance et en appel';

REJETTE la demande d'indemnisation des frais exposés par la société Mignauto SAS';

REJETTE la demande d'indemnisation des frais exposés par la société Feu Vert SAS';

CONDAMNE la société Feu Vert SAS aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Mme Blandine FRESSARD, Présidente et par Mme Carole COLAS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Ch. sociale -section b
Numéro d'arrêt : 20/00084
Date de la décision : 30/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-30;20.00084 ?
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