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30/06/2022 | FRANCE | N°19/02582

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Ch. sociale -section b, 30 juin 2022, 19/02582


C7



N° RG 19/02582



N° Portalis DBVM-V-B7D-KBSD



N° Minute :









































































Copie exécutoire délivrée le :









Me Wilfried SAMBA-SAMBELIGUE



la SELARL CLEMENT-CUZIN LEYRAUD DESCHEEMAKER

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS>


COUR D'APPEL DE GRENOBLE



Ch. Sociale -Section B

ARRÊT DU JEUDI 30 JUIN 2022







Appel d'une décision (N° RG 17/00636)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de GRENOBLE

en date du 03 juin 2019

suivant déclaration d'appel du 17 Juin 2019



APPELANT :



Monsieur [Z] [B]

de nationalité Française

406 rue Vaugauthier

38590 S...

C7

N° RG 19/02582

N° Portalis DBVM-V-B7D-KBSD

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée le :

Me Wilfried SAMBA-SAMBELIGUE

la SELARL CLEMENT-CUZIN LEYRAUD DESCHEEMAKER

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

Ch. Sociale -Section B

ARRÊT DU JEUDI 30 JUIN 2022

Appel d'une décision (N° RG 17/00636)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de GRENOBLE

en date du 03 juin 2019

suivant déclaration d'appel du 17 Juin 2019

APPELANT :

Monsieur [Z] [B]

de nationalité Française

406 rue Vaugauthier

38590 SILLANS

représenté par Me Wilfried SAMBA-SAMBELIGUE, avocat au barreau de GRENOBLE

INTIMEE :

SA SEMITAG prise en la personne de son représentant légal en exercice sis au-dit siège

Immeuble 'Le Stratège' - 15 Avenue Salvador Allende

38130 ECHIROLLES

représentée par Me Laurent CLEMENT-CUZIN de la SELARL CLEMENT-CUZIN LEYRAUD DESCHEEMAKER, avocat au barreau de GRENOBLE

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Blandine FRESSARD, Présidente,

M. Frédéric BLANC, Conseiller,

Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère,

DÉBATS :

A l'audience publique du 05 Mai 2022,

Mmme Blandine FRESSARD, Présidente chargée du rapport, assisté de Mme Chrystel ROHRER, Greffier, a entendu les parties en leurs conclusions et plaidoiries, les parties ne s'y étant pas opposées conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile.

Puis l'affaire a été mise en délibéré au 30 Juin 2022, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.

L'arrêt a été rendu le 30 Juin 2022.

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES':

Monsieur [Z] [B] a été embauché à compter 23 mai 1977 en qualité de conducteur receveur, coefficient 217, par la société SEMITAG selon contrat de travail à durée indéterminée soumis à la convention collective des réseaux des transports publics urbains de voyageurs.

À compter du 6 janvier 2014, [Z] [B] a été placé en arrêt de travail en raison d'une maladie professionnelle.

La consolidation de l'état de santé de [Z] [B] a été prononcé le 31 mars 2017.

Par avis en date du 13 avril 2017, la médecine du travail a déclaré [Z] [B] inapte en précisant': «'inapte définitif au poste de conducteur de transport en commun, contre-indication de gestes répétitifs des membres supérieurs et de port de charges lourds, contre-indication de station debout prolongée et de marche sur longues distances.

Apte au poste proposé de conducteur VL Rébus avec restrictions de moins de 2h consécutives de conduite, serait apte à un poste administratif, téléphoniste commercial ou agent d'accueil clientèle'».

Par requête en date du 25 avril 2017, [Z] [B] a saisi le conseil de prud'hommes de Grenoble en sa formation de référé d'une contestation de l'avis d'aptitude médicale du 13 avril 2017 en sollicitant la désignation d'un médecin expert.

Dans son rapport en date du 19 juin 2017, le médecin expert a validé le poste proposé par la société SEMITAG en précisant pas plus de deux heures consécutives de conduite par jour.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 28 juin 2017, la société SEMITAG a proposé à [Z] [B] deux postes de reclassement.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 11 juillet 2017, la société SEMITAG a convoqué [Z] [B] à un entretien préalable fixé au 20 juillet 2017.

Par courrier daté du 19 juillet 2017, [Z] [B] a refusé les deux postes proposés.

Le 21 juillet 2017, Monsieur [Z] [B] a saisi le conseil de prud'hommes de Grenoble d'une demande de résiliation judiciaire et des demandes indemnitaires afférentes.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 25 juillet 2017, la société SEMITAG a notifié à [Z] [B] son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Par jugement en date du 3 juin 2019, dont appel, le conseil de prud'hommes de Grenoble ' section commerce ' a':

DIT que le licenciement de Monsieur [Z] [B] par la SA SEMITAG prononcé le 25 juillet 2017 est intervenu pour cause réelle et sérieuse';

CONSTATE que Monsieur [Z] [B] a été rempli de ses droits tant en matière d'indemnités que de congés payés';

DÉBOUTÉ Monsieur [Z] [B] de l'intégralité de ses demandes';

DÉBOUTÉ la SA SEMITAG de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile';

CONDAMNÉ Monsieur [Z] [B] aux dépens.

La décision ainsi rendue a été notifiée aux parties par lettre recommandée avec accusé de réception le 5 juin 2019.

Monsieur [Z] [B] en a relevé appel par déclaration de son conseil transmise au greffe de la présente juridiction par voie électronique le 17 juin 2019.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 14 juin 2021, auxquelles il convient expressément de se référer pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, Monsieur [Z] [B] demande à la cour d'appel de':

DÉCLARER Monsieur [B] recevable et bien fondé en son appel';

DIRE ET JUGER que le refus du seul poste de reclassement proposé à Monsieur [B] était parfaitement légitime';

DIRE ET JUGER en conséquence que la société SEMITAG aurait dû appliquer l'article L.'1226-14 du code du travail';

DIRE ET JUGER que la société SEMITAG n'a pas loyalement et totalement respecté son obligation de reclassement';

DIRE ET JUGER dès lors que le licenciement prononcé à son encontre est abusif et est dépourvu de cause réelle et sérieuse';

DIRE ET JUGER qu'en diffusant le rapport d'expertise du Docteur [G], couvert par le secret médical, la SEMITAG a manqué à son obligation d'exécuter le contrat de travail de bonne foi';

En conséquence,

RÉFORMER intégralement le jugement du conseil de prud'hommes de Grenoble du 3 juin 2019';

Et statuant de nouveau,

CONDAMNER la société SEMITAG à verser les sommes suivantes':

- Indemnités de préavis': 6'488'€,

- Congés payés afférents': 648,80'€,

- Rappel de salaire sur congés payés': 7'425,60'€,

- Doublement de l'indemnité de licenciement': 38'833'€,

- Dommages et intérêts pour licenciement abusif': 38'928'€,

- Dommages et intérêts pour préjudice moral': 10'000'€,

- Dommages et intérêts pour violation du secret médical': 5'000'€';

ASSORTIR ces condamnations des intérêts légaux de droit à compter de la saisine du conseil de prud'hommes de Grenoble pour les sommes à caractère salarial et à compter de la notification de la décision à intervenir pour les autres';

CONDAMNER la société SEMITAG à payer à Monsieur [B] la somme de 3'000'€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile';

CONDAMNER encore la même aux entiers dépens.

Par conclusions en réponse notifiées par voie électronique le 15 juin 2021, auxquelles il convient expressément de se référer pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, la SEMITAG demande à la cour d'appel de':

CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il a':

- Dit que le licenciement de Monsieur [B] prononcé le 25 juillet 2017 est intervenu pour cause réelle et sérieuse';

- Constaté que Monsieur [B] a été rempli de ses droits tant en matière d'indemnités que de congés payés';

- Débouté Monsieur [B] de l'intégralité de ses demandes';

- Condamné Monsieur [B] aux dépens';

Statuant à nouveau,

DIRE ET JUGER que le licenciement de Monsieur [B] repose sur une cause réelle et sérieuse avérée';

DIRE ET JUGER que le refus par Monsieur [B] des postes de reclassement proposés par la SEMITAG est abusif et justifie le non versement de l'indemnité compensatrice de préavis, ainsi que le non doublement de l'indemnité de licenciement';

DIRE ET JUGER que la SEMITAG n'a aucunement violé le secret médical';

DIRE ET JUGER, à titre principal, eu égard à la demande de rappels de salaire à titre de congés payés, que Monsieur [B] a bien été rempli de ses droits en matière de congés payés, et à titre subsidiaire, limiter la demande de Monsieur [B] de rappels de salire à titre de congés payés à un montant de 2'662,44'euros';

DÉBOUTER en conséquence Monsieur [B] de l'ensemble de ses réclamations';

CONDAMNER Monsieur [B] à verser à la SEMITAG la somme de 3'000'€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient, au visa de l'article 455 du code de procédure civile, de se reporter à leurs écritures susvisées.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 17 juin 2021 et l'affaire, initialement fixée le 16 décembre 2021, a été renvoyée pour être plaidée à l'audience du 5 mai 2022'; la décision a été mise en délibéré au 30 juin 2022.

MOTIFS DE L'ARRÊT':

Sur la demande au titre de la rupture du contrat de travail':

L'article L.'1226-10 du code du travail, dans sa version applicable au litige, dispose que lorsque le salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L.'4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités.

Cette proposition prend en compte, après avis des délégués du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur l'aptitude du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté.

L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en 'uvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.

Par ailleurs, il est constant que la recherche des possibilités de reclassement du salarié déclaré inapte à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment en raison d'une maladie doit s'apprécier à l'intérieur du groupe auquel appartient l'employeur concerné, parmi les entreprises dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation lui permettent d'effectuer la mutation de tout ou partie du personnel.

Si la preuve de l'exécution de l'obligation de reclassement incombe à l'employeur, il appartient au juge, en cas de contestation sur l'existence ou le périmètre du groupe de reclassement, de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments qui lui sont soumis par les parties.

L'article L.'1226-12 du même code prévoit que lorsque l'employeur est dans l'impossibilité de proposer un autre emploi au salarié, il lui fait connaître par écrit les motifs qui s'opposent au reclassement.

L'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-10, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l'emploi.

L'obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l'employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l'article L. 1226-10, en prenant en compte l'avis et les indications du médecin du travail.

S'il prononce le licenciement, l'employeur respecte la procédure applicable au licenciement pour motif personnel prévue au chapitre II du titre III.

Au cas d'espèce, il n'est pas contesté que M. [Z] [B] est atteint d'une maladie professionnelle pour laquelle il a bénéficié d'un arrêt maladie à compter du 6 janvier 2014 et la consolidation de son état de santé a été prononcée le 31 mars 2017.

Dans son rapport d'expertise en date du 19 juin 2017, le médecin expert, nommé par le conseil de prud'hommes dans sa décision du 31 mai 2017, a indiqué':

«'Au regard des limitations avancées par le médecin du travail de conduire deux heures consécutives par jour, le poste proposé par l'entreprise SEMITAG pourrait être validé sur un mi-temps thérapeutique pour une durée de six mois et une réévaluation secondaire. [...] Si un poste administratif pouvait être proposé, il n'y aurait pas lieu de prévoir de mi-temps thérapeutique.'».

Par courrier en date du 28 juin 2017, la société SEMITAG a proposé, en interne, à M. [B] «'le poste de chauffeur VL rébus, aménagé conformément aux préconisations du médecin expert, dans le cadre d'un mi-temps thérapeutique'; ou d'un mi-temps classique si celle solution a votre préférence'; ou encore à temps plein à votre demande et après accord du médecin du travail': le poste d'agent de conseil en mobilité à plein temps.'», ces propositions ayant été refusées par le salarié le 19 juillet 2017.

Par ailleurs, les pièces produites par les parties, à savoir des communiqués de presse TRANSDEV et une capture d'écran d'une page Wikipédia, sont insuffisantes pour établir la possibilité de permutation d'emploi entre la SEMITAG et la société TRANSDEV.

De plus, en l'absence de tout autre élément probant, le simple fait que la société TRANSDEV soit actionnaire à 40'% de la SEMITAG et le fait que le partenariat entre les deux soit dénommé «'Groupement SEMITAG-TRANSDEV'» demeurent insuffisants pour démontrer la permutabilité des emplois et donc que le périmètre de reclassement incluait la société TRANSDEV.

Par ailleurs, le syndicat mixte des transports en commun (SMTC) de l'agglomération grenobloise n'étant pas une entreprise de transport, mais l'autorité organisant la mobilité de l'aire urbaine grenobloise qui délègue à la SEMITAG la gestion du réseau urbain TAG, il n'a pas à être intégré au sein du périmètre de reclassement.

Il résulte des énonciations précédentes que, la permutabilité des emplois n'étant pas démontrée, la SEMITAG n'avait pas besoin d'inclure la société TRANSDEV et le SMTC grenoblois dans le cadre de ses recherches de reclassement de M. [B], de sorte qu'elle n'a commis aucun manquement à son obligation de reclassement.

En conséquence, il convient donc de débouter le salarié de ses demandes au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur la demande au titre de l'indemnité spéciale de licenciement':

Conformément à l'article L.'1226-14 du code du travail, la rupture du contrat de travail dans les cas prévus au deuxième alinéa de l'article L. 1226-12 ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis prévue à l'article L.'1234-5 ainsi qu'à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l'indemnité prévue par l'article L.'1234-9.

Toutefois, ces indemnités ne sont pas dues par l'employeur qui établit que le refus par le salarié du reclassement qui lui est proposé est abusif.

Les dispositions du présent article ne se cumulent pas avec les avantages de même nature prévus par des dispositions conventionnelles ou contractuelles en vigueur au 7 janvier 1981 et destinés à compenser le préjudice résultant de la perte de l'emploi consécutive à l'accident du travail ou à la maladie professionnelle.

Il est de principe que ne peut être abusif le refus par le salarié du poste de reclassement proposé par l'employeur dès lors que la proposition de reclassement emporte modification du contrat de travail.

Au cas d'espèce, par courrier en date du 28 juin 2017, la société SEMITAG a proposé à M. [B] «'le poste de chauffeur VL rébus, aménagé conformément aux préconisations du médecin expert, dans le cadre d'un mi-temps thérapeutique'; ou d'un mi-temps classique si celle solution a votre préférence'; ou encore à temps plein à votre demande et après accord du médecin du travail': le poste d'agent de conseil en mobilité à plein temps.'».

Les deux postes proposés par la SEMITAG à M. [B] conduisent à une modification de son contrat de travail, de sorte que le refus du salarié n'apparaît pas abusif.

En effet, la proposition de la SEMITAG apparaît confuse et ne permet pas au salarié de se positionner clairement, étant donné que le poste est proposé en mi-temps thérapeutique, en mi-temps classique ou à temps plein.

De plus, bien que la première proposition respecte les préconisations médicales, le fait de proposer le poste en mi-temps thérapeutique constitue une modification du contrat de travail du salarié, ce dernier travaillant à temps plein avant son arrêt maladie et l'avis d'inaptitude.

Par ailleurs, le second poste proposé, agent de conseil en mobilité, implique une transformation des fonctions et tâches du salarié, le poste étant différent du précédent poste occupé par le salarié.

Dès lors, le refus de M. [B] des deux postes proposés par son employeur n'étant pas abusif, il convient de condamner la SEMITAG à payer à M. [B] la somme de 38'833'€ au titre de l'indemnité spéciale de licenciement prévue par l'article L.'1226-10 du code du travail.

Sur la demande au titre du préjudice moral':

Outre qu'il n'invoque aucun fondement juridique, M. [B] ne démontre pas en quoi il aurait subi un préjudice distinct du refus de la SEMITAG de lui verser le doublement de l'indemnité spéciale de licenciement prévue par l'article L.'1226-10 du code du travail et la cour rappelle qu'il a été débouté de ses demandes au titre de son licenciement.

Par conséquent, il y a lieu de débouter M. [Z] [B] de sa demande de dommages et intérêts au titre d'un préjudice moral.

Sur la demande au titre des congés payés':

Il résulte de la jurisprudence de la cour de justice de l'Union européenne que la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, n'opère aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d'un congé de maladie, pendant la période de référence, et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de ladite période. Il s'ensuit que, s'agissant de travailleurs en congés maladie dûment prescrit, le droit au congé annuel payé conféré par cette directive à tous les travailleurs ne peut être subordonné par un Etat membre à l'obligation d'avoir effectivement travaillé pendant la période de référence établie par ledit Etat (CJUE, 20 janvier 2009, C-350/06, Schultz-Hoff, point 41'; CJUE, 24 janvier 2012, C-282-10, Dominguez, point 20).

La cour de justice de l'Union européenne juge qu'il incombe à la juridiction nationale de vérifier, en prenant en considération l'ensemble du droit interne et en faisant application des méthodes d'interprétation reconnues par celui-ci, si elle peut parvenir à une interprétation de ce droit permettant de garantir la pleine effectivité de l'article 7 de la directive 2003/88/CE et d'aboutir à une solution conforme à la finalité poursuivie par celle-ci (CJUE, 24 janvier 2012, affaire C-282/10, Dominguez). Par arrêt du 6 novembre 2018 (C-569/19 Stadt Wuppertal c/ Bauer et C-570/16 Willmeroth c. Brossonn), la Cour de justice de l'Union européenne a jugé qu'en cas d'impossibilité d'interpréter une réglementation nationale de manière à en assurer la conformité avec l'article 7 de la directive2003/88/CE et l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux, la juridiction nationale doit laisser ladite réglementation nationale inappliquée. La cour de justice de l'Union européenne précise que cette obligation s'impose à la juridiction nationale en vertu de l'article 7 de la directive 2003/88/CE et de l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux lorsque le litige oppose un bénéficiaire du droit à congé à un employeur ayant la qualité d'autorité publique et en vertu de la seconde de ces dispositions lorsque le litige oppose le bénéficiaire à un employeur ayant la qualité de particulier.

La jurisprudence de la cour de justice de l'Union européenne a jugé (CJUE, 26 février 196, Marshall, C-152/84, point 49) que, lorsque les justiciables sont en mesure de se prévaloir d'une directive à l'encontre de l'État, ils peuvent le faire quelle que soit la qualité en laquelle agit ce dernier, employeur ou autorité publique. En effet, il convient d'éviter que l'État ne puisse tirer avantage de sa méconnaissance du droit de l'Union européenne. La Cour de justice de l'Union européenne a ainsi admis que des dispositions inconditionnelles et suffisamment précises d'une directive pouvaient être invoquées par les justiciables à l'encontre d'organismes ou d'entités qui étaient soumis à l'autorité ou au contrôle de l'État ou qui disposaient de pouvoirs exorbitants par rapport à ceux qui résultent des règles applicables dans les relations entre particuliers (CJCE, 12 juillet 1990, C-188/89, Foster E., points 18 à 20).

L'article L.'3141-5 5° du code du travail dispose que sont considérés comme périodes de travail effectif pour la détermination de la durée du congé les périodes, dans la limite d'une durée ininterrompue d'un an, pendant lesquelles l'exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle.

Au cas d'espèce, la SEMITAG admet dans ses conclusions «'qu'elle exerce son activité dans le cadre d'une délégation de service public'», à savoir l'exploitation d'un réseau de transport public urbain.

Alors qu'elle avait déjà reconnu l'invocabilité directe de la directive n°2003/88/CE à son égard en sa qualité de délégataire d'une mission de service public par une autorité étatique dans un arrêt cité par le salarié, la cour constate que, contrairement à ce que fait valoir la société dans la présente affaire, tel est toujours le cas.

D'une première part, il ressort de l'article 3, intitulé «'Prérogatives de l'autorité délégante'», du contrat de délégation de service public du réseau de transport public urbain conclu avec le Syndicat Mixte des Transports Collectifs de l'agglomération Grenobloise, non produit intégralement par la SEMITAG, que':

«'L'autorité délégante exerce, pendant la durée de la présente convention et de façon exclusive, les compétences d'une Autorité organisatrice de transport public de personnes à l'égard du service public délégué.

Chaque année, l'autorité délégante':

- Définit la politique générale des transports, les orientations et l'organisations des transports urbains,

- Conduit sous réserve des dispositions de l'article 10, les études de stratégie, de détermination de l'offre de transport en fonction de la demande, en faisant appel à ses compétences propres, aux compétences du délégataire ou de tiers,

- Décide de la consistance des services à offrir pour répondre au mieux aux besoins de déplacements des habitants en s'appuyant, entre autres, sur les propositions du délégataire'; l'autorité délégante associe, le cas échéant, le délégataire aux réflexions et études qu'elle conduit à cet effet,

- Homologue les tarifs sur la base des propositions du délégataire,

- Met à disposition du délégataire les biens nécessaires à l'exploitation, selon les dispositions du titre II,

- Verse une contribution forfaitaire au délégataire,

- Contrôle la gestion du service délégué, notamment le respect des obligations contractuelles, la conformité des services effectués par rapport au contrat et les résultats d'exploitation du service public.'».

De plus, l'article 19, intitulé «'Dispositions tarifaires'», prévoit que le délégataire doit proposer des tarifs et que l'autorité délégante, la SMTC, doit les homologuer, et que «'Le délégataire applique les homologations de tarifs décidées par l'autorité délégante'».

Dès lors, contrairement à ce que soutient la SEMITAG, elle assure, en tant que délégataire, un service public dont l'étendue, les modalités et les tarifs sont fixés par l'autorité publique organisatrice.

D'une deuxième part, il n'est pas contesté que certains des agents de la SEMITAG agissant sur le réseau de transport public de Grenoble sont habilités par la loi et le règlement à constater les contraventions afférentes.

Ainsi, il résulte des énonciations précédentes que la SEMITAG est un organisme chargé, en vertu d'un acte de l'autorité publique, d'accomplir, sous le contrôle de cette dernière, un service d'intérêt public et disposant à cet effet de pouvoirs exorbitants par rapport aux règles applicables dans les relations entre particuliers, qui peut donc se voir opposer les dispositions d'une directive susceptible d'avoir des effets directs.

D'une troisième part, aux termes de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003, les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d'un congé annuel d'au moins quatre semaines, conformément aux conditions d'obtention et d'octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales. Si ces dispositions laissent aux États membres une certain marge d'appréciation lorsqu'ils adoptent les conditions d'obtention et d'octroi du droit au congé annuel payé qu'elles énoncent, cette circonstance n'affecte cependant pas le caractère précis et inconditionnel de l'obligation prescrite, de sorte que les conditions requises pour un effet direct sont réunies.

De plus, l'article 7 de la directive précitée ne garantit que quatre semaines de congés payés annuel, de sorte que le salarié est seulement en droit de réclamer une indemnité compensatrice de congés payés égale à quatre semaines par an pendant le temps de son arrêt de travail pour maladie professionnelle.

En arrêt maladie pendant trois ans, à compter du 6 janvier 2014 jusqu'à la consolidation de son état de santé prononcée le 30 mars 2017 et l'avis d'inaptitude du 13 avril 2017, M. [B] sollicite le versement d'une indemnité compensatrice de congés payés à hauteur de 57,44 jours.

Or, la SEMITAG a rempli Monsieur [B] de ses droits à congés payés acquis pendant sa période d'arrêt de travail dans la limite d'un an et lui a réglé, dans le cadre de son solde de tout compte, l'équivalent de 62,47 jours de congés payés pour lesquels le salarié n'apporte aucune explication par rapport à sa demande.

En conséquence, le salarié ayant été rempli de ses droits à congés payés, il convient de le débouter de sa demande à ce titre.

Sur la demande au titre de la violation du secret médical':

Conformément à l'article L. 1222-1 du code de travail, le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi. La bonne foi se présumant, la charge de la preuve de l'exécution déloyale du contrat de travail par l'employeur incombe au salarié.

Conformément à l'article L.'4624-7 du code du travail, le conseil de prud'hommes peut confier toute mesure d'instruction au médecin inspecteur du travail territorialement compétent pour l'éclairer sur les questions de fait relevant de sa compétence.

L'article 244 du code de procédure civile dispose que le technicien doit faire connaître dans son avis toutes les informations qui apportent un éclaircissement sur les questions à examiner.

L'article 247 du même code précise que l'avis du technicien dont la divulgation porterait atteinte à l'intimité de la vie privée ou à tout autre intérêt légitime ne peut être utilisé en dehors de l'instance si ce n'est sur autorisation du juge ou avec le consentement de la partie intéressée.

Au cas d'espèce, la société SEMITAG a communiqué aux délégués du personnel siégeant au comité économique et social le rapport d'expertise médicale de M. [Z] [B], en date du 19 juin 2017, rédigé par le médecin nommé par le conseil de prud'hommes dans son jugement du 31 mai 2017.

La cour constate que le rapport reprend la situation médicale du salarié en listant les différentes affections du salarié et les examens médicaux antérieurement pratiqués.

Il s'ensuit que la partie intitulée «'1. Situation médicale'» concerne la vie privée du salarié et que ces données médicales n'apparaissent pas pertinentes pour que les représentants du personnel rendent leur avis, d'autant qu'apparaît suffisante la partie du rapport intitulée «'3/ l'avis de l'expert'», pour que ledit comité rende un avis éclairé.

Ainsi, l'employeur aurait dû sollicité l'autorisation du juge ou le consentement du salarié avant de communiquer l'intégralité du rapport au comité économique et social.

Dès lors, comme le soutient le salarié, l'employeur a violé le secret médical découlant du rapport de l'expert et, de ce fait, la vie privée du salarié, de sorte qu'il a commis un manquement à son obligation de loyauté.

En conséquence, il convient de condamner la société SEMITAG à verser à M. [B] la somme de 1'000'€ au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail en raison de la violation du secret médical, le salarié ne justifiant pas du quantum sollicité.

Sur les demandes accessoires':

La SEMITAG, partie perdante à l'instance au sens des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, doit être tenue d'en supporter les entiers dépens.

Il serait par ailleurs inéquitable, au regard des circonstances de l'espèce comme des situations économiques des parties, de laisser à la charge de M. [Z] [B] l'intégralité des sommes qu'il a été contraint d'exposer en justice pour la défense de ses intérêts, de sorte qu'il convient de condamner la SEMITAG à lui verser la somme de 2'000'€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS':

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, dans les limites de l'appel et après en avoir délibéré conformément à la loi';

CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a':

- Débouté M. [B] de ses demandes au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse';

- Débouté M. [B] de sa demande au titre des congés payés';

- Débouté la SEMITAG de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile';

L'INFIRME pour le surplus';

Statuant à nouveau et y ajoutant,

CONDAMNE la société SEMITAG à payer à M. [Z] [B] les sommes suivantes':

- 38'833'€ (trente-huit mille huit cent trente-trois euros) au titre de l'indemnité spéciale de licenciement prévue par l'article L.'1226-10 du code du travail,

- 1'000'€ pour violation du secret médical';

DÉBOUTE la SEMITAG de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile';

CONDAMNE la SEMITAG à payer à M. [Z] [B] la somme de 2'000'€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile';

CONDAMNE la SEMITAG aux entiers dépens.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Mme Blandine FRESSARD, Présidente et par Mme Carole COLAS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Ch. sociale -section b
Numéro d'arrêt : 19/02582
Date de la décision : 30/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-30;19.02582 ?
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