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09/06/2022 | FRANCE | N°20/02486

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Ch. sociale -section b, 09 juin 2022, 20/02486


C7



N° RG 20/02486



N° Portalis DBVM-V-B7E-KQKI



N° Minute :













































































Copie exécutoire délivrée le :





la SCP FESSLER JORQUERA & ASSOCIES



la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC





AU NOM DU PEUPLE FRA

NÇAIS



COUR D'APPEL DE GRENOBLE



Ch. Sociale -Section B

ARRÊT DU JEUDI 09 JUIN 2022





Appel d'une décision (N° RG 19/00807)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRENOBLE

en date du 20 juillet 2020

suivant déclaration d'appel du 06 août 2020





APPELANTES :



Madame [A] [H]

née le 17 janvier 1972 à LA TRONCHE (38000)

de nationali...

C7

N° RG 20/02486

N° Portalis DBVM-V-B7E-KQKI

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée le :

la SCP FESSLER JORQUERA & ASSOCIES

la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

Ch. Sociale -Section B

ARRÊT DU JEUDI 09 JUIN 2022

Appel d'une décision (N° RG 19/00807)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRENOBLE

en date du 20 juillet 2020

suivant déclaration d'appel du 06 août 2020

APPELANTES :

Madame [A] [H]

née le 17 janvier 1972 à LA TRONCHE (38000)

de nationalité Française

6 rue Jean Jacques ROUSSEAU

38320 EYBENS

Madame [B] [L]

née le 30 avril 1971 à AIX EN PROVENCE (13000)

de nationalité Française

2 avenue du Colonel MANHES

38130 ECHIROLLES

représentées par Me Peggy FESSLER de la SCP FESSLER JORQUERA & ASSOCIES, avocat au barreau de GRENOBLE

INTIMEE :

Association AFIPH - ASSOCIATION FAMILIALE DE L'ISERE POUR PERSONNES HANDICAPEES, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

3 avenue Marie Reynoard

38029 GRENOBLE CEDEX

représentée par Me Josette DAUPHIN de la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC, avocat au barreau de GRENOBLE

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Blandine FRESSARD, Présidente,

M. Frédéric BLANC, Conseiller,

Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère,

Assistés lors des débats de M. Fabien OEUVRAY, Greffier,

DÉBATS :

A l'audience publique du 30 mars 2022,

Madame FRESSARD, Présidente, chargée du rapport,

Les avocats ont été entendus en leurs observations.

Et l'affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l'arrêt a été rendu.

EXPOSE DU LITIGE

Madame [A] [H], née le 17 janvier 1972, a travaillé au sein de l'AFIPH dans le cadre de nombreux contrats de travail à durée déterminée de remplacement, en qualité d'Agent de Service Intérieur, à temps partiel, en 2009, puis, à compter du 27 mars 2012 et jusqu'au 31 octobre 2014, de manière quasi ininterrompue.

Au dernier état de sa collaboration, Madame [H] assurait, toujours dans le cadre de contrats de travail à durée déterminée, conclus de manière successive, le remplacement, à temps complet, d'un salarié absent du 05 janvier au 30 novembre 2015.

Rattachée à la Convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées, coefficient 362, niveau 0341, échelon 2, Madame [H] percevait une rémunération mensuelle brute de 1 472,84 €.

Madame [B] [J] [S], née le 30 avril 1971, a débuté sa carrière professionnelle au sein de l'AFIPH dans le cadre de plusieurs contrats de travail à durée déterminée, conclus de manière successive, aux fins de remplacer, à temps partiel, divers salariés absents du 02 décembre 2013 au 30 septembre 2014, avant de conclure un contrat de travail à durée indéterminée, le 1er octobre 2014, toujours en la même qualité et à temps partiel.

Rattachée à la Convention collective précitée, coefficient 362, niveau 0341, échelon 2, Madame [J] [S] percevait une rémunération mensuelle brute de 923,34 €, et devait effectuer 65 heures de travail hebdomadaires.

Madame [L] et Madame [H] étaient chargées d'assurer l'entretien des locaux.

Le 9 octobre 2015, une rixe violente opposait sur leur lieu de travail mesdames [H] et [L] à l'une de leur collègue de travail, Mme [N] [D].

Le lendemain, Mesdames [H] et [L] déposaient plainte contre Madame [N] [D].

Le même jour, Madame [N] [D] déposait plainte contre Mesdames [L] et [H].

L'APIPH établissait une déclaration d'accident du travail concernant Mmes [H] et [L], assortie de réserves quant à la qualification d'accident du travail.

Les deux salariées étaient convoquées à un entretien préalable à un éventuel licenciement, assorti d'une mise à pied conservatoire.

Par courriers recommandés avec accusés de réception du 09 novembre 2015, l'AFIPH notifiait à Mme [H] comme à Mme [L] la rupture de leur contrat de travail pour faute grave.

Etant précisé que Mme [D] a, elle aussi, été licenciée pour faute grave, la cour d'appel de Grenoble, le 13 juin 2019, ayant retenu un licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse.

Contestant les griefs invoqués par l'employeur au soutien de la rupture de leurs contrats de travail, Mme [H] et Mme [L] ont saisi, le 1er février 2016, le conseil de prud'hommes de Grenoble aux fins de voir constater le caractère abusif de leur licenciement et solliciter le paiement de diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat.

Par jugement du 20 juillet 2020, la section activités diverses du conseil de prud'hommes de Grenoble a :

- DIT n'y avoir lieu à requalification des contrats de travail à durée déterminée de Mesdames [A] [H] et [B] [L] en contrat de travail à durée indéterminée,

- DIT que la rupture du contrat de travail de Madame [A] [H] repose bien sur une faute grave,

- DIT que le licenciement de Madame [B] [L] repose sur une cause réelle et sérieuse,

- DIT que l'Association Familiale de l'Isère pour Personnes Handicapées (AFIPH) n'a pas manqué à son obligation de sécurité de résultat,

- DIT que le préjudice moral invoqué par Mesdames [A] [H] et [B] [L] n'est pas avéré,

- DEBOUTE les parties de toutes leurs autres demandes,

- CONDAMNE l'AFIPH à payer à Madame [B] [L] les sommes suivantes :

- 923,34 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis

- 92,33 € au titre des congés payés afférents

- 369,33 € au titre de l'indemnité légale de licenciement

- 454,34 € à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire

- 45,43 € au titre des congés payés afférents

Lesdites sommes avec intérêts de droit à la date du 3 février 2016

- 600 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile

Ladite somme avec intérêts de droit à la date du jugement du 20 juillet 2020.

La décision ainsi rendue a été notifiée aux parties par lettres recommandées avec accusé de réception.

Par déclaration de leur conseil au greffe de la présente juridiction en date du 6 août 2020, Mesdames [H] et [L] en ont toutes deux régulièrement relevé appel.

Aux termes de leurs conclusions notifiées par voie électronique le 5 novembre 2020, Mmes [A] [H] et [B] [L] sollicitent de la cour de':

INFIRMER le jugement dont appel en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a considéré que Madame [L] ne s'était pas rendue coupable d'une faute grave et ainsi CONDAMNER l'AFIPH à verser à Madame [L] les sommes suivantes :

- 923,34 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis

- 92,33 € au titre des congés payés afférents

- 369,33 € au titre de l'indemnité légale de licenciement

- 454,34 € à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire

- 45,43 € au titre des congés payés afférents

- 600 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile

En conséquence,

REQUALIFIER les CDD de remplacement conclus par Madame [J] [S] en CDI à compter du 02 décembre 2013.

CONDAMNER l'AFIPH à payer à Madame [J] [S] la somme de 2.000 € nets à titre de dommages et intérêts pour violation des dispositions de l'article L 1242-1 du Code du travail.

REQUALIFIER les CDD de remplacement conclus par Madame [H] en CDI à compter du 27 mars 2012.

CONDAMNER l'AFIPH à verser à Madame [H] la somme de 3.000 € nets à titre de dommages et intérêts pour violation des dispositions de l'article L 1242-1 du Code du travail.

DIRE ET JUGER que les licenciements pour faute grave notifiés à Madame [H] et Madame [J] [S], le 9 novembre 2015, sont nuls.

CONFIRMER le Jugement en ce qu'il a condamné l'AFIPH à payer à Madame [L] les sommes suivantes :

- 923,34 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis

- 92,33 € au titre des congés payés afférents

- 369,33 € au titre de l'indemnité légale de licenciement

- 454,34 € au titre du rappel de salaire sur mise à pied conservatoire du 14.10 au 09.11.2015

- 45.43 € au titre des congés payés afférents

- 600 € au titre de l'article 700 du CPC,

POUR LE SURPLUS, INFIRMER le Jugement et ainsi CONDAMNER l'AFIPH à payer à Madame [L] la somme de 10.000 € nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

CONDAMNER l'AFIPH à payer à Madame [H] les sommes suivantes :

- 2.945,70 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis

- 294,57 € au titre des congés payés afférents

- 1.060,50 € au titre de l'indemnité légale de licenciement

- 15.000 € nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul

- 1.031 € au titre du rappel de salaire sur mise à pied conservatoire du 14.10 au 09.11.2015

- 103,10€ au titre des congés payés afférents

CONDAMNER en outre l'AFIPH à payer à Madame [H] et Madame [J] [S], chacune, les sommes suivantes :

- 10.000 € nets au titre du manquement à l'obligation de sécurité,

- 10.000 € nets à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi,

CONDAMNER en outre l'AFIPH à payer à Madame [H] et Madame [J] [S], chacune, la somme de 2.500 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 04 février 2021, l'AFIPH sollicite de la cour de':

Confirmer en toutes ses dispositions le jugement critiqué par Madame [A] [H],

En conséquence,

Débouter Madame [A] [H] de sa demande de requalification des contrats à durée déterminée en relation à durée indéterminée,

Dire et juger parfaitement fondée la rupture pour faute grave du contrat à durée déterminée,

Dire et juger que l'AFIPH n'a pas violé son obligation de sécurité,

Débouter Madame [H] de l'intégralité de ses réclamations,

La condamner à verser à l'AFIPH la somme de 2 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

La condamner aux entiers dépens de l'instance.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 04 février 2021, l'AFIPH sollicite de la cour de':

Confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Madame [L] de sa demande de requalification des contrats à durée déterminée en relation à durée indéterminée ;

Confirmer le jugement en ce qu'il a considéré fondé le licenciement intervenu,

Le réformer en ce qu'il a écarté la faute grave,

Confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que l'AFIPH n'a pas violé son obligation de sécurité,

Débouter Madame [L] de l'intégralité de ses réclamations,

La condamner à verser à l'AFIPH la somme de 2 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

La condamner aux entiers dépens de l'instance.

Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l'article 455 du code de procédure civile de se reporter à leurs écritures susvisées.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 mars 2022 et l'affaire fixée pour être plaidée à l'audience du 30 mars 2022. La décision a été mise en délibéré le 02 juin 2022.

MOTIFS DE L'ARRET

I/ SUR L'EXÉCUTION DE LA RELATION DE TRAVAIL

Sur la requalification sollicitée des CDD en CDI

Selon l'article L.1242-1 du code du travail, un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise.

L'article L.1242-2 du même code dispose que, sous réserve des contrats spéciaux prévus à l'article L.1242-3, un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire et seulement dans les cinq cas qu'il énumère, parmi lesquels figure notamment le remplacement d'un salarié en cas d'absence (1°a) et de passage provisoire à temps partiel (1°b).

Aux termes de l'article L.1242-12 du code du travail, le contrat de travail à durée déterminée est établi par écrit et comporte la définition précise de son motif, et notamment les mentions énumérées par ce texte'; à défaut, il est réputé être conclu pour une durée indéterminée.

En vertu de l'article L.1242-13 du code du travail, ce contrat est remis au salarié au plus tard dans les deux jours ouvrables suivant l'embauche.

Selon l'article L.1245-1 du code du travail, est réputé à durée indéterminée tout contrat conclu en méconnaissance des dispositions des articles L.1242-1 à L.1242-4, L.1242-6 à L.1242-8, L.1242-12 alinéa 1, L.1243-11 alinéa 1, L.1243-13, L.1244-3 et L.1244-4 du même code.

Ainsi le contrat de travail à durée déterminée ne peut comporter qu'un seul motif.

Le motif du recours à un contrat de travail à durée déterminée s'apprécie au jour de sa conclusion.

Les effets de la requalification, lorsqu'elle est prononcée, remontent à la date du premier contrat à durée déterminée irrégulier. Ainsi, le salarié est réputé avoir occupé un emploi à durée indéterminée depuis le jour de son engagement par un contrat à durée déterminée. Il est ainsi en droit de se prévaloir, à ce titre, d'une ancienneté remontant à cette date.

Les dispositions prévues par les articles'L.1242-1 et suivants du code du travail relatives aux conditions de conclusion des contrats de travail à durée déterminée ayant été édictées dans un souci de protection du salarié, seul celui-ci peut se prévaloir de leur inobservation.

En cas de litige sur le motif du recours au CDD, il incombe à l'employeur de rapporter la preuve de la réalité du motif énoncé dans le contrat à durée déterminée.

Au cas d'espèce, à l'appui de leurs réclamations, Mme [L] et Mme [H], qui soutiennent qu'elles ont toujours occupé la même qualification d'agent de service intérieur, effectuant pour chacun de leurs multiples contrats des tâches identiques, les 14 CDD pour Mme [L] et les 45 CDD pour Mme [H] constituant en réalité des CDD de remplacement pour répondre manifestement à un besoin structurel de main-d''uvre, versent aux débats les contrats à durée déterminée litigieux.

Et l'employeur, qui soutient valablement que la seule répétition de contrats à durée déterminée ne suffit pas à caractériser un besoin structurel de main-d''uvre, établit aussi bien pour Mme [H] que pour Mme [L], que de nombreuses et parfois longues périodes d'interruption de plusieurs mois sont intervenues entre certains d'entre eux.

Ainsi, pour Mme [H], l'association justifie, au cours de la période du 27 mars 2012 au 30 novembre 2015, une période de 15,5 mois hors contrat, tandis que pour Mme [L], des périodes d'interruption ont ponctué la relation de travail, dont l'une de presque deux mois, entre le 11 juillet et le 26 août 2014.

Par ailleurs, chacun des contrats à durée déterminée conclu avec chacune des deux salariées appelantes portent les mentions légales requises au titre du motif de recours au CDD (absence pour maladie, pour formation, pour ancienneté, pour accident du travail, pour temps partiel), le nom et la qualification professionnelle de la personne remplacée, le terme du contrat et la désignation du poste de travail.

Cependant, alors qu'il appartient à l'AFIPH de justifier des motifs des recours visés et notamment des congés maladie, des temps partiels thérapeutiques ou des congés d'ancienneté allégués concernant les salariés remplacés, l'employeur ne rapporte aucune preuve de la matérialité des événements ayant justifié la réalité des motifs des recours aux contrats litigieux.

En conséquence, par infirmation de la décision entreprise, il convient de requalifier les contrats à durée déterminée conclus entre Mme [A] [H]'et l'AFIPH en un contrat de travail à durée indéterminé à compter du 27 mars 2012 et condamner l'association à verser à la salariée la somme de 1 473 € au titre de l'indemnité de requalification.

Et, il convient de requalifier les contrats à durée déterminée conclus entre Mme [B] [L] et l'AFIPH en un contrat de travail à durée indéterminé à compter du 3 décembre 2013 et condamner l'association à verser à la salariée la somme de 924 € au titre de l'indemnité de requalification.

Sur la violation par l'employeur de son obligation de sécurité

Il ressort des dispositions de l'article L. 4121-1 du code du travail que l'employeur est tenu de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. L'employeur est ainsi tenu, compte tenu de la nature des activités de l'établissement, d'évaluer les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, y compris dans le choix des équipements de travail, dans l'aménagement ou le réaménagement des lieux de travail ou des installations et dans la définition des postes de travail. Il est en outre tenu, aux termes des dispositions de l'article L. 4141-1 du même code, d'organiser et de dispenser une information aux travailleurs sur les risques pour la santé et la sécurité, et les mesures prises pour y remédier.

Il convient de rappeler qu'il incombe, en cas de litige, à l'employeur, tenu d'assurer l'effectivité de l'obligation de sécurité et de prévention mise à sa charge par les dispositions précitées du code du travail, de justifier qu'il a pris les mesures suffisantes pour s'acquitter de cette obligation.

Mme [H] et Mme [L] qui affirment qu'elles ont toujours dû subir les man'uvres malintentionnées de Madame [N] [D] à leur égard, et qu'elles n'ont cessé de les dénoncer à l'AFIPH, laquelle s'est dispensée d'entreprendre la moindre action pour tenter de les protéger, ne produisent cependant aux débats aucun élément suffisamment probant au soutien de leurs allégations.

Ainsi, et notamment les attestations produites aux débats de Mme [V], qui évoque «'ses petits problèmes avec Mme [D] et son agressivité verbale'» et de M.[I], qui témoigne de «'l'agressivité de Mme [D]'envers lui et les autres employés» en des termes très généraux, ne permettent pas de caractériser une agressivité malveillante récurrente, dont les salariées appelantes auraient, à un quelconque moment de la relation de travail, alerté directement ou indirectement leur employeur, lui demandant d'intervenir par rapport à une quelconque et potentielle incidence sur leurs conditions de travail et leur état de santé physique ou mental.

En effet, Mme [U] [E], chef de service, témoigne le 08 juillet 2016 de ce que «'L'éviction de madame [D] par Mesdames [H] et [L] se faisant de plus en plus ressentir j'ai rappelé à tous les agents que je leur demandais de faire leur travail et que je n'accepterai pas les commérages sur les unes et les autres. J'ai toujours eu peu de réaction de la part des agents mais individuellement, mesdames [H] et [L] pouvaient venir me voir pour me dire que Madame [D] ne faisait pas son travail.'['] environ un mois avant leur rixe, en arrivant un matin tôt, du parking j'entendais Mme [H] parler fortement avec Mme [D] qui démentait les propos tenus. Mme [H] lui reprochait de ne pas faire son travail et même de faire «'semblant'» d'oublier ce qu'il y avait à faire pour donner plus de travail aux autres, ce que Mme [D] démentait. Une fois encore, lorsque je suis arrivée l'altercation a pris fin ».

Et l'association, pour sa part, justifie qu'informée de ce que Mme [D] n'effectuerait pas son travail de manière satisfaisante, elle a mis en 'uvre de nombreuses actions telles que des réunions avec l'ensemble des salariés ou entre les salariés qui le sollicitaient, ainsi que des réunions de régulation des tensions, lesquelles, ainsi que le tableau versé aux débats l'établit, ont été régulièrement tenues au cours des années 2014 et 2015, la dernière réunion ayant précédé l'altercation à l'origine des trois licenciements des salariées concernées s'étant déroulée le 28 septembre 2015.

Aussi, Mme [P] [C], représentante des salariés en qualité de secrétaire du CHSCT, témoigne, le 8 juillet 2016, en ces termes :« Le climat social de l'IME Les Ecureuils est bon. L'ensemble des salariés disent travailler dans de bonnes conditions. Ils se sentent écoutés par la Direction.

Concernant les agents de service, la Direction a demandé aux salariés de travailler en autonomie en respectant leur fiche de poste détaillée. Chacun avait des tâches précises à effectuer pendant leur temps de travail.

Au sein de l'équipe des services généraux, le climat était parfois un peu tendu à certaines périodes de l'année. Il arrivait aux salariés de se parler sur un ton méprisant. C'est pourquoi la Direction a mis en place un accompagnement particulier des salariés de ce service. Des réunions mensuelles ont été programmées avec la Direction sur l'organisation du travail en lien avec les fiches de postes. A chaque fois qu'il était nécessaire, la Direction a proposé un entretien individuel avec le salarié concerné. Des formations ont été organisées'».

Mme [U] [E], chef de service, précise encore que « Tout au long de l'année, une réunion par mois avec l'ensemble des agents de services avait pour objet d'aborder les spécificités de leur travail, de réguler les tensions, de travailler sur les difficultés rencontrées, de refaire des formations sur les produits et d'améliorer la cohésion d'équipe'».

Et Mme [W] [Y], directrice adjointe, confirme l'existence de rencontres avec les salariées qui le demandait en ces termes «' Avant l'altercation entre Mmes [D], [H] et [L] qui a eu lieu le 09/10/2015, je les avais reçues individuellement, souvent à leurs demandes, suite à des divergences sur la gestion de leurs tâches de travail. Ces rencontres permettaient d'échanger sur leurs remarques par rapport à leurs collègues et sur les attendus des postes d'agent de service au sein de l'IME Les Ecureuils.

Les remarques faites étaient de l'ordre de la gestion courante du poste (par exemple, les serpillières ne sont pas rangées à la lingerie en fin de journée, ou les sceaux n'ont pas été vidés dans le local de ménage mais en cuisine').

Ces divergences de point de vue ont parfois nécessité d'éclaircir l'organisation globale pour une meilleure gestion par tous et une harmonisation de certains pratiques mais c'était souvent un échange qui leur permettait de comprendre qu'il était possible d'avoir des modes de travail différents sans que ces différences aient des répercussions sur le travail collectif et sur la finalité de leur travail.(')'».

Dans ces conditions, l'association justifie suffisamment avoir pris la mesure des divergences qui pouvaient opposer ses salariées quant à la répartition de leurs tâches et y avoir répondu en mettant en place des instances de régulation des tensions'; dès lors il ne peut être fait reproche à l'employeur de n'avoir pas pris les mesures suffisantes pour s'acquitter de son obligation de prévention et de sécurité à l'égard des salariées appelantes.

La décision est, en conséquence, confirmée en ce qu'elle a déboutée Mme [H] et Mme [L] de leurs demandes indemnitaires au titre des manquements de l'employeur à son obligation de sécurité.

II/ SUR LA RUPTURE DES CONTRATS DE TRAVAIL

Sur la nullité alléguée des licenciements des salariées en l'absence de faute grave caractérisée

Les articles L1226-7 et L1226-9 du code du travail dispose qu'au cours des périodes de suspension du contrat de travail, pour accident du travail ou maladie professionnelle, l'employeur ne peut rompre ce dernier que s'il justifie soit d'une faute grave de l'intéressé, soit de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l'accident ou à la maladie.

Et toute rupture du contrat de travail prononcée en méconnaissance des dispositions susvisées est nulle.

L'employeur doit, en conséquence, rapporter la preuve de la faute grave.

En l'espèce, Mme [L] et Mme [H] ont été licenciées pour faute grave le 09 novembre 2015, durant leurs arrêts de travail prescrits par leurs médecins ensuite de l'altercation du 09 octobre précédent, et alors qu'elles étaient prises en charge par la Sécurité Sociale au titre d'un accident de travail.

Et, il est constant que Mme [L] a été contrainte de s'arrêter le jour même de l'agression en raison d'une entorse cervicale et de troubles psychologiques réactionnels.

Mme [H] a dû, quant à elle, s'arrêter le lendemain de l'agression en raison d''«'une entorse sévère de l'épaule droite » et du « choc psychologique » dont il en a résulté.

L'AFIPH invoque, au soutien des licenciements des salariées, les mêmes griefs suivants :

« ' le vendredi 9 octobre 2015, vous avez eu un comportement extrêmement violent avec une de vos collègues à l'encontre d'une autre salariée. Vers la fin de votre service à 19 heures, une altercation a eu lieu dans l'enceinte de l'établissement. La violence a été telle que des personnes extérieures à l'entreprise ont tenté d'intervenir mais y ont renoncé, pour ne pas prendre de coups.

Ces actes de violence, l'importance des coups portés, ont entrainés des arrêts de travail qui à ce jour sont encore en cours.

Des plaintes ont été déposées auprès de la police nationale par vous et votre collègue à l'encontre de votre autre collègue qui en a fait de même à votre endroit.

Cette conduite met en cause la bonne marche du service. »

Et l'AFIPH produit, au soutien des fautes graves reprochées aux deux salariées et du risque de récidive des violences, les procès-verbaux de plaintes des trois salariées impliquées, les comptes-rendus des entretiens de chacune d'elles ainsi que l'attestation d'une autre salariée, Mme [G] [K] et des certificats médicaux.

Il en ressort que la réalité d'une rixe ayant opposé Mme [D] d'une part, et ses deux collègues de travail, Mmes [H] et [L], d'autre part, le 09 octobre 2015, à la fin de leur service, n'est pas contestée.

Chacune des protagonistes a présenté des blessures à l'issue de cette altercation compte tenu des échanges de coups, gifles, griffures, morsures, cheveux tirés ' et Mme [D] s'est vue reconnaitre une ITT de 2 jours, Mme [H] de 1 jour et Mme [L] de 0 jour.

Cependant, en l'absence de témoin, les circonstances précises de cette altercation ne sont pas clairement déterminées notamment quant à la salariée qui en est à l'origine et qui a commencé à agresser les autres, Mme [N] [D] indiquant «'je me suis énervée et je leur ai dit de quel droit elles sont allées chercher les poubelles pour fouiller et j'ai tenté de prendre le sac poubelle pour récupérer mes papiers'on s'est mal parlé et s'est parti en bagarre. [A] m'a poussée et j'ai voulu me défendre mais [B] m'a tiré les cheveux par derrière''».

Mme [B] [L] expliquant «'[N] est tombée sur [A] en la giflant. J'ai voulu m'interposer et [N] m'a donné un coup de poing au visage''».

Mme [A] [H] précisant «'elle ([N]) m'accusait de lui avoir pris ces documents dans mon sac'j'ai résisté pour garder mon sac à main' elle m'a donné une gifle. [B] s'est interposée mais elle s'est pris un coup de poing au visage'», les trois salariées s'accordant sur la durée de l'altercation qu'elles évaluent à une heure.

Dans ces conditions, l'employeur ne rapporte pas suffisamment la preuve de la faute grave qu'il reproche à chacune de ses salariées, dont il convient de rappeler qu'elles n'ont aucun antécédent disciplinaire.

Et la participation active de Mme [H] comme de Mme [L] à cette rixe, qui caractérise un comportement fautif pouvant justifier une mesure de licenciement, n'autorisait cependant pas l'AFIPH, par application des dispositions légales susvisées, compte tenu de la période de suspension des contrats de travail de chacune d'elles pour accident du travail, à rompre ces derniers en l'absence de justification d'une faute grave des intéressées.

En conséquence, par infirmation de la décision entreprise, les licenciements pour faute grave de mesdames [H] et [L] sont nuls.

La nullité du licenciement de Mme [H] conduit à la condamnation de l'employeur à lui payer les sommes suivantes':

- 2 945,70 € bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, correspondant à deux mois de salaire brut

- 294,57 €bruts au titre des congés payés afférents

- 1 060,50 € au titre de l'indemnité légale de licenciement

- 1'031 € au titre du rappel de salaire sur mise à pied conservatoire du 14.10 au 09.11.2015

- 103,10 € au titre des congés payés afférents.

Et, au regard de la rémunération mensuelle brute que percevait l'intéressée à la date de la rupture, de son ancienneté de six mois et demi au service du même employeur, des circonstances du licenciement dont elle a fait l'objet et de sa situation de santé, dont elle justifie, une juste appréciation des circonstances de l'espèce conduit la cour à évaluer le préjudice subi à raison de la perte injustifiée de son emploi par [A] [H] à la somme de 10'000'€.

La nullité du licenciement de Mme [L] conduit à la condamnation de l'employeur à lui payer les sommes suivantes':

- 923,34 € bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, correspondant à un mois de salaire brut

- 92,33 € bruts au titre des congés payés afférents

- 369,33 € au titre de l'indemnité légale de licenciement

- 454,34 € au titre du rappel de salaire sur mise à pied conservatoire du 14.10 au 09.11.2015

- 45,43 € au titre des congés payés afférents.

Et, au regard de la rémunération mensuelle brute que percevait l'intéressée à la date de la rupture, de son ancienneté de presque deux ans au service du même employeur, des circonstances du licenciement dont elle a fait l'objet et de sa situation de santé dont elle justifie, une juste appréciation des circonstances de l'espèce conduit la cour à évaluer le préjudice subi à raison de la perte injustifiée de son emploi par [B] [L]à la somme de 6'000'€.

Sur l'indemnisation du préjudice moral de chacune des deux salariées

Il résulte des énonciations que c'est par une juste appréciation des circonstances de l'espèce que la cour fait sienne que les premiers juges ont pu débouter les deux salariées de leur demande au titre de l'indemnisation d'un préjudice moral tiré des conséquences d'une altercation à laquelle il a été retenu leur participation active et fautive.

La décision entreprise est confirmée.

III / SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES

Confirmant la décision entreprise et y ajoutant, l'équité commande de condamner l'AFIPH à payer à Madame [H] et Madame [L], chacune, la somme de 1200 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

PAR CES MOTIFS':

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,

CONFIRME la décision entreprise en celles de ses dispositions ayant':

- Débouté Madame [A] [H] et Madame [B] [L] de leurs demandes indemnitaires au titre des manquements de l'employeur à son obligation de sécurité et au titre d'un préjudice moral

- Condamné l'AFIPH à verser à Madame [B] [L] les sommes de':

- 923,34 € bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, correspondant à un mois de salaire brut

- 92,33 € bruts au titre des congés payés afférents

- 369,33 € au titre de l'indemnité légale de licenciement

- 454,34 € au titre du rappel de salaire sur mise à pied conservatoire du 14.10 au 09.11.2015

- 45,43 € au titre des congés payés afférents

- Statué sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

L'INFIRME pour le surplus

STATUANT à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant

REQUALIFIE les contrats à durée déterminée conclus entre l'AFIPH et Madame [B] [L] en contrat de travail à durée déterminée à compter du 02 décembre 2013

CONDAMNE l'AFIPH à payer à Madame [B] [L] la somme de 1 473 € au titre de l'indemnité de requalification

REQUALIFIE les contrats à durée déterminée conclus entre l'AFIPH et Madame [A] [H] en contrat de travail à durée déterminée à compter du 27 mars 2012

CONDAMNE l'AFIPH à verser à Madame [A] [H] la somme de 924 € au titre de l'indemnité de requalification.

JUGE que les licenciements pour faute grave notifiés à Madame [A] [H] et Madame [B] [L], le 9 novembre 2015, sont nuls

CONDAMNE l'AFIPH à payer à Madame [B] [L] la somme de 6 000 € nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul

CONDAMNE l'AFIPH à payer à Madame [A] [H] la somme de 10 000 € nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul

CONDAMNE l'AFIPH à payer à Madame [A] [H] les sommes suivantes :

- 2 945,70 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis

- 294,57 € au titre des congés payés afférents

- 1 060,50 € au titre de l'indemnité légale de licenciement

- 1 031 € au titre du rappel de salaire sur mise à pied conservatoire du 14.10 au 09.11.2015

- 103,10€ au titre des congés payés afférents

CONDAMNE l'AFIPH à payer à Madame [A] [H] et Madame [B] [L], chacune, la somme de 1 200 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

CONDAMNE l'AFIPH aux dépens d'appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Mme Blandine FRESSARD, Présidente et par Mme Carole COLAS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Ch. sociale -section b
Numéro d'arrêt : 20/02486
Date de la décision : 09/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-09;20.02486 ?
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