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07/06/2022 | FRANCE | N°20/00189

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Ch. sociale -section a, 07 juin 2022, 20/00189


C1



N° RG 20/00189



N° Portalis DBVM-V-B7E-KJVJ



N° Minute :















































































Copie exécutoire délivrée le :





Me Lionel THOMASSON



Me Pascale HAYS

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE G

RENOBLE



Ch. Sociale -Section A

ARRÊT DU MARDI 07 JUIN 2022





Appel d'une décision (N° RG 19/00096)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VIENNE

en date du 20 décembre 2019

suivant déclaration d'appel du 07 Janvier 2020



APPELANTE :



Madame [I] [F]

née le 27 Février 1987 à GUILHERAND GRANGE (07)

de nationalité Française

196, Rue Pré Mar...

C1

N° RG 20/00189

N° Portalis DBVM-V-B7E-KJVJ

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée le :

Me Lionel THOMASSON

Me Pascale HAYS

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

Ch. Sociale -Section A

ARRÊT DU MARDI 07 JUIN 2022

Appel d'une décision (N° RG 19/00096)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VIENNE

en date du 20 décembre 2019

suivant déclaration d'appel du 07 Janvier 2020

APPELANTE :

Madame [I] [F]

née le 27 Février 1987 à GUILHERAND GRANGE (07)

de nationalité Française

196, Rue Pré Margot Bâtiment B

38370 SAINT-CLAIR-DU-RHÔNE

représentée par Me Lionel THOMASSON, avocat au barreau de VIENNE,

INTIMEE :

SAS VIENNEDIS, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège,

Chemin des Lônes

38200 VIENNE

représentée par Me Pascale HAYS, avocat postulant au barreau de GRENOBLE,

et par Me Philippe ROUSSELIN-JABOULAY de la SELARL ALCYACONSEIL SOCIAL, avocat plaidant au barreau de LYON, substitué par Me Fanny TILLOY, avocat au barreau de LYON,

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Madame Valéry CHARBONNIER, Conseillère faisant fonction de Présidente,

Madame Gaëlle BARDOSSE, Conseillère,

Madame Magali DURAND-MULIN, Conseillère,

DÉBATS :

A l'audience publique du 28 Mars 2022, Mme Gaëlle BARDOSSE, Conseillère chargée du rapport, assistée de Mme Mériem CASTE-BELKADI, Greffière, en présence de Mme Kristina YANCHEVA, Greffière et de Mme Elsa LAVERGNE, magistrat stagiaire a entendu les parties en leurs conclusions et observations, les parties ne s'y étant pas opposées conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile

Puis l'affaire a été mise en délibéré au 07 Juin 2022, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.

L'arrêt a été rendu le 07 Juin 2022.

Exposé du litige :

Le 15 septembre 2014, Mme [F] a été embauchée par la SAS VIENNEDIS (exploitant un hypermarché) en qualité d'employée commerciale.

Le 17 août 2016, elle a été placée en arrêt de travail jusqu'au 7 février 2017.

Le 7 février 2017, le médecin du travail l'a déclarée apte avec des préconisations.

Le 20 septembre 2017, Mme [F] a saisi le conseil des prud'hommes de Vienne.

Le 24 juillet 2018, le médecin du travail l'a déclaré inapte à son poste et à tous postes dans l'entreprise et le 27 septembre 2018, Mme [F] a été licenciée pour inaptitude.

L'affaire a fait l'objet d'une radiation par le Conseil des prud'hommes de Vienne le 04 mars 2019 et a été réinscrite au rôle le 19 mars 2019.

Mme [F] a sollicité du conseil des prud'hommes qu'il juge que l'employeur a exécuté de manière fautive le contrat de travail, qu'elle a été victime de harcèlement moral, que l'employeur a manqué à son obligation de prévention, que son inaptitude physique trouve son origine dans le comportement de l'employeur et qu'il juge que le licenciement est nul ou sans cause réelle et sérieuse et condamne l'employeur aux indemnités afférente.

Par jugement en date du 20 décembre 2019, le conseil des prud'hommes de Vienne a :

Dit et jugé que la salariée ne rapporte pas la preuve de faits de harcèlement moral à son encontre ;

Dit et jugé qu'elle ne rapporte pas la preuve d'un manquement à l'obligation de sécurité de la part de l'employeur à son encontre ;

Dit et jugé qu'elle ne rapporte pas la preuve d'une exécution déloyale du contrat de travail par l'employeur ;

Dit et jugé le licenciement de la salariée pour inaptitude fondé ;

Débouté la salariée de l'ensemble de ses demandes, comprenant celle au titre des frais irrépétibles ;

Débouté l'employeur de sa demande reconventionnelle au titre des frais irrépétibles ;

Laissé à chacune des parties la charge de ses propres dépens.

La décision a été notifiée aux parties par lettre recommandée avec demande d'accusé de réception le 23 décembre 2019.

Mme [F] a interjeté appel de la décision par déclaration en date du 7 janvier 2020.

Par conclusions en date du 19 mars 2020, Mme [F] demande à la cour d'appel de :

Infirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau :

Dire et juger qu'elle a été victime de harcèlement moral ;

Dire et juger que l'employeur a manqué à son obligation de prévention ;

Dire et juger que son inaptitude physique trouve son origine dans le comportement de l'employeur ;

Dire et juger que son licenciement est nul, à titre subsidiaire sans cause réelle et sérieuse ;

Condamner, en conséquence, l'employeur à lui verser les sommes nettes suivantes, outre intérêt légal à compter de la notification de la décision à intervenir :

- 5 000 € de dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail ;

- 5 000 € de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

- 3 000 € de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de prévention ;

- 14 160,51 € de dommages et intérêts pour licenciement nul et/ou sans cause réelle et sérieuse ;

Condamner, en tout état de cause, l'employeur à lui verser la somme nette de 2 000 € au titre des frais irrépétibles.

Par conclusions en date du 14 avril 2020, la SAS VIENNEDIS demande à la cour d'appel de :

A titre liminaire, d'infirmer le jugement du conseil de prud'hommes et se déclarer matériellement incompétente pour statuer sur les demandes de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de prévention et exécution fautive du contrat de travail, au profit du tribunal judiciaire de Vienne ' pôle social ;

Subsidiairement, de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la salariée de ses demandes de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de prévention et exécution fautive du contrat de travail ;

Confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la salariée de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

Infirmer le jugement de première instance ayant omis de statuer sur cette demande, et dire et juger que la demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ou nul est irrecevable car nouvelle ;

A titre subsidiaire, confirmer le jugement, en ce qu'il a débouté la salariée de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ou nul ;

La condamner à lui verser la somme de 2 500 € au titre des frais irrépétibles ;

La condamner aux entiers dépens d'instance.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 8 février 2022.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux dernières conclusions déposées.

 

SUR QUOI :

Sur le harcèlement moral :

Les moyens des parties :

Mme [F] soutient que son licenciement est nul en raison du harcèlement moral dont elle était victime de la part de Mme [X] (manager du service bazar) et expose les faits suivants :

Sa supérieure la contraignait au port de charges lourdes et la société refusait aux salariés l'utilisation des engins de manutention ;

Elle a dénoncé les faits et son employeur ne lui a pas communiqué les résultats de l'enquête réalisée ;

Mme [X] refusait le dialogue avec elle et ne communiquait que par note manuscrite avec celle-ci multipliant les brimades, elle a alerté l'employeur par courrier du 03 octobre 2017 ;

Elle était systématiquement placée en horaires de fermetures, à la différence de ses collègues et alors qu'elle est mère isolée ;

L'employeur ne respectait pas ses temps de pause la contraignant à répondre aux appels incessants de sa hiérarchie pour intervenir dans son rayon ;

Elle a fait l'objet de nombreux arrêts de travail en raison du stress, a alerté son employeur de cette situation par courrier qui a nié les faits et invoqué « une prétendue » enquête ;

Elle a été contrainte d'exercer son droit de retrait en raison du comportement d'une de ses collègues sans réaction de l'employeur.

La SAS VIENNEDIS soutient que la salariée est défaillante dans la démonstration de faits laissant supposer un harcèlement moral et que ses allégations sont fausses. Il expose que :

Elle n'a pas été contrainte au port de charge lourdes par Mme [X] ;

Mme [X] ne refusait pas le dialogue et la seule production d'un courrier écrit par Mme [F] ne peut le démontrer. Lors de cette demande de modification de planning, elle a été invitée par Mme [X] à s'adresser à son supérieur hiérarchique direct, M. [G]. De même elle n'apporte aucune preuve d'une communication exclusive pas notes manuscrites ;

Sur les horaires, il n'est pas démontré que les horaires de « fermeture » soient moins favorables, elle n'a jamais demandé de changement, ils correspondaient aux nécessités de service s'agissant du créneau auquel les ventes sont les plus importantes. Mme [F] n'était pas la seule à être affectée à ces horaires et a été affectée à d'autres horaires sur certaines périodes ;

Elle n'avait jamais évoqué de difficultés sur les temps de pause, elle n'avait pas son téléphone professionnel pendant ses pauses ce dont les salariés attestent. Les deux attestations versées par Mme [F] ne sont pas conformes aux dispositions du code de procédure civile, elles sont rédigées dans les même termes par deux salariés d'un autre rayon ;

Une enquête a été réalisée suite à son courrier du 6 juillet 2017, les salariés ont été questionnés sur les faits dénoncés et le résultat des questionnaires a montré qu'il n'existait aucune humiliation ou différence de traitement ni de ports de charges sans outils adaptés ;

Mme [F] a fait l'objet d'encouragements dans les évaluations ou lors de notes internes ;

Sur l'état de santé de la salariée, sa maladie n'a pas fait l'objet d'une reconnaissance professionnelle et il est fait état d'une situation de déprime antérieure aux faits dénoncés. Sur l'incident avec une autre salariée le 10 février 2018, des excuses réciproques ont été faites et Mme [F] avait été invitée à indiquer quels étaient les motifs constituant un danger grave et imminent avant d'envisager des mesures. Elle n'a pas répondu.

Sur ce,

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Dès lors que sont caractérisés ces agissements répétés, fussent sur une brève période, le harcèlement moral est constitué indépendamment de l'intention de son auteur.

En l'espèce, il est constant que par lettre du 06 juillet 2017 dont l'objet est « mise en demeure avant saisine du Conseil des prud'hommes », Mme [F] a dénoncé à son employeur des difficultés concernant tout d'abord ses relations avec sa supérieure hiérarchique Mme [X]. Mme [F] ne produit aucune autre alerte à son employeur avant cette date.

Ce courrier du 6 juillet 2017 dénonce le comportement de Mme [X] à son égard, une organisation partiale de son emploi du temps et enfin une dégradation de son état de santé.

S'agissant des humiliations et des critiques que Mme [X] auraient proférées à son erncontre, Mme [F] ne donne aucune illustration des propos tenus, de dates ou encore d'éléments à l'appui de cette affirmation.

Sur le fait que Mme [X] refusait de communiquer avec elle, comme elle l'indique dans un courrier à son employeur du 03 octobre 2017 par lequel elle sollicite un changement de planning et écrit à M. [G] (son supérieur hierarchique) « à la demande de Mme [X] qui refuse tout dialogue ». Mme [F] verse la réponse par lettre du directeur des ressources humaines qui accepte sa demande de modification et lui confirme que ce type de demande relève de son manager direct, M. [G].

Mme [F] produit, outre ces deux courriers, une note manuscrite de Mme [X] lui donnant des consignes. Cette note qui se termine par « bonne journée » ne comporte aucun terme laissant supposer une mauvaise relation entre elle et Mme [X] et ne peut en conséquence suffire à démontrer un refus de communication de Mme [X].

Il n'est donc pas établi par ces seuls éléments que Mme [X] refusait tout dialogue avec la salariée.

Mme [F] expose ensuite avoir été contrainte par Mme [X], ou par son employeur, de porter des charges lourdes sans pouvoir utiliser les outils de manutention. Elle produit à l'appui de cette allégation :

Une photographie d'un colis de 50 kg,

Une attestation de Mme [B], hôtesse d'accueil et de caisse, qui indique que les salariés n'avaient pas le droit d'utiliser les tire-palette électriques.

Ce point a été dénoncé dans le courrier du 6 juillet 2017 par lequel la salariée rappelle son état de santé.

Ce fait est établi.

Sur le fait qu'elle était systématiquement placée en horaires de fermeture, à la différence de ses collègues, Mme [F] produit les plannings du 19 juin et au 03 septembre 2016 sur lesquels elle est effectivement affectée durant cette période, qui comprend les congés d'été, aux horaires de l'après-midi et de fermeture contrairement à d'autres collègues dont les horaires varient. Ce fait est établi.

Sur le fait que l'employeur ne respectait pas ses temps de pause, Mme [F] verse deux attestations de salariés qui indiquent que Mme [F] était régulièrement dérangée pendant les temps de pause en raison d'appels téléphonique pour qu'elle intervienne dans le rayon. Ce fait est établi.

Aux termes de ses écritures, elle dénonce avoir été contrainte d'exercer son droit de retrait suite à un incident avec une autre salariée. Elle produit un courrier du 13 février 2018 par lequel elle avise son employeur que, suite à l'agression par Mme [U] sur son lieu de travail le 10 février, elle exerce son droit de retrait. Elle verse une main courante déposée à la gendarmerie de ST CLAIR DU RHONE qui relate les faits, et que Mme [U] l'aurait insultée et lui serait « rentrée dedans physiquement ». Mme [F] indique alors que M. [K] (employé commercial) est intervenu, que M. [O] (remplaçant du directeur) a fait venir les deux salariées dans son bureau et que la situation s'est calmée. Elle ajoute que M. [G] (son chef) une fois informé lui aurait déclaré « avoir des choses plus importantes à faire ».

Mme [F] produit en outre la lettre en réponse à son courrier en date du 17 mars 2018 par laquelle il lui est rappelé par le DRH les conditions d'exercice du droit de retrait. M. [S] lui demande d'indiquer rapidement ce qu'elle considère être une situation de danger grave et imminent pour que des mesures puissent être prises. Il ajoute que ce différend a donné lieu à un entretien avec M. [O], avec présentation d'excuses réciproques, et qu'aucun autre incident n'a été signalé.

Il ressort de ces éléments que Mme [F] a eu une altercation avec une autre salariée mais que l'employeur a réagi en la réunissant avec l'autre salariée, réunion au cours de laquelle des excuses ont été présentées, ce que Mme [F] ne conteste pas. L'absence de réaction de l'employeur n'est dès lors par établie.

Mme [F] fait en outre grief à son employeur, aux termes de ces écritures, de ne pas avoir communiqué le résultat de l'enquête menée suite à son courrier du 06 juillet 2017. Elle verse le courrier en réponse du 13 juillet 2017 par lequel M. [S] lui indique avoir réalisé une enquête qui a démenti les termes du courrier de la salariée. Il ne ressort pas des termes de ce courrier une communication des résultats détaillés de cette enquête à Mme [F]. Ce fait est établi.

Mme [F] fait encore valoir que son état de santé s'est dégradé, avoir fait l'objet de nombreux arrêts de travail pour dépression. Elle produit plusieurs arrêts de travail qui concernent tous les suites de son accident du travail de juillet 2016 et sa blessure au poignet. Ces arrêts débutent le 17 aout 2017 et se terminent le 07 février 2018 et il est constant que le médecin du travail va, lors de la visite de reprise du 07 février et celle de mars 2018 formuler des recommandations s'agissant du poignet gauche.

Mme [F] établit ainsi l'existence matérielle de certains faits précis et concordants, qui pris dans leur ensemble permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre.

La SAS VIENNEDIS conteste les faits de harcèlement moral invoqués par la salariée. Elle produit tout d'abord, s'agissant de la contrainte alléguée par la salariée à porter des charges lourdes et de l'absence d'outils de manutention, les questionnaires soumis aux salariés du rayon BAZAR en juillet 2017 suite au courrier de Mme [F]. Les 4 salariés concernés indiquent disposer du matériel adapté, que des consignes sont données en la matière, notamment d'opérer à deux,et que très peu de colis sont supérieurs à 40 kg.

La SAS verse en outre les examens d'aptitude de la salariée à la conduite de charriots de catégorie 5. Enfin, les entretiens d'évaluation produits ne mentionnent aucune réclamation de la salariée à ce sujet.

S'agissant des plannings et de la répartition des horaires, les mêmes salariés indiquent qu'il n'y avait aucune inégalité de répartition des horaires de travail. La Cour relève que sur les plannings produits par Mme [F], elle n'est pas la seule salariée à être majoritairement affectée aux horaires d'après midi et de fermeture. La SAS VIENNEDIS verse en outre les plannings des salariés sur une période plus large (février à juin 2016) qui montrent que Mme [F] a été affectée aux horaires en matinée à plusieurs reprises. Il n'est pas contesté au surplus que la modification de planning sollicitée en octobre 2017 par Mme [F] a été acceptée par l'employeur. Enfin, il n'est justifié par Mme [F] d'aucune réclamation à ce sujet durant la relation contractuelle.

Sur la question du temps de pause, la Cour relève tout d'abord que les entretiens d'évaluations soulignent à deux reprises un problème de pointage de la salariée. En outre, la SAS produit les attestations de deux salariés (employés commerciaux) qui contestent avoir été contraints à conserver le téléphone professionnel pendant leurs pauses.

S'agissant de l'enquête réalisée par la SAS VIENNEDIS suite au courrier de Mme [F] en juillet 2016, il n'est pas contesté qu'elle n'a pas eu les résultats détaillés de celle-ci et notamment des réponses aux questionnaires soumis aux salariés du rayon BAZAR. Ces éléments sont produits dans la présente instance ce qui vient tout d'abord confirmer le fait que l'employeur a bien procédé à une enquête suite à la dénonciation des faits par la salariée mettant notamment en cause Mme [X].

Les 4 employés démentent toute différence de traitement par la manager du rayon BAZAR entre les salariés, que ce soit dans les plannings ou les propos tenus envers les salariés.

Par ailleurs s'agissant de l'état de santé de Mme [F] et la délivrance d'arrêts de travail pour dépression ou de suivi médical à ce titre, la salariée ne produit aucune pièce en justifiant tout comme elle ne démontre pas que son état de santé s'est aggravé concernant son poignet étant précisé que l'avis d'inaptitude du 24 juillet 2018 n'indique pas les causes de celle-ci et que le médecin du travail n'a pas été saisi par la salariée d'une alerte concernant des faits de harcèlement moral.

Le lien entre une dégradation de l'état de santé de Mme [F] et ses conditions de travail n'est dès lors pas établi.

L'employeur démontre ainsi que les faits matériellement établis par Mme [F] sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Les demandes relatives au harcèlement doivent par conséquent être rejetées et par voie de conséquence toutes celles portant sur la nullité du licenciement fondé sur des faits de harcèlement moral.

Sur l'obligation de sécurité :

Moyens des parties :

Mme [F] soutient que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité et fait valoir que :

Sa supérieure hiérarchique l'a contrainte à porter des charges lourdes et refusé qu'elle utilise les outils de manutention, ce qu'elle a dénoncé à l'employeur, lequel ne communique pas le résultat de l'enquête qu'il a menée. Ces conditions ont conduit à la dégradation de son état de santé ;

L'employeur n'a pas respecté les préconisations du médecin du travail et elle a continué de porter des charges lourdes ;

La SAS VIENNEDIS fait valoir in limine litis que le conseil des prud'hommes n'est pas matériellement compétent pour connaitre de la demande de la salariée de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité. En effet, sa demande se confond avec celle des dommages et intérêts au titre de l'exécution fautive du contrat, toutes deux fondées sur un seul et même préjudice. Or, seul le pôle social du Tribunal judiciaire est exclusivement compétent pour connaitre de ce type de demande.

Sur le fond, la SAS VIENNEDIS fait valoir qu'elle n'a pas manqué à son obligation de sécurité et que la salariée ne donne aucune explication précise sur la teneur du manquement, et se contente de faire état d'une exécution fautive de son contrat de travail par son employeur. En effet :

Le port des charges lourdes est interdit au sein du magasin et il existe des outils adaptés, pour l'utilisation desquels la salariée a été formée ; Les salariés ont pour consigne de demander de l'aide pour la manutention des colis et la salariée travaillait toujours en binôme. Ses allégations sur une prétendue interdiction d'utiliser ce matériel sont mensongères et non démontrées ;

La salariée n'a jamais contesté ces consignes et ne rapporte pas la preuve d'avoir porté des charges lourdes; L'attestation d'une collègue n'est pas probante et est de pure complaisance, celle-ci ne travaillait pas au rayon visé et n'aurait pas pu constater de tels faits ;

Le médecin du travail n'a pas proscrit l'utilisation du port de charges mais seulement celles supérieures à 15kg et pour le poignet gauche et la salariée n'a pas fait état d'un manquement de la part de l'employeur ;

Mme [F] ne justifie enfin d'aucun préjudice.

Sur ce,

En application de l'article L. 4121-1 du code du travail, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels ;

2° Des actions d'information et de formation ;

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

L'article L. 4121-2 du même code précise que l'employeur met en 'uvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :

1° Eviter les risques ;

2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

3° Combattre les risques à la source ;

4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

5° Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;

6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral, tel qu'il est défini à l'article L. 1152-1 ;

8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;

9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.

L'employeur peut s'exonérer de sa responsabilité en matière de harcèlement s'il démontre :

1°) qu'il a pris toutes les mesures de prévention visées aux articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail et notamment les actions d'information et de formation propres à prévenir la survenance de faits de harcèlement,

2°) qu'il a pris immédiatement toutes les mesures propres à faire cesser le harcèlement et l'a fait cesser effectivement.

Sur la compétence,

Si l'indemnisation des dommages résultant d'un accident du travail, qu'il soit ou non la conséquence d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, relève de la compétence exclusive du pôle social de Tribunal judiciaire, la juridiction prud'homale est seule compétente pour statuer sur le bien-fondé de la rupture du contrat de travail et pour allouer, le cas échéant, une indemnisation au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En l'espèce Mme [F] ne formule pas une demande de dommages-intérêts en réparation d'un préjudice résultant d'un accident du travail ou du manquement de son employeur à son obligation de sécurité mais des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au motif que par son manquement à l'obligation de sécurité, l'employeur serait à l'origine de son licenciement pour inaptitude, cette demande relèvant dès lors de la compétence de la juridiction prud'homale.

Sur le respect de l'obligation de sécurité et de prévention,

La cour de céans a jugé que la contrainte au port de charges lourdes de la part de l'employeur ou encore l'absence d'outils pour y procéder n'était pas démontrée.

S'agissant du fait que l'employeur n'aurait pas respecté les préconisations médicales du médecin du travail suite à l'accident du travail du juillet 2016, Mme [F] ne justifie pas avoir alerté l'employeur avant juillet 2017 à ce sujet et le directeur des ressources humaines lui rappelle dans le courrier en réponse que le port de charges lourdes est interdit. En outre, aucun incident ou aggravation de son état de santé s'agissant de son poignet n'est allégué.

Par ailleurs, les recommandations médicales étaient temporaires et restreintes au poignet gauche et n'évoquait pas l'obligation d'aménager le poste mais d'éviter les charges sur le poignet ou de demander de l'aide.

Les salariés attestent de la mise à disposition par l'employeur de matériel adapté mais encore de l'absence de port de charges lourdes. Il est en outre justifié du fait que Mme [F] était formée pour la conduite de chariots de catégorie 5, transpalettes à conducteur accompagnant, gerbeur à conducteur accompagnant et il ressort des entretiens d'évaluation que cette question n'est pas abordée par la salariée.

S'agissant enfin des mesures prises par l'employeur suite à la dénonciation de faits de harcèlement moral par la salariée, il a été constaté qu'une enquête avait été réalisée. Il a en outre été relevé que suite à un incident entre Mme [F] et une autre salariée, en février 2018, une réunion avait été organisée entre les deux salariées et que Mme [F] n'avait pas donné suite à la demande de transmission d'éléments complémentaires faite par son employeur.

Il convient dès lors, par voie de confirmation de la décision déférée de juger que la SAS VIENNEDIS a respecté l'obligation de sécurité de prévention mise à sa charge et de rejeter les demandes de Mme [F] formulées à ce titre.

Sur l'exécution fautive du contrat de travail :

Moyens des parties :

Mme [F] expose que l'employeur n'a pas exécuté de bonne foi le contrat de travail et a ainsi contribué à la dégradation de son état de santé. Suite à son accident du travail du 17 aout 2016 et à sa reprise, le médecin du travail a préconisé un aménagement de poste, les restrictions médicales ont été maintenues jusqu'au 07 mai 2017 et malgré cela l'employeur l'a contrainte au port des charges lourdes sans disposer du matériel adapté.

La SAS VIENNEDIS expose que la salariée fonde cette demande sur les mêmes arguments que la demande formée au titre de la violation de l'obligation de sécurité. Mme [F] ne démontre pas du lien entre le licenciement pour inaptitude et son état de santé.

Sur ce,

Aux termes des dispositions de l'article L. 1222-1 du code du travail, le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi. L'employeur doit en respecter les dispositions et fournir au salarié le travail prévu et les moyens nécessaires à son exécution en le payant le salaire convenu.

En l'espèce, il a été jugé que Mme [F] n'était pas victime de harcèlement moral et que l'employeur n'avait pas manqué à l'obligation de sécurité.

En l'absence de démonstration d'une exécution fautive du contrat de travail, il convient de rejeter la demande de Mme [F] formulée à ce titre.

Par voie de confirmation de la décision déférée, il convient donc de rejeter les demandes de Mme [F] formulées au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les demandes accessoires :

Il convient de condamner Mme [F], partie perdante, aux entiers dépens et à la somme de 1500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,

DECLARE Mme [F] recevable en son appel,

DIT que la juridiction prud'homale est compétente matériellement,

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement déféré,

Y ajoutant,

CONDAMNE Mme [F] au paiement de la somme de 1500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens en cause d'appel

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Valéry CHARBONNIER, Conseillère faisant fonction de Présidente, et par Madame Mériem CASTE-BELKADI, Greffière, à qui la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.

La Greffière, La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Ch. sociale -section a
Numéro d'arrêt : 20/00189
Date de la décision : 07/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-07;20.00189 ?
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