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24/05/2022 | FRANCE | N°19/01606

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Ch. sociale -section a, 24 mai 2022, 19/01606


C1



N° RG 19/01606



N° Portalis DBVM-V-B7D-J6Z2



N° Minute :























































































Copie exécutoire délivrée le :





la SELARL CONSULTIS AVOCATS



la SCP CABINET FORSTER

AU NOM DU PE

UPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE GRENOBLE



Ch. Sociale -Section A

ARRÊT DU MARDI 24 MAI 2022







Appel d'une décision (N° RG F 18/0084)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MONTELIMAR

en date du 11 février 2019

suivant déclaration d'appel du 28 Mars 2019



APPELANTE :



SARL [J] OPTIQUE ENSEIGNE KRYS OPTIQUE, prise en la personne de son représentant l...

C1

N° RG 19/01606

N° Portalis DBVM-V-B7D-J6Z2

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée le :

la SELARL CONSULTIS AVOCATS

la SCP CABINET FORSTER

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

Ch. Sociale -Section A

ARRÊT DU MARDI 24 MAI 2022

Appel d'une décision (N° RG F 18/0084)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MONTELIMAR

en date du 11 février 2019

suivant déclaration d'appel du 28 Mars 2019

APPELANTE :

SARL [J] OPTIQUE ENSEIGNE KRYS OPTIQUE, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège,

6 et 8, Avenue Général Bonaparte

26700 PIERRELATTE

représentée par Me Fabien GUERINI de la SELARL CONSULTIS AVOCATS, avocat au barreau de TOULON,

INTIMEE :

Madame [V] [C]

15, Rue Jean Giono

26200 MONTELIMAR

représentée par Me Pierre-Yves FORSTER de la SCP CABINET FORSTER, avocat au barreau de VALENCE, substitué par Me Patricia MOUSSIER de la SCP FOSTER BISTOLFI, avocat au barreau de VALENCE,

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Madame Valéry CHARBONNIER, Conseillère faisant fonction de Présidente,

Madame Gaëlle BARDOSSE, Conseillère,

Madame Magali DURAND-MULIN, Conseillère,

DÉBATS :

A l'audience publique du 14 Mars 2022,

Mme Gaëlle BARDOSSE, Conseillère chargée du rapport, et Mme Valéry CHARBONNIER, Conseillère faisant fonction de Présidente, ont entendu les parties en leurs conclusions et plaidoiries, assistées de Mme Mériem CASTE-BELKADI, Greffière, conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, les parties ne s'y étant pas opposées ;

Puis l'affaire a été mise en délibéré au 24 Mai 2022, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.

L'arrêt a été rendu le 24 Mai 2022.

Exposé du litige :

La SARL [J] optique, qui exploite sous l'enseigne Krys, dispose de 6 implantations de magasins sur les communes de BOLLENE, VALREAS, VAISON LA ROMAINE, BAGNOLS SUR SEZE et PIERRELATTE.

Le 17 mai 2005, Mme [C] a été embauchée par la SARL [J] Optique Enseigne Krys Optique en qualité de d'opticienne collaboratrice au siège de PIERRELATTE.

Le 2 janvier 2014, elle a été promue au poste de directrice des magasins.

Le 16 janvier 2018, elle a été licenciée pour faute grave.

Le 24 mai 2018, Mme [C] a saisi le conseil de prud'hommes de Montélimar aux fins de contester le bien-fondé de son licenciement, obtenir les indemnités afférentes ainsi que des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuses.

Par jugement du 11 février 2019, le conseil de prud'hommes de Montélimar a : 

' Dit et jugé que le licenciement de Mme [C] est dénué de cause réelle et sérieuse et a :

' Condamné la SARL [J] Optique Enseigne Krys Optique à lui payer :

-          12 467,07 € bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 1 246,70 € de congés payés y afférents ;

-          17 892,55 € nets au titre de l'indemnité légale de licenciement ;

-       25 000 € nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

-          1 500 € nets au titre des frais irrépétibles ;

' Fixé son salaire moyen mensuel brut à 4 155,69 € ;

' Condamné la SARL [J] Optique Enseigne Krys Optique aux remboursement des allocations chômage dans la limite de 6 mois aux organismes sociaux;

' Ordonné l'exécution provisoire du présent jugement dans sa totalité ;

' Débouté la salariée du surplus de ses demandes ;

' Débouté l'employeur de sa demande reconventionnelle faite au titre des frais irrépétibles ;

' Condamné le même aux dépens.

La décision a été notifiée aux parties et la SARL [J] Enseigne Krys Optique en a interjeté appel.

Par conclusions du 24 juin 2019, la SARL [J] Optique Enseigne Krys Optique demande de à la cour de :

' Dire et juger qu'elle verse aux débats les pièces utiles à démontrer la matérialité des griefs vises dans la lettre de licenciement de la salariée ;

' Dire et juger que ces griefs sont personnellement imputables à la salariée ;

' Dire et juger que les griefs visés dans la lettre de licenciement sont constitutifs d'une faute grave justifiant son éviction immédiate sans préavis ni indemnité de licenciement ;

En conséquence,

' Réformer intégralement le jugement de première instance ;

' Dire et juger que le licenciement de la salariée pour faute grave était pleinement justifié en droit comme en fait ;

' Dire et juger qu'elle doit être intégralement déboutée de ses demandes salariales et indemnitaires à ce titre ;

' La condamner à lui rembourser intégralement les sommes indument perçues, à savoir un montant net de 55 244,39 € ;

 ' La débouter de toutes ses demandes salariales et indemnitaires ;

A titre subsidiaire,

' Dire et juger qu'elle verse aux débats les pièces utiles à démontrer la matérialité des griefs reproches à la salariée ;

' Dire et juger que ces griefs sont personnellement imputables à la salariée ;

' Dire et juger que ces griefs justifiaient en tout état de cause le licenciement disciplinaire de la salariée ;

En tout état de cause,

' La condamne à lui verser 5 000 € au titre des frais irrépétibles.

Par conclusions en réponse du 12 septembre 2019, Mme [C] demande à la cour de :

' Confirmer le jugement en ce qu'il a :

' Dit et jugé que son est dénué de cause réelle et sérieuse et fixé son salaire mensuel brut à 4 155,69 € ;

' Condamné l'employeur à lui verser :

-          12 467,07 € bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 1 246,70 € au titre des congés payés afférents ;

-          17 892,55 € nets à titre indemnité légale de licenciement ;

-          Des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse (mais en réformer le quantum) ;

-          Une indemnité au titre des frais irrépétibles (mais en réformer le quantum) ;

' Débouté l'employeur sa demande reconventionnelle faite au titre des frais irrépétibles ;

' Condamné à payer aux organismes sociaux le remboursement des allocations chômage dans la limite de 6 mois ;

' Condamné aux dépens.

'  Elle demande d'infirmer le jugement entrepris en ses autres dispositions

Et, statuant de nouveau,

 ' Condamner en conséquence la SARL [J] Optique Enseigne Krys Optique à lui verser les sommes suivantes :

-    45 000 € nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse ;

-          5 000 € nets au titre des frais irrépétibles exposés tant en première instance qu'en cause d'appel ;

Y ajoutant,

' Condamner la SARL [J] Optique Enseigne Krys Optique aux entiers dépens d'appel (en sus des dépens de première instance)

L'ordonnance de clôture a été rendue le 29 juin 2021.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux dernières conclusions déposées.

SUR QUOI :

Sur le licenciement pour faute grave :

Moyens des parties :

La SARL [J] Optique Enseigne Krys Optique expose que la salariée a montré des difficultés de management telles que dénoncées par 10 salariés sur 17 dans une lettre collective et notamment d'une inertie pour régler les problèmes, du favoritisme, un climat de division, une absence de communication et de présence envers les équipes. Elle a en outre engagé des dépenses publicitaires injustifiées sans en référer à ses supérieurs, dénigré la société à l'égard de partenaires et malmené un représentant de la marque Prada. Enfin, elle a tenté de falsifier une ordonnance.

Mme [C] fait valoir que l'employeur ne rapporte pas la preuve des griefs invoqués, la cause du licenciement se trouvant dans les difficultés économiques de l'entreprise, son remplacement avant le licenciement ayant été d'ailleurs opéré par une salariée de l'entreprise. Concernant un management inadapté, les éléments de preuves sont insuffisants ou incohérents et contradictoires et aucune réunion des délégués du personnel n'a eu lieu. S'agissant d'une prétendue communication inadaptée avec des fournisseurs et le fait d'avoir engagé des dépenses publicitaires pour des montants trop élevés sans en informer ses supérieurs, ces griefs n'ont pas été abordés en entretien préalable et doivent être écartés. Concernant la falsification d'ordonnance, aucune preuve matérielle n'est rapportée et le document ne lui a pas été présenté lors de l'entretien préalable.

Sur ce,

Selon les dispositions des articles L.1232-1 et L.1232-6 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, énoncée dans une lettre notifiée au salarié. Cette lettre, qui fixe les limites du litige doit exposer des motifs précis et matériellement vérifiables, permettant au juge d'en apprécier la réalité et le sérieux.

Il résulte des articles L.1234-1 et L.1234-9 du code du travail que, lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n'a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement.

L'article L.1232-3 dispose que « Au cours de l'entretien préalable, l'employeur indique les motifs de la décision envisagée et recueille les explications du salarié ».

Il est de jurisprudence constante que la faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien de l'intéressé dans l'entreprise. Il est de principe que la charge de la preuve incombe à l'employeur, le salarié n'ayant rien à prouver.

Tous les faits reprochés et susceptibles d'être utilisés en tant que motif du licenciement envisagé doivent être avancés par l'employeur lors de l'entretien préalable. Le manquement à ces règles ne remet pas en cause la cause réelle et sérieuse du licenciement, mais rend la procédure irrégulière et est sanctionné par une indemnité au profit du salarié et le juge doit prendre en compte tous les éléments indiqués dans la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, pour apprécier la légitimité de celui-ci, même s'il s'agit de griefs non évoqués lors de l'entretien.

En l'espèce, la lettre de licenciement du 16 janvier 2018 qui fixe les limites du litige est libellée comme suit :

« Cette mesure est d'abord motivée par le management brutal et inadapté exercé à l'égard du personnel et dénoncé récemment dans une lettre ouverte co-signée par la majorité des salariés et qui m'a été remise. Les révélations inquiétantes qu'elle contient sur le climat de tension et de peur que vous inspirez en atteignant l'équilibre psychologique de vos subordonnés ont commandé une intervention immédiate.

J'ai rencontré chacun des salariés individuellement le 19 décembre 2017 pour évoquer la situation. Chacun et chacune décrivent, notamment, vous concernant .

- une communication inexistante ou alors sur un ton agressif et inapproprié,  des reproches incessants lancés à l'emporte-pièce sans aucun souci d'efficacité mais traduisant au contraire une volonté négative de dénigrement

- l'absence de soutien et de présence aux côtés des équipes pour insuffler une indispensable cohésion et un esprit d'entraide et de solidarité (pas de réunion, pas de passage dans les magasins)

- un favoritisme et l'entretien d'un climat de division avec des décisions arbitraires et inégalitaires

-        des actions tendant à défendre vos intérêts personnels sans aucun souci de l'intérêt de l'entreprise

Je suis d'autant plus amer que vous aviez toute ma confiance en qualité de directrice des magasins, surtout au cours d'une période personnelle délicate, mes problèmes de santé m'ayant énormément fragilisé et éloigné du quotidien de l'entreprise. Ce sont ces problèmes de santé qui ont d'ailleurs freiné les salariés dans leur alerte, par souci de délicatesse à mon égard. Ils se sont dits soulagés de pouvoir enfin libérer leur parole après des mois de silence et de profond malaise.

J'ai pu noter l'impact psychologique majeur de vos méthodes. L'obligation de préserver la santé de mon personnel ne m'autorise pas, dès lors que j'en ai connaissance, à les tolérer.

J'apprends en outre aujourd'hui:

-       que vous avez engagé la société, sans me n'en informer ni moi ni la secrétaire comptable, pour des dépenses publicitaires à hauteur de montants exorbitants (42 000 euros pour 2017 au lieu des 16 000 euros annuels que vous m'aviez dit avoir négociés).

-        que vous avez dénigré l'entreprise auprès du représentant de la marque CHRISTIAN DIOR en indiquant que le magasin de BOLLENE "n'existerait plus dans les 6 mois tellement il était mal géré ».

-        que vous avez malmené verbalement le représentant de la marque PRADA.

J'avais été très choqué en octobre dernier, et je vous l'avais dit, sur les propos que vous aviez tenus au sujet d'une ordonnance litigieuse que Madame [B] avait repérée, ordonnance relative à l'une de vos ventes et que vous étiez prête à falsifier et à envoyer au réseau de soin SANTE CLAIR (client M. [A]). Ces attitudes et actions peuvent être lourdement préjudiciables à l'entreprise.

La faute grave est caractérisée au regard tant des propos et des méthodes inadmissibles employés que de l'hostilité et du manque d'adhésion que vous avez générés nuisant ainsi au bon fonctionnement d'une structure dont vous n'avez, en outre, par vos actions litigieuses, pas défendu les intérêts ».

Il est établi que 10 salariés ont alerté M. [J] gérant de la SARL [J] Enseigne Krys Optique « sur la dégradation très profonde du climat de travail » mettant en cause le management de la directrice, Mme [C]. Les griefs des salariés sont énoncés dans la lettre de licenciement ci-dessus reprise.

Il est constant que cette lettre fait état d'autres griefs qui n'ont pas été évoqués lors de l'entretien préalable du 10 janvier 2018. Il ressort en effet du compte rendu de cet entretien, signé par l'employeur et la salariée, qu'il a porté principalement sur le courrier des salariés. M. [J] y évoque en outre des signatures de la salariée hors de ses attributions (assortiments pilotés), une difficulté concernant l'inventaire de 2017 et avec le « dossier [A] ».

Sur la question de l'évocation de griefs supplémentaires dans la lettre de licenciement pour faute grave, en application des textes susvisés et d'une jurisprudence constante, cette irrégularité de forme n'empêche pas d'examiner l'ensemble des griefs formulés afin de juger si le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse. Au surplus, comme constaté par les premiers juges, Mme [C] ne formule aucune demande indemnitaire à ce titre.

S'agissant du grief portant sur le management de la salariée, la SARL [J] Enseigne Krys Optique verse le courrier collectif rédigé par 10 salariés sur 17 qui évoquent notamment: une dégradation profonde du climat de travail en raison d'un dialogue inexistant, des demandes non prises en compte, un climat de tension voire de peur, l'absence de réunion. Sont encore évoqués, du favoritisme ou le fait de mettre à l'écart certains salariés.

Cette lettre fait état de trois situations précises :

Celle de Mme [T], en poste au magasin de Bollene pour laquelle l'équipe de Pierrelatte s'est rendue compte « qu'elle était traumatisée par l'ambiance régnant à Bollène », était stressée, manquait de confiance et craignait de recevoir des appels du magasin de Bollène,

Celle de Mme [E], comptable de l'entreprise, « désinvestie de toute participation à la vie des magasins, exclue de toute communication professionnelle, ramenée à un rôle d'exécutant »,

Celui de « l'épisode des chèques cadeaux en 2015 » remis par un fournisseur pour l'ensemble des magasins et qui ont été réservés aux salariés de Bollène, Mme [C] leur faisant croire que M. [J] avait validé cette décision.

L'employeur qui indique avoir procédé à une enquête interne et à l'audition individuelle de l'ensemble des salariés ne fournit pas ces auditions. Il produit en revanche les attestations de plusieurs salariés signataires ainsi que non signataires du courrier. La Cour relève que le lieu de travail des salariés n'y est en général pas précisé et que le registre du personnel produit ne permet pas de le déterminer. Sur la non-conformité de ces attestations aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile, soulevée par la salariée, il est de principe que ces dispositions ne sont pas prescrites à peine de nullité, et qu'il appartient au juge du fond d'apprécier souverainement si l'attestation non conforme à l'article 202 présente des garanties suffisantes pour emporter sa conviction.

Mme [E], secrétaire comptable, fait ainsi état de mails « répétés et agressifs » de Mme [C] et du fait qu'elle l'aurait mise à l'écart. Sont joints à cette attestation des mails des 27 et 29 avril 2015 qui portent sur les plannings de l'été. Mme [C] écrit, dans le premier mail, que ces plannings ne conviennent pas en ce qu'ils entraînent un cumul de semaines de travail sans pause et souligne un manque d'équité entre les salariés. Mme [C] indique dans le second mail avoir été « interpellée », à son arrivée au magasin de Bollène, par Mme [E] qui n'était pas destinataire du premier mail et précise que les salariés peuvent la contacter sans passer par un « porte-parole ».

La Cour relève que ces deux mails, non seulement ne confirment pas la mise à l'écart de Mme [E] par la salariée, mais encore ne comportent aucun propos agressif, dénigrant ou en décalage avec une relation professionnelle adaptée. Mme [C] pose, légitimement en tant que directrice, la question du cumul problématique du temps de travail sans pause envisagé dans les plannings qu'elle a reçus.

De même aucun élément produit ne vient confirmer le fait conclu, ou attesté par certains salariés, selon lequel Mme [C] exigeait une communication exclusivement par mail. Ainsi, les mails versés du 22 juin 2016 permettent uniquement de relever que Mme [E] écrit à Mme [C] qu'elle ne lui répondra plus à ses mails « sauf cas exceptionnel ». Mme [C] lui répond, sans agressivité, ne pas comprendre son message- lui ayant toujours écrit à cette adresse mail- et la sollicite pour obtenir une autre adresse professionnelle pour échanger à l'avenir.

Enfin d'autres mails de décembre 2015 et octobre 2017, adressés par la salariée au magasin de Pierrelatte, ne permettent pas non plus de relever des propos agressifs ou déplacés tenus par Mme [C].

Il est en outre reproché à Mme [C] s'agissant de son management « une inertie fautive dans des situations d'atteinte à la santé des salariés » ou encore « l'absence de soutien et de présence aux côtés des équipes pour insuffler une indispensable cohésion et un esprit d'entraide et de solidarité (pas de réunion, pas de passage dans les magasins ».

L'employeur verse une lettre du 18 décembre 2017 de Mme [T] (monteur vendeur) qui écrit à M. [J] « à sa demande » 'qu'en janvier 2017", lors d'un conflit entre elle et une autre salariée, Mme [C] a souhaité conserver sa neutralité et ne l'a pas aidée, cette autre salariée (Mme [D]) étant son amie. Aucune autre pièce ne confirme ce manque de soutien.

Au contraire, Mme [C] produit des échanges de SMS avec Mme [E] entre février et juin 2017 qui montrent qu'elle s'intéresse à la situation (notamment médicale) de Mme [T], cette dernière la remerciant par SMS de février 2017, puis en mai 2017 pour son soutien. Sur la décision de la mutation de cette salariée au magasin de Pierrelatte en mars 2017, Mme [T] ne met pas en cause Mme [C] et l'attestation de Mme [U] contredit celle de deux autres salariés (Mme [S] et M. [X]) indiquant que Mme [C] « avait fait muter cette salariée » en raison de problèmes entre elles.

S'agissant des autres attestations de salariés, M. [P] (opticien) évoque un manque de confiance avec Mme [C], sans plus de précision, et une insuffisance de visite aux magasins. Mme [N] (monteuse vendeuse) indique qu'elle « sentait le favoritisme » sans donner de détail et fait état d'une remontrance de Mme [C] sur le port d'un badge « opticien ».

M. [X] (monteur lunette vendeur) atteste d'une difficulté concernant le refus de Mme [C] de leur laisser faire des heures supplémentaires pour les salariés de Pierrelatte et avoir appris par Mme [E] que ceux de Bollène y étaient autorisés. Cette affirmation n'est étayée par aucun élément probant. Il évoque lui aussi, le problème de la répartition des chèques cadeaux.

Mme [Y] atteste de l'absence de réunion, de communication ou encore du fait que Mme [C] était peu présente en magasin. Mme [S] évoque des relations qui « n'étaient plus sereines et manquaient de sincérité » suite à la nomination de Mme [C] comme directrice et évoque, elle aussi, le problème des plannings de l'été 2015, la répartition des chèques cadeaux et la situation de Mme [W].

Sur les conséquences psychologiques des difficultés de management mentionnées dans la lettre de licenciement, aucun élément n'est apporté.

Concernant le favoritisme et l'entretien d'un climat de division avec des décisions arbitraires et inégalitaires, il en est question dans la lettre de licenciement ainsi que dans certaines des attestations de salariés concernant la répartition inéquitable, en 2015, des chèques cadeaux. Il est établi que suite à la réclamation de certains d'entre eux, un mail leur a été adressé le 15 décembre 2015 pour justifier de ladite répartition.

Outre la question de l'ancienneté de ce fait, la Cour relève que ce mail litigieux comporte la signature du Gérant, M. [J], et de Mme [C]. Il n'est pas démontré que la salariée aurait utilisé à l'insu du gérant sa boîte mail. Surtout, s'il est justifié que M. [J] rencontrait des problèmes de santé de 2015 à 2017 (attestation d'un suivi médical pour un syndrome dépressif secondaire à un épuisement professionnel), son absence de l'entreprise n'est absolument pas démontrée. Il n'est au surplus pas justifié d'une délégation des pouvoirs de gérance par M. [J] envers la salariée.

Au surplus, Mme [C], qui ne conteste pas le mode de répartition faite des chèques cadeaux, en justifie par une volonté de l'entreprise de récompenser l'investissement particulier de certains salariés à une période donnée et il est précisé dans ce mail que les salariés pouvaient contacter le gérant directement pour toute contestation. Sur ce dernier point, Mme [C] argue, sans être contredite, que le père du gérant était destinataire du mail. Pour autant, M. [J] n'a pas réagi ni repris à l'ordre la salariée ou pris une décision contraire.

Au vu de ce qui précède, la Cour relève que s'agissant du management défaillant de Mme [C], les faits évoqués, qui ne sont pour la plupart ni précis ni circonstanciés, ne sont étayés par aucun élément probant.

En outre, alors que ces salariés évoquent pour la plupart le fait que les difficultés avec Mme [C] ont commencé dès sa nomination comme directrice, intervenue en 2014, les seuls évènements datés portent sur 3 faits : les planning d'été 2015, l'épisode des chèques cadeaux à la même période.

Ce grief concernant le management de Mme [C] n'est donc pas établi.

S'agissant des actions de Mme [C] tendant à défendre ses intérêts personnels sans aucun souci de l'intérêt de l'entreprise, des « reproches incessants », aucune pièce probante n'est fournie. Ce grief n'est donc pas établi.

Sur l'absence de réunion des délégués du personnel, la salariée qui soulève le fait, sans être contredite, qu'elle n'était pas gérante, justifie du fait qu'elle a interrogé par mail de mars 2015, M. [J] (gérant) sur les modalités d'organisation des réunions durant l'absence de la déléguée syndicale. Ce grief n'est donc pas établi.

Sur le dénigrement de l'entreprise et l'incident avec le représentant de la marque PRADA, la SARL [J] Enseigne Krys Optique ne produit aucune attestation des prestataires « victimes » ni de clients ou de fournisseurs mécontents. Ainsi concernant l'incident avec le représentant de Prada, dont la date n'est pas précisée, seul un salarié (M. [P]) en fait état en parlant d'un « ton agressif et inhabituel de la salariée ». Mme [C] verse en revanche plusieurs attestations de fournisseurs et de clients soulignant ses qualités professionnelles. Ce grief n'est pas établi.

Sur l'engagement par Mme [C] de dépenses publicitaires, seuls des devis sont produits qui ne permettent pas à la Cour de céans de comparer avec d'autres périodes ou de dire si ces dépenses étaient hors normes et effectivement de 2.5 fois supérieures aux engagements antérieurs. Il n'est en outre aucunement justifié de la réalité des dépenses et du préjudice pour l'employeur. Ce grief n'est donc pas établi.

S'agissant enfin de la tentative de falsification d'une ordonnance en octobre 2017, la SARL [J] Enseigne Krys Optique verse le courrier de Mme [B], salariée qui indique : « j'avais été très choquée, en octobre dernier et je vous l'avais dit », elle précise que M. [J] était présent au magasin. Aucune autre pièce ne vient étayer ce grief qui n'est en conséquence pas établi.

Au vu de ce qui précède, il convient donc de relever qu'hormis la lettre commune des 10 salariés en 2017 et des attestations qui en détaillent les termes, l'employeur ne produit pas d'éléments précis ou concrets permettant d'étayer le grief d'un management « dysfonctionnel » qui fonde principalement le licenciement pour faute grave. Les autres griefs ne sont pas d'avantages démontrés.

Mme [C] qui occupe ce poste depuis 2014 n'a jamais fait l'objet d'un quelconque rappel à l'ordre quant à son management et l'employeur ne produit aucune alerte de salariés avant la lettre de décembre 2017.

S'agissant de la tentative de falsification de l'ordonnance, M. [J] était présent et il n'est pas démontré que, malgré ses problèmes de santé, il ne se trouvait pas en contact régulier et direct avec l'ensemble des salariés.

Par ailleurs, aux termes du compte rendu de l'entretien préalable, M. [J] répond à Mme [C] qu'il ne lui reproche rien et cet entretien n'est en outre pas précis sur les difficultés de management.

Il convient donc de juger qu'en l'absence de grief établi, le licenciement de Mme [C] n'est fondé ni sur une faute grave, ni sur une cause réelle et sérieuse.

En conséquence de quoi, par voie de confirmation du jugement déféré, il convient de juger que le licenciement de Mme [C] est sans cause réelle et sérieuse.

Les premiers juges ont justement évalué le salaire de référence à la somme de 4 155,69 € et compte tenu de l'ancienneté de la salariée dans l'entreprise, elle peut prétendre à une indemnité plafonnée à 11 mois de salaire de référence.

Il convient de réformer le quantum fixé par le Conseil des prud'hommes et de condamner la SARL à payer à Mme [C] la somme de 45 000 € de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La SARL [J] Enseigne Krys Optique, par voie de confirmation de la décision déférée, est en outre condamnée à payer à Mme [C] les sommes suivantes au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse:

12 467,07 € bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 1246,70 € de congés payés y afférents,

17 892,55 € nets au titre de l'indemnité légale de licenciement.

Sur le remboursement des allocations chômage :

Il conviendra, par voie de confirmation de la décision des premiers juges, conformément aux dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail, d'ordonner à l'employeur le remboursement des allocations chômages perçues par la salariée du jour de son licenciement au jour de la présente décision dans la limite de six mois, les organismes intéressés n'étant pas intervenus à l'audience et n'ayant pas fait connaître le montant des indemnités versés.

Une copie de la présente décision sera adressée à Pôle Emploi à la diligence du greffe de la présente juridiction.

Sur les demandes accessoires :

Il convient de condamner la SARL [J] Enseigne Krys Optique, partie perdante, aux entiers dépens et à la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,

DECLARE la SARL [J] Enseigne Krys Optique recevable en son appel,

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement déféré excepté s'agissant du quantum des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

STATUANT à nouveau sur les chefs d'infirmation,

CONDAMNE la SARL [J] Enseigne Krys Optique à payer à Mme [C] la somme de 45 000 € à titre de dommage et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Y ajoutant,

CONDAMNE la SARL [J] Enseigne Krys Optique à payer à Mme [C] la somme de 2 000 € à sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens en cause d'appel.

DIT qu'une copie de la présente décision sera adressée à Pôle emploi à la diligence du greffe de la présente juridiction.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Valéry CHARBONNIER, Conseillère faisant fonction de Présidente, et par Madame Mériem CASTE-BELKADI, Greffière, à qui la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.

La Greffière, La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Ch. sociale -section a
Numéro d'arrêt : 19/01606
Date de la décision : 24/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-24;19.01606 ?
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