N° RG 19/04618 - N° Portalis DBVM-V-B7D-KHUE
N° Minute :
C4
Copie exécutoire délivrée
le :
à
la SCP ANSELMETTI - LA ROCCA
la SCP TGA-AVOCATS
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
2ÈME CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU MARDI 17 MAI 2022
Appel d'un Jugement (N° R.G. 15/00174) rendu par le Tribunal de Grande Instance de GAP en date du 07 octobre 2019, suivant déclaration d'appel du 14 Novembre 2019
APPELANT :
M. [B] [N]
né le 07 Septembre 1992 à ARTIK (ARMENIE)
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représenté par Me Lionel LA ROCCA de la SCP ANSELMETTI - LA ROCCA, avocat au barreau de HAUTES-ALPES
INTIMÉE :
SA AXA FRANCE IARD prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Ludovic TOMASI de la SCP TGA-AVOCATS, avocat au barreau de HAUTES-ALPES
COMPOSITION DE LA COUR : LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Emmanuèle Cardona, présidente
Laurent Grava, conseiller,
Frédéric Dumas, vice-président placé, en vertu d'une ordonnance en date du 18 novembre 2021 rendue par la première présidente de la cour d'appel de Grenoble
DÉBATS :
A l'audience publique du 18 janvier 2022, Frédéric Dumas, vice-président placé, qui a fait son rapport, assisté de Caroline Bertolo, greffière, a entendu seul les avocats en leurs conclusions, les parties ne s'y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile.
Il en a rendu compte à la Cour dans son délibéré et l'arrêt a été rendu à l'audience de ce jour.
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
M. [B] [N] a acquis un véhicule d'occasion de marque BMW, immatriculé [Immatriculation 4], pour lequel il a souscrit auprès de la société anonyme AXA France I.A.R.D. une police d'assurance tous risques n°5946858104 avec prise d'effet au 14 septembre 2013.
M. [N] a le 7 janvier 2014 déclaré à son assureur un accident de la circulation survenu sur la route départementale D 47 reliant [Localité 6] À [Localité 5], impliquant son seul véhicule.
Le cabinet BCA, mandaté par l'assureur afin d'expertiser le véhicule, a relevé plusieurs incohérences entre ses constatations matérielles et les déclarations de l'assuré. La société AXA France I.A.R.D. a notifié à ce dernier le 3 février 2014 son refus de prise en charge du sinistre.
M. [N] a demandé alors par l'intermédiaire de son assurance de protection juridique l'intervention d'un autre expert automobile, M. [E], qui a conclu à la sincérité des déclarations de l'assuré après une réunion contradictoire des parties le 21 juillet 2014.
Après une mise en demeure du 20 janvier 2015 restée infructueuse M. [N] a, par exploit du 17 février 2015, fait assigner la société AXA France I.A.R.D. devant le tribunal de grande instance de Gap aux fins d'obtenir notamment le paiement d'une indemnité de 10 500 euros au titre de la valeur de remplacement du véhicule.
Par jugement avant dire droit du 2 mai 2017 le tribunal a ordonné une expertise judiciaire confiée à M. [P].
Suivant jugement du 7 octobre 2019 le tribunal de grande instance de Gap a débouté M. [N] des fins de son action et l'a condamné aux dépens, en ce compris les frais d'expertise, ainsi qu'au paiement d'une somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés par la société AXA France I.A.R.D..
Le 14 novembre 2019 M. [N] a interjeté appel du jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions, dont le dispositif doit être expurgé de toutes mentions qui ne constituent pas des demandes mais reprennent les moyens soutenus dans les motifs, l'appelant demande à la cour de réformer le jugement déféré et, statuant à nouveau, de :
- condamner la société AXA France I.A.R.D. à lui payer la somme de 10 500 euros,
- condamner la société AXA France I.A.R.D. à lui payer la somme de 2 000 euros au titre du préjudice de jouissance,
- condamner la société AXA France I.A.R.D. aux entiers dépens, y compris les frais d'expertise, outre la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions M. [N] expose que :
- son véhicule a été dépanné le 25 novembre 2013 à la suite d'un bruit moteur par le garage BMW de [Localité 5] et un ordre de réparation a été émis mais aucune anomalie n'a été détectée de sorte qu'il a repris son véhicule pour le stationner au domicile de ses parents à [Localité 5],
- le 7 janvier 2014 il s'est rendu chez un garagiste, M. [K] qui devait changer le kit de distribution, sur la commune de Freissinouse, mais ne parvenant pas à localiser l'établissement il est reparti et a dans une descente percuté un animal, le véhicule faisant une sortie de route avant de tomber dans un ravin en raison de l'humidité et du verglas,
- le cabinet BCA, qui ne lui a adressé aucun compte-rendu à l'encontre duquel il aurait pu faire valoir ses observations, n'a nullement expliqué ses démarches lui ayant permis de rendre des conclusions sur les prétendues incohérences entre les déclarations de l'assuré et ses constatations, les opérations d'expertise étant ainsi dépourvues de tout caractère contradictoire,
- le rapport d'expertise judiciaire est nettement orienté en sa défaveur notamment de par les commentaires auxquels se livre son auteur,
- contrairement aux conclusions de l'expert judiciaire, après des opérations réalisées quarante quatre mois après le sinistre durant lesquels le véhicule a été soumis aux intempéries, celle du BCA relève que des traces de collision avec un animal ont été trouvées,
- le refus de garantie de l'assureur fondé sur le fait que le moteur du véhicule ne pouvait fonctionner au moment de l'impact est incompatible avec les dégâts constatés par les expertises BCA et de M. [P], ce dernier ayant pu faire démarrer le moteur et constaté qu'il émettait un bruit caractéristique lié à la chaîne de distribution,
- les douze kilomètres parcourus relevés par l'expert judiciaire coïncident avec ses explications et celles de l'expert amiable, M. [E],
- l'ordre de réparation du 29 novembre 2013 mentionne 183 507 kilomètres, soit un nombre inférieur à celui de la lecture de la clé n°1 du rapport [P] relatif à 183 519 kilomètres correspondant au trajet effectué le 29 novembre (1,1 kilomètres) entre le garage et le domicile de ses parents où le véhicule est demeuré jusqu'au 7 janvier 2014, les 11 kilomètres restants ayant été accomplis lorsqu'il a voulu se rendre chez le garagiste [K],
- de plus il n'y a pas d'enregistrement de la clé le 29 novembre 2013 mentionnant 183 519 kilomètres,
- différents tests ont été réalisés par l'expert [E] montrant notamment qu'une batterie faiblement chargée induisait des données incohérentes concernant les dates et heures lors de l'exploitation desdites clés,
- les airbags ne se déclenchent pas lorsque les chocs surviennent au-dessous du véhicule comme dans le cas d'espèce, ainsi que le souligne M. [E],
- en tout état de cause la société AXA France I.A.R.D. ne rapporte pas la preuve de sa mauvaise foi pouvant justifier son refus de garantie.
Selon ses dernières écritures la société AXA France I.A.R.D. conclut à ce que la cour confirme le jugement déféré et :
- déboute M. [N] de l'intégralité de ses demandes,
- le condamne à lui payer la somme de 2 000 au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure de première instance ainsi qu'aux entiers dépens de première instance, en ce compris les frais d'expertise judiciaire,
- y ajoutant le condamne à lui payer la somme de 2 500 en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel ainsi qu'aux entiers dépens de la procédure d'appel.
L'intimée fait valoir que :
- la partie appelante n'est pas fondé à solliciter que soit écarté le rapport BCA dans la mesure où il ne constitue que l'un des éléments de la décision de rejet de ses demandes par le tribunal et est en outre conforté par d'autres pièces,
- selon la lecture des clés du véhicule effectuée le 31 janvier 2014 la dernière date de roulage est le 28 novembre 2013,
- bien que leurs conclusions soient divergentes le cabinet BCA et M. [E] retiennent cette dernière date de roulage et non le 7 janvier 2014, date de l'accident, ce qui est corroboré par le fait que le nombre de kilomètres n'a pas évolué depuis le 28 novembre 2013,
- le kilométrage de 183 507 évoqué par M. [E] concerne celui du véhicule à la sortie du garage le 26 novembre 2013,
- la lecture de la clé est en outre conforme au kilométrage affiché sur le compteur du tableau de bord,
- la lecture de la clé effectuée le 5 mars 2014 indique qu'au 28 novembre 2013 le véhicule totalisait 183 519 kilomètres correspondant à ceux au jour du sinistre de la voiture qui n'a parcouru que 12 kilomètres entre les 24 et 29 novembre 2013,
- le véhicule n'était plus en mesure de rouler depuis le 28 novembre 2013 et, même s'il conclut à l'absence de preuve de la casse du moteur avant le 7 janvier 2014 à la différence des autres experts, M. [E] a indiqué n'avoir jamais pu le faire redémarrer malgré plusieurs tentatives,
- le cabinet BCA a souligné que l'absence de déclenchement des systèmes de sécurité passive était liée à la coupure de l'alimentation électrique par la clé de contact alors que les déformations structurelles du longeron avant droit auraient normalement dû déclencher les airbags,
- les experts ont de plus sérieusement remis en cause la version de l'assuré concernant un choc avec un animal en raison de leurs constatations,
- de nombreux incohérences et changements dans les déclarations de M. [N] attestent du caractère frauduleux de ces dernières,
- l'attitude de M. [N] qui ne répondait pas aux convocations à l'expertise de M. [E] et qui n'était pas présent à celle-ci n'a pas permis de rendre ces opérations contradictoires puisqu'il n'a pu répondre aux interrogations des experts,
L'instruction a été clôturée suivant ordonnance du 17 novembre 2021.
MOTIFS
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux conclusions déposées.
Sur les demandes principales
Aux termes de l'article 1134 du code civil dans sa rédaction applicable au présent litige les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
Les conditions générales de la police d'assurance souscrite par M. [N] auprès de la société AXA France I.A.R.D. contiennent (page 41) une clause de déchéance de garantie stipulant que 'si vous faites sciemment de fausses déclarations sur la nature et les causes, circonstances et conséquences d'un sinistre, vous serez déchu de tout droit à la garantie pour la totalité de ce sinistre'.
En l'espèce M. [N] a transmis à son assureur un constat amiable d'accident daté du 7 janvier 2014 ainsi libellé : 'en rentrant chez moi par la route [Localité 6]-[Localité 5] j'ai heurté un obstacle (animal ') avec l'avant gauche de mon véhicule, qui est tombé dans le bas-côté de la route, s'arrêtant à l'avant contre un arbre.'
Les éléments retenus par le premier juge pour approuver la mise en oeuvre de la clause de déchéance de garantie par l'assureur et débouter M. [N] sont les suivants :
- le cabinet BCA, après avoir examiné le véhicule ainsi que les informations contenues dans les clés électroniques, a conclu que celui-ci n'avait pas roulé depuis le 28 novembre 2013,
- le rapport d'expertise judiciaire confirme ces premières conclusions, l'expert rappelant que le véhicule tombé en panne le 24 novembre 2013 avait été remorqué jusqu'à la concession Bayard Auto de Gap, où il avait été repris par son propriétaire sans qu'aucune réparation n'ait été effectuée,
- la lecture de la clé électronique indique qu'au 28 novembre 2013 le véhicule totalisait 183 519 kilomètres, chiffre identique à celui relevé après le prétendu sinistre, tant au compteur du tableau de bord que dans le calculateur de gestion moteur,
- lorsque la clé de contact est retirée puis le véhicule remis en route pour une nouvelle utilisation de courte durée, il peut y avoir un léger décalage entre le kilométrage enregistré dans la clé et le kilométrage réellement parcouru affiché au tableau de bord, mais en ce cas le premier est toujours inférieur au second,
- il en résulte que M. [N] n'avait pas réutilisé sa voiture depuis le 28 novembre 2013, ainsi que l'expert l'affirme sans réserve dans sa réponse à la question n°6,
- en outre les airbags ne se sont pas déclenchés lors du choc, ce qui tend à établir que le contact était coupé lorsque le véhicule a basculé dans le bas-côté,
- il existe enfin une contradiction importante entre le libellé du constat amiable d'accident, suivant lequel l'assuré rentrait chez lui par la route menant de [Localité 6] à [Localité 5], et la déclaration faite devant l'expert, selon laquelle il se rendait au garage [K] situé à la Freissinouse, c'est à dire dans une direction inverse.
La juridiction de céans ne peut qu'adopter la motivation étayée et précise du premier juge qui met en évidence les incohérences entre les déclarations de l'assuré et les constatations expertales.
De surcroît, et sans être tenue d'entrer dans le détail de l'argumentation des parties, la cour ne peut que constater que l'expert judiciaire, dont les critiques outrancières de l'appelant tendant à remettre en cause son objectivité ne saurait occulter les conclusions sérieusement argumentées et circonstanciées, indique formellement que le 26 novembre 2013 une lecture de clé est effectuée qui indique que le 24 novembre, jour où le véhicule est tombé en panne, celui-ci totalisait 183 507 kilomètres mais que le garage Bayard Auto Moto 'ouvre un ordre de réparation seulement le 29 novembre 2013, sur lequel il porte un kilométrage de 183507 kilomètres..., en fait, celui qui a été relevé le 26, le lendemain de l'arrivée du véhicule, à la concession'. Il explique que la fiabilité des clés n'est aucunement en cause et se réfère aux déclarations de l'expert [E] selon lequel l'ordre de réparation mentionne un 'kilométrage, une date de rentrée théorique d'entrée en atelier'. D'où la conclusion de l'expert judiciaire : 'le dernier enregistrement de clé mentionne 183519 kilomètres, le 29 novembre 2013 et correspond bien au kilométrage réel du véhicule examiné par nous. Au jour du sinistre, le kilométrage est toujours de 183519 kilomètres affiché au compteur ainsi que dans le calculateur de gestion moteur et n'a pas varié depuis le 29 novembre 2013, ce qui est une certitude...'.
M. [P] précise en outre, en s'appuyant sur la compétence technique du fabricant BMW France dont les précédents experts n'avaient pu obtenir aucune information, qu'à 183 519 kilomètres le calculateur n'a enregistré aucun désordre , 'ce qui implique que le contact était coupé'.
Enfin, ainsi que l'expert judiciaire l'a justement souligné, aucune facture de pièce ni bon de livraison ne vient corroborer l'attestation de M. [K] selon laquelle, après avoir reçu le kit de distribution, il aurait demandé à M. [N] de se rendre chez lui en fin de journée pour réparer son véhicule.
Il est par conséquent établi que les déclarations de M. [N] concernant l'accident dont il aurait été victime le 7 janvier 2014 ne correspondent pas à la réalité, leur fausseté révélant nécessairement l'intention de tromper l'assureur sur la survenue d'un sinistre.
Dès lors le jugement déféré sera confirmé et l'appelant débouté de l'intégralité de ses demandes.
Sur les demandes annexes
Il serait inéquitable de laisser à la charge de l'intimée les frais exposés pour faire valoir ses droits devant la cour. M. [N] sera donc condamné à lui verser une indemnité de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
En revanche la société AXA France I.A.R.D. sera déboutée de cette même demande en ce qui concerne la procédure de première instance.
L'appelant qui succombe sera en outre condamné aux entiers dépens de la procédure d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement et par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme le jugement du 7 octobre 2019 du tribunal de grande instance de Gap en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Déboute la S.A. AXA France I.A.R.D. de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile en ce qui concerne la procédure de première instance,
Condamne M. [B] [N] à verser à la S.A. AXA France I.A.R.D. une indemnité de 1 500 euros (mille cinq cents euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [B] [N] aux entiers dépens de la procédure d'appel.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Arrêt signé par Mme Emmanuèle Cardona, Présidente de la deuxième chambre civile et par la Greffière,Caroline Bertolo, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIERELA PRESIDENTE