C4
N° RG 19/04553
N° Portalis DBVM-V-B7D-KHPY
N° Minute :
Copie exécutoire délivrée le :
la SELARL ZANA & ASSOCIES
Me Nicolas BOURGEY
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
Ch. Sociale -Section A
ARRÊT DU MARDI 17 MAI 2022
Appel d'une décision (N° RG F18/00165)
rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VIENNE
en date du 17 octobre 2019
suivant déclaration d'appel du 08 Novembre 2019
APPELANT :
Monsieur [H] [O] [R]
né le 26 Juillet 1980 à PORTO
de nationalité Portugaise
42, Route de Marseille
38150 CHANAS
représenté par Me Jérémy ZANA de la SELARL ZANA & ASSOCIES, avocat au barreau de VIENNE, avocat postulant, et Me Samuel CORNUT, avocat au barreau de LYON, avocat plaidant
INTIMEE :
SASU SMTS, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
Impasse du Renivet
38150 SALAISE SUR SANNE
représentée par Me Nicolas BOURGEY, avocat au barreau de VIENNE
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Madame Valéry CHARBONNIER, Conseillère faisant fonction de Présidente,
Madame Gaëlle BARDOSSE, Conseillère,
Madame Magali DURAND-MULIN, Conseillère,
DÉBATS :
A l'audience publique du 08 Mars 2022,
Valéry CHARBONNIER, Conseillère faisant fonction de Présidente chargée du rapport, en présence d'Amandine GAUCY, assistante de justice, assistée de Valérie RENOUF, Greffière, a entendu les parties en leurs conclusions et plaidoiries, les parties ne s'y étant pas opposées conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile.
Puis l'affaire a été mise en délibéré au 17 Mai 2022, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.
L'arrêt a été rendu le 17 Mai 2022.
Exposé du litige :
Le 19 avril 2004, M. [O] [R] a été embauché en contrat à durée indéterminée par la SARL SMTS en qualité de maçon, puis de chef d'équipe à compter de la signature d'un avenant au contrat de travail en date du 18 avril 2007.
Le 29 mars 2018, M. [O] [R] a été convoqué à un entretien à un éventuel licenciement et licencié pour cause réelle et sérieuse le 4 mai 2018,
Le 24 juillet 2018, M. [O] [R] a saisi le conseil des prud'hommes de Vienne aux fins de contester le bien-fondé de son licenciement et obtenir les indemnités afférentes.
Par jugement en date du 17 octobre 2019, le conseil des prud'hommes de Vienne a :
Dit et jugé que le licenciement du salarié est justifié par une cause réelle et sérieuse ;
En conséquence,
Débouté le salarié de ses demandes de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de frais irrépétibles ;
Débouté l'employeur de sa demande reconventionnelle au titre des frais irrépétibles ;
Condamner le salarié aux entiers dépens de l'instance.
La décision a été notifiée aux parties par lettre recommandée avec demande d'accusé de réception le 17 octobre 2019.
M. [O] [R] a interjeté appel de la décision par déclaration en date du 8 novembre 2019.
Par conclusions en date du 22 septembre 2021, M. [O] [R] demande à la cour d'appel de :
Recevoir son appel ;
Infirmer le jugement ;
Dire et juger en conséquence que la rupture de son contrat de travail est dépourvue de cause réelle et sérieuse ;
Condamner l'employeur à la somme de 25.920 € à titre d'indemnité pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Le condamner à la somme de 3.000 € au titre des frais irrépétibles ;
Le condamner aux dépens.
Par conclusions en réponse en date du 16 décembre 2021, la SARL SMTS demande à la cour d'appel de :
La recevoir dans ses écritures, les disant bien-fondées ;
Confirmer dans son intégralité le jugement ;
Condamner le salarié au paiement de la somme de 2.500 € au titre des frais irrépétibles ;
Le condamner aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 25 janvier 2022 et l'affaire a été fixée à plaider le 8 mars 2022.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux dernières conclusions déposées.
SUR QUOI :
Sur le bien-fondé du licenciement:
Il ressort de la lettre de licenciement du 4 mai 2018 qu'il est reproché à M. [O] [R] son comportement sur le chantier ACTON le 30 janvier 2018 et celui adopté au siège social face à la direction le 1er février 2018.
Il lui est ainsi fait grief d'avoir, le 30 janvier 2018, utilisé un échafaudage non conforme 'en ce que les roulettes n'avaient pas été démontées, malgré sa connaissance et sa formation sur l'installation des échafaudages au lieu de tout autre alternative, dont celle de revenir à l'entrepôt prendre possession d'un échafaudage sur pied, engendrant un risque pour lui et l'ensemble des membres de son équipe en qualité de chef de chantier'.
Il lui est également reproché d'avoir, après le constat de la non-conformité, entrepris une démarche consistant à demander à l'ensemble de son équipe de l'accompagner en vue d'une expédition à destination du siège social aux fin d'avoir un échange avec le co-gérant, soit un échange public avec sa hiérarchie, au cours duquel il a exposé son mécontentement suite aux remarques faites par la direction, constituant une vengeance déplacée.
Moyens des parties :
M. [O] [R] soutient que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Il allègue qu'il n'a commis aucune faute relative à la sécurité, l'échafaudage conforme ne présentant aucun risque et ayant tout fait pour sécuriser le chantier ACTON sans aucun refus d'autorité. Il fait valoir que les mentions, sur le rapport journalier, ne sauraient détenir la qualification d'aveu judiciaire et que les planches ne peuvent être utilisées comme plancher sur un échafaudage roulant. Il soutient qu'en réalité, il n'a pas suivi les recommandations de son supérieur qui étaient dangereuses. Il explique que l'échafaudage mentionné dans le rapport ne correspond pas à celui des photographies, qu'il a été monté par une entreprise sous-traitante et qu'il a refusé que son équipe l'utilise, la SARL SMTS ayant imposé à l'équipe de l'utiliser en dépit de son refus initial et qu'il a dû obéir.
S'agissant l'insubordination reprochée, il affirme qu'à la suite du désaccord intervenu avec sa direction, une discussion a eu lieu comme cela a lieu dans de nombreuses entreprises et qu'il n'a pas fait preuve d'insubordination. Le fait de rencontrer ses collègues, le 1er février 2018, afin de s'expliquer sur l'incident survenu, ne constitue pas un acte de défiance envers sa hiérarchie mais relève de la volonté d'un chef d'équipe de chantier de vouloir éclaircir les accusations proférées à son encontre. Il relève avoir travaillé depuis 14 ans dans la SARL SMTS sans soucis avec ses responsables, ni avoir fait l'objet d'incident ou avertissement. Il avait d'ailleurs sollicité de rester dans l'entreprise par courrier du 25 mai 2018.
La SARL SMTS soutient qu'en sa qualité de chef de chantier, avec les responsabilités associées, M. [O] [R] était particulièrement sensibilisé et formé au montage des échafaudages fixes et roulants et aux mesures nécessaires à la sécurité. Il avoue lui-même que l'échafaudage sur lequel il travaillait le 30 janvier 2018 n'était pas conforme et a inscrit la mention « échafaudage non conforme » sur les rapports journaliers des 1er et 2 février 2018. Les salariés du chantier le confirment. De plus, la mise en place d'un échafaudage roulant sans roulettes est contraire aux obligations de sécurité et M. [O] [R] a omis comme le montrent les photographies versées aux débats, de positionner les platines d'appui sur son échafaudage. M. [O] [R] n'a jamais contesté avant les conclusions avoir été le responsable et l'auteur du montage de l'échafaudage litigieux et il est incapable de désigner la société prestataire qui aurait été en charge ni ne justifie avoir alerté sa hiérarchie sur le montage défectueux qu'il aurait découvert.
La SARL SMTS soutient par ailleurs que M. [O] [R] a remis en cause l'autorité hiérarchique et a dénigré publiquement les dirigeants de la SARL SMTS. Il a demandé, dans une démarche contestataire, à son équipe d'être témoin de ses propos à l'égard du dirigeant. Il a ensuite invectivé M. [I] devant témoins dans les locaux de l'entreprise.
Sur ce,
Aux termes des dispositions de l'article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
Ainsi, l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.
S'agissant d'un licenciement pour motif disciplinaire, il est de principe que la gravité d'une faute doit être appréciée en considération de l'ancienneté du salarié et de son comportement antérieur et que la sanction notifiée doit être proportionnée à la faute commise.
En l'espèce et à titre préliminaire, il doit être constaté que les photographies d'échafaudages versées par l'employeur aux débats, dénuées de dates ou d'éléments permettant de déterminer le lieu de prise de vue et non authentifiées par un huissier de justice sont dépourvues de toute force probante.
Il ressort toutefois du rapport journalier du 1er février 2018, rédigé par M. [O] [R], s'agissant du chantier ACTON du 30 janvier 2018 et dont il ne conteste pas l'authenticité, qu'un désaccord a eu lieu avec « M. [S] » qui, lors d'une visite « au bout de quelques minutes, il menace les ouvriers et à moi-même, de ne pas savoir faire mon travail, donc il m'accuse de ne pas savoir ranger, sécuriser, et gérer le chantier''ont' m'accuse d'être responsable de la perte d'argent sur le chantier. Donc j'invite les responsables de l'entreprise à faire le nécessaire pour trouver le motif d'une aussi grosse perte d'argent ; 40 milles EUROS !!! je suis disponible pour collaborer ». M. [O] [R] apose dans la case intitulée 'observations sécurité' la mention« Echafaudage pas conforme » et dans la case « observations techniques', la mention « pas de bennes sur le chantier pour trier les déchets ».
Dans le rapport journalier du 2 février 2018, M. [O] [R] mentionne de nouveau, dans la case « observations sécurité » la mention « Echafaudage pas conforme, téléoptique en mauvais état ».
M. [O] [R] ne conteste pas avoir rédigé ces mentions mais ne s'explique pas sur celles-ci, ni en quoi l'échafaudage n'était pas conforme du point de vue de la sécurité.
Il doit être déduit de ces éléments que M. [O] [R] avait constaté, dès le 30 janvier 2018, la non-conformité à la sécurité de l'échafaudage du chantier ACTON.
Le fait invoqué et, par ailleurs non démontré par M. [O] [R], que l'échafaudage aurait été monté par une entreprise sous-traitante, est inopérant s'agissant de sa responsabilité de chef de chantier vis-à-vis de son équipe face à l'utilisation d'un échafaudage dont il a constaté l'absence de conformité. De la même façon, il ne démontre pas que son employeur l'aurait obligé à imposer à son équipe de l'utiliser en dépit de son refus initial.
Il n'est pas contesté que M. [O] [R], chef d'équipe a bénéficié des formations à la sécurité suffisante pour assurer la sécurité des chantiers.
Toutefois, les trois salariés susvisés expliquent également de manière concordante que l'employeur leur a indiqué ensuite 'qu'il n'avait rien contre eux' et que l'histoire de l'échafaudage était « une excuse » leur demandant « de laisser tomber victor » ou « de ne pas suivre [H] ».
La faute de M. [O] [R] s'agissant de la sécurité sur le chantier susvisé du fait de la non-conformité de l'échafaudage est par conséquent établie.
S'agissant des faits d'insubordination reprochée, M. [O] [R] ne conteste pas avoir s'être rendu avec ses collègues, le 1er février 2018, au siège de la SARL SMTS afin de s'expliquer sur l'incident survenu la veille sans que cela constitue selon lui une défiance à l'encontre de sa hiérarchie.
M. [Y] [M], salarié présent sur le chantier atteste que « le jour où le patron est passé sur le chantier, il a tout de suite commencé à nous menacer d'envoyer des lettres recommandées s'il nous revoyait travailler encore une fois avec un échafaudage pareil. Ensuite il est sorti avec victor (M. [O] [R]) et ils n'étaient pas d'accords donc après le patron est parti et [H] a arrêté le chantier. On a démonté l'échafaudage que pour nous n'était pas aussi mal monté' »
M. [O] [R] confirme la visite du patron et remarque « à cause d'un échafaudage que pour moi elle était pas aussi mal montée, c'était un échafaudage qu''ont 'travaillé d'habitude ».
M. [O] [P] confirme également les faits.
Il ressort des mentions susvisées qu'il a portées sur le rapport du 1er février 2018 à destination de la direction, qu'il était particulièrement mécontent envers les responsables de l'entreprise de l'incident relatif à l'échafaudage survenu sur le chantier la veille et évoqué par son équipe dans leurs attestations.
Mme [I], témoigne que M. [O] [R] s'est présenté avec son équipe, le 1er février 2018, au bureau afin de rencontrer M. [I] [S] et lui faire part de son mécontentement concernant les remarques qui lui ont été faites lors de la visite de chantier de la veille et qu'il n'a pas fait preuve de sang-froid et de calme, entrainant des tensions.
M. [L] [U], responsable d'agence, confirme que M. [O] [R] s'est présenté « énervé » le 1er février avec son équipe et qu'un désaccord a fait monter le ton, M. [O] [R] finissant par partir en claquant la porte.
Il convient toutefois de noter que ces deux seuls attestants sont toujours en lien de subordination avec la SARL SMTS et que Mme [I] a également un lien familial direct avec le dirigeant, permettant à la cour de relativiser la pertinence de leurs déclarations.
S'il ressort des éléments susvisés que M. [O] [R] était manifestement mécontent des remarques faites par le dirigeant de l'entreprise à son équipe la veille sur le chantier et a souhaité en discuter avec la direction, le seul fait que le ton ait pu monter entre les intervenants et que M. [O] [R] ait pu partir en claquant la porte ne constitue pas une « expédition » en vue d'une « vengeance déplacée» ni un fait d'insubordination comme énoncés dans la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige, mais tout au plus un désaccord un peu vif qu'il aurait dû gérer en direct et seul avec le dirigeant dans un cadre un peu plus apaisé.
Si des fautes sont établies à l'encontre de M. [O] [R], la cour estime que la sanction du licenciement est disproportionnée au regard du comportement du dirigeant sur le chantier le 31 janvier 2018, l'ancienneté du salarié (14 ans), de ses responsabilités dans l'entreprise et de l'absence de passé disciplinaire. Par voie de réformation du jugement déféré, il convient de juger que le licenciement n'est pas fondé sur une cause réelle et sérieuse.
Il convient, par conséquent, de condamner la SARL SMTS à payer à M. [O] [R], compte tenu de son ancienneté (14 ans et 15 jours) au jour de son licenciement, de son âge (38 ans) et de l'absence de justification de sa situation personnelle et professionnelle actualisée, la somme de 8 000 € de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Sur les demandes accessoires :
Il convient d'infirmer la décision de première instance s'agissant des frais irrépétibles et des dépens.
Il convient de condamner la SARL SMTS partie perdante, aux entiers dépens et à la somme de 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,
DECLARE M. [O] [R] recevable en son appel,
INFIRME le jugement déféré sauf en ce qu'elle a débouté la SARL SMTS de sa demande reconventionnelle au titre en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
STATUANT à nouveau sur les chefs d'infirmation,
DIT que le licenciement de M. [O] [R] n'est pas fondé sur une cause réelle et sérieuse,
CONDAMNE la SARL SMTS à verser à M. [O] [R] la somme de 8 000 € de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
CONDAMNE la SARL SMTS à payer à M. [O] [R] la somme de 1 500 € à sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la SARL SMTS aux dépens de l'instance.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Mme Valéry CHARBONNIER, conseillère faisant fonction de Présidente et par Mme Carole COLAS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente