N° RG 19/00409 - N° Portalis DBVM-V-B7D-J3FQ
N° Minute :
C3
Copie exécutoire délivrée
le :
à
la SELARL BALESTAS-GRANDGONNET-MURIDI & ASSOCIES
la SCP DUNNER-CARRET-DUCHATEL-ESCALLIER
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
2ÈME CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU MARDI 17 MAI 2022
Appel d'un Jugement (N° R.G. 14/03702) rendu par le Tribunal de Grande Instance de GRENOBLE en date du 13 décembre 2018, suivant déclaration d'appel du 23 Janvier 2019
APPELANTE :
Société d'assurances AGPM ASSURANCES prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège,
[Adresse 4]
[Localité 6]
Représentée par Me Audrey GRANDGONNET de la SELARL BALESTAS-GRANDGONNET-MURIDI & ASSOCIES, avocat au barreau de GRENOBLE, postulant, plaidant par Me POUSSET-BOUGERE substitué par Me PERET, avocat au barreau de LYON
INTIMÉES :
SA ENEDIS prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 7]
SA AXA CORPORATE SOLUTIONS prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentées et plaidant par Me Isabelle CARRET de la SCP DUNNER-CARRET-DUCHATEL-ESCALLIER, avocat au barreau de GRENOBLE
COMPOSITION DE LA COUR : LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Emmanuèle Cardona, présidente
Laurent Grava, conseiller,
Mme Anne-Laure Pliskine, conseillère
DÉBATS :
A l'audience publique du 08 mars 2022, Anne-Laure Pliskine, conseillère, qui a fait son rapport, assistée de Caroline Bertolo, greffière, a entendu seule les avocats en leurs conclusions et plaidoiries, les parties ne s'y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile.
Il en a rendu compte à la Cour dans son délibéré et l'arrêt a été rendu à l'audience de ce jour.
EXPOSÉ DU LITIGE
Madame [K] [C] est propriétaire occupante d'un appartement au 7 ème étage d'un immeuble situé [Adresse 3]).
Le 5 avril 2009, un incendie s'est déclaré à son domicile, alors que celle-ci était absente.
Madame [C] a déclaré ce sinistre à son assureur AGPM assurances.
Une mission d'expertise amiable a été confiée au Cabinet ELEX, visant à déterminer les causes de l'incendie.
La compagnie AGPM assurances a pris contact avec la société ERDF le 27 juillet 2009, sollicitant de sa part le règlement de la somme de 25 565 euros en réparation de l'ensemble des préjudices subis par son assurée qu'elle a indiqué avoir indemnisée.
En l'absence de règlement amiable de ce sinistre, la société AGPM assurances a saisi le tribunal de grande instance de Grenoble, aux fins de voir condamner la société ERDF solidairement avec son assureur Axa corporate solutions à prendre en charge l'indemnisation du sinistre survenu le 5 avril 2009.
Par jugement du 13 décembre 2018, le tribunal de grande instance de Grenoble a :
-débouté la société anonyme AGPM assurances de l'ensemble de ses demandes ;
-débouté la société anonyme Axa corporate solutionset la société anonyme Enedis de leur demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
-condamné la société anonyme AGPM assurances aux dépens qui seront recouvrés par la SCP Dünner Carret Duchatel Escallier ;
-autorisé la SCP Dünner Carret Duchatel Escallier à recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont elle a fait l'avance, sans avoir reçu provision conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par déclaration en date du 23 janvier 2019 la compagnie AGPM assurances a interjeté appel de la décision en ce qu'elle a :
-débouté la société anonyme AGPM assurances de l'ensemble de ses demandes ;
-condamné la société anonyme AGPM assurances aux dépens qui seront recouvrés par la SCP Dünner Carret Duchatel Escallier ;
-autorisé la SCP Dünner Carret Duchatel Escallier à recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont elle a fait l'avance, sans avoir reçu provision conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions notifiées le 17 février 2022, la société AGPM assurances demande à la cour de :
-infirmer le jugement du tribunal de grande instance de Grenoble du 13 décembre 2018, en ce qu'il a débouté la compagnie AGPM assurances de l'ensemble de ses demandes, et l'a condamnée aux dépens de l'instance ;
Statuant à nouveau :
-juger recevable et bien fondée, l'action de l'AGPM, subrogée dans les droits de son assurée Madame [C], à l'encontre la société ERDF et son assureur Axa corporate solutions,
-juger que l'incendie survenu dans l'appartement de Madame [C] a trouvé son origine dans la rupture du neutre sur le réseau distribution exploité par ERDF,
-juger qu'ERDF ne rapporte pas la preuve d'une cause étrangère,
-juger que l'incendie du 5 avril 2009 trouvant sa cause effective dans un incident d'origine électrique, à savoir une surtension sur le réseau d'alimentation, la responsabilité de la société ERDF est engagée.
En conséquence,
-condamner solidairement la société ERDF et son assureur Axa, à payer à l'AGPM, subrogée dans les droits de son assurée, la somme de 26 514, 75 euros, correspondant à l'indemnisation versée au titre de la réparation des préjudices de Madame [C],
-condamner solidairement la société ERDF et son assureur Axa à payer à la compagnie AGPM, la somme de 2 045,16 euros correspondant aux honoraires de l'expert qu'elle a mandaté,
-condamner solidairement la société ERDF et son assureur Axa à payer à l'AGPM, la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre aux entiers dépens de l'instance, distraits au profit de Maître Balestas, avocat associé de la SELARL Balestas Grandgonnet Muridi conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile
-rejeter toute demande dirigée à l'encontre de l'AGPM, infondée.
Au soutien de ses demandes, la société AGPM assurances énonce qu'il pèse sur la société ERDF, une obligation de résultat de fournir de l'électricité conforme au voltage courant et que la responsabilité du fournisseur d'électricité est engagée sur le fondement de l'article 1147 du code civil pour inexécution fautive des prestations contractuelles, dès lors qu'il est établi que le matériel de son client a été endommagé suite à une surtension sur le réseau, peu important que ce dysfonctionnement ne soit pas la cause exclusive de l'incendie.
Elle déclare justifier parfaitement de sa subrogation compte-tenu de la preuve des règlements effectués et du fait qu'ils correspondent à la mise en 'uvre de la garantie multirisque habitation souscrite par Madame [C].
Elle réfute toute prescription de son action en affirmant que contrairement à ce que prétendent la société Enedis et la compagnie Axa, le point de départ n'est pas la détermination de la cause du sinistre, mais le jour du paiement subrogatoire.
Elle indique ne pas agir sur le fondement de la responsabilité des produits défectueux mais sur le fondement d'un manquement à une obligation contractuelle dont le délai de prescription est de 5 ans.
A cet égard, elle souligne qu'il a été mis en exergue dans le cadre de l'expertise que la tension distribuée le jour de l'incendie était bien supérieure à 250 volts, et que ce n'est qu'à compter du 21 juillet 2009 qu'elle a eu connaissance des éléments caractérisant la faute contractuelle d'ERDF.
Enfin, elle fait valoir qu'aucun élément ne permet de mettre en cause la chaîne Hi-Fi de son assurée.
Dans leurs conclusions notifiées le 21 février 2022, les sociétés Enedis et Axa demandent à la cour de :
-confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la compagnie AGPM assurances de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée aux dépens de l'instance ;
-constater que la compagnie AGPM assurances ne démontre pas sa qualité de subrogée ;
-dire que la compagnie AGPM assurances n'a ni qualité ni intérêt à agir ;
-en conséquence, déclarer son action irrecevable et rejeter le recours de la compagnie AGPM assurances.
A titre subsidiaire,
-déclarer l'action de la compagnie AGPM assurances prescrite ;
-rejeter l'action en responsabilité contre la société Enedis (anciennement ERDF) dès lors qu'elle est mal fondée ;
-dire que la compagnie AGPM assurances ne démontre pas que la société Enedis (anciennement ERDF) est responsable du préjudice dont elle demande réparation ;
-rejeter les demandes d'indemnisation formée par la compagnie AGPM assurances ;
-condamner la compagnie AGPM assurances à payer aux intimées une somme de 4.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la même aux entiers dépens de procédure ;
-dire que les dépens seront distraits au profit de la SCP Dünner Carret Duchatel Escallier et l'autoriser à recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont elle a fait l'avance, sans avoir reçu provision conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Les intimées énoncent que la société AGPM assurances ne rapporte pas la preuve de l'existence d'une subrogation au motif que le contrat d'assurance versé aux débats n'est pas signé par l'assurée, et que les indemnités ont été versées, faute de quittance subrogative.
En outre, elles énoncent que l'action est prescrite puisqu'aux termes du régime applicable, à savoir la responsabilité du fait des produits défectueux et sachant que le point de départ de la prescription est le jour du sinistre soit le 05 avril 2009, l'action en indemnisation du préjudice consécutif à l'incendie est prescrite à l'encontre d'Enedis depuis le 06 avril 2012 et au plus tard le 13 mai 2012.
A supposer l'application de l'ancien article 1147 du code civil, elles considèrent que l'action est néanmoins prescrite depuis le 6 avril 2014.
Au fond, elles énoncent que la responsabilité est limitée aux seuls dommages électriques et qu'il ressort du procès-verbal amiable que c'est un appareil électrique qui a pris feu et qui a communiqué l'incendie et non un ouvrage Enedis, qu'aucune investigation n'a été menée sur la chaîne Hi-Fi litigieuse.
Elles font valoir qu'il est impossible qu'une surtension faible, inférieure à 400 volts, dégénère en incendie si les matériels sont correctement dimensionnés et que la rupture du neutre est un phénomène prévisible qui n'est pas susceptible en soi de provoquer un incendie.
La clôture a été prononcée le 19 janvier 2022.
MOTIFS
Sur l'intérêt à agir de la société AGPM assurances
Il ressort de la procédure que la société AGPM assurances a communiqué un contrat d'habitation en date du 3 novembre 2002, signé par Mme [C].
Même s'il ne saurait utilement être soutenu que les conditions générales éditées en 2002 et avec la mention 'spécifique gendarmerie' concernent des personnes autres que des militaires de la gendarmerie, en tout état de cause, la preuve est rapportée qu'un contrat a bien été souscrit par Mme [C].
S'agissant des paiements, la société AGPM assurances verse aux débats deux courriers en date des 6 août 2009 et 22 janvier 2010. Sur ces courriers figurent le numéro de chèque ainsi que le montant.
Même si la copie des chèques aurait aisément pu être fournie, puisque les établissements bancaires les conservent durant dix ans, en tout état de cause,la société AGPM assurances fournit également des copies d'écran d'où il résulte que les deux chèques, dont le numéro figure, ont été encaissés les 12 août 2009 et 1er février 2010, avec des montants correspondant exactement à ceux mentionnés dans le courrier.
La société AGPM assurances rapporte donc la preuve qu'elle est bien subrogée dans les droits de son assurée, le jugement sera infirmé.
Sur la prescription
Il résulte des anciens articles 1250 et suivants du code civil, applicables lors des faits, que celui qui est subrogé dans les droits de la victime d'un dommage ne dispose que des actions bénéficiant à celle-ci, de sorte que son action contre le responsable est soumise à la prescription applicable à l'action directe de la victime (Cass 2 février 2022, n°RG 20-10855).
Aux termes de l'ancien article 1386-3 devenu 1245-2 du code civil, est un produit tout bien meuble, même s'il est incorporé dans un immeuble, y compris les produits du sol, de l'élevage, de la chasse et de la pêche. L'électricité est considérée comme un produit.
Selon l'ancien article 1386-4, le produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s'attendre.
Selon l'article 1386-7, le vendeur, le loueur, à l'exception du crédit-bailleur ou du loueur assimilable au crédit-bailleur, ou tout autre fournisseur professionnel est responsable du défaut de sécurité du produit dans les mêmes conditions que le producteur.
Selon l'ancien article 1386-17, l'action en réparation fondée sur les dispositions du présent titre se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur.
Le régime est d'application exclusive et la recherche de la responsabilité du fournisseur d'électricité sur le terrain du droit commun ne peut être envisagée qu'à condition de démontrer une faute distincte du défaut de sécurité du produit lui-même, ce qui n'est pas invoqué en l'espèce.
C'est donc sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux que l'action devait être intentée.
En l'espèce, l'origine du dommage a été connue le 13 mai 2009 lorsque l'expert s'est déplacé au domicile de Mme [C] et au plus tard le jour de la réception du rapport le 21 juillet 2009, rapport dans lequel les observations écrites étaient consignées.
L'assignation aurait donc dû être délivrée au plus tard le 21 juillet 2012, or elle n'a été délivrée que les 15 et 16 juillet 2014.
L'action est donc prescrite.
La société AGPM asurances qui succombe à l'instance sera condamnée aux dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement et contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Infirme le jugement déféré ;
et statuant de nouveau ;
Dit que la société AGPM assurances est subrogée dans les droits de Mme [C] ;
Déclare irrecevable l'action de la société AGPM assurances ;
Dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
Condamne la société AGPM assurances aux dépens.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Arrêt signé par Mme Emmanuèle Cardona, Présidente de la deuxième chambre civile et par la Greffière,Caroline Bertolo, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIERELA PRESIDENTE