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12/05/2022 | FRANCE | N°20/01278

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Ch. sociale -section b, 12 mai 2022, 20/01278


C2



N° RG 20/01278



N° Portalis DBVM-V-B7E-KM2W



N° Minute :













































































Copie exécutoire délivrée le :





la SELARL L. LIGAS-RAYMOND - JB PETIT



Me Clémence GUERRY





AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS>


COUR D'APPEL DE GRENOBLE



Ch. Sociale -Section B

ARRÊT DU JEUDI 12 MAI 2022





Appel d'une décision (N° RG 17/00318)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRENOBLE

en date du 18 février 2020

suivant déclaration d'appel du 16 mars 2020





APPELANTE :



SARL BOWLING ECHIROLLES, prise en la personne de son représentant légal en exercice d...

C2

N° RG 20/01278

N° Portalis DBVM-V-B7E-KM2W

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée le :

la SELARL L. LIGAS-RAYMOND - JB PETIT

Me Clémence GUERRY

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

Ch. Sociale -Section B

ARRÊT DU JEUDI 12 MAI 2022

Appel d'une décision (N° RG 17/00318)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRENOBLE

en date du 18 février 2020

suivant déclaration d'appel du 16 mars 2020

APPELANTE :

SARL BOWLING ECHIROLLES, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

19 avenue de Grugliasco

38130 ECHIROLLES

représentée par Me Laurence LIGAS de la SELARL L. LIGAS-RAYMOND - JB PETIT, avocat postulant au barreau de GRENOBLE,

et par Me Caroline AUTRET, avocat plaidant au barreau de NANTES

INTIMEE :

Madame [M] [G]

née le 10 octobre 1987 à ECHIROLLES (38130)

de nationalité Française

41C avenue Marcelin Berthelot

38100 GRENOBLE

représentée par Me Clémence GUERRY, avocat au barreau de GRENOBLE

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Blandine FRESSARD, Présidente,

M. Frédéric BLANC, Conseiller,

Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère,

Assistés lors des débats de M. Fabien OEUVRAY, Greffier,

DÉBATS :

A l'audience publique du 02 mars 2022,

Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère, chargée du rapport,

Les avocats ont été entendus en leurs observations.

Et l'affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l'arrêt a été rendu.

EXPOSE DU LITIGE

Mme [M] [G], née le 10 octobre 1987, a commencé à travailler au sein de la société BOWLING D'ECHIROLLES le 29 septembre 2007 en qualité de serveuse-hôtesse dans le cadre de contrats 'd'extras' successifs.

Le 1er juillet 2011 elle était engagée par la société BOWLING D'ECHIROLLES suivant contrat de travail à durée indéterminée en qualité de serveuse-hôtesse.

Selon avenant du 18 mars 2013, elle était embauchée aux fonctions d'employée administrative, niveau III, échelon I de la convention collective des hôtels-cafés-restaurants.

Le 4 novembre 2015, à l'issue d'un examen par le médecin du travail, Mme [M] [G] a été déclarée apte à exercer ses fonctions au sein de la société BOWLING D'ECHIROLLES.

Le 10 novembre 2015 Mme [M] [G] a été placée en arrêt de travail pour maladie.

Lors de la visite médicale de reprise du 19 janvier 2016, Mme'[M]'[G] a été déclarée inapte à son poste, le médecin du travail précisant : «'Inapte à tout poste dans le contexte organisationnel et hiérarchique actuel de l'entreprise. Donc inapte à son poste. Serait à reclasser dans un autre contexte, quel que soit le poste, par exemple dans une autre entreprise'».

A l'issue de la seconde visite du 4 février 2016 après étude de poste, le médecin du travail a rendu un avis d'inaptitude définitif.

Par courrier recommandé du 22 février 2016, la société BOWLING D'ECHIROLLES a convoqué Mme [M] [G] à un entretien préalable en vue de son licenciement pour inaptitude.

Le 4 mars 2016, Mme [M] [G] a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Au dernier état des relations contractuelles, Mme [M] [G] percevait un salaire mensuel brut de 1 963,44 euros.

Contestant son licenciement, Mme [M] [G] a saisi le conseil de prud'hommes de Grenoble le 19 avril 2017, aux fins d'obtenir notamment le paiement d'heures supplémentaires et le prononcé de la nullité du licenciement.

Suivant jugement en date du 18 février 2020, le conseil de prud'hommes de Grenoble a :

DIT que Mme [M] [G] n'a pas été victime de harcèlement moral,

DIT que l'EURL BOWLING D'ECHIROLLES a manqué à son obligation de loyauté,

DIT que le licenciement pour inaptitude de Mme [M] [G] est intervenu sans cause réelle et sérieuse

CONDAMNE l'EURL BOWLING ECHROLLES à payer à Mme [M] [G] les sommes suivantes':

- 3 926,88 euros brut à titre d'indemnité de préavis,

- 392,68 euros brut à titre de congés payés afférents,

- 3 680,18 euros brut à titre d'heures supplémentaires,

- 16 000,00 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 4 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail

-1 200,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Lesdites sommes avec intérêts de droit à compter du prononcé du présent jugement

RAPPELLE que les sommes à caractère salarial bénéficient de l'exécution provisoire de droit, nonobstant appel et sans caution en application de l'article R 1454-28 du code du travail dans la limite de 9 mois de salaire, la moyenne mensuelle brute des trois derniers mois de salaire étant de 1 963,44 euros.

DÉBOUTE l'EURL BOWLING D'ECHIROLLES de sa demande reconventionnelle,

CONDAMNE l'EURL BOWLING D'ECHIROLLES aux dépens.

La décision rendue a été notifiée par lettre recommandée avec accusé de réception signé le'19'février 2020 par la société BOWLING D'ECHIROLLES. La lettre recommandée avec accusé de réception envoyée à Mme [M] [G] a été retourné avec la mention «'destinataire inconnu à l'adresse'».

La société BOWLING D'ECHIROLLES en a relevé appel par déclaration de son conseil au greffe de la présente juridiction le 16 mars 2020.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 15 juin 2020, la société'BOWLING D'ECHIROLLES SARL sollicite de la cour de':

Juger que Mme [G] n'a été victime d'aucune situation de harcèlement moral, ni même d'une exécution déloyale de son contrat de travail de la part de la société BOWLING d'ECHIROLLES ;

Juger qu'il n'existe aucun lien entre le licenciement pour inaptitude de Mme [G] et le prétendu comportement déloyal de la société Bowling d'Echirolles,

En conséquence, infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Grenoble et dire et juger que le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement de Mme [G] est bien fondé

Débouter Mme [G] de l'ensemble de ses demandes y afférentes ;

Confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a jugé irrecevable la demande de rappel de salaire correspondant aux heures supplémentaires réclamées par Mme [G] et antérieures au'19'avril 2014, soit la somme de 2.402,26 euros (congés payés inclus) ou, à tout le moins,'2.264,58 euros (congés payés inclus) ;

Débouter Mme [G] de sa demande de rappel de salaire correspondant aux heures supplémentaires effectuées après le 19 avril 2014 ;

Subsidiairement, limiter le montant des heures supplémentaires non prescrites à la somme de'608,83 euros et 60,88 euros de congés payés afférents ou encore, à titre infiniment subsidiaire, à la somme de 2.693,60 euros et 269,36 euros de congés payés afférents ;

Condamner Mme [G] à verser à la société BOWLING D'ECHIROLLES la somme de'3'000'euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 12 septembre 2020, Mme'[M] [G] sollicite de la cour de':

A titre principal

Réformer le jugement dont appel en ce qu'il a écarté le harcèlement moral.

Dire et juger que l'inaptitude de Mme [G] à reprendre son poste de travail est consécutive au harcèlement moral dont elle a été victime de la part de son employeur.

Dire et juger que la rupture de son contrat de travail produit les effets d'un licenciement nul.

En conséquence et statuant à nouveau, condamner la société BOWLING D'ECHIROLLES à payer à Mme [G] :

- 10 000 euros net à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral.

- 25 000 euros net au titre de l'indemnité pour le licenciement nul ;

- 3 926,88 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis

- 392,68 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis.

A titre subsidiaire, si par extraordinaire le harcèlement moral n'était pas reconnu :

Confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes le 18 février 2020 en ce qu'il a jugé que l'inaptitude de Mme [G] à reprendre son poste de travail est consécutive à l'exécution déloyale du contrat de travail par son employeur.

Dire et juger sans cause réelle et sérieuse le licenciement dont a fait l'objet Mme [G].

Condamner la société BOWLING D'ECHIROLLES à payer à Mme [G] :

- 10 000 euros net à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;

- 25 000 euros net au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 3 926,88 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis

- 392,68 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis.

En tout état de cause

Réformer le jugement rendu le 18 février 2020 par le conseil de prud'hommes en ce qu'il a jugé irrecevables comme prescrites les demandes de rappels de salaires de Mme [G] au titre des heures supplémentaires effectuées avant le 19 avril 2014.

Confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a jugé bien fondées les demandes de rappels d'heures supplémentaires formées par Mme [G].

Condamner la société BOWLING D'ECHIROLLES à payer à Mme [G] la somme de'5'944,76 euros brut au titre des heures supplémentaires non payées.

Condamner la société BOWLING D'ECHIROLLES à payer à Mme [G] la somme de'3'000'euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens distraits au profit de Maître Clémence GUERRY.

Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l'article'455 du code de procédure civile de se reporter à leurs écritures susvisées.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 27 janvier 2022 et l'affaire fixée pour être plaidée à l'audience du 2 mars 2022 et mise en délibéré au 12 mai 2022.

MOTIFS DE L'ARRÊT

1 ' Sur les heures supplémentaires

Aux termes de l'article L. 3245-1 du code du travail l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.

Au cas d'espèce, Mme [M] [G], qui a saisi la juridiction prud'homale par requête déposée au greffe le 19 avril 2017, sollicite paiement d'heures supplémentaires effectuées entre'le 18 mars 2013 et le 8 novembre 2015'en exécution du contrat dont la rupture lui était notifiée le 4 mars 2016.

Elle a, ainsi, saisi la juridiction dans le délai légal de trois ans suivant la date de la rupture du contrat.

Même s'il s'agit du paiement d'heures de travail antérieures de plus de trois années avant la saisine de la juridiction, par application des dispositions précitées, la demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat sans être atteinte par la prescription.

L'article L.'3121-27 du code du travail dispose que la durée légale de travail effective des salariés à temps complet est fixée à trente-cinq heures par semaine.

Selon l'article L.'3121-28 du même code, toute heure accomplie au-delà de la durée légale hebdomadaire ou de la durée considérée comme équivalente est une heure supplémentaire qui ouvre droit à une majoration salariale ou, le cas échéant, à un repos compensateur équivalent.

Aux termes combinés des articles L.'3121-29 et L.'3121-35 du code du travail, les heures supplémentaires se décomptent par semaine, celle-ci débutant le lundi à 0 heure et se terminant le dimanche à 24 heures.

Et l'article L.'3171-4 du code du travail dispose qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

Il appartient à la juridiction de vérifier si les heures supplémentaires revendiquées ont été rendues nécessaires par le travail confié au salarié, l'opposition à l'exécution de celle-ci de l'employeur se trouvant alors indifférente.

Le salarié peut revendiquer le paiement d'heures supplémentaires à raison de l'accord tacite de l'employeur.

Cet accord tacite peut résulter de la connaissance par l'employeur de la réalisation d'heures supplémentaires par le biais de fiche de pointage et l'absence d'opposition de l'employeur à la réalisation de ces heures.

Au cas d'espèce, la salariée produit l'édition de la badgeuse, sur la période du 18 mars 2013 au'10'novembre 2015, détaillant les heures d'arrivée et de départ enregistrés quotidiennement et chiffrant les totaux d'heures de travail effectuées par jour et par semaine.

Elle produit également un décompte des heures supplémentaires effectuées non rémunérées établi sur la base de ces relevés de badgeuse, représentant un total de 1 532,20 euros en 2013, 2'252,35'euros en 2014, et 1 619,78 euros en 2015.

Ces éléments sont donc suffisamment précis quant aux heures non rémunérées que la salariée prétend avoir accomplies pour permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

En réponse, la société BOWLING D'ECHIROLLES, qui soutient que la salariée a été remplie de ses droits, produit d'autres décomptes, établis par elle-même, dénués de valeur probante.

D'une première part, c'est pas un moyen inopérant que l'employeur prétend que la salariée a outrepassé la durée contractuelle de travail de sa seule initiative alors que ce temps de travail a été à tout le moins exécuté avec l'accord implicite de la société, qui disposant d'un moyen de contrôle du temps de travail des salariés avec les relevés de badge, ne justifie pas avoir fait de remarques à Mme [M] [G] sur son temps de travail, la nécessité de respecter ses horaires contractuels, sa lenteur à exécuter les tâches confiées, voir même sur ses oublis de badger.

D'une seconde part, c'est par un moyen inopérant que l'employeur conteste les relevés de badge en ce qu'ils omettraient la déduction des temps de pause, alors qu'il lui appartient de justifier des temps repos de la salariée.

D'une troisième part, l'employeur ne présente aucun élément précis pour établir que les horaires enregistrés par la badgeuse diffèrent des heures de travail effectivement réalisées par Mme'[M] [G].

D'une quatrième part, il ne ressort ni des relevés de la badgeuse ni des décomptes de la salariée que celle-ci aurait mis en compte des heures de travail pendant des jours fériés ou des jours de congés payés au cours de l'année 2014.

Au vu de ces éléments, la cour évalue que les heures supplémentaires non rémunérées revendiquées par la salariée lui sont dues.

Par infirmation du jugement déféré, la société BOWLING D'ECHIROLLES est condamnée à payer à Mme [M] [G] la somme de'5'404,33 euros bruts au titre des heures supplémentaires non payées (1 532,20 + 2'252,35'+ 1 619,78), outre 540,43 euros au titre des congés payés afférents.

2 ' Sur le harcèlement moral

L'article L.1152-1 du code du travail énonce qu'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L.1152-2 du même code dispose qu'aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir les agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

L'article L. 1152-4 du code du travail précise que l'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.

Sont considérés comme harcèlement moral notamment des pratiques persécutrices, des attitudes et/ou des propos dégradants, des pratiques punitives, notamment des sanctions disciplinaires injustifiées, des retraits de fonction, des humiliations et des attributions de tâches sans rapport avec le poste.

La définition du harcèlement moral a été affinée en y incluant certaines méthodes de gestion en ce que peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de gestion mises en 'uvre par un supérieur hiérarchique lorsqu'elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d'entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits, à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Le harcèlement moral est sanctionné même en l'absence de tout élément intentionnel.

Le harcèlement peut émaner de l'employeur lui-même ou d'un autre salarié de l'entreprise.

Il n'est, en outre, pas nécessaire que le préjudice se réalise. Il suffit pour le juge de constater la possibilité d'une dégradation de la situation du salarié. A ce titre, il doit être pris en compte non seulement les avis du médecin du travail mais également ceux du médecin traitant du salarié.

L'article L 1154-1 du code du travail dans sa rédaction postérieure à la loi n°2016-1088 du'8'août 2016 est relatif à la charge de la preuve du harcèlement moral :

«'En cas de litige relatif à l'application des articles L 1151-1 à L 1152-3 et L 1152-3 à L 1152-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des éléments de faits qui permettent de supposer l'existence d'un harcèlement moral l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.'».

La seule obligation du salarié est d'établir la matérialité des faits précis et concordants, à charge pour le juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble et non considérés isolément, permettent de supposer l'existence d'un harcèlement, le juge ne pouvant se fonder uniquement sur l'état de santé du salarié mais devant pour autant le prendre en considération.

Au cas d'espèce, Mme [M] [G] avance, comme faits qui permettent de supposer l'existence d'un harcèlement moral, une surcharge de travail subie à compter de mars 2013 ainsi que des pressions morales exercées par son supérieur hiérarchique.

En premier lieu, au titre des presssions morales subies, Mme [M] [G] produit uniquement un SMS de son supérieur qui répond «'Arrêtés de penser'» suite à un message d'excuse de la salariée indiquant': «'je n'y ai pas pensé excusez moi'». Un tel message ne présente pas une teneur caractérisant des pressions morales tel qu'allégué par la salariée.

En second lieu, il est acquis que Mme [M] [G], embauchée en qualité d'employée de service administratif à compter du 18 mars 2013, travaillait en support de Mme'[R]'[A] embauchée au poste de secrétaire de direction. Or, il ressort d'un avenant du'1er avril'2014 que Mme [R] [A] a bénéficié d'une réduction de son temps de travail de 41,50 heures hebdomadaires à 16 heures hebdomadaires dans le cadre d'une admission progressive à la retraite. En l'absence de réorganisation des tâches ou de recrutement complémentaire, ces circonstances attestent d'un transfert des tâches assurées par la secrétaire de direction sur le poste de Mme [M] [G].

Aussi, Mme [M] [G] produit deux témoignages qui évoquent une surcharge de travail. Ainsi Mme [N] [Z], en qualité de manager, atteste': «'A la prise de poste M.'[K] lui a confier le service paies des 4 bowlings, en plus de la RH des 4 Bowlings et la comptabilité des caisses, du monnayeur, des billards et des jeux du bowling d'Echirolles soit beaucoup plus de travail que prévu, sans pour autant augmenter le nombre d'heures de travail sur la semaine. ['] A la veille de ces départs en vacances, Mlle [G] restait systématiquement jusqu'à 22H30-23H afin d'avancer un maximum son travail pour éviter d'en avoir trop à son retour, elle ne prenait même pas la peine de prendre une pause pour manger, je lui montais moi-même une assiette dans son bureau pour qu'elle puisse grignoter tout en travaillant. ['] Et en plus de sa surcharge de travail, quand Mr [K] m'a retiré tout mon travail, il lui a demandé de gérer les anniversaires et les dossiers séminaires en plus de tout le reste'».

Encore, M. [S] [F], en qualité de collègue technicien, atteste': «'A de très nombreuses reprises [M] s'est refusée à prendre une pause déjeuner mettant en avant une anxiété palpable relative à la crainte de pouvoir terminer son travail à temps et en heure'».

Enfin, l'accomplissement régulier d'heures supplémentaires confirme l'existence d'une surcharge de travail au regard de ses fonctions d'employée administrative.

Toutefois, en l'absence de tout autre élément de fait précis et concordant, la surcharge de travail subie par Mme'[M]'[G] ne suffit pas, par elle-même, à laisser supposer l'existence d'un harcèlement moral.

Les demandes relatives au harcèlement et à la nullité du licenciement doivent, par conséquent, être rejetées, par confirmation du jugement déféré.

3 ' Sur l'obligation de loyauté

Selon l'article L.1222-1 du code du travail, le contrat de travail est exécuté de bonne foi.

Il a été jugé supra que l'employeur a manqué au paiement d'heures supplémentaires conséquentes sur une période de plus de deux ans.

Aussi, Mme [M] [G] a présenté des éléments établissant l'existence d'une surcharge de travail résultant d'un transfert des charges précédemment assurées par la secrétaire de direction.

La société BOWLING D'ECHIROLLES n'allègue, ni a fortiori ne justifie, d'une modification de l'organisation des services en raison du départ à la retraite de Mme [R] [A].

Elle ne prétend ni ne démontre avoir procédé à une modification des missions de la salariée, ni à celle de ses homologues sur d'autres sites, ou à celles des comptables et responsables commerciaux, alors qu'elle s'est trouvée en charge de missions administratives, comptables et commerciales complémentaires.

L'attestation rédigée par Mme'[R] [A] ne précise aucunement l'organisation mise en place dans le cadre de son départ à la retraite.

En conséquence, même s'il s'est révélé progressif, le transfert de tâches sur le poste de Mme'[G], démontre la réalité d'une surcharge de travail subie par la salariée.

Enfin, la cour relève que la salariée ne démontre pas avoir alerté son employeur de la surcharge de travail subie. En effet, les termes du SMS du 25 septembre 2016 ne permettent pas de déterminer la nature des difficultés évoquées': «'Je vous remercie [Y] de m'avoir écoutée, ça m'a vraiment fait du bien de vous voir. Je vais voir comment va se passer la semaine prochaine avec [E]. J'aime mon travail et cette situation m'embête vraiment' Je vous tiendrai au courant.'», aucun autre élément de signalement n'étant présenté par la salariée.

Nonobstant l'absence de preuve de signalements de la salariée, en organisant le départ à la retraite progressif de la secrétaire administrative sans procéder à une réorganisation des services, tout en manquant de rémunérer les heures supplémentaires effectuées par l'employée en charge de tâches supplémentaires, la société BOWLING D'ECHIROLLES a manqué à son obligation d'exécuter le contrat de travail de bonne foi.

Par ailleurs, il résulte des éléments médicaux produits que cette augmentation de la charge de travail est à l'origine au moins partielle, d'une dégradation de l'état de santé de la salariée.

Ainsi, il ressort du dossier du médecin du travail qu'à partir de la visite du 27 octobre 2015 la salariée décrivait une charge de travail trop importante et présentait un état dépressif.

Lors de la visite du 27 octobre 2015, le médecin a relevé': « Charge de travail +++, se donne beaucoup, rôle multiple, nombreuses tâches, espérait promotion mais cela lui a été refusé. Mauvais vécu de son travail , déçue par le manque de reconnaissance, pleure pendant l'entretien, semble dépressive. Réadressée par l'infirmière par le médecin du travail en raison de son état de santé dégradé».

Le 4 novembre 2015, le médecin du travail a écrit : « Visite à la demande de l'infirmière. Selon salariée : Charge de travail très excessive': «'n'y arrive plus, craque, pression+++, devenu insupportable. [']'».

Ces éléments sont corroborés par l'arrêt de travail initial du 10 novembre 2015 précisant «'souffrance morale au travail'» et les ordonnances du 16 novembre 2015 et 21 décembre 2015 lui prescrivant des anti-dépresseurs.

Enfin, cet état dépressif a été constaté par le docteur [T], médecin psychiatre, le 11'janvier 2016 qui indique : « elle présente ce jour des éléments symptomatiques en faveur d'un syndrome dépressif réactionnel. Dans son discours, elle mentionne des difficultés rencontrées au travail qui ont pu favoriser l'état qu'elle présente ce jour. La patiente bénéficie d'un traitement par fluoxétine 20mg/j et d'un suivi en psychothérapie ».

Cette dégradation de l'état de santé de la salariée caractérise le préjudice subi par la salariée du fait de cette surcharge de travail que la cour évalue à montant de 5'000 euros.

Par infirmation du jugement déféré, la société BOWLING D'ECHIROLLES est donc condamnée au paiement de la somme de 5'000 euros nets de dommages et intérêts au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail.

4 ' Sur la contestation du licenciement

Il a été précédemment statué que le harcèlement moral ne pouvait être tenu pour établi en sorte qu'il convient de débouter Mme [M] [G] de sa demande de nullité du licenciement et de ses prétentions indemnitaires subséquentes. Compte tenu de l'omission de statuer sur cette demande au dispositif du jugement dont appel, celui-ci devra être infirmé de ce chef.

Aux termes de l'article L. 4624-4 modifié par la loi du 8 août 2016 l'inaptitude médicale du salarié à occuper son poste implique qu'aucune mesure d'aménagement, d'adaptation ou de transformation du poste de travail n'est possible et que l'état de santé du salarié justifie un changement de poste.

Le licenciement pour inaptitude d'un salarié est dépourvu de cause réelle et sérieuse lorsqu'il est démontré que l'inaptitude est consécutive à un manquement préalable de l'employeur qui l'a provoquée.

Il a été jugé que l'employeur a manqué à son obligation d'exécution loyale du contrat de travail au regard de la surcharge de travail imposée à la salariée.

Mme [M] [G] rapporte la preuve suffisante que son inaptitude, décidée par le médecin du travail, à l'issue de la seconde visite du 4 février 2016, motivant son licenciement notifié par la société BOWLING d'ECHIROLLES le 4 mars 2016, est liée à un état dépressif généré, au moins partiellement, par ses conditions de travail.

En effet, il résulte des éléments médicaux, dont certains déjà cités plus haut, qu'elle a été placée en arrêt de travail à compter du 10 novembre 2015 en raison d'une souffrance morale au travail, que son état de santé a fait obstacle à toute reprise du travail, et que l'inaptitude a été prononcée par le médecin du travail à l'issue de cet arrêt ininterrompu, le médecin du travail précisant lors des deux examens du 19 janvier 2016 et du 4 février 2016 «'inapte à tout poste dans le contexte organisationnel et hiérarchique actuel de l'entreprise'».

Dès lors, la cour retient que l'inaptitude constatée par le médecin du travail qui a proposé un reclassement «'quel que soit le poste, dans un autre contexte par exemple dans une autre entreprise'», a été provoquée par le manquement de l'employeur à son obligation de loyauté, ce qui a pour conséquence de priver le licenciement de cause réelle et sérieuse, conformément au jugement déféré.

Confirmant le jugement dont appel, la cour condamne la société BOWLING D'ECHIROLLES à verser à Mme [M] [G] la somme de 3 926,88 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 392,68 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis, l'employeur ne contestant pas le quantum desdites sommes.

L'article L 1235-3 du code du travail, dans ses versions postérieures au 24 septembre 2017, instaure un barème d'indemnisation des licenciements sans cause réelle et sérieuse en fonction de l'ancienneté du salarié et de son salaire brut. D'après ce barème dont l'application n'est pas contestée, Mme [M] [G] qui justifie d'une ancienneté de huit années dans l'entreprise, peut prétendre à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse comprise entre trois et huit mois de salaire bruts.

Au jour de la rupture, Mme [M] [G], âgée de 28 ans, percevait un salaire mensuel moyen de 1 963,44 euros bruts. Elle ne présente aucun élément justificatif de sa situation professionnelle subséquente à la rupture.

Compte tenu des barèmes précités, par infirmation du jugement déféré, il est alloué à Mme'[M] [G] une indemnité de'15 000 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, le surplus de la demande de ce chef étant rejeté.

5 ' Sur les demandes accessoires

La société BOWLING D'ECHIROLLES, partie perdante à l'instance au sens des dispositions de l'article'696 du code de procédure civile, doit être tenue d'en supporter les entiers dépens de première instance par confirmation du jugement entrepris, outre les dépens d'appel. Elle doit donc être déboutée de sa demande d'indemnisation fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Il serait par ailleurs inéquitable, au regard des circonstances de l'espèce comme des situations économiques des parties, de laisser à la charge de Mme [M] [G] l'intégralité des sommes qu'elle a été contrainte d'exposer en justice pour la défense de ses intérêts, de sorte qu'il convient de confirmer la condamnation de la société BOWLING D'ECHIROLLES à lui verser la somme de'1'200'euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et de la condamner à verser une indemnité complémentaire de 1'500 euros au titre des frais exposés en appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,

CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a':

DIT que Mme [M] [G] n'a pas été victime de harcèlement moral,

DIT que la société BOWLING D'ECHIROLLES SARL a manqué à son obligation de loyauté,

DIT que le licenciement pour inaptitude de Mme [M] [G] est intervenu sans cause réelle et sérieuse

CONDAMNE la société BOWLING D'ECHIROLLES SARL à payer à Mme [M] [G] les sommes suivantes':

- 3 926,88 euros (trois mille neuf cent vingt-six euros et quatre-vingt-huit centimes) bruts à titre d'indemnité de préavis,

- 392,68 euros (trois cent quatre-vingt-douze euros et soixante-huit centimes) bruts à titre de congés payés afférents,

- 1 200 euros (mille deux cents euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Lesdites sommes avec intérêts de droit à compter du prononcé du présent jugement

DÉBOUTE la société BOWLING D'ECHIROLLES SARL de sa demande reconventionnelle, CONDAMNE la société BOWLING D'ECHIROLLES SARL aux dépens.

INFIRME le jugement pour le surplus,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

DEBOUTE Mme [M] [G] de sa demande de nullité du licenciement';

CONDAMNE la société BOWLING D'ECHIROLLES SARL à payer à Mme [M] [G] les sommes suivantes':

- 5'404,33 euros (cinq mille quatre cent quatre euros et trente-trois centimes) bruts au titre des heures supplémentaires

- 540,43 euros (cinq cent quarante euros et quarante-trois centimes) au titre des congés payés afférents

- 5 000 euros (cinq mille euros) nets à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail

- 15 000 euros (quinze mille euros) nets à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

DEBOUTE Mme [M] [G] du surplus de ses prétentions financières';

REJETTE la demande d'indemnité de frais de procédure de la société BOWLING D'ECHIROLLES SARL';

CONDAMNE la société BOWLING D'ECHIROLLES SARL à payer à Mme [M] [G] une indemnité complémentaire de 1'500 euros (mille cinq cents euros) au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile';

CONDAMNE la société BOWLING D'ECHIROLLES SARL aux entiers dépens d'appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Mme Blandine FRESSARD, Présidente et par Mme Carole COLAS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Ch. sociale -section b
Numéro d'arrêt : 20/01278
Date de la décision : 12/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-12;20.01278 ?
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