N° RG 21/01455 - N° Portalis DBVM-V-B7F-KZT5
C9
N° Minute :
Copie Exécutoire délivrée
le :
à
la SELARL ALÉXO AVOCATS
la SCP MICHEL BENICHOU MARIE-BÉNÉDICTE PARA LAURENCE TRIQUET-DUMOUL IN THIBAULT LORIN - AVOCATS ASSOCIES
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE DES AFFAIRES FAMILIALES
ARRET DU MARDI 10 MAI 2022
APPEL
jugement au fond, origine tribunal judiciaire de Vienne, décision attaquée en date du 10 décembre 2020, enregistrée sous le n° 19/00897 suivant déclaration d'appel du 25 mars 2021.
APPELANTE :
Mme [O] [N]
née le 24 Février 1961 à Tignieu Jameyzieu
de nationalité Française
8 Quartier des Bruyères
38230 CHAVANOZ
représentée et plaidant par Me Simon PANTEL de la SELARL ALÉXO AVOCATS, avocat au barreau de GRENOBLE
INTIME :
M. [S] [D]
né le 14 Septembre 1936 à CHARVIEU
de nationalité Française
67 Impasse des Praires
30240 LE GRAU DU ROI
représenté par Me Marie-bénédicte PARA de la SCP MICHEL BENICHOU MARIE-BÉNÉDICTE PARA LAURENCE TRIQUET-DUMOUL IN THIBAULT LORIN - AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de GRENOBLE, postulant,
et plaidant par Me Julie CASTOR, avocat au barreau de NIMES
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats et du délibéré :
Mme Anne BARRUOL, Présidente,
Mme Martine RIVIERE, Conseillère,
Mme Anne-Laure PLISKINE, Conseiller,
Assistées lors des débats de Mme Abla AMARI, Greffière.
DEBATS :
A l'audience publique du 08 février 2022, Mme Martine Rivière, conseillère, a été entendue en son rapport. Les avocats ont été entendus en leurs conclusions et plaidoiries, puis l'affaire a été mise en délibéré pour l'arrêt être rendu à l'audience de ce jour.
EXPOSÉ DU LITIGE
Suivant acte authentique reçu le 17 octobre 1994 par Maître [W], notaire à la Cote Saint-André, M. [S] [D] a fait donation, par préciput et hors part, à sa fille Mme [O] [D] épouse [N], de la pleine propriété d'une maison d'habitation avec terrain attenant situé lieu-dit « Muitron '' sur la commune de Chavanoz, le tout cadastré AN 212, avec interdiction du donateur à la donataire, qui l'a acceptée, de vendre, aliéner ou hypothéquer tout ou partie du bien donné sa vie durant, sans son autorisation.
Par jugement en date du 5 septembre 2017, le tribunal d'instance de Vienne, statuant en matière de surendettement, a rééchelonné l'ensemble des dettes de M. [Z] [N] et Mme [O] [D] au taux de 0 % sur 24 mois et ordonné, que durant ce délai, ces derniers mettront tout en 'uvre afin de vendre leur bien immobilier, le produit de la vente servant à désintéresser leurs créanciers, ledit jugement visant dans ses motifs les dispositions de l'article 900-1 alinéa 1 du code civil qui ouvre le droit aux donataires à saisir la juridiction compétente afin d'être autorisés à disposer du bien si l'intérêt qui avait justifié la clause a disparu ou s'il advient qu'un intérêt plus important l'exige.
Suivant courrier recommandé en date du 29 septembre 2017, le conseil de M. [Z] [N] et Mme [O] [D] a sollicité de M. [D] qu'il autorise par écrit sa fille à vendre l'immeuble objet de la donation.
À défaut de réponse, par acte d'huissier délivré le 28 mai 2019, Mme [D] a fait assigner son père M. [D] devant le tribunal de grande instance de Vienne aux fins, sur le fondement à titre principal de l'article 900-1 du code civil et à titre subsidiaire de l'article 900-2 du même code, d'être autorisée à disposer seule de l'immeuble objet de la donation, et en tout état de cause de condamnation du défendeur à lui verser la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement contradictoire en date du 10 décembre 2020, le tribunal judiciaire de Vienne a principalement :
- rejeté la demande de Mme [D] aux fins d'être autorisée à vendre l'immeuble qu'elle a reçu de M. [D] suivant acte de donation en date du17 octobre 1994 ;
- déclaré irrecevable la demande de Mme [D] aux fins de révision des conditions et charges de la donation qui lui a été consentie le 17 octobre 1994 par M. [D] ;
- condamné Mme [D] aux entiers dépens.
Le 25 mars 2021, Mme [N] a interjeté appel du jugement rendu le 10 décembre 2020, en chacune de ses dispositions.
Par conclusions notifiées le 11 janvier 2022, Mme [O] [D] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau,
- ordonner la main levée de la clause d'inaliénabilité contenue dans l'acte de donation du 17 octobre 1994 ;
- condamner M. [D] aux entiers dépens de première instance ;
- confirmer le jugement entrepris pour le surplus ;
- condamner M. [D] à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner M. [D] aux entiers dépens d'appel.
Par conclusions notifiées le 23 juillet 2021, M. [D] demande à la cour de :
- déclarer recevable mais mal fondé l'appel interjeté par Mme [N] ;
- confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions ;
- débouter en conséquence Mme [N] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
y ajoutant
- condamner Mme [N] à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner Mme [N] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est expressément renvoyé, par application de l'article 455 du code de procédure civile, aux conclusions susvisées.
MOTIFS DE LA D''CISION
Sur la recevabilité de la demande de Mme [D] de révision des conditions et charges de la donation sur le fondement de l'article 900-2 du code civil :
Vu l'article 954 du code de procédure civile ;
Mme [O] [D] qui a interjeté appel du jugement en ce qu'il déclaré irrecevable sa demande aux fins de révision des conditions et charges de la donation qui lui a été consentie le 17 octobre 1994 par M. [D], ne présente aucune prétention sur cette question dans ses conclusions, de sorte qu'il convient de confirmer le jugement déféré sur ce point.
Sur la main levée de la clause d'inaliénabilité contenue dans l'acte de donation du 17 octobre 1994 :
L'alinéa premier de l'article 900-1 du code civil dispose que : « Les clauses d'inaliénabilité affectant un bien donné ou légué ne sont valables que si elles sont temporaires et justifiées par un intérêt sérieux et légitime. Même dans ce cas, le donataire ou le légataire peut être judiciairement autorisé à disposer du bien si l'intérêt qui avait justifié la clause a disparu ou s'il advient qu'un intérêt plus important l'exige. »
Mme [O] [D] demande l'infirmation du jugement entrepris, sollicitant la main levée de la clause d'inaliénabilité contenue dans l'acte de donation du 17 octobre 1994.
Elle conteste l'intérêt sérieux et légitime de la clause d'inaliénabilité qui n'a pas pour effet d'assurer l'effectivité de la clause de non retour stipulée en l'absence d'enfant ou de descendant, cette dernière clause étant privée d'effet dès la rédaction de l'acte de donation dès lors que la donataire avait une fille née le 16 juillet 1985. Elle conteste l'affirmation adverse selon laquelle l'intérêt de la clause d'inaliénabilité serait de maintenir le bien objet de la donation dans la famille, dès lors que cette clause ne court que durant la vie du donateur et n'aura plus d'effet après le décès de M. [D]. Elle estime que cette clause a été insérée de manière classique pour assurer l'effectivité du droit de retour, de sorte qu'elle n'a jamais eu d'intérêt réel.
Elle fait valoir qu'il appartient au juge d'apprécier concrètement les intérêts en cause au sens de l'article 900-1 du code civil, précisant qu'il a été jugé que l'intérêt patrimonial du débiteur à payer ses créanciers peut être supérieur à l'intérêt familial et moral de conserver le bien dans la famille. Elle fait état des difficultés financières des époux, M. [N] étant à la retraite et elle-même en invalidité, ce qui fait qu'ils ne sont pas en mesure de régler un endettement conséquent de 326 132 euros qui a justifié la mise en oeuvre de deux plans successifs de surendettement. Elle estime avérée la nécessité de vendre le bien pour lui permettre d'apurer ses dettes et payer ses créanciers dans le délai imposé par la procédure de surendettement. Selon elle, son intérêt économique est plus important que la volonté de M. [D] de conserver le bien au sein de la famille.
Enfin, en réponse à l'argumentation adverse, elle indique que sa demande n'est pas fondée sur les dispositions de l'article 900-2 du code civil, contrairement aux allégations de l'intimé.
M. [D] conclut à la confirmation du jugement dont appel. Il expose que l'intérêt principal de la clause d'inaliénabilité insérée dans l'acte de donation était de conserver le bien dans la famille s'agissant d'un bien familial détenu depuis des générations, lui-même l'ayant reçu en donation de ses parents le 20 décembre 1958. Il fait valoir qu'il a consenti une donation du bien familial à sa fille unique pour le conserver au sein de la famille et non pour solder des dettes contractées par les deux époux [N].
Il soutient que la demande de Mme [D] s'apparente à une action en révision des conditions et charges de la donation fondée sur les dispositions de l'article 900-2 du code civil, cette demande étant irrecevable et infondée du vivant du donateur.
Compte tenu du caractère familial du bien immobilier objet de la donation, non contredit par Mme [D], l'intérêt principal de la clause d'inaliénabilité insérée dans l'acte de donation était de permettre à M. [D] de transmettre ce bien hérité de ses parents à sa propre fille en s'assurant de son maintien dans la famille jusqu'à son décès. L'intérêt sérieux et légitime ayant justifié la stipulation de cette clause d'inaliénabilité est donc avéré, indépendamment de l'ineffectivité de la clause de non retour également présente dans l'acte de donation de 1994.
Cet intérêt subsiste à ce jour et la situation de surendettement de l'appelante, dont il n'est pas contesté qu'elle a souscrit avec son époux de nombreux crédits à la consommation, ne justifie pas d'ordonner la main levée de la clause litigieuse. L'intérêt financier de Mme [D] de régler une partie de son endettement n'est pas plus important que l'intérêt de conserver le bien donné dans la famille.
Dans ces conditions, c'est à juste titre que le premier juge a rejeté la demande de Mme [D] et le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.
Sur l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :
Mme [D] sera condamnée à payer à M. [D] la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme le jugement rendu le 10 décembre 2020 par le tribunal judiciaire de Vienne en toutes ses dispositions frappées d'appel,
Y ajoutant,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Condamne Mme [O] [D] à payer à M. [S] [D] la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne Mme [O] [D] à supporter les dépens d'appel.
PRONONCÉ par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile .
SIGNÉ par la présidente, Anne Barruol, et par la greffière, Abla Amari, à laquelle la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.
La greffière La Présidente
A. AMARI A. BARRUOL