N° RG 22/00031 - N° Portalis DBVM-V-B7G-LI5N
N° Minute :
Copies délivrées le
Copie exécutoire
délivrée le
à
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
C O U R D ' A P P E L D E G R E N O B L E
JURIDICTION DU PREMIER PRESIDENT
ORDONNANCE DE REFERE DU 04 MAI 2022
ENTRE :
DEMANDERESSE suivant assignation du 17 mars 2022
Madame Séverine Virginie Maud [U]
née le 06 août 1974 à VOIRON (38500)
4 rue Lanterne
26600 TAIN-L'HERMITAGE
représentée par Me Emmanuelle PHILIPPOT, avocat au barreau de GRENOBLE
ET :
DEFENDEUR
Monsieur [W] [B]
né le 15 décembre 1963 à MONTPELLIER (34000)
1 Ter rue de la Pave
66690 SAINT-ANDRE
représenté par Me Cleo DELON, avocat au barreau de VALENCE
DEBATS : A l'audience publique du 06 avril 2022 tenue par Pascale VERNAY, première présidente, assistée de Marie-Ange BARTHALAY, greffier
ORDONNANCE : contradictoire
prononcée publiquement le 04 MAI 2022 par mise à disposition de l'ordonnance au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile
signée par Pascale VERNAY, première présidente et par Marie-Ange BARTHALAY, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
En 2011, alors qu'ils étaient concubins, M. [B] et Mme [U] ont acquis en indivision une maison au prix de 375.000 euros, financé à hauteur d'un tiers, soit 125.000 euros, par un apport de M. [B], le solde par un prêt de 250.000 euros souscrit par les deux parties, remboursable en 15 ans et 9 mois, Mme [U] étant propriétaire du bien à concurrence d'un tiers et M. [B] pour deux tiers.
Suite à la séparation du couple en novembre 2015, la maison a été vendue en décembre 2018 au prix de 340.000 euros, le solde du prêt, de 194.906,40 euros, étant alors remboursé, la somme de 145.093,60 euros étant consignée chez le notaire.
Par acte du 03/07/2020, Mme [U] a assigné M. [B] devant le tribunal judiciaire de Valence aux fins de partage.
Par jugement du 10/11/2021, le tribunal a notamment :
- ordonné la liquidation et le partage de l'indivision existant entre Mme [U] et M. [B] sur la maison indivise ;
- fixé l'indemnité d'occupation due par M. [B] à l'indivision à 35.642 euros ;
- fixé la créance de l'indivision contre M. [B] au titre des fonds saisis chez le notaire à 3.841,72 euros ;
- fixé les créances de M. [B] contre l'indivision à :
* 18.430 euros au titre des frais d'acquisition du bien immobilier
* 98.291 euros au titre des mensualités du crédit immobilier qu'il a payé seul de février 2011 à octobre 2015 ;
* 19.785,06 euros au titre des mensualités du prêt immobilier qu'il a payé seul de novembre 2015 au 10/10/2017 ;
* 4.214 euros au titre des taxes foncières de 2015 à 2018 ;
* 560 euros au titre de l'assurance du prêt immobilier ;
- constaté que l'actif net est de 43.297,26 euros ;
- dit que Mme [U] a droit sur l'actif net à un tiers de sa valeur, soit 14.432,42 euros, et M. [B] aux deux tiers, soit 28.864,84 euros ;
- ordonné le déblocage de la somme de 145.093,60 euros détenue chez le notaire, la somme de 130.661,18 euros revenant à M. [B] et celle de 14.432,42 euros à Mme [U] ;
- désigné Me [C], notaire, pour établir l'acte de partage sur la base du jugement.
Le 23/12/2021, Mme [U] a interjeté appel de cette décision.
Par acte du 17/03/2022, elle a assigné M. [B] devant la première présidente de la cour d'appel de Grenoble aux fins de suspension de l'exécution provisoire et en paiement de 2.000 euros au titre des frais visés à l'article 700 du code de procédure civile, demandant à titre subsidiaire que les sommes objet de la liquidation soient consignées chez le notaire dans l'attente de l'arrêt à intervenir, et à titre infiniment subsidiaire, que le dossier soit fixé prioritairement devant la cour.
Elle expose en substance que :
- l'indemnité d'occupation a été calculée sur la base d'un taux de rendement de 4,2 % de la valeur du bien alors que le taux habituel retenu est de 4,5 % ;
- la jurisprudence de la Cour de cassation a évolué concernant le financement de l'apport initial opéré par M. [B], en ce que désormais, cet apport s'analyse en une créance personnelle soumise à prescription quinquennale, ce montant ayant été pris en considération pour le calcul des quotes-parts des concubins dans la propriété de la maison ;
- il en va de même pour les mensualités du crédit immobilier, la prescription étant acquise pour celles antérieures au 01/03/2016 ;
- le paiement des mensualités du prêt par M. [B] l'a été dans le cadre de sa contribution aux charges de la vie commune ;
- M. [B] n'apporte pas la preuve du paiement de 23 échéances du prêt à compter de novembre 2015 ;
- la demande relative aux taxes foncières est prescrite ;
- l'exécution de la décision présente un risque de conséquences manifestement excessives, M. [B] n'ayant pas la capacité de rembourser les sommes dues en cas d'infirmation du jugement.
Dans ses conclusions en réponse, M. [B], pour solliciter la rectification du jugement, en raison d'une omission matérielle, conclure au débouté de Mme [U] et réclamer reconventionnellement 2.000 euros au titre des frais visés à l'article 700 du code de procédure civile, réplique que :
- les moyens invoqués par Mme [U] ne peuvent donner lieu à réformation manifeste du jugement ;
- notamment, les créances dont il fait état ne sont pas prescrites ;
- si ses revenus sont modestes, il a pu constituer une épargne ;
- les fonds en cause sont consignés et aucun risque de conséquence manifestement excessive en cas de réformation de la décision n'est démontré ;
- de même, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de consignation ;
- le jugement comporte une erreur matérielle en ce que le tribunal a ordonné dans les motifs de sa décision l'exécution provisoire, mais n'en a pas fait état dans le dispositif.
MOTIFS DE LA DECISION :
- Sur la rectification d'erreur matérielle :
L'exécution provisoire est de droit pour les instances introduites, comme c'est le cas en l'espèce, depuis le 01/01/2020 et il n'était donc pas utile d'en faire état dans le dispositif du jugement, dès lors que le juge n'entend pas la refuser. Il n'y a donc pas d'erreur matérielle. En tout état de cause, la rectification d'une erreur matérielle ne peut être prononcée que par la cour statuant au fond et n'est pas de la compétence du premier président.
- Sur l'arrêt de l'exécution provisoire :
Aux termes de l'article 514-3 du code de procédure civile, 'en cas d'appel, le premier président peut être saisi afin d'arrêter l'exécution provisoire de la décision lorsqu'il existe un moyen sérieux d'annulation ou de réformation et que l'exécution risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives. La demande de la partie qui a comparu en première instance sans faire valoir d'observations sur l'exécution provisoire n'est recevable que si, outre l'existence d'un moyen sérieux d'annulation ou de réformation, l'exécution provisoire risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives qui se sont révélées postérieurement à la décision de première instance'.
* la recevabilité de la demande
Dans ses conclusions récapitulatives du 05/05/2021 déposées devant le tribunal judiciaire de Valence, Mme [U] a demandé que soit ordonnée l'exécution provisoire. Ce faisant, elle a nécessairement formé des observations devant le premier juge, ce qui rend son action en référé recevable.
* l'existence de moyens sérieux de réformation
a) la prescription des créances de M. [B]
La Cour de cassation considère, aux termes d'une jurisprudence bien assise, que les dépenses d'acquisition des biens indivis doivent être traitées comme des dépenses relevant du fonctionnement de l'indivision.
Si l'article 2236 du code civil suspend le cours de la prescription entre époux ou partenaires d'un Pacs, aucune disposition analogue n'existe au profit des concubins, sans qu'ils puissent non plus se prévaloir de l'impossibilité d'agir prévue à l'article 2234, car la réticence à solliciter de son concubin qu'il rembourse sa part ne constitue pas une impossibilité, même morale, d'agir.
En conséquence, dès l'instant qu'il n'y a pas d'impossibilité d'agir en paiement pendant l'indivision, la prescription ne saurait-être être suspendue. Selon la jurisprudence la plus récente (Civ. 3e, 14 avr. 2021, n° 19-21.313), au visa des articles 815-13, 815-17, alinéa 1, et 2224 du code civil," il résulte des deux premiers textes qu'un indivisaire qui a conservé à ses frais un bien indivis peut revendiquer une créance sur l'indivision et être payé par prélèvement sur l'actif indivis, avant le partage », et que « cette créance, immédiatement exigible, se prescrit selon les règles de droit commun édictées par le dernier ».
Dès lors, la prescription d'une partie importante des créances dont fait état M. [B] est susceptible d'être invoquée par Mme [U] devant la cour statuant au fond, (réglement des droits d'enregistrement et des frais notariés de 18.430 euros au moment de l'acquisition du bien et mensualités réglées avant le 01/03/2016), la demande de remboursement ayant été formulée par conclusions du 04/03/2021.
La requérante justifie ainsi d'un moyen sérieux de réformation de la décision déférée.
b) la contribution de M. [B] aux charges de la vie courante
Mme [U] fait état d'un accord avec son concubin aux termes duquel le paiement des échéances du prêt immobilier par M. [B] représentait sa participation aux charges du ménage. Toutefois, il est de principe que, en l'absence d'une disposition légale réglant la contribution des concubins aux charges de la vie commune, chacun d'eux doit, en l'absence de volonté exprimée à cet égard, supporter les dépenses de la vie courante qu'il a exposées. Seule la cour, statuant au fond, sera à même de se prononcer sur le fait de déterminer si le remboursement de l'emprunt rentre ou non dans ce cadre.
* les conséquences manifestement excessives
En 2017, M. [B] était sans emploi, percevant l'allocation de solidarité spécifique de 489,60 euros par mois.
En 2021, il a perçu une allocation de Pôle Emploi d'un montant annuel de 6.170 euros.
S'il justifie avoir sur son compte bancaire en dépôt la somme de 5.931,42 euros, cette somme est insuffisante pour garantir le remboursement des sommes qui seraient allouées à Mme [U] dans l'hypothèse d'une réformation du jugement attaqué.
L'exécution du jugement présente donc un risque de conséquences manifestement excessives pour l'appelante.
L'exécution provisoire sera ainsi arrêtée.
- Sur les frais irrépétibles :
Compte tenu de la situation économique de M. [B], l'équité ne commande pas l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile concernant les frais irrépétibles exposés par Mme [U].
PAR CES MOTIFS :
Nous, Pascale VERNAY, première présidente de la cour d'appel de Grenoble, statuant en référé, publiquement, par ordonnance contradictoire, mise à disposition au greffe :
Déclarons la demande d'arrêt de l'exécution provisoire recevable ;
Arrêtons l'exécution provisoire du jugement du tribunal judiciaire de Valence du 10/11/2021;
Disons n'y avoir lieu à rectification d'une erreur matérielle affectant ce jugement ;
Disons n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et rejetons les demandes présentées à ce titre ;
Condamnons M. [B] aux dépens.
Le greffier,La première présidente,
M.A. [I]. VERNAY