N° RG 17/00194 - N° Portalis DBVM-V-B7B-I25K
N° Minute :
ALP
Copie exécutoire délivrée
le :
à
la SCP BENICHOU PARA TRIQUET- DUMOULIN LORIN- AVOCATS ASSOCIES
la SCP CLEMENT-CUZIN LEYRAUD DESCHEEMAKER
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
2ÈME CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU MARDI 02 MARS 2021
Appel d'un Jugement (N° R.G. 14/03548)
rendu par le Tribunal de Grande Instance de Grenoble
en date du 21 novembre 2016
suivant déclaration d'appel du 11 Janvier 2017
APPELANTE :
Mutuelle SMACL prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Laurence TRIQUET-DUMOULIN de la SCP BENICHOU PARA TRIQUET- DUMOULIN LORIN- AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de GRENOBLE, postulant, plaidant par Me Ali SAIDJI substitué par Me CHESNET, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE :
SA SOCIETE D'ECONOMIE MIXTE DES TRANSPORTS PUBLICS DE L'AGGLOMERATION GRENOBLOISE prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée et plaidant par Me Charlotte DESCHEEMAKER de la SCP CLEMENT-CUZIN LEYRAUD DESCHEEMAKER, avocat au barreau de GRENOBLE
COMPOSITION DE LA COUR : LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Emmanuèle Cardona, Présidente,
Anne-Laure Pliskine, Conseillère,
Laurent Grava, Conseiller,
DÉBATS :
A l'audience publique du 15 décembre 2020, Anne-Laure Pliskine, conseillère chargée du rapport d'audience, assistée de Caroline Bertolo, greffière, a entendu seule les avocats en leurs conclusions et plaidoiries , les parties ne s'y étant pas opposées, conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile.
Il en a été rendu compte à la Cour dans son délibéré et l'arrêt a été rendu ce jour.
EXPOSE DU LITIGE
La Société d'économie mixte des transports publics de l'agglomération grenobloise (ci-après « la SEMITAG ») exploite un établissement sis [Adresse 3], au sein duquel elle exerce des activités d'entretien et de remisage d'autobus de transport urbain.
Le site est soumis au régime des installations classées pour la protection de l'environnement et réglementé, à ce titre, par un arrêté préfectoral n° 85.1914 du 29 avril 1985 ainsi que par un arrêté préfectoral complémentaire n° 2000-1063 du 14 février 2000.
La SEMITAG et la société SMACL Assurances ont passé, successivement, deux marchés d'assurance portant sur un lot responsabilité à effet, pour le premier marché, du 1er janvier 2006 au 31 décembre 2009, et, pour le second marché, du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2013.
Suite à un litige survenu à l'occasion d'un épisode de pollution en novembre 2009, la SEMITAG a fait assigner la SMACL Assurances devant le tribunal de grande instance de Grenoble aux fins de prise en charge des frais de dépollution.
Par jugement en date du 21 novembre 2016, le tribunal de grande instance de Grenoble a :
-condamné la SMACL Assurances à payer à la société SEMITAG la somme de 189 353 euros HT sauf à déduire la franchise de 760 euros.
-condamné la SMACL Assurances à payer à la société SEMITAG la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par déclaration en date du 11 janvier 2017, la SMACL Assurances a interjeté appel total du jugement.
Dans ses conclusions notifiées le 28 octobre 2020, la SMACL Assurances demande à la cour de :
-infirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Grenoble en date du 21 novembre 2016 en toutes ses dispositions.
Statuant à nouveau,
-débouter la SEMITAG de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions.
-condamner la SEMITAG à payer à la SMACL Assurances la somme de 6 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles de première instance.
-la condamner aux dépens de première instance, dont distraction au profit de la SCP Benichou Para Triquet-Dumoulin Lorin, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
-condamner la SEMITAG à payer à la SMACL Assurances la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles d'appel.
-condamner la SEMITAG aux dépens d'appel, dont distraction au profit de la SCP Benichou Para Triquet-Dumoulin Lorin, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
A titre subsidiaire,
-dire que la franchise de 760,00 euros contractuellement prévue en cas de pollution accidentelle est opposable à la SEMITAG
Au soutien de ses demandes, la SMACL Assurances énonce que les conditions de mise en oeuvre de la garantie responsabilité à l'égard d'autrui et de l'article 8.1.1 des conditions générales de l'assurance « Responsabilités » ne sont pas réunies.
S'agissant de la non application de la garantie responsabilité à l'égard d'autrui, elle déclare que la décision du tribunal est contraire à la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle le terme de « réclamation » « vise la manifestation de la volonté de la victime d'obtenir la réparation du dommage subi » mais qu'il n'y a pas lieu de tenir compte d'une réclamation émanant d'un tiers quelconque. Elle indique que ni le syndicat mixte des transports en commun (SMTC) ni l'Etat n'ont subi de dommage justifiant une réclamation, qu'en conséquence, les sommes engagées par la SEMITAG ' dont elle sollicite la prise en charge par la SMACL Assurances au titre de la garantie responsabilité à l'égard d'autrui ' n'ont pas eu pour objet d'indemniser le préjudice prétendument subi par un tiers (à savoir, le SMTC ou l'Etat) mais de se conformer aux exigences réglementaires applicables en cas d'accident survenu au sein d'une installation classée.
Elle fait de même valoir que la lettre de la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) à la SEMITAG du 3 avril 2013, ne saurait être analysée comme une réclamation au sens des stipulations contractuelles, qu'ainsi, aucun texte législatif ou réglementaire ne prévoit qu'il entrerait dans la mission de cette direction de former une réclamation dans le cadre d'un contrat d'assurance, qu'elle n'a pas la personnalité morale et ne dispose pas des prérogatives de puissance publique qui lui auraient permis d'exiger de la SEMITAG la réalisation des travaux nécessaires pour réparer les dommages.
Elle réfute en tout état de cause avoir suivi ces travaux.
S'agissant de la non-application de l'article 8,1,1 des conditions générales de l'assurance « responsabilités », elle déclare que les conditions ne sont pas remplies, en l'absence d'un sinistre dont l'assuré aurait eu connaissance, l'absence de mesures conservatoires et préventives, les travaux de dépollution ayant été des mesures définitives, l'inexistence d'un accord de l'assureur et d'un intérêt commun à l'assuré et à l'assureur.
Dans ses conclusions notifiées le 7 juin 2017, la SEMITAG demande à la cour de :
-confirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Grenoble le 21 novembre 2016 en ce qu'il a :
*condamné la SMACL Assurances à payer à la société SEMITAG la somme de 189.353 euros HT, sauf à déduire la franchise de 760 euros,
*condamné la SMACL Assurances à payer à la société SEMITAG la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens,
Et, statuant à nouveau,
-condamner la SMACL Assurances à payer à la société SEMITAG la somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance devant la cour d'appel,
-débouter la SMACL Assurances de toute autre demande.
La SEMITAG déclare que la victime était un tiers au contrat puisque la pollution a touché les sols et les eaux de nappes, qui ne sont pas de la propriété de la société SEMITAG, que de surcroît, le site touché par la pollution était proche du cours d'eau le Drac.
Elle fait ensuite valoir que l'article L 124-1 du code des assurances, sur lequel l'appelant fonde son argumentaire, qui prévoit que l'assureur n'est tenu que si, à la suite du fait dommageable prévu au contrat, une réclamation amiable ou judiciaire est faite à l'assuré par le tiers lésé, n'est pas une disposition d'ordre public, en vertu de l'article L111-2 du Code des assurances, qu'ainsi seules doivent s'appliquer au cas de l'espèce les dispositions contractuelles, aucune d'entre elles n'indiquant que la réclamation doit émaner de la victime, que c'est bien l'Etat qui a formé la réclamation.
Elle fait état de l'existence de dommages causés à l'Etat, ainsi qu'en attestent les prestations réalisées pour pomper l'eau et souligne que l'assureur n'a pas contesté l'exactitude des faits, qui lui étaient alors opposables.
S'agissant des mesures conservatoires, hormis l'enlèvement de l'eau polluée, elle indique qu'aucune autre mesure conservatoire n'aurait pu être présentée au vu de la spécificité du sinistre, et que l'assureur avait donné son accord, selon courrier du 2 avril 2010.
La clôture a été prononcée le 4 novembre 2020.
MOTIFS
Sur la prise en charge par la SMACL du dommage
Le cahier des charges, qui prévaut sur les conditions générales, rappelle que l'objet de la garantie est de 'garantir l'assuré contre les conséquences pécuniaires de la responsabilité pouvant lui incomber à raison de dommages corporels, matériels ou immatériels causés à autrui du fait de l'application des dispositions du Code civil, des règles du droit administratif, des textes législatifs et réglementaires en vigueur et de la jurisprudence administrative, de l'exécution des contrats et des conventions passées par la SEMITAG'.
Il n'est pas contesté que la garantie s'étend au risque de pollution accidentelle de l'atmosphère, des eaux ou du sol.
En l'espèce, une pollution accidentelle a eu lieu courant novembre 2009, du fait d'une fuite survenue sur le flexible d'une cuve de stockage d'huiles neuves sur le site du dépôt de la SEMITAG à [Localité 4], fuite qui s'est ensuite propagée, selon le rapport de l'inspecteur des installations classées, au travers du caniveau technique hébergeant les collecteurs de dépotage des cuves de stockage, et qui a conduit à l'existence d'une pollution des sols et des eaux de nappe (film flottant).
La première contestation de la SMACL porte sur l'existence d'un dommage causé à un tiers.
Or selon la convention de délégation de service public du réseau de transports en commun signé entre le syndicat mixte des transports en commun de l'agglomération grenobloise et la SEMITAG, et notamment le point 31,1 « propriété des biens », les infrastructures, immeubles, équipements et matériels nécessaires à l'exploitation du « service public délégué » sont la propriété de l'autorité délégante, et sont mis à la disposition du délégataire, lequel, en vertu de l'article 34, a une responsabilité générale de gestionnaire de l'entretien, du maintien en bon état de fonctionnement, de valorisation et de pérennisation des biens et équipements confiés à sa garde.
En outre, et surtout, le rapport d'inspection énonce que cette fuite a conduit à une pollution des sols et eaux de nappe, qui ne sont en tout état de cause pas la propriété de la SEMITAG.
L'existence d'un dommage causé à autrui est donc avérée.
La deuxième contestation porte sur la notion de réclamation.
Le sinistre s'entend comme « toute réclamation écrite, quelle qu'en soit la forme, portée à la connaissance de l'assuré, pendant la période de validité du contrat et quelle que soit la date du fait générateur, se rapportant à un événement susceptible d'engager sa responsabilité ».
Les dispositions contractuelles ne définissent pas la notion de réclamation, le cahier des charges précisant même « quelle qu'en soit la forme ». Comme l'a justement relevé le premier juge, le contrat ne prévoit pas que la réclamation émane obligatoirement d'un tiers lésé, l'article L.124-4 du code des assurances n'ayant pas de caractère d'ordre public et ce point pouvant être modifié librement par les parties.
Compte tenu du fait que la SEMITAG exploite un site considéré comme étant une installation classée, elle a avisé par courrier du 13 octobre 2010 le service de l'inspection des installations classées, qui après visite du site, a formulé plusieurs recommandations. Par courrier en date du 3 avril 2013, les services de la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement, service administratif de l'Etat, ont enjoint le directeur de la SEMITAG d'effectuer diverses actions correctives dans les plus brefs délais, étant observé que le non-respect des observations pouvait conduire à une fermeture du site, et que les demandes présentaient donc un caractère impératif.
Ce courrier compte tenu de son contenu doit donc s'analyser comme une réclamation au sens des dispositions contractuelles.
La troisième contestation porte sur l'application de l'article 8,1,1 des conditions générales de l'assurance « responsabilités », la SMACL contestant l'existence de mesures conservatoires.
Toutefois, dès lors que le dommage consistait en une pollution, la seule mesure envisageable consistait, comme l'a fait la SEMITAG, en une dépollution la plus rapide possible du site, de manière à limiter l'ampleur des dommages et donc leur coût, tant dans son intérêt que dans celui de son assureur. Il ne saurait être reproché à ces mesures conservatoires de présenter un caractère définitif, ce qui atteste seulement de leur efficacité, étant en outre observé que dans son courrier du 2 avril 2010, la SMACL savait que les travaux de dépollution avaient été réalisés, et attendait le résultat des analyses réalisées sur la nappe phréatique, sans jamais manifester un quelconque refus de prise en charge.
En conséquence, toutes les conditions posées par le contrat d'assurances étant remplies, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a condamné la SMACL à prendre en charge l'ensemble des travaux de dépollution., déduction faite de la franchise.
Sur les autres demandes
Il est équitable d'allouer à la SEMITAG qui a exposé des frais pour faire valoir ses droits, la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La SMACL qui succombe à l'instance sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme le jugement déféré en l'intégralité de ses dispositions contestées,
Y ajoutant,
Condamne la SMACL Assurances à verser à la SEMITAG la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la SMACL Assurances aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Arrêt signé par Mme Emmanuèle Cardona, Présidente de la deuxième chambre civile et par la Greffière Sarah Djabli, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,