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30/06/2020 | FRANCE | N°18/04613

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Ch. sociale -section a, 30 juin 2020, 18/04613


PS



N° RG 18/04613 - N° Portalis DBVM-V-B7C-JYB2



N° Minute :

















































































Copie exécutoire délivrée le :





la SELARL GALLIZIA DUMOULIN ALVINERIE



Me Wilfried SAMBA-SAMBELIGUE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE GRENOBLE



Ch. Sociale -Section A

ARRÊT DU MARDI 30 JUIN 2020







Appel d'une décision (N° RG 15/00591)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VALENCE

en date du 09 octobre 2018

suivant déclaration d'appel du 09 Novembre 2018



APPELANTE :



SAS CATERPILLAR FRANCE, prise en la personne de son représentant légal en...

PS

N° RG 18/04613 - N° Portalis DBVM-V-B7C-JYB2

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée le :

la SELARL GALLIZIA DUMOULIN ALVINERIE

Me Wilfried SAMBA-SAMBELIGUE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

Ch. Sociale -Section A

ARRÊT DU MARDI 30 JUIN 2020

Appel d'une décision (N° RG 15/00591)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VALENCE

en date du 09 octobre 2018

suivant déclaration d'appel du 09 Novembre 2018

APPELANTE :

SAS CATERPILLAR FRANCE, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 2]

représentée par Me Delphine DUMOULIN de la SELARL GALLIZIA DUMOULIN ALVINERIE, avocat au barreau de GRENOBLE substituée par Me Laure ALVINERIE de la SELARL GALLIZIA DUMOULIN ALVINERIE, avocat au barreau de GRENOBLE

INTIME :

Monsieur [Z] [B]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 3]

représenté par Me Wilfried SAMBA-SAMBELIGUE, avocat au barreau de GRENOBLE

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DÉLIBÉRÉ :

M. Philippe SILVAN, Conseiller faisant fonction de Président,

Mme Valéry CHARBONNIER, Conseiller,

Mme Annette DUBLED-VACHERON, Conseiller,

DÉBATS :

A l'audience publique du 17 Décembre 2019,

Valéry CHARBONNIER, chargée du rapport, assisté de Valérie DREVON, greffière, en présence de Victor BAILLY, juriste assistant, a entendu les parties en leurs conclusions et plaidoiries, les parties ne s'y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile.

Puis l'affaire a été mise en délibéré au 25 Février 2020, prorogé au 05 Mai 2020 puis au 30 Juin 2020 en raison de l'état d'urgence sanitaire, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.

L'arrêt a été rendu le 30 Juin 2020.

Exposé du litige :

M. [Z] [B] a été engagé par la SAS Caterpillar France sous contrat de travail à durée indéterminée à compter du 20 mars 1995 en qualité de technicien d'atelier.

Par arrêt du 25 novembre 2014, rendu entre la SAS Caterpillar France et la SARL Caterpillar Commercial Services, d'une part, et le Syndicat SYMETAL 38 d'autre part, la cour d'appel de Grenoble a notamment :

' Condamné les sociétés Caterpillar France et Caterpillar Commercial Services à régler à leurs salariés non-cadres respectifs la « récompense du travail d'équipe » due aux membres de leur groupe respectif de direction de grade 19, sous les conditions et selon modalités définies par le STIP 2008, pour les années 2008, 2009 et 2010 ;

' Déclaré irrecevable la demande des sociétés Caterpillar France et Caterpillar Commercial Services tendant à la compensation entre les sommes versées au personnel au titre de l'intéressement 2008 et les primes litigieuses ;

' Condamné les sociétés Caterpillar France et Caterpillar Commercial Services à payer au syndicat Symétal 38 une somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

'Condamné les sociétés Caterpillar France et Caterpillar Commercial Services aux dépens de première instance.

M.[B] a été licencié pour faute grave par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 5 février 2016.

M.[B] a saisi le conseil de prud'hommes de Grenoble en date du 5 mars 2015 aux fins d'obtenir le paiement de diverses indemnités.

L'affaire a été renvoyée devant le conseil de prud'hommes de Valence en raison d'une suspicion légitime et a été enrôlée en date du 18 septembre 2015.

Par jugement en date du 9 octobre 2018, le conseil de prud'hommes de Valence a :

' Dit que les demandes de Monsieur [B] [Z] ne sont pas prescrites, conformément aux dispositions de l'article L.3245-1 du Code du travail ;

' Dit que la prime STIP ne constitue pas une partie variable de la rémunération des cadres, contractualisée avec les salariés, et que la prime STIP doit être qualifiée de prime exceptionnelle, devant être versée à Monsieur [B] [Z] ;

' En Conséquence, a condamné la société CATERPILLAR (SAS) à payer à Monsieur [B] [Z] les sommes suivantes :

' 7.152,10 euros à titre de rappel de la prime STIP pour les aimées 2008, 2010 et 2014 ;

' 150,00 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

' Dit qu'il y a lieu d'assortir la condamnation au titre de rappel de la prime STIP des intérêts légaux de droit à compter de la saisine du Conseil, soit du 18 septembre 2015 ;

' Condamné la société CATERPILLAR France (SAS) à transmettre les fiches de salaires des cadres sollicitées par Monsieur [B] [Z] ;

' Débouté Monsieur [B] [Z] du surplus de ses demandes ;

' Débouté la société CATERPILLAR (SAS) de ses demandes ;

' Condamné la société CATERPILLAR (SAS) aux dépens de l'instance y compris les frais d'huissier.

La SAS Caterpillar France a interjeté appel de la décision en sa globalité par déclaration en date du 9 novembre 2018.

Par conclusions récapitulatives en date du 9 décembre 2019, la SAS Caterpillar France demande de :

A titre principal :

' DECLARER Monsieur [B] irrecevable en ses demandes et écritures ;

' INFIRMER le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de Valence le 9 octobre en ce qu'il :

' Débouté la société CATERPILLAR France SAS de son moyen tiré de la prescription ;

' Dit que la prime STIP ne constitue pas une partie variable de la rémunération des cadres, contractualisée avec les salariés, et que la prime STIP doit être qualifiée de prime exceptionnelle, devant être versée à Monsieur [B] [Z] ;

' Déclare la société CATERPILLAR France tenue de régler au demandeur le STIP au taux de 9% pour les années 2008, 2010 et 2014 ;

' Condamne la société CATERPILLAR France SAS à payer à Monsieur [B] les sommes suivantes :

'7 152.10 euros à titre de rappel de la prime STIP pour les années 2008, 2010 et 2014, avec intérêts au taux légal à compter du 18 septembre 2015,

'150 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure civile

' Condamne la société CATERPILLAR France SAS à remettre au demandeur les fiches de paie des cadres sollicités ;

' Déboute la société CATERPILLAR France SAS de ses demandes ;

' Condamne la société CATERPILLAR France SAS aux dépens de l'instance ;

Et statuant à nouveau,

' DIRE ET JUGER prescrites les demandes portant sur les années 2008 et 2010 par application de l'article L 3245-1 du Code du Travail ;

' DIRE ET JUGER mal fondées les prétentions de Monsieur [B] au sujet du STIP, l'atteinte à l'égalité de traitement n'étant pas démontrée ;

' DEBOUTER Monsieur [B] de ses prétentions à caractère salarial et indemnitaire ;

' DEBOUTER Monsieur [B] de sa demande de communication de pièces ;

' CONDAMNER Monsieur [B] au paiement de la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

A titre subsidiaire,

' ORDONNER la compensation avec la somme de 1 653.08 euros perçue par Monsieur [B] au titre de l'intéressement 2008 ;

' CONSTATER que le chiffrage du demandeur est erroné et se baser sur le chiffrage communiqué par la société CATERPILLAR.

Par conclusions en réponse en date du 5 décembre 2019, M. [B] demande de :

' Le DECLARER recevable et bien fondé en ses écritures, fins et conclusions

' CONSTATER que la société CATERPILLAR n'a de ce fait pas loyalement exécuté le contrat de travail ;

En conséquence :

' CONDAMNER encore la société CATERPILLAR à lui payer les sommes suivantes :

' Rappel de la prime STIP de 2008, 2010 et 2014 : 7 152.10 € ;

' DIRE ET JUGER que la société CATERPILLAR sera également condamnée à lui payer les sommes dues au titre du STIP pour l'année 2015 selon les modalités définies par l'arrêt de la Cour d'appel de Grenoble du 24 novembre 2013 ;

' CONDAMNER la société CATERPILLAR à lui payer la somme de 5 000 € pour perte de chance du fait du défaut des discussions en vue du renouvellement éventuel de l'accord d'intéressement 2006 ;

' ASSORTIR ces condamnations des intérêts légaux de droit à compter de la saisine du Conseil pour les sommes à caractère salarial et à compter de la notification de la décision à intervenir pour les autres ;

' CONDAMNER encore la Société CATERPILLAR à lui payer, en cause d'Appel, la somme de 2000.00 € sur le fondement de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux entiers dépens ;

' CONDAMNER encore la même aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 10 décembre 2019 et l'affaire a été fixée à plaider le 17 décembre 2019.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux dernières conclusions déposées.

SUR QUOI

Sur l'irrecevabilité des conclusions d'intimé

Le droit applicable

Aux termes de l'article 909 du code de procédure civile, l'intimé dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, d'un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant prévue à l'article 908 pour remettre ses conclusions au greffe et former, le cas échéant, appel incident ou appel provoqué.

Aux termes de l'article 914 du code de procédure civile, les parties soumettent au conseiller de la mise en état, qui est seul compétent depuis sa désignation et jusqu'à la clôture de l'instruction, leurs conclusions, spécialement adressées à ce magistrat, tendant à déclarer les conclusions irrecevables en application des articles 909 et 910.

Moyens des parties

En l'espèce, la SAS Caterpillar France demande à la cour de déclarer irrecevables les conclusions de M.[B] en date du 5 décembre 2019, au motif qu'il n'a pas respecté le délai de trois mois prévu par les dispositions de l'article 909 du code de procédure civile.

M.[B] demande à être jugé recevable dans ses écritures.

Sur ce,

Il est constant que la SAS Caterpillar France n'a pas saisi le conseiller de la mise en état pour voir les conclusions de M.[B], non notifiées dans le délai de l'article 909, déclarer irrecevables, et a seulement formuler cette demande au fond dans ses deuxièmes conclusions notifiées en date du 9 décembre 2019.

Eu égard à la compétence exclusive du conseiller de la mise en état pour statuer sur toute demande d'irrecevabilité des conclusions d'intimé fondée sur le non-respect du délai prévu par cet article, il y a lieu de déclarer la demande d'irrecevabilité des conclusions de M.[B] formulée par la SAS Caterpillar France irrecevable.

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription des demandes portant sur le paiement du STIP au titre des années 2008 et 2010

Le droit applicable

Aux termes de l'article L. 3245-1 du code du travail, l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur des sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédent la rupture du contrat.

En application des dispositions de l'article 2222 du code civil, la loi qui allonge la durée d'une prescription ou d'un délai de forclusion est sans effet sur une prescription ou une forclusion acquise. Elle s'applique lorsque le délai de prescription ou le délai de forclusion n'était pas expiré à la date de son entrée en vigueur. Il est alors tenu compte du délai déjà écoulé.

En cas de réduction de la durée du délai de prescription ou du délai de forclusion, ce nouveau délai court à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

Ainsi au terme de la loi du 14 juin 2013 qui réduit le délai de prescription de 5 ans à 3 ans pour les actions en paiement ou en répétition du salaire, le nouveau délai de 3 ans court à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, soit le 17 juin 2013, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure, c'est-à-dire 5 ans.

Moyens des parties

La SAS Caterpillar France soulève une fin de non recevoir tirée de la prescription des demandes portant sur le rappel de salaire au titre du STIP pour les années 2008 et 2010.

Elle fait valoir que :

' La loi du 14 juin 2013, entrée en vigueur le 17 juin 2013, a prévu que le nouveau délai de prescription de trois ans s'appliquaient aux prescriptions en cours ;

' Le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de ses demandes portant sur les années 2008 et 2010 en septembre 2015 ;

' Une demande identique a été rejetée comme prescrite par la cour d'appel de Grenoble dans un arrêt du 21 janvier 2016, confirmé par un arrêt du 19 octobre 2017 ; il a en a été de même dans un arrêt de la cour d'appel de Grenoble du 1er décembre 2016, confirmé par la cour de cassation dans un arrêt du 14 décembre 2018 et dans un arrêt de la cour d'appel de Lyon du 8 décembre 2017 ;

' Le conseil de prud'hommes a considéré à tort que le point de départ de la prescription devait être fixé au jour de la connaissance de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Grenoble le 25 novembre 2014 ;

' Le salarié a nécessairement eu connaissance de sa prétendue éligibilité au STIP préalablement à l'arrêt du 25 novembre 2014 rendu par la cour d'appel de Grenoble, dès lors que le STIP et son paiement aux salariés non-cadres sont évoqués au sein de l'entreprise depuis de nombreuses années ;

' L'action engagée par un syndicat pour la défense de l'intérêt collectif de la profession n'interrompt pas l'action individuelle de chacun des salariés, y compris lorsqu'ils tirent des conséquences de la décision intervenue sur les intérêts collectifs ;

' Le salarié, qui n'était pas partie à cette procédure, ne peut se prévaloir de l'autorité de la chose jugée à son profit ;

' Dans un arrêt du 5 juillet 2017, la cour de cassation a rappelé que les salariés qui n'ont pas été parties à l'instance ayant donné lieu à l'arrêt du 25 novembre 2014 ne pouvaient se prévaloir de l'autorité de la chose jugée à leur profit ;

' La chambre sociale de la cour d'appel de Grenoble s'est prononcée à plusieurs reprises sur l'absence d'autorité de la chose jugée de l'arrêt du 25 novembre 2014 ;

' Elle a ainsi considéré que, compte tenu de la connaissance que les salariés avaient dès l'année 2008 de l'exclusion des non-cadres du STIP, il leur appartenait d'agir en justice pour en obtenir le paiement dans le délai de trois ans à compter de la date prévue pour son versement ;

' La Cour de cassation a réitéré cette position dans un arrêt du 14 novembre 2018 ;

' La cour d'appel de Lyon a également statué en ce sens dans un arrêt du 8 décembre 2017.

M.[B] fait valoir que :

' Sa demande de rappel de salaire au titre du STIP des années 2008 et 2010 n'est pas prescrite, dès lors que le fait déclencheur de la demande est un arrêt rendu par la cour d'appel de Grenoble le 25 novembre 2014 dans le litige opposant le syndicat Symetal à la société Caterpillar France ;

' La cour de cassation a considéré que lorsqu'une créance, même périodique, dépend d'éléments qui ne sont pas connus par le créancier et résultent des déclarations que le débiteur est tenu de faire, la prescription quinquennale applicable à l'époque des faits ne commence pas à courir ;

' Ses demandes au titre du STIP 2008 et 2010 ne sont donc pas prescrites ;

' En tout état de cause, il avait jusqu'à la fin du mois de mars 2016 pour agir s'agissant des demandes relatives au STIP de l'année 2010, n'ayant eu connaissance de la possibilité de réclamer le paiement de cette prime qu'à compter du mois de mars 2011 ;

Sur ce,

Il résulte de plusieurs documents versés aux débats par l'employeur que l'existence du STIP (Short Term Incentive Plan, anciennement dénommé ICP) est connue des salariés non-cadres de l'entreprise depuis la fin des années 1990. En effet, il ressort du procès verbal d'une réunion extraordinaire du comité d'entreprise en date du 28 avril 1989 produit par l'employeur, que les élus du comité d'entreprise avait sollicité cette réunion en vue d'obtenir des explications de la part de la direction sur « l'attribution d'une prime de bons résultats au seul groupe de Direction ». En outre, il ressort du procès verbal de fin de négociation valant accord relatif aux salaires, à l'aménagement du temps de travail, à la protection sociale, conclu le 22 février 1995 entre la société Caterpillar et plusieurs syndicats que ceux-ci avaient bien connaissance que les salariés cadres percevaient une partie de leur rémunération sous forme d'une prime de résultats variables dont le paiement est déclenché uniquement lorsque les résultats sont supérieurs à des prévisions fixées préalablement par la direction.

Enfin, l'employeur établit que dans le cadre des négociations annuelles obligatoires de l'année 2005, une consultation des salariés non-cadres a été organisée concernant l'accès à l'ICP et que les propositions de la direction concernant l'accès à ce mécanisme de rémunération ont été rejetées très majoritairement par les salariés.

Ainsi, il résulte de l'ensemble de ces énonciations que M.[B] avait connaissance, au même titre que l'ensemble des salariés non-cadres, de l'existence du STIP avant l'arrêt du 25 novembre 2014 rendu par la cour d'appel de Grenoble, dont il entend se prévaloir pour faire démarrer le délai de prescription.

Au surplus, M.[B] n'étant pas partie à l'instance ayant donné lieu à l'arrêt précité du 25 novembre 2014, il ne peut invoquer le bénéfice de l'autorité de la chose jugée s'attachant à cette décision pour soutenir que le délai de trois ans précité a commencé à courir à compter de cet arrêt, celui-ci étant nécessairement dépourvu de force jugée à son profit.

Il est constant que le STIP est payé par la société Caterpillar aux salariés cadres au mois de mars de l'année suivant l'année au titre de laquelle il est dû.

Par conséquent, il y a lieu de faire courir le délai de prescription à compter de la date du 31 mars 2009 s'agissant du STIP de l'année 2008 et à compter de la date du 31 mars 2011 s'agissant du STIP de l'année 2010.

S'agissant de sa demande portant sur le rappel de salaire au titre du STIP de l'année 2008, M.[B] avait donc jusqu'au 31 mars 2014 pour saisir la juridiction compétente.

S'agissant de sa demande portant sur le rappel de salaire au titre du STIP de l'année 2010, il avait jusqu'au 31 mars 2016 pour saisir la juridiction compétente.

M.[B] ayant saisi le conseil de prud'hommes de Grenoble le 5 mars 2015, il y a lieu de retenir que sa demande au titre du STIP 2008 était prescrite à la date de la saisine, mais que sa demande au titre du STIP 2010 n'était pas prescrite à cette date.

Par conséquent, il y a lieu de déclarer, par infirmation du jugement entrepris, la demande de M.[B] portant sur le rappel de salaire au titre du STIP de l'année 2008 irrecevable, car prescrite, et de déclarer, par confirmation du jugement entrepris, sa demande de rappel de salaire au titre du STIP de l'année 2010 recevable.

Sur le paiement du STIP

Le droit applicable

Il est de principe que la seule catégorie professionnelle ne saurait en elle-même justifier, pour l'attribution d'un avantage, une différence de traitement entre les salariés placés dans une situation identique au regard dudit avantage, cette différence devant reposer sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler la réalité et la pertinence.

Moyens des parties

La SAS Caterpillar France fait valoir que :

' Le salarié doit établir l'existence d'une prétendue inégalité de traitement qui lui porterait préjudice, sans pouvoir invoquer l'arrêt de la cour d'appel de Grenoble du 25 novembre 2014, dès lors qu'il n'était pas partie à la procédure (effet relatif de la chose jugée) et qu'il est de jurisprudence constante que la référence à une décision rendue dans un litige différent de celui soumis à une juridiction ne saurait servir de fondement à la décision de cette dernière ;

' Le principe « à travail égal, salaire égal » n'impose pas une uniformité absolue des rémunérations ou des conditions d'emploi ; l'employeur est seulement tenu d'assurer l'égalité de rémunération entre tous les salariés placés dans une situation identique ;

' Le STIP est une part variable de salaire, ce qui ressort de plusieurs communications internes à la société antérieures au litige, ne s'appliquant qu'aux cadres, les non-cadres ayant rejeté l'idée d'une variabilité de leurs salaires jusqu'en 2011 ;

' Les différences d'ordre juridique entre les cadres et les non-cadres constituent des raisons objectives justifiant la mise en place de deux systèmes de rémunération pour les cadres et les non-cadres jusqu'en 2011, année au cours de laquelle les non-cadres ont décidé de participer au système de rémunération variable STIP ;

' La participation des non-cadres à ce système de rémunération à partir de 2011 pour une partie de leur salaire moindre que celle des cadres (3 % pour les non-cadres en lieu et place de 9 % pour les cadres), n'entraîne toutefois aucune inégalité salariale entre ces deux catégories professionnelles ;

' Avant 2011, il ne saurait être reproché à l'employeur un manquement au principe « à travail égal, salaire égal », dès lors que ce sont les non-cadres eux-mêmes qui ont refusé plusieurs années de suite la variabilité d'une partie de leur salaire, à l'issue de négociations salariales conduites par les organisations syndicales représentatives ;

' Le travail des cadres et celui des non-cadres ne peuvent être considérés comme ayant une valeur égale au sens du principe « à travail égal, salaire égal » ;

' Le STIP tient compte des spécificités propres aux populations de cadres et de non-cadres, en ce que les non-cadres n'acceptent pas une variabilité salariale de grande amplitude (pas plus de 5 % du salaire) ;

' En 2011, les salariés non-cadres ont fait le choix d'un STIP de 3 %, porté aujourd'hui à 4 % ; cette différence voulue par les salariés suffit à justifier la différence de traitement ;

' Tous les salariés sont payés au niveau de leur rémunération de référence, soit de manière entièrement fixe (non-cadres), soit par une combinaison d'une partie fixe et d'une partie variable (cadres), ce qui n'entraîne aucune inégalité ;

' Accorder le rappel de prime demandé par le salarié pour l'année 2010 créerait une inégalité injustifiée avec les cadres qui ont perçu en 2008 et en 2009 une rémunération proportionnellement plus faible que les non-cadres en raison des facteurs de calcul du STIP moins favorables ces deux années-là du fait de la crise économique : 97,14 % de leur salaire de référence en 2008 et 91 % de leur salaire de référence en 2009 ;

' Ce n'est pas parce qu'un élément de rémunération est calculé sur la base d'une performance collective qu'il doit nécessairement bénéficier à l'ensemble des salariés, sauf à confondre les critères d'éligibilité à une rémunération avec les critères de calcul de l'élément de rémunération variable ;

' La Cour de cassation a considéré dans trois arrêts du 27 janvier 2015 que dès lors que les différences de traitement opérées entre catégories professionnelles résultaient d'un accord collectif, ces différences étaient présumées ; il incombe au salarié de démontrer que la différence de traitement est étrangère « à toute considération de nature professionnelle » ;

' Le pourcentage de la part variable des salaires des non-cadres de 3 % négocié dans l'accord collectif du 6 juillet 2011 ne peut être remis en cause par le salarié pour les années 2011, 2012 et 2013, dès lors qu'il ne démontre pas que cet accord a été conclu « à des fins étrangères à toute considération professionnelle » ;

' Le salarié ne démontre pas que les taux de 3 % pour 2014 et 3,6 % pour 2015, unilatéralement reconduit par l'employeur, ne sont pas fondés sur des raisons objectives, dès lors que le nouvel accord collectif triennal conclu en 2016 a fixé un pourcentage identique ;

' L'accord triennal de 2011-2013 a continué à produire ses effets en 2014 et 2015 en application des dispositions de l'article L. 2222-4 du code du travail, dans sa rédaction en vigueur avant 2016, qui prévoyait que la convention ou l'accord à durée déterminée arrivant à expiration continue à produire ses effets comme une convention ou un accord à durée indéterminée ;

' Subsidiairement, le calcul du STIP pour le salarié devra suivre la situation des cadres, qui bénéficient d'une rémunération de référence de 91 % de salaire fixe et de 9 % de part variable.

M.[B] demande à ce que la SAS Caterpillar France soit condamnée à lui verser des rappels de salaire au titre de la prime STIP, dès lors qu'en réservant le bénéfice de cette prime aux seuls salariés cadres de l'entreprise, la SAS Caterpillar France a manqué au principe de l'égalité de traitement.

Il fait notamment valoir que :

' Plusieurs juridictions, dont la cour d'appel de Grenoble, ont déjà eu l'occasion de constater l'existence d'une discrimination salariale entre les salariés cadres et non cadres au sein de la société Caterpillar France fondée sur le pourcentage retenu pour la détermination de la prime STIP (Short Term Incentive Plan) ;

' Un arrêt de la cour de cassation en date du 17 octobre 2018 a confirmé les principes retenus par la chambre sociale de la cour d'appel de Grenoble (arrêt du 21 janvier 2016) sur cette discrimination ;

' La prime dite STIP a été mise en place pour récompenser le travail d'équipe ; dès lors, la qualité de cadre ou de non cadre n'a pas à être prise en compte pour le calcul de cette prime ;

' Malgré les décisions rendues, l'employeur continue de soutenir que la prime STIP constitue un élément variable de la rémunération des cadres à l'exclusion des non cadres ;

' Il ressort de plusieurs documents versés aux débats que la prime STIP est un élément complémentaire de la rémunération qui s'ajoute au salaire de base des salariés de l'entreprise sans distinction de leur classification ; cette prime est fonction des résultats de l'unité à laquelle ils appartiennent ;

' La nature juridique de prime exceptionnelle de résultat du STIP ressort d'un accord catégoriel conclu lors de la NAO 2011 ;

' La mise en place de cette prime n'a jamais eu pour effet de remettre en cause ni le salaire de base ou conventionnel annuel des salariés, ni la structure de la rémunération, ni le pourcentage de 2 % d'augmentation prévue au sein de l'entreprise ;

' La mention « prime exceptionnelle de résultat » apparaît bien sur les bulletins de salaire des employés non cadres ;

' L'employeur ne verse pas de bulletins de paie de salariés cadres pour étayer ses allégations sur la nature juridique du STIP ;

' Il est de jurisprudence constante que le juge, sur la base d'une demande formulée par le salarié, dans une situation de disparité salariale, peut autoriser le ou les demandeurs à obtenir communication des fiches de paie des salariés dont la comparaison est sollicitée ;

' Il convient dès lors au tribunal de lui enjoindre de le faire, afin de lever toute ambiguïté, en application des dispositions des articles 11 et 16 du code de procédure civile ; le salarié fait sommation à la société Caterpillar de verser aux débats pour les années et mois concernés les fiches de paies des salariés cadres concernés par ses allégations ;

' Si le STIP était bien une « structure de la rémunération variable des salariés » comme le soutient l'employeur, il aurait dû donner lieu à la conclusion d'un avenant au contrat de travail de chacun des salariés bénéficiaires, ce qui n'a jamais été le cas ;

' La prime est déterminée selon des modalités claires et précises, objectivement vérifiables, qui empêchent l'employeur d'agir de manière arbitraire ;

' La prime n'est pas due pour l'année 2009 au cours de laquelle les cadres n'ont pas été bénéficiaires de cette prime, mais elle est due pour les années 2008, 2010, 2014 et 2015 ;

' L'arrêt de la cour d'appel de Grenoble du 21 janvier 2016 dans l'affaire [Y] n'a pas remis en cause le principe de l'existence de la prime STIP mais a commis une erreur grossière dans l'analyse de la demande et dans l'appréciation des éléments de la cause ;

' Le calcul retenu par les juges d'appel réduisant le quantum des demandes formulées au motif que les cadres ne percevraient pas l'intégralité de leur salaire conventionnel ou de base et auraient accepté une part variable de leur rémunération ne résiste pas à la contradiction et doit être rejeté ;

' Or, comme cela a été démontré précédemment, la prime STIP ne peut pas être un élément variable de la rémunération ; il s'agit d'une prime de récompense d'équipe, comme le démontrent les documents provenant de la société Caterpillar elle-même ; plus précisément, il s'agit d'une prime exceptionnelle de résultat lié à l'unité à laquelle appartiennent les salariés ;

' Seule la communication des fiches de paies des cadres permettrait de lever toute ambiguïté sur la nature juridique du STIP ;

' La jurisprudence constante de la cour de cassation permet au juge, sur la base d'une demande formulée par le salarié, dans une situation de disparité familiale, d'autoriser le ou les demandeurs à obtenir communication des fiches de paie des salariés dont la comparaison est sollicitée ;

' Les salariés font sommation à la société Caterpillar, en application des dispositions de l'article 11 du code de procédure civile, de verser aux débats pour les années et mois concernés, et pour les salariés cadres les fiches de paie concernées ;

' A défaut, la cour devra en tirer toutes les conséquences de droit ;

' L'accord catégoriel intervenu au sein de la société Caterpillar en 2011 n'était valable que pour une durée de trois ans, soit les années 2011, 2012 et 2013, mais à compter de l'année 2014, plus aucun accord ne s'appliquait ;

' Il s'en déduit que les juges ne pouvaient se fonder sur les termes du dernier accord triennal pour considérer que le paiement du STIP sur la base d'un pourcentage de 3 % était régulier ;

' Par un jugement en date du 18 mars 2013 devenu définitif, le tribunal de grande instance de Grenoble a constaté que la société Caterpillar avait commis une faute en ne conviant pas les organisations syndicales à rediscuter d'un éventuel renouvellement de l'accord d'intéressement conclu le 29 juin 2006 ;

' La Cour d'appel de Grenoble, dans un arrêt en date du 21 janvier 2016, a confirmé cette faute, mais n'en a pas tiré toutes les conséquences en considérant qu'il n'existait qu'une obligation de discussion sans obligation de conclure un accord ;

' En l'absence de discussion, il ne peut être soutenu qu'aucune n'aurait pu intervenir et que les salariés de l'entreprise n'en auraient pas été bénéficiaires ;

' L'entreprise ne verse aux débats aucun élément permettant de démontrer que les difficultés de 2009 justifieraient que l'intéressement n'ait pas été versé ; l'employeur ne saurait être cru sur la base de ses seules affirmations ;

' Dès lors qu'il est établi que le défaut de ces négociations du fait du manquement de l'employeur n'a pas permis d'envisager la possibilité d'un accord, quel qu'il soit, la perte de chance pour ceux qui devaient en être bénéficiaires est certaine et les salariés peuvent légitimement prétendre à une indemnisation qui ne saurait être symbolique ;

' En ayant fait le constat de ces manquements, sans en tirer toutes les conséquences, les juges du fond n'ont pas donné de base légale à leur décision ;

' La cour de cassation, dans son arrêt du 14 novembre 2018, a reconnu le bien-fondé de la réclamation des salariés ;

' Les salariés versent aux débats les fiches de paye des sommes auxquelles ils ont pu prétendre en application de cet accord pour les années 2006 à 2008 avant d'en être brutalement privés dans les conditions dénoncées à partir de l'année 2009, ainsi qu'un décompte individuel correspondant au préjudice financier individuellement subi par chacun d'eux ;

' La société Caterpillar sollicite le remboursement de sommes perçues par les salariés au titre de l'intéressement contre les seuls salariés ayant engagé à son encontre une procédure en paiement de la prime STIP pour les années considérées ;

' Or, les créances en cause n'ont pas la même nature, la première étant soumise à un régime fiscal, la seconde étant un intéressement qui n'y est pas soumis ;

' En application des dispositions de l'article 1291 du code civile, la compensation n'est donc pas possible ;

' Au surplus, par un engagement unilatéral, la société Caterpillar s'est engagée expressément à ne pas demander aux salariés le remboursement des sommes qu'ils avaient perçues ;

' Cette demande, dans tous les cas, a un caractère discriminatoire ;

' Dans son arrêt en date du 21 janvier 2016, la cour d'appel de Grenoble a rejeté cette demande ;

' La société Caterpillar a proposé des transactions à tous les salariés de l'entreprise qui n'ont pas engagé d'action à l'encontre de la société ;

' Le calcul de la prime STIP se calcule de la manière suivante : rémunération annuelle de base x pourcentage x facteur de performance ;

' Le pourcentage appliqué est fonction du grade du salarié : pour les cadres le pourcentage est de 9, 10 ou 12 % ; pour les non-cadres dont le grade est inférieur à 19, il est de 3 %;

' Par un jugement en date du 8 avril 2013, le TGI de Grenoble a retenu le caractère illicite de cette disposition à l'égard des salariés non cadres pour les années 2008, 2010 et 2014 ;

' Cette décision a été confirmée par la cour d'appel de Grenoble ;

' Le pourcentage a été porté au minimum à 9 % pour l'ensemble des salariés, cadres et non cadres ;

' Les juges ont ordonné à la société Caterpillar de régulariser la situation des salariés de l'entreprise à compter de 2008 ;

' Les facteurs de performance de la société Caterpillar au titre des années en cause sont connus, et les rappels de prime peuvent donc être calculés.

Sur ce,

Sur la communication des bulletins de paie:

Aux termes de l'article 907 du code de procédure civile, à moins qu'il ne soit fait application de l'article 905, l'affaire est instruite sous le contrôle d'un magistrat de la chambre à laquelle elle est distribuée, dans les conditions prévues par les articles 763 à 787 et sous réserve des dispositions qui suivent. Il découle de ces dispositions, que le conseiller de la mise en état dispose d'une compétence exclusive pour statuer sur les demandes visant à la production de pièces par la partie adverse.

Dès lors que M.[B] n'a pas saisi le conseiller de la mise en état de sa demande de communication de pièces antérieurement au dessaisissement du conseiller de la mise en état, il a lieu de déclarer sa demande irrecevable devant la cour.

S'agissant du STIP au titre de l'année 2010

En l'espèce, l'employeur soutient que le STIP constitue une part variable du salaire des cadres, ce qui justifie la différence de traitement, dès lors que les salariés cadres, à l'inverse des salariés non-cadres, ne perçoivent pas l'intégralité de leur salaire de base de référence.

De son coté, M.[B] soutient que la SAS Caterpillar France a manqué au principe de l'égalité de traitement en n'accordant qu'aux seuls salariés cadres la prime dite STIP et en excluant les salariés non-cadres du bénéfice de cette prime, alors que celle-ci ne vise qu'à récompenser le travail d'équipe, ce dont il résulte que les salariés cadres et non cadres sont placés dans une situation identique au regard de cet avantage, et que la SAS Caterpillar France n'apporte aucun élément objectif permettant de justifier la différence de traitement.

S'agissant de la nature du STIP, à l'examen des pièces versées aux débats par les parties et des moyens débattus, il y a lieu de retenir que le STIP constitue une prime variable à destination des salariés cadres résultant manifestement d'un usage d'entreprise, dont le montant, variable d'une année à l'autre, est calculé en fonction de critères de performance de l'entreprise et de l'unité de laquelle relève le cadre préalablement définis chaque année par la direction et d'un taux qui varie en fonction de la classification desdits cadres.

En effet, l'employeur échoue à démontrer que le STIP constituerait, comme il le soutient dans ses écritures, une part variable du salaire des cadres, dès lors qu'il ne ressort pas de manière claire et précise des documents qu'il produit concernant le calcul du STIP que le versement de cette prime serait contractualisée et constituerait ainsi un élément de la structure de rémunération des cadres, et qu'il ne verse aux débats ni contrats de travail ni bulletins de salaires de salariés cadres permettant d'étayer ses allégations.

S'agissant de l'objet du STIP, il y a lieu de constater que dans le document versé aux débats par la SAS Caterpillar France, intitulé « STIP 2008 Short Term Incentive Plan », à destination des salariés cadres concernant l'objet et le calcul du STIP, le STIP est désigné par l'expression « récompense du travail d'équipe » (« Team Award » en anglais) », et il est également précisé que « l'objectif du STIP (Short Term Incentive Plan) est de donner la possibilité aux membres du Groupe de Direction d'avoir accès à une rémunération variable sous forme de prime exceptionnelle liée aux résultats de Caterpillar Inc. (et de) l'unité à laquelle ils appartiennent », et que « ce plan doit être considéré comme un encouragement de la société envers les efforts continus réalisés en vue d'améliorer la performance globale de l'unité et de Caterpillar Inc. d'une part, et la performance individuelle d'autre part. Il vise également à promouvoir l'esprit d'équipe, par la détermination d'objectifs communs à réaliser ».

Cependant, il ne résulte pas de l'emploi de ces expressions ni d'aucun autre élément versé aux débats par les parties que le terme « équipe » employé dans le document précité renvoie sans ambiguïté à un groupe constitué de salariés cadres et de salariés non-cadres et non pas seulement un groupe constitué exclusivement de salariés cadres.

En outre, il y a lieu de relever que le mode de calcul de la prime STIP tient compte du travail accompli à titre individuel par chaque salarié cadre puisqu'il est indiqué dans ce même document que « les managers dont les résultats sont jugés « insuffisants » ne sont pas éligibles au STIP (notation « R5 ») (et que) les managers dont le travail a été jugé « nécessitant des améliorations » sont éligibles à hauteur de 50 % de la prime (notation « R4 ») », ce dont il résulte que le STIP n'a pas vocation à récompenser exclusivement un travail d'équipe, mais vise également à récompenser la performance individuelle dans le travail.

Enfin, il ne ressort pas de ce même document que le STIP aurait un objet autre que celui de rétribuer le travail accompli par les salariés cadres.

Par conséquent, il convient de retenir que le STIP constitue une prime variable n'ayant pas d'objet spécifique étranger au travail accompli ou destiné à compenser une sujétion particulière, et qu'ainsi il participe à la rémunération annuelle des salariés cadres au même titre que le salaire de base, en contrepartie du travail à l'égard duquel les salariés cadres et non cadres ne sont pas placés dans une situation identique, eu égard notamment aux responsabilités qui leur incombent s'agissant des résultats à atteindre fixés par leur propre hiérarchie.

Il s'en déduit que la SAS Caterpillar France n'a pas manqué au principe d'égalité de traitement en réservant aux seuls salariés cadres le versement de la prime STIP au titre de l'année 2010.

Ainsi, il y a lieu, par infirmation du jugement entrepris, de débouter le salarié de sa demande formulée à ce titre.

S'agissant du STIP au titre des années 2014 et 2015

Aux termes d'un accord catégoriel du 6 juillet 2011, signé avec les organisations syndicales représentatives de l'entreprise, la société Caterpillar a mis en place un STIP au bénéfice du personnel qui n'en bénéficiait pas à ce jour d'un taux de 3 % à compter du 1er janvier 2011 pour une durée de trois ans jusqu'au 31 décembre 2013.

La société Caterpillar a décidé de reconduire unilatéralement la prime STIP d'un taux de 3 % pour l'ensemble du personnel non-cadre pour l'année 2014 et a mis unilatéralement en place la prime STIP d'un taux de 3,6 % pour l'année 2015.

M.[B] soutient que la différence de taux prévu par l'employeur pour le calcul de la prime STIP constitue un manquement au principe de l'égalité de traitement, dès lors que les salariés cadres et les salariés non-cadres sont placés dans une situation identique au regard de ladite prime, celle-ci ayant exclusivement pour objet de rétribuer le travail d'équipe.

La SAS Caterpillar France soutient que le STIP constitue une part variable du salaire des cadres, ce qui justifierait la différence de traitement, dès lors que les salariés cadres, à l'inverse des salariés non-cadres, ne perçoivent pas l'intégralité de leur salaire de base de référence.

Mais dès lors qu'il a été retenu précédemment que le STIP, constitue une prime variable n'ayant pas d'objet spécifique étranger au travail accompli ou destiné à compenser une sujétion particulière, et que les salariés cadres et non-cadres ne sont pas placés dans une situation identique à l'égard du travail accompli, eu égard notamment aux responsabilités qui leur incombent s'agissant des résultats à atteindre fixés par leur propre hiérarchie, il y a lieu de retenir que l'employeur n'a pas manqué au principe de l'égalité de traitement en prévoyant pour les salariés non cadres un STIP d'un taux inférieur à celui des salariés cadres au titre de l'année 2014 et de l'année 2015.

Ainsi, il y a lieu, par infirmation du jugement entrepris, de débouter le salarié de ses demandes formulées à ce titre.

Sur la perte de chance du fait du défaut des discussions en vue du renouvellement éventuel de l'accord de 2006

Le droit applicable

Il est de principe que la perte de chance implique seulement la privation d'une potentialité présentant un caractère de probabilité raisonnable et non un caractère certain et que lorsque la perte de chance est établie, elle constitue un préjudice indemnisable, dont le montant est souverainement apprécié par les juges du fond.

Moyens des parties

En l'espèce, M.[B] demande à ce que la SAS Caterpillar France soit condamnée à lui verser une indemnité en réparation du préjudice subi constitutif de la perte de chance de voir l'accord sur l'intéressement des salariés de 2006 renouvelé après son terme, en raison de la faute de la SAS Caterpillar France d'organiser la réunion prévue par ce même accord à son terme.

Pour étayer sa demande, il fait valoir que :

' Le 29 juin 2006, un accord d'intéressement des salariés de l'entreprise pour une durée de trois ans a été conclu ;

' Au terme des trois années, aucune réunion n'était organisée par l'employeur et l'accord d'intéressement n'a pas été renouvelé ;

' Le syndicat CGT a saisi le TGI de Grenoble afin de voir dire et juger abusive et irrégulière la décision de la société Caterpillar de ne pas réviser ou renouveler l'accord d'intéressement ;

' Par jugement définitif en date du 8 avril 2013, le TGI de Grenoble a jugé que la société Caterpillar et la société Caterpillar Services avaient commis une faute en n'organisant pas de réunion pour la mise en place éventuelle d'un accord d'intéressement des salariés pour l'année 2009 ;

' Par ce comportement, la société Caterpillar a également causé un préjudice individuel à chaque salarié au titre de la perte de chance de pouvoir prétendre à une partie de ses revenus ;

' La cour d'appel de Grenoble a considéré que les salariés n'ont subi aucun préjudice du fait du non renouvellement de l'accord d'intéressement ;

' Cette décision n'est pas opposable au salarié, dès lors qu'il n'était pas partie à cette procédure ;

' Le TGI était incompétent, dès lors qu'il s'agissait d'une prime ayant une incidence sur le montant de la rémunération et que le CPH est compétent pour examiner une demande relative à un avantage découlant de l'exécution du contrat de travail ;

' Il est incontestable que par son comportement, l'employeur a bien privé collectivement les salariés d'une chance de voir négocier un accord pour l'année 2008 ; le préjudice qui en est résulté est lui-même incontestable ;

' La cour de cassation a reconnu le bien-fondé de cette réclamation dans son arrêt du 14 novembre 2018 ;

' Le salarié verse aux débats les fiches de paye justificatifs des sommes auxquelles il a pu prétendre en application de l'accord d'intéressement pour les années 2006 à 2008 avant d'en être privé en 2009 ;

' Il justifie d'un préjudice réel et certain et est donc bien fondé à solliciter la réparation de ce préjudice au titre de la perte de chance liée au non respect des conditions de renouvellement de l'accord d'intéressement du 29 juin 2006 ;

La SAS Caterpillar France ne conclut pas sur cette demande.

Sur ce,

Il n'est pas contesté par l'employeur que le 29 juin 2006 la SAS Caterpillar France et les syndicats des salariés ont conclu un accord d'intéressement des salariés de l'entreprise pour une durée de trois ans et qu'aucune réunion n'a été organisée pour décider de l'opportunité de renouveler l'accord, comme cela était prévu.

M.[B] produit les fiches de paie justifiant des sommes qu'il a perçues au titre de cet accord pour les années 2007 à 2008.

Il soutient que par la faute de la SAS Caterpillar France, qui a manqué d'organiser la réunion prévue par l'accord, il a subi une perte de chance de voir cet accord renouvelé, et ainsi de percevoir sa rémunération bonifiée pour les années 2009 et suivantes au titre de l'intéressement.

M.[B] ne verse cependant aux débats aucun autre élément permettant d'établir que la probabilité que la SAS Caterpillar France conclut un nouvel accord d'intéressement à l'issue de l'accord de 2006 était raisonnable, dès lors qu'elle ne s'était manifestement engagée qu'à organiser une réunion en vue de la conclusion d'un nouvel accord et non à conclure un nouvel accord.

Il y a lieu, par conséquent, de retenir que M.[B] échoue à démontrer qu'il a bien subi une perte de chance constitutive d'un préjudice en raison de la faute imputable à la SAS Caterpillar France.

M.[B] est débouté de sa demande formulée à ce titre, par confirmation du jugement entrepris.

Sur les demandes accessoires

Il convient d'infirmer le jugement déféré dans ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens. Au titre de la première instance, il y a lieu d'écarter l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et de condamner M.[B] aux dépens.

Eu égard aux circonstances de la cause et à la situation respective des parties, l'équité commande d'écarter l'application de l'article 700 du Code de procédure civile devant la cour.

M.[B] qui succombe à hauteur de cour est condamné aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,

DECLARE irrecevable la demande de la SAS Caterpillar France de déclarer irrecevables les conclusions de M. [Z] [B] ;

DIT qu'il n'y a pas lieu d'ordonner la production des bulletins de salaires des cadres sollicitée par M.[Z] [B] ;

INFIRME le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Valence en date du 9 octobre 2018, sauf en ce que :

' il a déclaré non prescrite et par conséquent recevable la demande de M. [Z] [B] portant sur le rappel de salaire dû au titre du STIP de l'année 2010 ;

' il a débouté M. [Z] [B] de sa demande au titre de la perte de chance ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

DECLARE irrecevable la demande de M. [Z] [B] portant sur le rappel de salaire au titre du STIP de l'année 2008 ;

DEBOUTE M. [Z] [B] du surplus de ses demandes ;

DEBOUTE la SAS Caterpillar France du surplus de ses demandes ;

CONDAMNE M. [Z] [B] aux dépens de première instance et d'appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur SILVAN, Conseiller faisant fonction de Président, et par Madame ROCHARD, Greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Ch. sociale -section a
Numéro d'arrêt : 18/04613
Date de la décision : 30/06/2020

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-06-30;18.04613 ?
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