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05/03/2019 | FRANCE | N°17/00179

France | France, Cour d'appel de Grenoble, 2ème chambre, 05 mars 2019, 17/00179


N° RG 17/00179 - N° Portalis DBVM-V-B7B-I24F





N° Minute :





V.L














































































































Copie exécutoire délivrée



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la SELARL CABINET [...]





la SELARL GALLIZIA [...]





AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE GRENOBLE





2EME CHAMBRE CIVILE





ARRÊT DU MARDI 05 MARS 2019








Appel d'un Jugement (N° R.G. 09/02840)


rendu par le Tribunal de Grande Instance de GRENOBLE


en date du 01 décembre 2016


suivant déclaration d'appel du 10 Janvier 2017








APPELANTS :





Monsieur X... W...


né le [...] à LA T...

N° RG 17/00179 - N° Portalis DBVM-V-B7B-I24F

N° Minute :

V.L

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

la SELARL CABINET [...]

la SELARL GALLIZIA [...]

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

2EME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU MARDI 05 MARS 2019

Appel d'un Jugement (N° R.G. 09/02840)

rendu par le Tribunal de Grande Instance de GRENOBLE

en date du 01 décembre 2016

suivant déclaration d'appel du 10 Janvier 2017

APPELANTS :

Monsieur X... W...

né le [...] à LA TRONCHE (38700)

de nationalité Française,

[...]

[...]

SARL [...]

immatriculée au R.C.S. de GRENOBLE sous le n°338 152 861, prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège, [...]

[...]

Représentés par Me Yves BALESTAS de la SELARL CABINET BALESTAS, avocat au barreau de GRENOBLE,

INTIMES :

Monsieur P... C...

[...]

[...]

SA MONCEAU GENERALE ASSURANCES

dont le numéro SIRET est 414 086 355 00040, prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège, [...]

[...]

Représentés par Me Delphine DUMOULIN de la SELARL GALLIZIA DUMOULIN ALVINERIE, avocat au barreau de GRENOBLE, substituée par Me Melody PICAT, avocat au barreau de GRENOBLE,

RSI DES ALPES

prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège,

Agence Alpes

[...] - [...]

[...]

Non représenté,

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Madame Véronique LAMOINE, Conseiller faisant fonction de Président,

Monsieur Laurent GRAVA, Conseiller,

Monsieur Frédéric BLANC, Conseiller,

Assistés lors des débats de Mme Morgane MATHERON, Greffier,

DÉBATS :

A l'audience publique du 07 Janvier 2019

Madame Véronique LAMOINE, Conseiller faisant fonction de Président, a été entendue en son rapport,

Les avocats ont été entendus en leurs conclusions.

Puis l'affaire a été mise en délibéré pour l'arrêt être rendu ce jour.

Rappel des faits et de la procédure

Le 21 janvier 2005, Monsieur X... W..., âgé de 49 ans pour être né le [...] et exerçant la profession de gérant non salarié de la SARL [...] exploitant une activité de plomberie, a été victime d'un accident de la circulation au cours duquel un véhicule conduit par Monsieur P... C..., assuré auprès de la société MONCEAU GENERALE ASSURANCES, lui a coupé la route alors qu'il pilotait son scooter.

Dans les suites de l'accident Monsieur X... W... s'est trouvé en arrêt de travail durant les périodes suivantes :

* du 21 janvier au 11 juillet 2005 soit 172 jours,

* du 22 juillet au 6 novembre 2005 soit 108 jours,

* du 28 février au 4 juin 2006, soit 97 jours.

Par jugement du 17 janvier 2006, le Tribunal Correctionnel de GRENOBLE a condamné Monsieur P... C... pour les faits qui lui étaient reprochés, et l'a déclaré entièrement responsable des dommages subis par Monsieur X... W....

Une provision de 5000€ a été allouée à la victime et une expertise médicale a été ordonnée, confiée au Docteur V..., remplacé par le Docteur L... qui a déposé son rapport le 3 janvier 2007, l'expert concluant notamment à un DFP de 8 % en raison des séquelles du traumatisme initial de l'épaule avec fracture.

Cependant, l'indemnisation des préjudices n'est pas intervenue dans ce cadre pénal.

Par actes des 2 et 4 juin 2009, Monsieur X... W... a fait assigner devant le Tribunal de Grande Instance de GRENOBLE la société MONCEAU GENERALE ASSURANCES et le RSI DES ALPES pour voir indemniser ses préjudices sur la base du rapport L... .

Par un premier jugement du 7 mai 2013, le Tribunal de Grande Instance de GRENOBLE a :

* donné acte à la SARL [...] de son intervention volontaire,

* constaté qu'il est reconnu par les défendeurs que Monsieur P... C... est entièrement responsable des conséquences dommageables de l'accident dont Monsieur X... W... a été victime le 21 janvier 2005,

* condamné in solidum Monsieur P... C... et la société MONCEAU GENERALE ASSURANCES à payer à Monsieur X... W..., en indemnisation de ses préjudices exception faite de sa perte de gains professionnels, la somme de 19389,65€ en deniers ou quittances,

Avant dire droit sur la perte de gains professionnels de Monsieur X... W... et le préjudice financier de la SARL [...] :

* ordonné une expertise en désignant Madame T... F..., expert-comptable, avec pour mission, principalement, de déterminer la perte de revenus subie par Monsieur X... W... pendant les périodes d'ITT retenues par Madame L... dans son rapport d'expertise du 3 janvier 2007, déduction faite des indemnités journalières perçues du RSI et de la société LA MONDIALE, et rechercher si la SARL [...] a subi un préjudice financier du fait de l'absence de Monsieur X... W... et l'évaluer,

* condamné in solidum Monsieur P... C... et la société MONCEAU GENERALE ASSURANCES à payer à Monsieur X... W... la somme de 1500€ sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux dépens avec application des dispositions de l'article 699 du même code.

Madame T... F..., expert désignée, a établi le rapport de ses opérations le 23 décembre 2014.

Après avoir rappelé les périodes d'ITT de Monsieur X... W... retenues par le médecin expert, l'état de ses revenus et après avoir dressé la situation comptable et financière de la SARL [...], elle a notamment conclu que :

* pendant les périodes d'ITT consécutives à l'accident du 21 janvier 2005, Monsieur X... W... n'avait pas subi de perte de revenus compte-tenu du maintien de sa rémunération par l'entreprise, et de la prise en compte des indemnités journalières perçues du RSI et de la société LA MONDIALE,

* si le chiffre d'affaires de la SARL [...] réalisé au titre de l'exercice clos le 31 mars 2005 était inférieur à ceux réalisés au titre des exercices clos de 2003 à 2007, il n'était pas possible d'établir un lien de causalité entre cette diminution ponctuelle et l'absence de son gérant consécutif à l'accident.

En revanche, après avoir rappelé que l'absence, surtout prolongée, d'un gérant de SARL entraîne comme conséquence soit une baisse d'activité et une perte de marge bénéficiaire, soit une augmentation ou un maintien de charges sans contrepartie, elle retient comme éléments constitutifs d'un préjudice de la SARL [...] :

Au titre du maintien de la rémunérationde M. W... :

durant 377 jours non consécutifs d'ITT :

* complément de rémunération : 76 757€

* charges sociales : 21 492€

soit un total de : 98249€

Au titre des frais d'acquisition d'un véhicule pour le gérant avec une boîte de vitesse automatique :

le coût d'un tel véhicule est venu majorer les charges d'exploitation de la SARL [...] à hauteur de 12 830€

Au titre de primes exceptionnelles au personnel et/ou paiement d'heures supplémentaires :

primes exceptionnelles et de rendement perçues par Monsieur J... E..., qui a dû partiellement remplacer le gérant:

* primes : 5313€

* charges sociales patronales sur primes (60 %) : 3 187 €

soit un total de : 8 500 €

Par jugement du 1er décembre 2016, réputé contradictoire en l'absence de comparution du RSI DES ALPES, le Tribunal de Grande Instance de GRENOBLE a :

* donné acte à Monsieur X... W... qu'il ne forme aucune demande au titre des pertes de gains professionnels durant ses périodes d'incapacité totale de travail,

* débouté la SARL [...] de sa demande au titre des pertes de bénéfices,

* condamné in solidum Monsieur P... C... et la société MONCEAU GENERALE ASSURANCES à payer à la SARL [...] la somme de 23706,50€ au titre des charges supplémentaires supportées à la suite de l'accident dont son gérant a été victime, ainsi qu'une somme de 1000€ sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

* ordonné l'exécution provisoire,

* condamné Monsieur P... C... et la société MONCEAU GENERALE ASSURANCES aux entiers dépens en ce compris les frais d'expertise de Madame T... F..., lesquels seront distraits au profit de la SCP BALESTAS - DETROYAT selon les dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.

L'indemnité allouée au titre des charges supplémentaires correspond aux montants suivants :

* maintien de rémunération de Monsieur X... W... : rejet

* acquisition d'un véhicule adapté : 12830 € HT

* frais supplémentaires de main d'oeuvre : 8 500 €

* honoraires exceptionnels des cabinets d'expertise comptable : 2376,50€.

Le Tribunal a retenu que :

* il n'était pas possible d'établir un lien de causalité entre la diminution ponctuelle du chiffre d'affaires en 2005 et l'absence du gérant de la SARL en raison de la taille de celle-ci ne nécessitant pas une implication personnelle du gérant, celle-ci supposant une nécessaire planification des chantiers plusieurs semaines voire mois à l'avance, et que la baisse d'activité était liée à une chute des chantiers industriels ou de rénovation, la SARL [...] n'ayant apporté aucun élément de nature à démontrer l'existence d'un tel lien,

* il est constant que Monsieur X... W... est gérant non salarié de sorte que les sommes qui lui ont été versées durant ses absences ne sont pas des salaires au sens de l'article 29 de la loi du 5 juillet 1985, et que ces versements n'ouvrent donc aucun droit à une action contre la personne tenue à réparation du dommage ou son assureur en application de l'article 33 de cette même loi, la SARL [...] étant, dès lors, uniquement admise à poursuivre directement le remboursement des charges patronales, mais que le rapport d'expertise ne permettait pas de déterminer le montant de ces charges patronales parmi les charges sociales retenues, de sorte qu'aucune somme ne pouvait être allouée à ce titre,

* la seule date d'acquisition du véhicule adapté ne permettait pas d'en écarter le lien avec les suites de l'accident, la SARL [...] ayant fait preuve d'une gestion prudente en faisant l'acquisition d'un tel véhicule tandis que son gérant était encore en arrêt de travail,

* l'examen du libellé des factures des sociétés SOVEC et BDO jointes sur CD-Rom au rapport d'expertise suffisait à établir la preuve que des prestations avaient été réalisées par ces cabinets d'expertise comptable pour permettre à la SARL [...] de réunir les éléments nécessaires à la preuve de la nature et du quantum de ses préjudices.

Par déclaration au Greffe en date du 10 janvier 2017, signifiée le 13 mars 2017 au RSI DES ALPES, Monsieur X... W... et la SARL [...] ont interjeté appel de ce jugement.

Dans leurs conclusions récapitulatives d'appel notifiées le 3 mai 2018, ils demandent à la Cour de :

* donner acte à Monsieur X... W... de ce qu'il renonce à toutes demandes relatives à une perte de gains professionnels pour les périodes d'ITT retenues par l'expert médical,

* fixer le préjudice subi par la SARL [...] de la manière suivante :

- pertes de bénéfices nets comptables consécutifs à l'absence de Monsieur X... W..., ès qualités de gérant majoritaire et donc dirigeant de cette petite entreprise : 36000€

- charges supplémentaires assumées par la SARL [...] en raison de l'absence de son dirigeant :

# maintien de la rémunération du gérant, Monsieur X... W..., absent pour l'année 2005 : 76 757 €,

# remboursement des charges sociales afférentes : 28 300€,

# achat d'un véhicule adapté : 12 830€,

# frais supplémentaires de main d'oeuvre : 8 500€,

# honoraires d'expertise comptable : 2 376,50 €,

* condamner Monsieur P... C... et son assureur, la société MONCEAU GENERALE ASSURANCES au règlement de ces sommes,

* condamner les mêmes à la somme de 5000€ sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens, incluant les frais d'expertise du rapport de Madame T... F....

Ils font valoir :

* qu'il n'appartient pas à l'expert de dire le droit puisque cette appréciation relève exclusivement de la compétence de la Cour,

* que dans une petite structure comme celle de la SARL [...], l'absence du gérant ne peut être sans conséquence sur son activité, l'intuitu personae étant précisément la valeur de ce type d'entreprise artisanale,

* que le chiffre d'affaires de 2005 a diminué par rapport à celui de 2004 de plus de 80000€ alors que la croissance du chiffre d'affaires était constante depuis 2003 et que dès la reprise d'activité de Monsieur X... W... le chiffre d'affaires a repris sa progression en 2006 et 2007,

* que les sommes versées à Monsieur X... W... ne sont pas des salaires mais des indemnités à valoir sur les dividendes de l'entreprise qui sont soumise à cotisations patronales, et que le Tribunal se devait, s'il ne disposait pas des éléments suffisants à ce titre, de soulever d'office ce moyen afin de permettre aux parties de débattre contradictoirement sur cette question,

* que l'expert judiciaire a fixé à 28 % le coût des charges sociales de sorte que c'est à tort que le Tribunal a considéré qu'il n'existait aucun détail permettant de déterminer le montant des charges patronales,

* que la SARL [...] produit aux débats les charges réglées auprès des différents organismes sociaux.

Monsieur P... C... et la société MONCEAU GENERALE ASSURANCES, dans leurs conclusions d'intimés récapitulatives n° 3 notifiées le 14 mai 2018, demandent à la Cour de :

* confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

- débouté la SARL [...] de ses prétentions à l'indemnisation à hauteur d'une perte de bénéfices nets non établie,

- débouté la SARL [...] de sa demande au titre du maintien de rémunération de Monsieur X... W...,

- débouté la SARL [...] de sa demande de remboursement de charges patronales,

- fixé à la somme de 8 500€ les frais supplémentaires de main d'oeuvre,

Réformant le jugement pour le surplus et faisant droit à l'appel incident,

* juger que les éléments du dossier ne permettent pas d'imputer l'achat du véhicule à l'accident de Monsieur X... W..., et par conséquent rejeter la demande de la SARL [...] de remboursement de la somme de 12830€ liée à l'acquisition de ce véhicule,

* rejeter la demande de la SARL [...] de remboursement de frais et honoraires comptables exceptionnels,

* condamner la SARL [...] et Monsieur X... W... in solidum à leur payer la somme de 2000€ en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.

Ils font valoir :

# sur la réclamation au titre de la perte de bénéfices

* que la SARL [...] ne communique aucune donnée objective se rapportant à l'évolution du montant global des marchés sur le territoire d'intervention et la catégorie d'activité de l'entreprise, pas plus qu'elle ne fait état de pertes de chantiers directement liées à l'absence de son dirigeant,

* qu'en l'absence d'éléments probants, il n'est pas possible d'établir un lien de causalité entre l'absence de Monsieur X... W... et la diminution ponctuelle de chiffre d'affaires constatée en 2005, d'autant plus que Monsieur X... W... a lui-même précisé dans son rapport de gestion cité par l'expert que cette baisse n'était nullement imputable à son absence mais relevait d'un glissement de l'activité des marchés publics vers celle des particuliers et des dépannages,

* qu'une demande d'indemnisation ne peut pas être présentée sur la base du résultat comptable dans la mesure où ce dernier varie d'un exercice à l'autre en fonction du chiffre d'affaires et des charges de la société,

# sur la réclamation au titre des charges supplémentaires

* que l'expert judiciaire a pris en compte une charge en incluant le maintien de la rémunération de gérance de Monsieur X... W... constitutif d'un surcoût pour la SARL [...], ce qui est en contradiction avec ses arguments se rapportant à l'évolution de l'activité de l'entreprise,

* qu'un maintien de rémunération, alors qu'aucune perte de chiffre d'affaires n'a été subie, ne constitue pas un surcoût, la SARL [...] n'ayant fait qu'honorer des charges normalement dues,

* que la SARL [...] sollicite sans aucun prorata temporis le remboursement des cotisations personnelles de Monsieur X... W... au titre de l'entière année 2005,

* qu'en application des articles 32 et 33 de la loi du 5 juillet 1985, la SARL ne peut être admise à poursuivre contre le responsable ou son assureur que le remboursement des charges patronales afférentes aux rémunérations maintenues pendant la période d'indisponibilité de la victime,

* que le rapport d'expertise ne contient aucun détail permettant de déterminer le montant de ces charges patronales,

* que seul un employeur est fondé à se prévaloir des dispositions de l'article 32 de la loi du 5 juillet 1985, or Monsieur X... W... n'étant pas salarié, les cotisations supportées par la SARL [...] ne constituent pas des charges patronales mais des cotisations personnelles du gérant,

* que l'acquisition d'un véhicule adapté au handicap de Monsieur X... W... date du 25 mars 2005, soit avant la fin de sa première période d'ITT qui s'étend du 5 janvier 2005 au 11 juillet 2005,

* que la mise en circulation du véhicule a été réalisée en avril 2005 alors que Monsieur X... W... était en arrêt de travail jusqu'en novembre 2005, et la date de valeur portée sur le devis permet de penser que le projet d'acquisition a pu être antérieur à l'accident,

* que le rapport de gestion sur l'exercice de 2005 mentionne que l'entreprise a continué à investir sur du matériel de transport malgré l'achat du véhicule adapté, que les frais liés à l'acquisition du véhicule étaient intégrés au programme d'investissement de l'entreprise,indépendamment de l'accident de son gérant, de sorte qu'ils ne constituent pas un surcoût,

* que les études réalisées par les cabinets SOVEC puis BDO RHONE-ALPES, experts comptables de la SARL [...], ont été effectués dans le cadre du contrat de mission qui lie la société d'expertise-comptable à sa cliente et qu'il est donc abusif de prétendre qu'ils auraient généré des honoraires exceptionnels.

Le RSI DES ALPES, qui n'a pas constitué avocat, a été régulièrement assigné le 13 mars 2017 par acte remis à une personne habilitée. Le présent arrêt sera réputé contradictoire en application des dispositions de l'article 474 du Code de Procédure Civile.

L'instruction a été clôturée par une ordonnance rendue le 12 juin 2018.

Motifs de la décision

Les parties s'accordent sur la confirmation du jugement en ce qu'il a :

* donné acte à Monsieur X... W... qu'il ne forme aucune demande au titre des pertes de gains professionnels durant ses périodes d'incapacité totale de travail,

* alloué à la SARL [...] la somme de 8 500 € au titre des frais supplémentaires de main d'oeuvre (primes de Monsieur E... et charges sociales afférentes).

Il y a donc lieu d'examiner les autres postes de préjudice invoqués par la SARL [...], restés en discussion entre les parties.

Sur la demande au titre de la perte de bénéfices

Il convient de relever, au vu des éléments dégagés par l'expert judiciaire F... et non discutés sur ce point et des autres pièces du dossier :

* que la SARL [...], qui exploite une activité de plomberie, employait 10 salariés au jour de l'accident,

* que les exercices comptables sont clos au 31 mars de chaque année, alors que l'accident est survenu le 21 janvier 2005,

* que l'impact de cet accident sur l'exercice comptable clos au 31 mars 2005, seul invoqué par la SARL comme révélateur d'une perte de bénéfices, doit donc s'apprécier sur les seuls deux mois et dix jours séparant l'accident de la clôture de cet exercice.

Dans ces conditions, c'est à bon droit que le Tribunal a entériné les conclusions du rapport de l'expert retenant que le lien de causalité entre l'accident et la baisse de chiffre d'affaires et de bénéfices de cet exercice n'était pas établi, en ce que :

- compte-tenu de la taille de l'entreprise et du nombre de ses salariés (10), l'implication du gérant dans la production n'était pas majoritaire mais que celui-ci occupait surtout des fonctions de direction, de gestion et des démarches commerciales,

- en raison de cette taille, les chantiers étaient, en 2004 et 2005, nécessairement planifiés à plusieurs semaines voire à plusieurs mois, de sorte qu'une baisse de l'activité commerciale par l'absence du gérant n'avait pas pu affecter significativement le chiffre d'affaires sur les seuls deux mois et demi de la fin de l'exercice,

- le rapport de gestion, établi en août 2005 par Monsieur W... lui-même pour l'assemblée générale d'approbation des comptes de l'exercice clos le 31 mars 2005, précisait que la baisse d'activité de cet exercice était liée à une chute des chantiers industriels ou de rénovation et à la réalisation de petits dépannages chez des particuliers, moins rémunérateurs, sans évoquer sur ce point l'impact de son absence suite à l'accident,

- aucune perte de chantiers suite à l'absence du gérant n'était alléguée ni établie.

C'est en vain que la SARL [...], en cause d'appel, fait état de l'intuitu personae attaché à une petite structure sans en démontrer l'impact effectif sur l'activité de l'entreprise suite à l'absence de son dirigeant puisque aucune perte de chantiers consécutive à l'absence du dirigeant n'est établie, alors-même que, malgré cette absence qui s'est prolongée jusqu'au 6 novembre 2015 (avec une reprise du 11 au 22 juillet 2005), puis du 28 février au 4 juin 2006, le chiffre d'affaires de l'exercice suivant (du 1er avril 2005 au 31 mars 2006) est passé à 1,054 millions d'euros soit une augmentation de 16 % par rapport à l'exercice précédant celui de l'accident, pour un bénéfice de 52827€ en augmentation de 32 % par rapport au même exercice.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté toute demande de ce chef.

Sur les demandes au titre de l'augmentation des charges

# maintien de la rémunération du dirigeant

Ainsi que l'a justement retenu le Tribunal, les sommes versées à Monsieur W... au titre du maintien de sa rémunération durant ses périodes d'incapacité de travail n'ouvrent droit à aucune action contre la personne tenue de la réparation du dommage ou son assureur en vertu des articles 29 à 33 de la loi du 5 juillet 1985 en ce que :

- l'article 29, 4 de cette loi limite le recours subrogatoire de l'employeur aux salaire et accessoires du salaire ce que n'est pas la rémunération d'un gérant de SARL non salarié,

- l'article 32 ouvre droit à la seule action directe concernant les charges patronales afférentes aux rémunérations maintenues ou versées à la victime, supportées par l'employeur alors que la SARL [...] n'est pas l'employeur de son gérant non salarié,

- l'article 33 édicte expressément qu'hormis les prestations visées aux articles 29 et 32, aucun versement effectué au profit d'une victime en vertu d'une obligation légale, conventionnelle ou statutaire n'ouvre droit à une action contre la personne tenue à réparation du dommage ou son assureur.

La rémunération maintenue en l'espèce, réglée en vertu des statuts de la personne morale, est donc exclue de tout recours, ainsi que les cotisations sociales payées par la SARL au profit de son dirigeant, qui en sont l'accessoire.

La SARL [...] est, par ailleurs, mal fondée à invoquer un appauvrissement par le versement d'une rémunération sans contrepartie de travail alors-même que d'une part, ainsi qu'il a été développé plus haut dans l'examen de la demande au titre de perte de bénéfices, ses résultats de l'exercice durant lequel son dirigeant était indisponible se sont améliorés par rapport à l'exercice précédant l'accident, d'autre part elle est indemnisée par la présente décision du coût du travail supplémentaire fourni par le salarié qui a suppléé au moins partiellement son dirigeant durant son immobilisation.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté toutes demandes à ce titre, pour ces motifs substitués.

# acquisition d'un véhicule adapté

Ainsi que le Tribunal l'a relevé, les intimés ne contestent pas que l'état séquellaire de Monsieur W..., mis en évidence par le rapport d'expertise médicale (raideur de l'épaule justifiant un DFP de 8 %), justifiait le besoin d'utilisation d'un véhicule de fonction avec boîte automatique, dès lors que cet état l'empêchait de continuer à se déplacer en scooter ainsi qu'il le faisait jusqu'alors.

La SARL [...] a justifié du coût de cette acquisition par la production d'une facture auprès de l'expert judiciaire F....

Le Tribunal a justement retenu, par des motifs pertinents, d'une part que la seule mention sur cette facture d'un 'tarif au 3 janvier 2005" ne suffisait pas à établir que la décision d'acquérir ce véhicule aurait été antérieure à l'accident survenu le 21 janvier alors que les grilles tarifaires des constructeurs sont souvent revues en début d'année, d'autre part que l'acquisition de ce véhicule alors-même que Monsieur W... était encore en arrêt de travail ne permettait pas d'exclure le lien de causalité entre l'accident et cet achat mais témoignait au contraire de la gestion prudente dont avait fait preuve l'entreprise en anticipant les besoins de son dirigeant au regard des lésions traumatiques déjà survenues et de leurs séquelles prévisibles.

Enfin, il a considéré à juste titre qu'en l'absence d'autres éléments suffisamment circonstanciés, il ne pouvait être tiré argument de la seule mention du rapport de gestion selon laquelle l'entreprise avait en 2005 'continué à investir essentiellement sur du matériel de transport' pour en conclure que le véhicule en cause aurait dans tous les cas été acheté, aucun élément du dossier ne permettant de penser que ce véhicule serait venu remplacer un véhicule déjà amorti et équipé de façon équivalente.

Dès lors, le lien direct et certain entre cette acquisition et l'accident est suffisamment établi par l'ensemble de ces circonstances, et le jugement sera confirmé en ce qu'il a alloué à la SARL [...] la somme justifiée qu'elle réclamait à ce titre.

# honoraires exceptionnels d'expert-comptable

C'est encore par des motifs pertinents que le Tribunal a alloué à la SARL [...] la somme qu'elle justifie avoir déboursée au titre d'honoraires exceptionnels des cabinets SOVEC et BDO experts comptable, les prestations ainsi rémunérées ayant été nécessitées, au vu des justificatifs produits, par la recherche de l'existence et de l'étendue de ses préjudices conduisant ensuite à la désignation d'un expert judiciaire à cette fin, le seul fait que les chiffres utilisés aient été connus de ces cabinets tenant habituellement ses comptes n'excluant pas le travail nécessairement réalisé pour la recherche et les calculs spécifiques ainsi sollicités hors du cadre de la mission habituelle d'un cabinet d'expertise comptable.

Sur les demandes accessoires

La SARL [...], dont l'appel n'est pas fondé, devra supporter les dépens conformément aux dispositions de l'article 696 du Code de Procédure Civile. Pour les mêmes motifs, il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du Code de Procédure Civile en sa faveur ni celle de Monsieur W....

Il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de Monsieur C... et la société MONCEAU GENERALE ASSURANCES la totalité de leurs frais irrépétibles.

Par ces Motifs

La Cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement déféré.

REJETTE toutes les autres demandes.

CONDAMNE la SARL [...] aux dépens d'appel.

Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Arrêt signé par Madame Véronique LAMOINE, conseiller faisant fonction de Président et par le Greffier Morgane MATHERON, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER, LE PRESIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 17/00179
Date de la décision : 05/03/2019

Références :

Cour d'appel de Grenoble 02, arrêt n°17/00179 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-03-05;17.00179 ?
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