JD
RG N° 16/05191
N° Minute :
Notifié le :
Copie exécutoire délivrée le :
Me Sophie X...
la SELARL ACTES JURIDIQUES ET FISCAUX
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
Ch. Sociale -Section B
ARRÊT DU JEUDI 20 SEPTEMBRE 2018
Appel d'une décision (N° RG F 15/01083)
rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRENOBLE
en date du 06 octobre 2016
suivant déclaration d'appel du 03 Novembre 2016
APPELANTE :
Madame Dominique Y...
née le [...] à MONTPELLIER (34000)
de nationalité Française
[...]
représentée par Me Sophie X..., avocat au barreau de GRENOBLE,
INTIMÉE :
SAS SYDEV
[...]
38130 ECHIROLLES
représentée par Me Julie Z... de la SELARL ACTES JURIDIQUES ET FISCAUX, avocat au barreau de GRENOBLE,
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ:
Mme Dominique DUBOIS, Présidente,
Mme Magali DURAND-MULIN, Conseiller,
Monsieur Jérôme A..., Magistrat honoraire,
Assistés lors des débats de Mme Mériem CASTE-BELKADI, Greffier.
DÉBATS :
A l'audience publique du 06 Juin 2018,
Monsieur Jérôme A... est entendu en son rapport.
Les parties ont été entendues en leurs conclusions et plaidoiries.
Puis l'affaire a été mise en délibéré au 20 Septembre 2018.
L'arrêt a été rendu le 20 Septembre 2018.
Mme Dominique Y... fut embauchée le 3 juin 2013 en qualité de «responsable marketing et communication» et «responsable de la cellule partenaires TAMZAG» par la société Sydev qui exploite à Echirolles et à Précy-sous-Thil une entreprise d'édition et de commercialisation de logiciels de gestion à l'intention d'entreprises du bâtiment.
Le contrat de travail se référait à la convention collective nationale des bureaux d'études techniques (Syntec) et stipulait que Mme Y... était embauchée avec le statut de cadre à la position 3.1, coefficient 170.
Mme Y... observait des arrêts de travail du 6 au 23 novembre 2014 puis du 26 novembre au 24 décembre 2014 inclus. Elle se déclarait victime d'un accident de travail que l'organisme de sécurité sociale n'a pas reconnu.
Le 22 décembre 2014, elle était convoquée à un entretien préalable à licenciement pour le 5 janvier 2015.
Par courrier recommandé en date du 17 janvier 2015, elle reçut notification de son licenciement pour faute grave avec effet immédiat.
Le 18 mai 2015, elle saisit la juridiction prud'homale en réclamant une prime de vacances et un rappel de sa rémunération sur objectifs, et en contestant son licenciement.
Le 6 octobre 2016, le conseil de prud'hommes de Grenoble a débouté la salariée de ses prétentions sauf pour:
- donner acte à la société Sydev du paiement de la prime de vacances et à Mme Y... qu'elle ne soutenait plus cette demande,
- condamner la société Sydev à payer à la salariée la somme de 2.000 euros à titre de rappel de la part variable, outre 200 euros au titre des congés payés afférents, ainsi que 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le 3 novembre 2016, Mme Dominique Y... a régulièrement interjeté appel.
La clôture des débats a été ordonnée à la date du 4 avril 2018.
En l'état de ses conclusions d'appel transmises par voie électronique le 2 février 2017, Mme Dominique Y... demande à la Cour de:
«Confirmer le jugement attaqué qui a condamné la Société SYDEV à payer à Madame Y... la somme de 2 000 € bruts à titre de variable, outre 200 € bruts au titre des congés payés afférents.
Infirmer le jugement attaqué quant au licenciement pour faute grave du 17 janvier 2015 qui sera déclaré dépourvu de cause réelle et sérieuse
En conséquence, condamner la Société SYDEV au paiement des sommes suivantes :
- 12 721 € bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
Outre 1 272,15 € bruts de congés payés afférents,
Avec intérêts de droit à compter de la demande,
- 2 118.75 € nets au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,
Avec intérêts de droit à compter de la demande,
- 25 000 € nets à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi de la rupture abusive du contrat de travail.
Avec intérêts de droit à compter de la décision à intervenir.
Condamner la Société SYDEV au paiement de la somme de 3 500 € au titre de l'article 700
du Code de procédure civile, en sus de la somme allouée par le Conseil de Prud'hommes à ce titre, outre les entiers dépens de l'instance.»
La société Sydev, en l'état de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 26 mars 2018, en réplique et au soutien d'un appel incident, demande à la Cour de réformer le jugement entrepris pour débouter Mme Y... de toutes ses prétentions et la condamner à verser 3000 € en contribution aux frais irrépétibles.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions.
SUR QUOI, la Cour:
1. sur la demande de rappel de salaire au titre de la part variable de rémunération:
Lorsque la part variable de la rémunération dépend de la réalisation d'objectifs fixés unilatéralement par l'employeur et que l'employeur ne précise pas au salarié les objectifs à réaliser avant la période de référence, cette rémunération doit être payée intégralement.
En l'espèce, une proposition d'engagement établie par la société Sydev le 17 avril 2013 précisait à Mme Dominique Y... les conditions de son embauche en ces termes :
« Votre rémunération sera composée d'une part fixe annuelle brute de 50 000 € sur 12 moiset d'une part variable en fonction de l'atteinte des objectifs qui vous seront fixésannuellement et seront l'objet d'une annexe à votre contrat de travail.»
Mais pour l'année 2014, la société Sydev n'a communiqué ses objectifs à Mme Dominique Y... que par un courriel du 14 mai 2014.
La société Sydev ne peut dès lors se soustraire au paiement de la part variable de la rémunération au prétexte que la salariée n'a pas atteint les objectifs annuels qu'elle n'a fixés ni avant ni même au début de l'année de référence.
Il s'impose dès lors de faire droit à la demande que la salariée appelante limite au montant de 2000 € correspondant à la rémunération qu'elle considère lui être due pour avoir atteint 20% des objectifs qui lui ont été tardivement communiqués, outre une indemnité compensatrice des congés payés afférents et des intérêts au taux légal comme il est dit ci-après.
2. sur la contestation du licenciement et sur les demandes subséquentes :
Dès lors qu'un employeur, pour donner un effet immédiat à sa décision de rompre la relation de travail et se dispenser des obligations de délai-congé et d'indemnisation, a invoqué une faute grave du salarié, il lui incombe d'en apporter la preuve dans les termes énoncés dans la lettre de licenciement.
En l'espèce, la charge de la preuve pèse sur la société Sydev pour les sept motifs qu'elle a énoncés dans la lettre de licenciement du 17 janvier 2015.
Dans le premier motif de la lettre de licenciement, la société Sydev a reproché à Mme Dominique Y... ce qui suit:
«Aujourd'hui, force est de constater que les difficultés que vous rencontrez
dans l'exercice de vos fonctions en raison de votre absence totale de résultat, vous ont conduit à modifier votre attitude et à adopter ainsi une attitude déloyale et fautive d'une particulière gravité.»
Mais le motif manque de précision sur l'attitude déloyale et fautive imputée à la salariée appelante;
Quant à l'absence de résultat, non seulement elle n'était pas totale comme il est dit ci-dessus, mais elle n'a pas de caractère fautif dès lors que l'employeur n'a caractérisé ni négligence ni soustraction à l'obligation de travailler et qu'au surplus, la société Sydev a elle-même fixé tardivement les objectifs à atteindre.
Dans le deuxième motif de la lettre de licenciement, la société Sydev a articulé un grief comme suit:
«Après votre période d'essai d'une durée de quatre mois, vos relations avec vos collègues de travail n'ont eu de cesse de se dégrader à mesure que vous
révéliez votre véritable personnalité.
A titre d'exemples, nous pouvons citer dernièrement:
- Vous avez tenu à plusieurs reprises des propos violents et injurieux à l'égard de notre responsable technique R&D et de son équipe. Notamment, le 14 octobre 2014, lorsqu'il a dû vous expliquer comment rédiger les mentions de la CNIL à faire apparaitre sur nos sites web compte tenu de votre travail bâclé et approximatif à ce titre ou encore, le 28 octobre 2014, lorsque celui-ci vous a prouvé, malgré vos dénégations, que vous êtiez responsable de la perte de nos contacts provenant de notre site web car vous aviez substitué à notre insu l'adresse de réception des contacts sur votre adresse mail sans pour autant nous transmettre les messages.»
Mais comme le souligne la salarié appelante, la société Sydev n'apporte aucun élément au soutien de son assertion. Elle se limite à se référer à des messages électroniques que produit la salariée appelante et qui ont été échangés entre cette dernière et le responsable technique Olivier B... mais qui ne révèlent ni violence ni injure.
Au surplus, le fait du 14 octobre 2014 est couvert par la prescription comme remontant à plus de deux mois avant l'engagement de la procédure de licenciement le 22 décembre 2014.
Dans le troisième motif de la lettre de licenciement, la société intimée a reproché ce qui suit à Mme Dominique Y...:
«Nous avons recruté le 2 décembre 2013 une téléprospectrice au sein du service marketing. Considérant ses qualités professionnelles, nous avons décidé de la faire évoluer vers un poste d'assistante marketing opérationnelle en février 2014, sous votre responsabilité.
Cependant, après avoir travaillé avec vous quelques mois, elle nous a fait part à plusieurs reprises des grandes difficultés qu'elle rencontrait dans l'exécution de son travail au sein de votre service, compte tenu de votre attitude à son égard, de vos propos négatifs sur la société etc....ce qui nous a contraint à modifier son poste pour la faire travailler désormais depuis le 1er septembre 2014 au sein d'un autre service (service commercial) à peine de la voir quitter la société !»
Mais non seulement le grief ainsi énoncé se trouve prescrit comme remontant à plus de deux mois avant l'engagement de la procédure de licenciement le 22 décembre 2014, mais la société Sydev ne produit aucun élément de preuve.
Dans le quatrième motif de la lettre de licenciement, la société Sydev a écrit:
«Le 5 novembre 2014, notre prestataire technique en charge de la maintenance du
site internet GTBAT, dont vous avez la responsabilité, nous a demandé à changer d'interlocuteur ne supportant plus vos innombrables mails et votre comportement notamment à son égard.»
La société intimée se référe à un unique courriel du 5 octobre 2014 par lequel M. Philippe C... a transféré un message que Mme Y... lui avait adressé en précisant que la question en cause ne relevait pas de son «domaine». Mais cet expéditeur n'a pas demandé à changer d'interlocuteur, et il ne s'est plaint ni du nombre de messages que Mme Y... avait pu lui envoyer, ni du comportement de cette salariée à son égard.
Dans le cinquième motif de la lettre de licenciement, le reproche suivant a été fait à Mme Y...:
«Vous avez adopté une attitude déloyale et fautive en diffusant des informations
malsaines et diffamatoires tant à l'encontre de Monsieur Eric D... qu'à l'encontre de certains salariés de l'entreprise.
Vous avez ainsi profité des déplacements professionnels de Monsieur Eric D... pour relater pendant vos pauses auprès des membres du personnel ses prétendues 'aventures sexuelles' avec plusieurs collaboratrices de la société en les nommant précisément....
Ces propos ont été tenus devant témoins à plusieurs reprises à savoir par exemple le 6 novembre dernier auprès de Madame E... qui nous a rapporté une version différente de celles que vous indiquez dans votre courrier du 16 janvier dernier.»
A l'appui de son grief, la société intimée produit les attestations concordantes délivrées par son assistante administrative Nadine E... et la directrice générale adjointe Cécile F..., ainsi que le courrier du 16 janvier 2015 dans lequel Mme Y... a reconnu avoir parlé d'«une probable relation» entre le dirigeant de l'entreprise et une salariée, et avoir «évoqué ce ragot à tort».
La salariée appelante cherche minimiser la portée de ses propos en soutenant qu'ils n'ont été tenus que lors d'une discussion privée dans un bureau fermé, mais elle reconnaît avoir commis une erreur en ce qu'elle a évoqué avec sa collègue E... les «relations prétendument intimes» entre le chef d'entreprise D... et la directrice générale adjointe F..., ou la chargée d'affaires G....
Dans le sixième motif de la lettre de licenciement, la société intimée a ajouté:
«Les personnes visées par vos propos et accusations diffamatoires en ayant eu connaissance, vous avez eu une vive altercation verbale avec Madame Perrine G... DUPONT (collaboratrice visée par vos propos dénigrants) le 6 novembre 2014 et lui avez donc indiqué à cette occasion, ainsi qu'à Madame Cécile F..., autre collaboratrice visée par vos propos dénigrants, cesser ce type de comportement fautif.
Malgré tout, dès le lendemain, Madame Perrine G... DUPONT vous a néanmoins surprise en train de réitérer vos propos devant d'autres membres de la société (personne du service commercial). Celle-ci a donc sollicité dans les plus brefs délais une réunion avec le dirigeant en votre présence.
C'est dans ce contexte, que vous nous avez adressé un arrêt de travail pour cause de maladie jusqu'au 23 novembre 2014.
A votre retour d'arrêt de travail pour maladie, nous avons eu un entretien le 26 novembre 2014 au cours duquel vous avez confirmé avoir proféré ces allégations mensongères.
Vous avez même osé dire d'un ton totalement désinvolte durant cet entretien que ce genre 'de ragots était courant dans les entreprises', ce qui nous laisse sans voix !
A l'issue de cet entretien, vous avez repris votre travail comme si rien n'était jusqu'au soir, où vous avez quitté la société sans commentaire particulier. Depuis lors, vous êtes en arrêt de travail.
Il s'agit là d'agissements déplacés, dénigrants et attentatoires à la réputation non seulement des personnes visées mais également et plus généralement de l'entreprise et non de 'simples prétextes' comme vous le prétendez.»
La société intimée se limite cependant à présenter l'attestation de la chargée d'affaires Perrine G.... Non seulement cette attestation n'a pas été établie dans les formes requises, mais elle est insuffisante à établir avec certitude une réitération que conteste la salariée appelante.
Dans le septième et dernier le septième motif, la société Sydev a conclu la lettre de licenciement en ces termes:
«Nous ne pouvons le tolérer et cela est d'autant plus grave compte tenu de vos fonctions et qualité au sein de notre société.
Vous vous êtes en effet servie de votre qualité de membre du comité de direction pour tenter de donner une crédibilité à vos propos mensongers !»
Mais la société intimée n'apporte aucun élément au soutien de ce dernier grief.
Il en résulte en définitive que la société intimée ne satisfait à son obligation probatoire que pour la faute énoncée au cinquième motif.
Mais s'il est établi que la salariée appelante a manqué de discrétion et de délicatesse en tenant des propos supposant des relations intimes entre d'autres salariées et le chef d'entreprise, le licenciement s'avère une faute disproportionnée à la faute commise.
Le licenciement prononcé s'en trouve privé de cause réelle et sérieuse.
En conséquence et par application de l'article L1235-5 du code du travail, la salariée appelante est fondée à obtenir l'indemnisation du préjudice que lui a fait subir le licenciement abusivement prononcé.
Au vu des éléments que Mme Dominique Y... produit sur l'étendue de son préjudice, particulièrement caractérisé en ce qu'elle n'a pu retrouver d'emploi pérenne, une exacte évaluation conduit la Cour à fixer à 15.000 € le montant des dommages et intérêts qui l'indemniseront intégralement.
La salariée appelante est également fondée à obtenir une indemnité compensatrice du préavis dont son employeur ne pouvait la priver, un indemnité compensatrice des congés payés afférents, et une indemnité conventionnelle de licenciement, et ce pour les montants qu'elle chiffre exactement avec les intérêts au taux légal à compter de l'engagement de la procédure prud'homale qui emporte les effets d'une mise en demeure.
3. sur les disposition s accessoires:
En application de l'article 700 du code de procédure civile, il est équitable que l'employeur contribue aux frais irrépétibles qu'il a contraint la salariée à exposer tant devant les premiers juges qu'à hauteur d'appel.
En application de l'article 696 du même code, il échet de mettre les entiers dépens à la charge de l'employeur qui succombe.
PAR CES MOTIFS, la Cour,
Statuant par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire, en dernier ressort après en avoir délibéré conformément à la loi,
DÉCLARE recevables l'appel principal et l'appel incident;
INFIRME le jugement entrepris;
CONDAMNE la société Sydev à verser à Mme Dominique Y...:
- la somme de 15.000 € (quinze mille euros) à titre de dommages et intérêts en application de l'article L1235-5 du code du travail;
- la somme de 3.000 € (trois mille euros) en contribution aux frais irrépétibles;
CONDAMNE la société Sydev à verser à Mme Dominique Y..., avec les intérêts au taux légal à compter du 18 mai 2015:
- la somme de 2.000 € (deux mille euros) bruts en paiement de la part variable de la rémunération pour 2014, et la somme de 200 € (deux cents euros) bruts à titre d'indemnité compensatrice des congés payés afférents;
- la somme de 12.721 € (douze mille sept cent vingt et un euros ) bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, et la 1.272,15 € (mille deux cent soixante douze euros et quinze centimes) bruts à titre d'indemnité compensatrice des congés payés afférents:
- la somme de 2.118.75 € (deux mille cent dix huit euros et soixante quinze centimes) à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement;
DÉBOUTE les parties du surplus de leurs prétentions;
CONDAMNE la société Sydev à supporter les entiers dépens de première instance et d'appel;
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au Greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
Signé par Madame Dominique DUBOIS, Présidente, et par Madame ROCHARD, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIERLE PRESIDENT