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06/09/2018 | FRANCE | N°16/03455

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Ch. sociale -section b, 06 septembre 2018, 16/03455


JD



RG N° 16/03455



N° Minute :

























































































Notifié le :

Copie exécutoire délivrée le :







Me Florence E...



la SELARL COUTTON GERENTE LIBER MAGNAN



AU NOM

DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE GRENOBLE



Ch. Sociale -Section B

ARRÊT DU JEUDI 06 SEPTEMBRE 2018





Appel d'une décision (N° RG F15/01003)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRENOBLE

en date du 10 juin 2016

suivant déclaration d'appel du 30 Juin 2016





APPELANTE :



SAS MANPOWER FRANCE, prise en la personne de son représentant légal,

[...]



représen...

JD

RG N° 16/03455

N° Minute :

Notifié le :

Copie exécutoire délivrée le :

Me Florence E...

la SELARL COUTTON GERENTE LIBER MAGNAN

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

Ch. Sociale -Section B

ARRÊT DU JEUDI 06 SEPTEMBRE 2018

Appel d'une décision (N° RG F15/01003)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRENOBLE

en date du 10 juin 2016

suivant déclaration d'appel du 30 Juin 2016

APPELANTE :

SAS MANPOWER FRANCE, prise en la personne de son représentant légal,

[...]

représentée par Me Florence E..., avocat au barreau de PARIS,

INTIMES :

Monsieur Pierre X...

de nationalité Française

[...]

[...]

représenté par Me Maryline F... de la SELARL COUTTON GERENTE LIBER MAGNAN, avocat au barreau de GRENOBLE,

Monsieur Alfred Y...

né le [...] à VALENCIA (Espagne)

de nationalité Française

[...]

représenté par Me Maryline F... de la SELARL COUTTON GERENTE LIBER MAGNAN, avocat au barreau de GRENOBLE,

G..., intimée par appel provoqué

[...]

[...]

représentée par Me Olivier Z... de la SCP AGUERA ET ASSOCIES, avocat au barreau de Lyon,

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ:

Mme Dominique DUBOIS, Présidente,

Mme Magali DURAND-MULIN, Conseiller,

Monsieur Jérôme A..., Magistrat honoraire,

Assistés lors des débats de Mme Mériem CASTE-BELKADI, Greffier.

DÉBATS :

A l'audience publique du 16 Mai 2018,

Monsieur Jérôme A... est entendu en son rapport.

Les parties ont été entendues en leurs conclusions et plaidoiries.

Puis l'affaire a été mise en délibéré au 06 Septembre 2018.

L'arrêt a été rendu le 06 Septembre 2018.

La société Manpower France a mis à la disposition de la société B..., qui exploite une entreprise de développement de systèmes de transport par câble, deux travailleurs intérimaires, à savoir:

- M. Pierre X... au titre de cinq contrats, tous conclus au motif d'accroissements temporaires de l'activité, d'une durée totale de 22 mois, entre le 19 juin 2013 et le 1er mai 2015 ;

- M. Alfred Y... au titre de huit contrats, tous conclus au motif d'accroissements temporaires de l'activité, d'une durée totale de 31 mois, entre le 17 octobre 2012 et le 1er mai 2015.

Le 29 avril 2015, les deux salariés firent l'un et l'autre convoquer devant la juridiction prud'homale la société Manpower France et la société B... en demandant la requalification des relations de travail, en contestant la rupture de ces relations, en réclamant soit leur réintégration au service de la société B... et des rappels de rémunération, soit des indemnités de rupture et des dommages et intérêts.

Le 10 juin 2016, par le jugement entrepris, le conseil de prud'hommes de Grenoble:

- prononça la jonction des procédures;

- mit hors de cause la société B..., en considérant que les salariés reconnaissaient avoir exercé un travail saisonnier et non permanent ;

- requalifia les contrats d'intérim en contrats de travail à durée indéterminée au service de la société Manpower France en application de l'article L1251-40 du code du travail, au motif que n'avait pas été respecté le délai de carence prévu entre deux missionspar l'article L1251-36 du code du travail ;

- condamna la société Manpower France à verser:

- à M. Pierre X... :

- 1 893,60 € à titre d'indemnité de requalification,

- 1 893,60 € brut à titre d'indemnité de préavis,

- 189,36 € brut à titre de congés payés afférents,

- 694,32 € à titre d'indemnité de licenciement,

- 1 893,60 € à titre d'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement,

- 11 361,60 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- 1 200,00 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;

- à M. Alfred Y...:

- 2.000 € à titre d'indemnité de requalification,

- 2.000 € brut à titre d'indemnité de préavis,

- 200 € brut à titre de congés payés afférents,

- 1.200 € à titre d'indemnité de licenciement,

- 2.000 € à titre d'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement,

- 12.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- 1 200,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le 30 juin 2016, la société Manpower a interjeté appel en intimant MM. X... et Y..., lesquels ont ensuite formé des appels provoqués à l'encontre de la société B....

A l'audience, la société Manpower France fait oralement développer ses conclusions d'appel parvenues le 4 avril 2017. Elle fait valoir que le non-respect du délai de carence ne peut être sanctionné par la requalification de la relation à l'égard d'une entreprise de travail temporaire. Elle demande à la Cour d'infirmer le jugement entrepris, de débouter les salariés et de les condamner à verser chacun la somme de 2.000 € en contribution aux frais irrépétibles.

MM. X... et Y... font oralement reprendre leurs conclusions respectives parvenues le 2 mai 2018 au soutien de leurs appels provoqués. Ils maintiennent leurs prétentions à la fois contre la société Manpower France et contre la société B.... Ils contestent la réalité des accroissements temporaires d'activité mentionnés dans les contrats de mission. Ils invoquent un manquement aux règles relatives au renouvellement des missions d'intérim, et une violation de l'interdiction de recourir à des intérimaires pour pourvoir durablement à des emplois liés à l'activité normale de l'entreprise. Ils demandent à la Cour de requalifier les relations de travail en contrats à durée indéterminée et de condamner la société Manpower France et/ou la société B... à verser:

- à M. X...:

- 5 680,80 € à titre d'indemnité de requalification,

- 1893,60 € brut à titre d'indemnité de préavis,

- 189,36 € brut à titre de congés payés afférents,

- 694,32 € à titre d'indemnité de licenciement,

- 1 893,60 € à titre d'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement,

- 22.723,20 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- 4.000 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral;

- 2.000,00 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;

- à M. Y...:

- 6.593, € à titre d'indemnité de requalification,

- 2.197,71 € brut à titre d'indemnité de préavis,

- 219,71 € brut à titre de congés payés afférents,

- 1.200 € à titre d'indemnité de licenciement,

- 24.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 4.000 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral;

- 3.000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

ainsi qu'à délivrer des documents de fin de contrat rectifiés.

La société B... fait oralement reprendre ses dernières conclusions de réplique qu'elle dépose à l'audience du 16 mai 2018 . Elle invoque à l'encontre de M. Y... la prescription biennale de l'article L1471-1 du code du travail. Elle conteste toute collusion frauduleuse avec l'entreprise de travail temporaire, et toute affectation des salariés sur un emploi permanent de l'entreprise. Elle demande à la Cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a mise hors de cause, et de condamner les salariés à lui verser chacun la somme de 2000 € en contribution aux frais irrépétibles.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions.

SUR QUOI, la Cour:

1. sur la recevabilité des salariés intimés:

1A. sur la fin de non-recevoir pour prescription:

Selon l'article L1471-21 qui a été introduit au code du travail par la loi 2013-504 du 14 juin 2013 et dont se prévaut expressément la société B..., toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.

Mais le délai de prescription de l'action prévue à l'article L1251-40 du code du travail, sur lequel les deux salariés fondent leur demande en requalification des relations de travail, ne court qu'à compter du terme du dernier contrat de mission (cass soc 13 juin 2012 n°10-26387).

Les derniers contrats de mission des salariés intimés ayant pris fin le 1er mai 2015, ils ont saisi la juridiction prud'homale le 29 avril 2015 avant que le délai de prescription biennale ait commencé à courir.

Au surplus, à supposer même que le point de départ du délai soit la date du premier contrat de mission comme le soutient la société B..., il s'impose de relever qu'en son article 21-V, la loi 2013-504 du 14 juin 2013 prévoit que les nouvelles dispositions qui ramènent le délai de prescription de cinq à deux ans s'appliquent aux prescriptions en cours sans que la durée totale puisse excéder celle prévue par la loi antérieure.

Or, d'une part, les deux intimés ont l'un et l'autre engagé la procédure dans le délai de cinq ans à compter du début du premier contrat de mission dont ils se prévalent, à savoir le 19 juin 2013 pour M. Pierre X..., et le 17 octobre 2012 pour M. Alfred Y....

D'autre part, moins de deux ans s'est écoulé entre la promulgation de la loi 2013-504 du 14 juin 2013 et la saisine du conseil de prud'hommes de Grenoble le 29 avril 2015.

En tout cas, ni M. Pierre X... ni M. Alfred Y... ne sont forclos.

1B. sur le moyen d'irrecevabilité soulevé par la société appelante:

Un salarié intérimaire a la possibilité d'agir contre l'entreprise de travail temporaire pour obtenir sa condamnation in solidum avec l'entreprise utilisatrice à lui verser des dommages et intérêts dans le cas où chacune des deux sociétés peut se voir reprocher une violation des dispositions relatives au travail temporaire (cass soc, 11 juillet 2007 n° 06-41.732).

Mais en l'espèce, les deux salariés intimés font découler toutes leurs prétentions de la requalification des relations de travail qu'ils demandent à la fois à l'encontre de l'entreprise de travail temporaire et de l'entreprise utilisatrice sur le seul fondement de l'article L1251-40 du code du travail dont les dispositions sont les suivantes:

« Lorsqu'une entreprise utilisatrice a recours à un salarié d'une entreprise de travail temporaire en méconnaissance des dispositions des articles L.1251-5 à L.1251-7, L.1251-10 à L.1251-12, L.1251-30 et L.1251-35, ce salarié peut faire valoir auprès de l'entreprise utilisatrice, des droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminé prenant effet au premier jour de sa mission. »

Il résulte de ces dispositions que, si un salarié a la possibilité d'agir contre l'entreprise de travail temporaire lorsque n'ont pas été respectées les conditions à défaut desquelles toute opération de prêt de main-d'oeuvre est interdite (cass soc. 12 juin 2014 n° 13-16362), son action a un autre fondement que l'article L1251-40, et qu'il n'est recevable à faire valoir les droits correspondant à un contrat à durée indéterminée qu'à l'encontre de l'entreprise utilisatrice.

Les deux salariés intimés, qui n'invoquent aucune collusion frauduleuse entre l'entreprise de travail temporaire et l'entreprise utilisatrice, sont donc irrecevables en leur demande en requalification des relations de travail et en toutes leurs demandes subséquentes en ce qu'ils les dirigent contre la société appelante Manpower France. Ils ne sont recevables en leurs prétentions qu'en ce qu'ils les dirigent contre la société utilisatrice B....

2. sur les demandes de requalification des relations de travail:

Comme il est ci-dessus et par application de l'article L1251-40 du code du travail, un travailleur intérimaire peut faire valoir auprès de l'entreprise utilisatrice des droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminé prenant effet au premier jour de sa mission en cas de méconnaissance des dispositions, notamment, des articles L.1251-5, L.1251-6 et L.1251-35 du même code.

2A. sur la méconnaissance de l'article L1251-6du code du travail:

En application de l'article L1251-6 du code du travail, il ne peut être fait appel à un salarié temporaire que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire dénommée "mission" et seulement dans les cas de remplacement d'un salarié, d'accroissement temporaire de l'activité de l'entreprise, d'emplois à caractère saisonnier et de remplacement d'un chef d'entreprise ou du chef d'une exploitation agricole.

Il incombe à l'entreprise utilisatrice de justifier de la réalité du motif énoncé dans le contrat de mission (cass soc 28 novembre 2007).

En l'espèce, la société Y... tente de se prévaloir de la saisonnalité qu'elle affirme caractériser son activité. Elle produit à cet effet, la lettre du 23 mars 2015 par laquelle les deux salariés intimés l'ont priée de les garder à son service en évoquant une «saison s'annonçant particulièrement chargée et dense» et en exprimant leur souhait de travailler «une ultime saison».

Non seulement la société B... ne peut en tirer un aveu de la saisonnalité de son activité, mais surtout elle n'a pas mentionné dans les contrats de mission faire appel aux deux travailleurs intérimaires pour occuper des emplois saisonniers.

Tous les contrats ont été conclus au motif énoncé d'accroissements temporaires d'activité qu'il appartient à la société B... d'établir tant pour les contrats conclus avec M. X... qu'avec M. Y....

2Aa. Concernant les contrats de mission de M. Pierre X...:

Pour les deux premiers contrats de mission conclus pour les périodes du 18 juin au 27 septembre 2013 et du 30 septembre 2013 au 31 janvier 2014, la société B... présente un écrit par lequel son responsable de logistique Nicolas C... a indiqué: «dans le cadre de ma responsabilité professionnelle au sein de l'entreprise B..., en charge de la logistique dans l'entreprise, j'ai eu à réagir face à l'accroissement d'activité liée notamment aux affaires Chine Minyyuesshan, qui n'étaient pas réalisable avec l'effectif dont je disposais à l'époque».

Non seulement cet écrit n'est pas établi dans les formes requises pour les attestations produites en Justice, mais il ne se réfère pas même à la période que la société B... affirme correspondre au second semestre de l'année 2013, et il ne caractérise aucunement l'accroissement allégué de l'activité.

Pour les deux contrats suivants couvrant la période du 3 février 2014 au 30 janvier 2015, la société B... invoque des retards causés par des difficultés dans le changement d'un système informatique de gestion de ses commandes dit ERP. Elle produit un diagramme de l'évolution des taux de retard dans le traitement de ses commandes.

Mais les retards observés dans le traitement des commandes n'ont pu eux-même générer une augmentation de l'activité de l'entreprise.

Dans le dernier contrat conclu pour la période du 2 février au 1er mai 2015, la société B... a précisé que l'accroissement d'activité était «lié au volume de commandes prévisionnel nécessitant un renfort de personnes».

Devant la Cour, la société B... ne justifie pas de la prévision qu'elle a prétendu avoir opérée. Elle invoque une augmentation du volume de ses commandes lié à la saisonnalité de ses activités.

Mais elle présente un diagramme qui est relatif au traitement de ses commandes au cours de l'année précédente et qui ne concerne nullement la période concernée.

Faute pour la société B... de parvenir à justifier du motif de recours à un travailleur intérimaire, il s'avère qu'elle a méconnu les dispositions de l'article L1251-6 du code du travail. Le salarié Pierre X... est dès lors fondé à faire valoir auprès de la société B... les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour du premier contrat de mission, à savoir du 18 juin 2013.

2Ab. Concernant les contrats de mission de M. Alfred Y...:

Pour le premier contrat stipulé de 17 octobre 2012 et prorogé jusqu'au 30 novembre 2012, la société B... invoque des retards importants qu'elle dit avoir été causés par des absences simultanées de plusieurs de ses salariés attachés au service logistique. Mais les retards ne peuvent avoir eux-même généré une augmentation de l'activité de l'entreprise d'une part, et le remplacement de personnels absents n'est pas le motif énoncé dans les contrats d'autre part.

Pour le contrat de mission conclu pour la période du 3 au 31 décembre 2012, la société B... présente un écrit de son responsable «supply chain» Jean-Christophe D... selon lequel il a fait appel à un travailleur intérimaire à raison du fait qu'à la fin de l'année 2012, le responsable de logistique était occupé à plein temps «sur sa fonction key user Sap en vue de la migration».

Non seulement l'écrit présenté n'est pas établi dans les formes requises pour les attestations produites en Justice, mais s'il évoque des difficultés dans la mise en 'uvre d'un nouvel outil informatique, il ne caractérise pas l'accroissement allégué dans l'activité de l'entreprise.

Pour le contrat de mission stipulé du 2 au 3I janvier 2013, la société B... invoque un retard dans la mise en route d'un nouvel outil informatique. Elle n'établit pas pour autant que son entreprise ait connu un surcroît d'activité.

Pour le contrat stipulé à compter du 1er février et prorogé jusqu'au 27 mai 2013, la société B... se prévaut de difficultés dans la mise en 'uvre du même outil informatique. Elle ne caractérise pas plus de surcroît de l'activité de son entreprise.

Pour le contrat conclu du 30 septembre 2013 au 31 janvier 2014, la société B... invoque des retards accumulés dans le traitement de ses commandes.

Non seulement elle ne produit aucun élément au soutien de son assertion, mais les retards n'ont pu eux-même générer une augmentation de l'activité de l'entreprise.

Pour le contrat stipulé à compter du 3 février 2014 et prorogé jusqu'au 30 janvier 2015, la société B... se prévaut encore du retard qu'elle a observé dans le traitement de ses commandes. Mais elle ne fait pas état d'un accroissement des commandes. Comme il a été précédemment dit, le retard de traitement n'a pas fait augmenter le volume de l'activité de l'entreprise.

Pour le dernier contrat de mission conclu pour la période du 2 février au 1er mai 2015, la société B... a précisé que l'accroissement d'activité était «lié au volume de commandes prévisionnel nécessitant un renfort de personnes».

Devant la Cour, la société B... ne justifie pas de la prévision qu'elle a prétendu avoir opérée. Elle invoque une augmentation du volume de ses commandes lié à la saisonnalité de ses activités.

Mais elle présente un diagramme qui est relatif au traitement de ses commandes au cours de l'année précédente et qui ne concerne nullement la période concernée.

Faute pour la société B... de parvenir à justifier du motif de recours à un travailleur intérimaire, il s'avère qu'elle a méconnu les dispositions de l'article L1251-6 du code du travail. Le salarié Alfred Y... est dès lors fondé à faire valoir auprès de la société B... les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour du premier contrat de mission, à savoir du 17 octobre 2012.

2B. sur la méconnaissance de l'article L1251-35du code du travail:

Au surplus, l'article L1251-35 du code du travail prévoit qu'un contrat de mission est renouvelable deux fois pour une durée déterminée qui, ajoutée à la durée du contrat initial, ne peut excéder la durée maximale de dix-huit mois prévue à l'article L. 1251-12 du même code.

Ces dispositions ne peuvent être confondues avec celles de l'article L1251-36 relatives au délai de carence à observer à l'expiration d'un contrat de mission avant de recourir à une embauche à durée déterminée ou à un autre contrat de mission temporaire. La société B... fait donc vainement valoir que les manquements à l'article L1251-36 ne sont pas sanctionnés par la requalification prévue à l'article L1251-40.

Or M. Pierre X... rapporte qu'à compter du 18 juin 2013, il a été utilisé sans discontinuer au titre d'une série de cinq contrats de mission, tous conclus au même motif énoncé, pour exercer les mêmes fonctions au service de la même entreprise utilisatrice, les périodes stipulées n'étant séparées que par des samedis, dimanches ou autres journées de fermeture de l'entreprise ou de suspension de l'activité.

Quant à M. Pierre Y..., du moins à compter du 3 décembre 2012, il a également été utilisé sans discontinuer au titre d'une série de sept contrats de mission, tous conclus au même motif énoncé, pour exercer les mêmes fonctions au service de la même entreprise utilisatrice, les périodes stipulées n'étant séparées que par des samedis, dimanches ou autres journées de fermeture de l'entreprise ou de suspension de l'activité.

Il s'en déduit que les deux salariés intimés n'ont connu que des renouvellements des contrats conclus le 18 juin 2013 pour M. Pierre X... et le 3 décembre 2012 pour M. Alfred Y....

Dès lors que la durée totale des contrats renouvelés correspond à 22 mois pour le premier, et à 30 mois pour le second, le dépassement de la durée maximale de dix-huit mois caractérise le manquement reproché aux dispositions de l'article L1251-35 auxquelles l'entreprise utilisatrice ne pouvait se soustraire, et il impose également qu'il soit fait droit aux demandes de requalification des relations de travail.

2C. sur la méconnaissance de l'article L1251-5du code du travail:

De surcroît, selon l'article L1251-5 du code du travail, un contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice.

Or l'affectation des deux salariés intimés aux mêmes fonctions, pendant plus de près de deux ans pour l'un et plus de deux ans pour l'autre, révèle le besoin structurel de main d'oeuvre qu'éprouvait la société B... pour assurer l'activité habituelle de son entreprise.

Dès lors que, sous couvert de contrats de mission d'intérim, les deux salariés intimés ont été en réalité utilisés pour pourvoir durablement des emplois liés à l'activité normale et permanente de la société B..., ils sont encore fondés à faire valoir auprès de cette entreprise utilisatrice les droits correspondant à des contrats de travail à durée indéterminée.

3. sur les demandes découlant de la requalification des relations de travail:

3A. sur les demandes d'indemnités de requalification:

En application de l'article L1251-41 du code du travail, les salariés intimés sont fondés à chacun obtenir une indemnité de requalification qui ne peut être inférieure à un mois de salaire.

Il y a lieu de faire droit aux demandes pour le montant de 2.500 €.

3B. sur les demandes liées à la rupture des relations de travail:

Comme le fait valoir la société B... qui conteste avoir été à l'origine de la rupture de la rupture, il appartient au salarié qui prétend avoir été licencié d'en rapporter la preuve.

Or les deux salariés intimés produisent la lettre du 28 mars 2015 par laquelle la société Y... a répondu à leur demande de rester à son service en écrivant: «nous ne reviendrons pas sur notre décision de ne pas renouveler vos contrats d'intérim arrivant à échéance ce vendredi 1er mai 2015».

Après la date du 1er mai 2015, la société B... n'a effectivement plus donné de travail à MM. X... et Y....

Il en résulte la preuve de la volonté de la société B..., même si elle n'en a pas fourni les motifs, de mettre fin aux relations de travail.

Les deux salarié salariés étant réputés avoir été liés à la société B... par des contrats de travail à durée indéterminée comme il est dit ci-dessus, la rupture des relations au 1er Mai 1015, dont la société B... a pris l'initiative, constitue des licenciements.

Dès lors que la société B... n'a pas notifié par écrit aux salariés, après entretiens préalables, les motifs de la rupture, les licenciements s'avèrent aussi irréguliers que dépourvus de cause réelle et sérieuse.

3Ba. Sur les demandes de M. Pierre X...:

Dès lors que M. Pierre X... a été employé pendant moins de deux ans, il est fondé à obtenir une indemnisation pour l'irrégularité commise dans la procédure de licenciement, et ce pour un montant que l'article L1235-2 du code du travail plafonne à l'équivalent d'un mois de salaire. Il sera fait droit à sa prétention pour le montant de 1.800 €.

En application de l'article L1235-5 du code du travail, M. Pierre X... est également fondé à obtenir l'indemnisation du préjudice que lui a fait subir la rupture abusivement intervenu e dans la relation de travail.

D'une part, M. Pierre X... fait valoir qu'il n'a pu retrouver d'emploi.

D'autre part, M. Pierre X... fait état des souffrances morales que la brutalité de la rupture lui a fait endurer.

Une exacte et entière évaluation du préjudice conduit la Cour à fixer 20.000 € le montant des dommages et intérêts qui l'indemniseront intégralement.

M. Pierre X... est enfin fondé à obtenir une indemnité de licenciement, une indemnité compensatrice de préavis et une indemnité compensatrice des congés payés afférents pour les montants que, sans être critiqué en ses calculs, il chiffre exactement.

3 Bb. Sur les demandes de M. Alfred Y...:

Dès lors que M. Alfred Y... a travaillé plus deux ans ans au service de la société B... et par application de l'article L1235-3 du code du travail, il est fondé à obtenir l'indemnisation de son préjudice, tant au titre de l'irrégularité de la procédure de licenciement qu'au titre de l'absence de cause réelle et sérieuse dans la rupture, et ce pour un montant qui ne peut être inférieur aux six derniers mois de salaire.

Au vu des éléments que le salarié intimé produit sur l'étendue de son préjudice, particulièrement caractérisé en ce qu'il a enduré les souffrances morales causées par la brutalité de la rupture et qu'il n'a pu retrouver un emploi stable qu'en 2018, une exacte évaluation conduit la Cour à fixer à 25.000 € le montant des dommages et intérêts qui l'indemniseront intégralement.

M. Alfred Y... est également fondé à obtenir une indemnité de licenciement, une indemnité compensatrice de préavis et une indemnité compensatrice des congés payés afférents pour les montants qu'il calcule exactement.

4. sur les dispositions accessoires:

Les salariés intimés sont fondés à obtenir de l'employeur des bulletins de salaire afférents aux préavis, des certificats de travail et des attestations à l'intention de Pôle Emploi conformes aux énonciations du présent arrêt.

Dès lors qu'il est fait application de l'article L1235-3 du code du travail à l'égard de M.Alfred Y..., l'article L1235-4 du même code impose de mettre à la charge de l'employeur le remboursement des indemnités de chômage servies à ce salarié abusivement privé de son emploi, et ce dans la limite de six mois d'indemnités.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, il est équitable que l'employeur contribue aux frais irrépétibles qu'il a contraint les salariés à exposer.

En application de l'article 696 du même code, il échet de mettre les entiers dépens à la charge de l'employeur qui succombe.

PAR CES MOTIFS, la Cour:

Statuant par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire, en dernier ressort après en avoir délibéré conformément à la loi,

DÉCLARE recevables les appels interjetés:

INFIRME le jugement entrepris;

DÉCLARE MM. Pierre X... et Alfred Y... irrecevables en leurs prétentions en ce qu'elles sont dirigées contre la société Manpower France, et recevables en ce qu'elles sont dirigées contre la société B...;

REQUALIFIE les relations de travail en contrats de travail à durée indéterminée au service de la société B...;

DÉCLARE que la rupture des relations de travail s'analyse en des licenciements irréguliers et dépourvus de cause réelle et sérieuse;

CONDAMNE la société B... à verser:

* à M. Pierre X...:

- la somme de 2. 500 € (deux mille cinq cents euros) à titre d'indemnité de requalification en application de l'article L1251-41 du code du travail;

- la somme de 1.800 € (mille huit cents euros) à titre de dommages et intérêts en application de l'article L1235-2 du code du travail;

- la somme de 20.000 € (vingt mille euros) à titre de dommages et intérêts en application de l'article L1235-5 du code du travail;

- la somme de 1.893,60 € (mille huit cent quatre vingt treize euros et soixante centimes) bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, et la somme de 189,36 € (cent quatre vingt neuf euros et trente six centimes) bruts à titre d'indemnité compensatrice des congés payés y afférant;

- la somme de 694,32 € (six cent quatre vingt quatorze euros et trente deux centimes) à titre d'indemnité de licenciement;

- la somme de 2.000 € (deux mille euros) en application de l'article 700 du code de procédure civile,

* à M. Alfred Y...:

- la somme de 2. 500 € (deux mille cinq cents euros) à titre d'indemnité de requalification en application de l'article L1251-41 du code du travail;

- la somme de 25.000 (vingt cinq mille euros) à titre de dommages et intérêts en application de l'article L1235-3 du code du travail;

- la somme de 2.197,71 € (deux mille cent quatre vingt dix sept euros et soixante et onze centimes) bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, et la somme de 219,71 € (deux cent dix neuf euros et soixante et onze centimes) bruts à titre de congés payés afférents;

- la somme de 1.200 € ( mille deux cent euros) à titre d'indemnité de licenciement,

- la somme de 2.000 € (deux mille euros) en application de l'article 700 du code de procédure civile;

CONDAMNE la société B... à remettre à M. Pierre X... et à M. Alfred Y... des bulletins de salaire afférents aux préavis, des certificats de travail et des attestations à l'intention de Pôle Emploi conformes aux énonciations du présent arrêt;

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs prétentions;

ORDONNE le remboursement à Pôle Emploi, à charge de la société B..., des indemnités de chômage servies à M. Alfred B..., et ce dans la limite de six mois d'indemnités;

CONDAMNE la société B... à supporter les entiers dépens de première instance et d'appel;

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au Greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

Signé par Madame Dominique DUBOIS, Présidente, et par Madame Mériem CASTE-BELKADI, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIERLE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Ch. sociale -section b
Numéro d'arrêt : 16/03455
Date de la décision : 06/09/2018

Références :

Cour d'appel de Grenoble 13, arrêt n°16/03455 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-09-06;16.03455 ?
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