La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

26/06/2018 | FRANCE | N°17/02525

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Ch. sociale -section a, 26 juin 2018, 17/02525


PS



RG N° 17/02525



N° Minute :



















































































Notifié le :



Copie exécutoire délivrée le :







la SCP REQUET CHABANEL



Me X...

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL D

E GRENOBLE



Ch. Sociale -Section A

ARRÊT DU MARDI 26 JUIN 2018







Appel d'une décision (N° RG F15/00097)

rendue par le Conseil de prud'hommes - Formation de départage de VALENCE

en date du 24 avril 2017

suivant déclaration d'appel du 17 Mai 2017



APPELANTE :



SAS DEBEAUX, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié [...]



représentée par Me Stéphanie Y....

PS

RG N° 17/02525

N° Minute :

Notifié le :

Copie exécutoire délivrée le :

la SCP REQUET CHABANEL

Me X...

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

Ch. Sociale -Section A

ARRÊT DU MARDI 26 JUIN 2018

Appel d'une décision (N° RG F15/00097)

rendue par le Conseil de prud'hommes - Formation de départage de VALENCE

en date du 24 avril 2017

suivant déclaration d'appel du 17 Mai 2017

APPELANTE :

SAS DEBEAUX, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié [...]

représentée par Me Stéphanie Y... de la SCP REQUET CHABANEL, avocat au barreau de LYON, avocat plaidant

Me Floris Z..., avocat au barreau de GRENOBLE, avocat postulant

INTIME :

Monsieur Laurent A...

de nationalité Française

C/o M.Jean Pierre B... route de la ceriserai quartier C o

thiol

[...]

représenté par Me Benjamin X..., avocat au barreau de l'AUBE, avocat plaidant

Me Marine MATHIAUD, avocat au barreau de GRENOBLE, avocat postulant

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DÉLIBÉRÉ:

Monsieur Philippe SILVAN, Conseiller faisant fonction de Président,

Madame Valéry CHARBONNIER, Conseiller,

Madame Magali DURAND-MULIN, Conseiller,

DÉBATS :

A l'audience publique du 07 Mai 2018,

M. Philippe SILVAN, a été entendu en son rapport, assisté de Melle Sophie ROCHARD, Greffier conformément aux dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, les parties ne s'y étant pas opposées.

Les parties ont été entendues en leurs conclusions et plaidoiries.

Puis l'affaire a été mise en délibéré au 26 Juin 2018, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.

L'arrêt a été rendu le 26 Juin 2018.

Selon contrat à durée indéterminée, M. Laurent A... a été engagé par la SAS Debeaux, en qualité de conducteur poids-lourd, à compter du 3 août 1993.

M. A... a été convié par l'intermédiaire de M. C..., délégué syndical et secrétaire du comité d'entreprise de la SAS Debeaux à une réunion d'information collective qui s'est déroulée le 22 octobre 2011 dans les locaux de l'entreprise Tala, située à La Roche-de-Glun (Drôme) et au cours de laquelle a été abordée l'éventuelle embauche des salariés de la société Debeaux par l'entreprise Tala.

Le 28 octobre 2011, M. A... a été convié à une réunion qui s'est déroulée au sein de l'hôtel des voyageurs situé sur la commune de Livron-sur-Drôme (Drôme) où étaient présents des représentants de la société Debeaux et du groupe TALA. Au cours de cette réunion, M. A... a rédigé et remis en mains propres aux représentants de la société Debeaux une lettre de démission.

Un accord transactionnel en date du 5 novembre 2011 a été signé entre la société Debeaux et M. A....

Par la suite, M. A... a été engagé en qualité de conducteur poids-lourd par la société Cylog, filiale du groupe Tala.

Le 13 février 2015, M. A... a saisi le conseil de prud'hommes de Valence aux fins de voir prononcer la nullité de sa démission du 28 octobre 2011 et de l'accord transactionnel en date du 5 novembre 2011.

Par jugement de départage du 24 avril 2017, le conseil de prud'hommes de Valence a :

- dit que l'accord transactionnel signé le 5 novembre 2011 entre M. A... et la SAS Debeaux est nul,

- dit que la démission de M. A... en date du 28 octobre 2011 s'analyse en une prise d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamné la SAS Debeaux à payer à M. A... les sommes de :

- 5 466,31 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis de 2 mois,

- 546,63 € au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés y afférente,

- 12 986,85 € au titre de l'indemnité légale de licenciement,

- 24 598,40 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 100 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné la compensation entre la somme payée en exécution du protocole transactionnel du 5 novembre 2011 et les sommes mises à la charge de la SAS Debeaux en application du jugement,

- rejeté toute autre demande,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire sous réserve des dispositions des articles R. 1454-14 et R. 1454-15 du code du travail selon laquelle la condamnation de l'employeur au paiement des sommes visées par les articles R. 1454-14 et R. 1454-15 du code du travail est exécutoire de plein droit dans la limite de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire dans les conditions prévues par l'article R. 1454-28 du code du travail,

- dit que la moyenne mensuelle brute des trois derniers mois de salaire de M. A... s'élève à la somme de 2 579,91 €,

- condamné la SAS Debeaux aux dépens.

La SAS Debeaux a interjeté appel de cette décision le 17 mai 2017.

A l'issue des débats et de ses conclusions du 12 avril 2018 soutenues oralement à l'audience, et auxquelles il est expressément référé pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, la SAS Debeaux demande à la cour de :

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes et de juger :

A titre principal :

- les demandes de M. A... irrecevables sur le fondement de l'article 122 du code de procédure civile et ainsi débouter ce dernier de l'ensemble de ses demandes,

A titre subsidiaire :

- juger la transaction parfaitement valable,

- juger que la démission de M. A... est claire et non équivoque,

- le débouter de l'intégralité de ses demandes,

- le condamner au paiement de la somme de 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- le condamner aux entiers dépens,

A titre infiniment subsidiaire :

- si la cour d'appel devait considérer que la démission de M. A... n'est pas claireet non équivoque et qu'en conséquence la transaction et la démission conclues entre les partiessont nulles, la cour devra confirmer le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il a ordonné la compensation entre les sommes auxquelles elle serait condamnée et l'indemnité transactionnelle perçue par M. A... au titre de la conclusion du protocole transactionnel.

La SAS Debeaux conclut à la validité de la transaction. Elle prétend que celle-ci a été conclue postérieurement à la lettre de démission, comporte des concessions réciproques et a fait l'objet d'un consentement libre et éclairé. Elle affirme que M. A... ne démontre aucun dol, violence, contrainte ou pression, susceptibles de la remettre en cause.

Elle soutient en outre que la transaction avait pour but de prévenir des contestations à naître. Elle prétend en effet qu'un conflit sur les repos compensateurs de remplacement existait au sein de la société.

Elle indique que la transaction a fait l'objet de négociations, précisant qu'une discussion individuelle a eu lieu entre les parties avant la signature du protocole d'accord. Bien que plusieurs transactions aient été conclues le même jour, elle souligne que certains montants d'indemnités transactionnelles ont été corrigés à la main et ont donc fait l'objet d'une négociation. Elle conclut également à l'existence d'un temps de réflexion laissé aux salariés avant la signature du protocole, entre la première réunion d'information le 22 octobre 2011 et la démission le 28 octobre 2011.

Par ailleurs, la SAS Debeaux relève que la démission a été faite sans réserve. Elle souligne l'absence de référence à une menace de licenciement économique. Elle prétend que le choix de M. A... de quitter la société au profit du groupe TALA a été libre et conclut à l'absence de précipitation dans le processus utilisé ainsi qu'à l'absence de collusion avec le groupe TALA. Elle prétend en effet ne pas être à l'initiative de la démission et fait valoir que les deux réunions susvisées, ont été organisées par le président du groupe TALA. Elle indique qu'elle n'a pas participé à la première réunion en date du 22 octobre 2011, organisée un samedi et précise que la présence de personnes du service des ressources humaines de la SAS Debeaux, lors de la réunion du 28 octobre 2011, qui avait pour seul objet de gérer la partie administrative des départs massifs, n'a pas constitué une contrainte.

Elle soutient en outre que l'étude graphologique des lettres signées par les salariés démissionnaires, ainsi que l'ensemble des auditions et témoignages, démontrent l'absence de climat de contrainte. S'agissant du constat d'huissier retranscrivant l'entretien du 28 octobre 2011, elle conclut au caractère illicite de cette pièce, l'enregistrement ayant été effectué à l'insu des personnes présentes et étant en partie inaudible. Elle soutient cependant que cette pièce démontre que les démissions ont été librement consenties.

Par ailleurs, la SAS Debeaux fait valoir que certains chauffeurs du site de Livron, approchés par le groupe TALA, qui ont participé aux réunions et ont fait le choix de ne pas démissionner, sont toujours en poste. Elle précise que les sept licenciements notifiés en décembre 2011, évoqués par le juge départiteur dans sa décision, ne concernaient pas des postes de conducteurs routier, mais des postes au sein de l'atelier. Elle prétend que les démissions ont été motivées par la perspective d'entrer au service du groupe TALA et de percevoir un salaire supérieur.

La SAS Debeaux souligne le délai de 24 mois entre la démission de M. A... et la saisine du conseil de prud'hommes, exposant que la remise en cause de sa démission s'explique uniquement par la liquidation judiciaire de la société TALA intervenue en mars 2013 et l'incitation faite par l'inspecteur du travail. Elle souligne également l'absence de poursuites pénales.

Elle conclut donc à l'irrecevabilité de la demande en application de l'article 122 du code de procédure civile, exposant que la transaction a l'autorité de la force jugée en dernier ressort, conformément aux dispositions de l'article 2052 du code civil. Elle précise que M. A... a renoncé à toute action en rapport avec l'exécution ou la rupture de son contrat de travail.

Elle fait valoir en outre que M. A... ne peut invoquer à la fois un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de la démission et solliciter que celle-ci soit analysée en prise d'acte de la rupture du contrat de travail en raison de manquements imputables à l'employeur. En outre, elle fait grief au conseil de prud'hommes d'avoir requalifié la démission en prise d'acte, alors que le demandeur, qui soulevait la nullité de sa démission sur le fondement de l'article 1109 du code civil et des vices du consentement, n'avait pas formulé de demande en ce sens.

À titre subsidiaire, elle conclut à l'absence de préjudice subi, M. A... ayant repris immédiatement une activité. Elle affirme également que la somme versée en exécution de la transaction doit lui être restituée, la restitution étant la conséquence nécessaire de la nullité de la transaction. Elle conclut enfin à l'absence de preuve du caractère immoral de la cause de la transaction pour solliciter l'application du principe de la compensation.

A l'issue des débats et de ses conclusions du 3 avril 2018 soutenues oralement à l'audience, et auxquelles il est expressément référé pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, M.A... demande à la cour de :

- juger nulles la démission et la transaction signées le 28 octobre 2011 ;

En conséquence :

- condamner la société Debeaux à lui payer les sommes de :

- 13 070,54 € brut à titre d'indemnité légale de licenciement ;

- 5 535,76 € brut à titre d'indemnité de préavis, outre 553,57 € brut à titre d'indemnité de congés payés ;

- 56 000 € brut à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- juger que nonobstant la nullité de la démission et de la transaction signées le 28 octobre 2011 il n'y a pas lieu à condamner à restitution ;

- condamner la société Debeaux à lui payer la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en sus de la condamnation de première instance à ce titre, et outre la mise à sa charge des entiers dépens de première instance et d'appel.

M. A... conclut à la nullité de sa démission et de la transaction.

Il prétend que la SAS Debeaux souhaitait se séparer de façon rapide et peu coûteuse des derniers chauffeurs présents sur le site de Livron. Il affirme que la SAS Debeaux est à l'initiative de son départ et qu'elle a facilité sa présence ainsi que celle des autres salariés à la réunion du 22 octobre 2011, en adaptant les plannings.

M. A... fait également valoir qu'il était placé dans un état psychologique fragilisé, dans la mesure où il assistait depuis plusieurs mois au démantèlement progressif du site. Il prétend avoir été placé en situation d'infériorité face à des personnes qui avaient préparé à l'avance des documents juridiques, dont les conséquences étaient abstraites pour lui.

Il soutient que la lettre de démission, recopiée sur la base d'un modèle soumis par l'employeur, a été signée le même jour que la transaction rédigée par les services juridiques de la SAS Debeaux. Il prétend que la date figurant sur le protocole d'accord transactionnel est factice et soutient avoir été pressé pour conclure l'accord.

Il souligne le fait que les transactions conclues par les salariés ont toutes été rédigées de manière identique. Il rappelle qu'une transaction suppose l'existence d'un conflit postérieur à la rupture du contrat de travail, conflit qu'elle vise à éteindre et qu'à défaut de désaccord, la transaction est dénuée d'objet et nulle. M. A... invoque le constat d'huissier portant sur l'enregistrement de la réunion du 28octobre 2011 et fait valoir que les documents avaient été préparés à l'avance par l'employeur.

Il précise en outre que le montant des indemnités transactionnelles versées aux salariés démissionnaires a été fixé selon un barème et non discuté librement et de manière éclairée. Il soutient que l'objet de la transaction, qui visait à couvrir une démission nulle, par le versement d'une indemnité forfaitaire, est frauduleux. M. A... précise également que la démission donnée sous la menace d'un licenciement est nulle.

S'agissant du délai de remise en cause de la démission, il soutient avoir contesté les conditions de la rupture de son contrat de travail bien avant la saisine du conseil de prud'hommes.

M. A... conclut à la requalification de la démission nulle en licenciement sans cause réelle et sérieuse, invoquant le caractère frauduleux de la man'uvre de l'employeur, qu'il qualifie de détournement de la loi.

Il invoque enfin l'attitude fautive de la SAS Debeaux et le principe selon lequel nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude, pour s'opposer à la demande de restitution de l'indemnité transactionnelle.

SUR CE :

Sur la validité de l'accord transactionnel

Selon les dispositions de l'article 2044 du code civil, dans sa version antérieure à la loi 2016-1547 du 18 novembre 2016, la transaction est un contrat par lequel les parties terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître. En matière prud'homale, il est de principe que la validité d'une transaction est subordonnée, d'une part, à l'existence d'un litige né à l'occasion de l'exécution du contrat de travail ou de la rupture de ce dernier et, d'autre part, à l'existence de concessions réciproques, étant précisé que le caractère réciproque et réel des concessions s'apprécie au jour de la transaction.

En l'espèce, aux termes de l'accord transactionnel, il est indiqué que M. A... fait grief à la société de l'avoir mis dans l'impossibilité de gérer correctement la prise de ses droits à congés et à repos compensateur de remplacement, de ne pas lui avoir versé l'intégralité des sommes dues au titre des frais de déplacement et de ne l'avoir pas mis en mesure de vérifier qu'il était régulièrement rémunéré des heures supplémentaires réalisées.

L'accord stipule que le salarié a manifesté son intention de présenter une demande complémentaire devant la juridiction compétente visant à être indemnisé du préjudice qu'il estimait avoir subi à ce titre pour travail dissimulé.

Cependant, la société Debeaux ne produit aucune pièce permettant de démontrer qu'un litige ou contentieux existait entre les parties, préalablement à la signature de l'accord transactionnel. Le conseil de prud'hommes a relevé à juste titre que M. A... n'avait jamais exprimé de désaccord préalablement à la signature de l'accord transactionnel, que les bulletins de paye versés aux débats laissaient apparaître distinctement les compteurs des droits acquis au titre des repos compensateurs, congés payés et repos compensateur de remplacement, que ces repos, ainsi que les heures supplémentaires, faisaient régulièrement l'objet d'un paiement sur une ligne distincte du bulletin de paye et qu'aucune discussion individuelle n'était intervenue entre M. A... et la société Debeaux préalablement à la signature de la transaction, dès lors que les rencontres organisées en date des 22 et 28 octobre 2011, étaient des rencontres collectives.

La seule circonstance que des réclamations aient pu exister au sein de l'entreprise à ce sujet ou que des litiges soient survenus entre la société Debeaux et d'autres salariés, est insuffisante à caractériser l'existence d'un différend entre les parties à la transaction litigieuse.

De surcroît, M. A... verse aux débats le procès-verbal établi par Maître D..., huissier de justice, en date du 30 mars 2018, retranscrivant l'enregistrement audio de l'entretien du 28 octobre 2011. La société Debaux, qui conclut au caractère illicite du mode de preuve, n'en tire aucune conséquence et ne sollicite pas que le procès-verbal soit écarté des débats. Au terme de ce dernier, l'huissier de justice retranscrit la conversation suivante, entre M. E..., un des salariés ayant conclu un protocole d'accord transactionnel, M. F..., représentant du groupe Tala et M. G..., directeur des ressources humaines de la société Debeaux :

' En fait vous avez bien compris que ce n'était pas pour vous embêter, en fait dans la transaction si vous regardez bien les 2/3 premières pages, c'est un gros baratin (inaudible) on s'engueule etc.' Pourquoi une transaction ' Il faut impérativement qu'on s'engueule (inaudible) c'est ce qui compte, voilà, là le montant qui correspond à votre ancienneté.'

Ces propos démontrent l'inexistence de tout litige entre les parties et le caractère fictif des mentions de la transaction.

Il en résulte que la concession du salarié visée par l'accord, à savoir l'abandon de ses prétentions relatives aux congés payés, repos compensateurs, repos compensateur de remplacement, heures supplémentaires, n'est pas réelle.

En outre, il est constant que, lorsque les parties se sont entendues préalablement à la rupture du contrat, la transaction ne peut valablement régler le différend entre les parties sur la qualification de la rupture ou sur ses effets.

En l'espèce, l'accord transactionnel est daté du 5 novembre 2011. Cependant, l'enregistrement précité, ainsi que les attestations précises et concordantes des salariés démissionnaires versées au débats, confirment que l'accord a en réalité été signé le 28 octobre 2011, concomitamment à la lettre de démission et non postérieurement à celle-ci. Il en résulte que l'accord, antidaté, ne peut avoir eu pour objet d'éteindre les contestations nées de la rupture du contrat.

Par conséquent, en l'absence de litige préalable et de concession réelle de la part du salarié, l'accord transactionnel ayant été conclu concomitamment à la rupture du contrat, la transaction est nulle.

Le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

Enfin, la société Debeaux, ne peut exciper de l'autorité de la chose jugée de la transaction pour conclure à l'irrecevabilité de la demande de M. A....

Sur la validité de la démission

La démission n'est pas donnée de manière libre, lorsqu'elle fait partie intégrante d'un montage juridique visant la sortie collective de salariés de l'effectif de l'entreprise, au mépris des dispositifs légaux d'ordre public en contournant sciemment la législation protectrice en matière de licenciement collectif ou de transfert de contrats.

Or, l'examen des pièces versées aux débats montre que plus de trente chauffeurs du site de Livron ont démissionné à la même date, que des transactions ont été rédigées en termes strictement identiques et conclues le même jour. Ces salariés sont sortis de l'effectif de la société Debeaux à cette occasion, sans que cette dernière ne justifie pas avoir procédé à des recrutements.

S'agissant de l'organisation des réunions par le groupe Tala, il est patent que celle-ci a été facilitée par la société Debeaux, dès lors que le planning des salariés a été aménagé afin de permettre à près de 40 chauffeurs d'être présent lors de la réunion du 22 octobre 2011. De plus, la société Debeaux ne conteste pas que des salariés des ressources humaines étaient présents lors de la seconde réunion organisée le 28 octobre 2011.

Leur présence, peu important le motif, démontre la volonté de la société Debeaux de faciliter l'opération de recrutement.

La chronologie des événements, la présence de salariés de la société Debeaux appartenant au service des ressources humaines à la seconde réunion organisée par le groupe Tala, la conclusion d'un nombre important d'accords transactionnels identiques permettant la rupture des contrats de travail moyennant le règlement d'une indemnité transactionnelle, l'absence de recrutement de chauffeurs en remplacement des salariés démissionnaires, caractérisent l'intention de la société Debeaux de contourner les dispositions d'ordre public en matière de licenciement collectif économique ou de maintien des contrats de travail en cas de transfert d'entreprise. S'agissant de la fraude, l'absence de poursuite pénales est indifférente, dès lors que la société a contourné les règles impératives édictées par le code du travail.

M. A... démontre que la démission a été donnée concomitamment à une transaction nulle, dans un contexte de fraude à la loi.

Ainsi, l'huissier constate, dans son procès-verbal en date du 30 mars 2018, l'enregistrement suivant :

« alors une feuille de papier, dont trois étapes Monsieur E... : première : une démission, deuxième : transaction, troisième donc ça c'est nous de mon côté que ça se passe, [...]

votre démission vous l'aurait la semaine prochaine.»

Ce faisant, M. A... prouve que sa démission, initiée par l'employeur, a constitué une étape de la mise en oeuvre d'un processus frauduleux, étant précisé que ce processus a été reproduit à l'identique pour plusieurs salariés et conclu en une date unique.

Ainsi, l'enregistrement précité montre que la démission a été dictée par la direction des ressources humaines de la société Debeaux :

« Bon recopiez » , tous les salariés mentionnant ensuite la même formule « Je confirme avoir pris la décision de démissionner des transports Debeaux pour convenance personnelle. Ma semaine de préavis se terminera le 4 novembre 2011. »

Dès lors, la circonstance que M. A... ait volontairement ou non adhéré au montage juridique proposé par l'employeur, est indifférente. De même, le fait que le salarié n'ait pas été placé dans un contexte de menace directe de licenciement économique, ni dans un climat de contrainte lui imposant la signature de la démission, est indifférent. En effet, la conclusion et la signature des actes litigieux, par le salarié, ne prive pas ce dernier de la possibilité de se prévaloir de leur nullité pour fraude à la loi.

En outre, la demande étant recevable au regard des règles applicables en matière de prescription, le délai écoulé entre la démission et la saisine du conseil de prud'hommes par M. A..., ainsi que les motivations du salarié à l'origine de la saisine, ne sont pas de nature à priver ce dernier de soulever la nullité de sa démission.

La démission de M. A... sera donc nécessairement déclarée nulle, l'examen des autres moyens soulevés par le salarié visant aux même fins, étant dénué d'objet.

Sur la rupture du contrat et ses conséquences

Le contrat travail de M. A... ayant été rompu sans motif réel et sérieux, la société Debeaux sera condamnée à lui verser des sommes à titre d'indemnité légale de licenciement, d'indemnité de préavis, des congés payés afférents et une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

S'agissant de l'indemnité légale de licenciement, de l'indemnité de préavis, ainsi que des congés payés afférents, M. A... sollicite l'octroi de sommes calculées sur une base brute supérieure à celle retenue par les premiers juges. Cependant, l'analyse des bulletins de salaire versés aux débats révèle que la base brute a correctement été fixée à 2 579,91 € pour le calcul de ces indemnités.

En effet, pour définir la moyenne des salaires perçus aux cours des trois derniers mois complets travaillés, il convient de déduire du salaire brut perçu en octobre 2011, le complément de salaire versé en octobre au titre des 4 jours travaillés en novembre, ainsi que la prime de jour férié versée pour le 1er novembre 2011.

Le jugement sera donc confirmé s'agissant du quantum des indemnités et congés payés afférents alloués.

En outre, la rupture du contrat étant sans cause réelle et sérieuse, les premiers juges ont fait une juste appréciation du préjudice subi par M. A... lié à la perte de son emploi au sein de la société Debeaux, compte tenu de son ancienneté et du fait que le salarié a rapidement retrouvé un emploi, en lui allouant la somme de 24 598,40 € brut à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, somme de laquelle il conviendra de déduire l'indemnité transactionnelle perçue par le salarié.

En effet, M. A..., qui invoque la règle selon laquelle nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude (nemo auditur propriam suam turpitudinem allegans), ne démontre pas que l'accord transactionnel procède d'une cause immorale. Le caractère frauduleux du montage juridique, s'il affecte la validité de la transaction, ne fait pas obstacle à la restitution par le salarié de la somme perçue en exécution de la transaction annulée.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement s'agissant du montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse allouée, la compensation devant s'opérer avec les sommes mises à la charge de la société Debeaux.

S'agissant de la prise d'acte de la rupture du contrat de travail, ce moyen n'est pas soulevé par le salarié en cause d'appel. Il y a lieu de réformer le jugement en ce qu'il a dit que la démission s'analysait en prise d'acte de la rupture du contrat de travail conformément à la demande formulée par la société Debeaux, étant précisé cependant que les conséquences indemnitaires mises à la charge de la société demeureront identiques.

Sur les autres demandes

Le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

La société Debeaux sera condamnée à verser à M. A... la somme de 200 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Debeaux supportera la charge des dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement et contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,

CONFIRME le jugement du 24 avril 2017, sauf en ce qu'il a dit que la démission s'analyse en une prise d'acte de la rupture du contrat travail,

Y ajoutant,

CONDAMNE la SAS Debeaux à verser à M. A... la somme de 200 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

REJETTE toute autre demande,

CONDAMNE la SAS Debeaux aux dépens d'appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur SILVAN, Président, et par Madame ROCHARD, Greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Ch. sociale -section a
Numéro d'arrêt : 17/02525
Date de la décision : 26/06/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-06-26;17.02525 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award