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22/05/2018 | FRANCE | N°16/01639

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Ch. sociale -section a, 22 mai 2018, 16/01639


VC



RG N° 16/01639



N° Minute :



















































































Notifié le :



Copie exécutoire délivrée le :







la SELARL GSA KHM



Me Martha F...

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL

DE GRENOBLE



Ch. Sociale -Section A

ARRÊT DU MARDI 22 MAI 2018







Appel d'une décision (N° RG F 15/00321)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VALENCE

en date du 16 mars 2016

suivant déclaration d'appel du 24 Mars 2016



APPELANTE :



SAS FAUN ENVIRONNEMENT prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié [...]

[...]



représentée par...

VC

RG N° 16/01639

N° Minute :

Notifié le :

Copie exécutoire délivrée le :

la SELARL GSA KHM

Me Martha F...

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

Ch. Sociale -Section A

ARRÊT DU MARDI 22 MAI 2018

Appel d'une décision (N° RG F 15/00321)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VALENCE

en date du 16 mars 2016

suivant déclaration d'appel du 24 Mars 2016

APPELANTE :

SAS FAUN ENVIRONNEMENT prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié [...]

[...]

représentée par Me Philippe X... de la SELARL GSA KHM, avocat au barreau de STRASBOURG

INTIMEE :

Madame B... Y...

de nationalité Française

[...]

[...]

représentée par Me Martha F..., avocat au barreau de VALENCE

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DÉLIBÉRÉ:

Monsieur Philippe SILVAN, Conseiller faisant fonction de Président,

Madame Valéry CHARBONNIER, Conseiller,

Madame Magali DURAND-MULIN, Conseiller,

DÉBATS :

A l'audience publique du 13 Mars 2018,

Mme Valéry CHARBONNIER, a été entendue en son rapport, assistée de Melle Sophie ROCHARD, Greffier, conformément aux dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, les parties ne s'y étant pas opposées.

Les parties ont été entendues en leurs conclusions et plaidoiries.

Puis l'affaire a été mise en délibéré au 22 Mai 2018, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.

L'arrêt a été rendu le 22 Mai 2018.

Exposé du litige:

Mme Y... a été embauchée en septembre 1986 par la SA FAUN ENVIRONNEMENT en contrat à durée indéterminée en qualité de secrétaire service après-vente et responsable informatique.

Mme Y... est devenue responsable administration des ventes, statut cadre forfait jours en 2003.

Mme Y... a été placée à plusieurs reprises en arrêt maladie depuis l'année 2012.

Le 2 janvier 2014 une visite médicale concluait à son inaptitude définitive dans les termes suivants : « inapte à son poste à tout emploi dans l'entreprise ».

Le 11 février 2014, Mme Y... été convoquée à un entretien en vue d'un licenciement éventuel qui a eu lieu le 21 février 2014.

Mme Y... recevait une lettre de licenciement en date du 28 février 2014 pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Mme Y... a saisi le conseil des prud'hommes de Valence le23 mars 2015 aux fins de contester son licenciement et sollicité la reconnaissance d'un harcèlement moral à son encontre à l'origine de son inaptitude ainsi qu'une indemnisation afférente.

Par jugement en date du 16 mars 2016, le conseil des prud'hommes deValence a:

- constaté que le harcèlement moral était caractérisé

- constaté que l'inaptitude de Mme Y... découlait de ce harcèlement moral

- prononcé la nullité du licenciement de Mme Y...

- condamné la SA FAUN ENVIRONNEMENT à payer à Mme Y... les somme suivantes:

' 19.968 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral

' 59.904 € à titre de dommages-intérêts pour la nullité du licenciement

' 6.656 € au titre du préavis

' 665 € au titre des congés payés sur préavis

' 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- dit que ces sommes produiraient intérêts au taux légal à compter du dépôt de la demande

- ordonné la remise d'un certificat de travail, d'un solde de tout compte et une attestation de pôle emploi rectifié

- ordonné l'exécution provisoire du jugement à intervenir

- condamné la SA FAUN ENVIRONNEMENT aux entiers dépens.

La décision a été notifiée aux parties par lettre recommandée avec demande d'accusé de réception le 19 mars 2016.

La SA FAUN ENVIRONNEMENT représentée par son conseil, a interjeté appel de la décision en sa globalité par déclaration en date du 24 mars 2016.

Elle demande à la Cour d'appel de:

infirmer le jugement rendu le 16 mars 2016

dire que Mme Y... n'a pas été victime d'acte constitutif de harcèlement moral

en conséquence,

débouter la salariée de sa demande de nullité de son licenciement

débouter la salariée de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour exécution déloyale du contrat travail

débouter la salariée de sa demande au titre de l'indemnité de préavis et des congés payés y afférents

dire que SA FAUN ENVIRONNEMENT a rempli son obligation de reclassement

en conséquence,

débouter la salariée de ses demandes de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

la condamner à payer la somme de 5000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à tous les frais et dépens.

Elle soutient que :

Sur le harcèlement :

' la SA FAUN ENVIRONNEMENT dispose de toutes les institutions représentatives du personnel et également d'un infirmier. Les salariés sont régulièrement examinés par la médecine du travail. Aucun n'a été informé par Mme Y... du harcèlement moral dont elle se plaint ni l'inspection du travail.

' Mme Y... n'établit pas les faits pouvant faire présumer l'existence d'un harcèlement moral alors que le législateur impose au salarié d'établir ces faits permettant de présumer l'existence d'un harcèlement moral. Elle ne procède que par allégations. Les faits doivent être répétés et la salariée n'apporte aucun élément de fait et encore moins d'éléments probatoires quant à l'existence des agissements répétés à son égard. Elle ne peut utiliser des éléments écrits par elle-même.

' Les évolutions de la fonction d'un salarié s'inscrivent dans le cadre du pouvoir de direction et d'organisation que détient l'employeur. À aucun moment, Mme Y... n'a vu ses prérogatives de responsable administration des ventes réduites, limitées ou supprimées. Il s'agit d'événements totalement habituels dans la vie d'une entreprise. À aucun moment Mme Y... n'a été privée de son pouvoir hiérarchique.

' Mme Y... a été régulièrement augmentée en juin 2007, en juin 2008, en avril 2010 et son coefficient a été augmenté à 2 reprises depuis 2007.

' Il est excessif de soutenir qu'elle ait été agressée le 4 mai 2012 : Monsieur Z... s'est uniquement emporté car une offre de prix n'avait pas été adressée à son client et il n'y a eu aucun contact physique. Mme Y... ne peut reprocher à la SA FAUN ENVIRONNEMENT de ne pas avoir réagi alors qu'il n'y avait pas matière à réagir. Il s'agit d'un fait unique qui n'a pas dépassé les limites de l'acceptable.

' Sur l'organigramme de la note du 2 septembre 2013 : cette note n'est en aucun cas une modification définitive car il est indiqué clairement qu'en raison de la situation de fait, Monsieur A... assume la gestion du service administration des ventes en raison de l'absence pour formation et maladie de Mme Y.... Ce n'est pas une décision de l'employeur visant à écarter la salariée c'est un constat de situation. L'organigramme édité à ce moment-là reprenait situation de fait.

' Sur la dégradation des conditions travail : Mme Y... n'apporte aucune preuve quant à une altération de sa santé physique ou mentale. Le seul certificat médical produit ne comporte aucune précision. Il n'y a eu aucune atteinte à l'image à la fonction et à l'autorité de la salariée.

Sur l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement :

Dès le 6 janvier 2014 à la réception du 2e avis d'inaptitude, l'employeur a recherché une solution de reclassement et en a informé la salariée. Par courrier du 10 janvier 2014, le médecin du travail a indiqué que ce poste ne pouvait être une solution de reclassement. La SA FAUN ENVIRONNEMENT a alors élargi le périmètre de ses recherches aux groupes dont elle fait partie. Le médecin du travail va alors indiquer ne pas s'estimer compétent pour apprécier les nouveaux postes proposés car étant situés à l'étranger. Mme Y... les refusera par courrier du 4 février 2014. La SA FAUN ENVIRONNEMENT a procédé à une recherche loyale et sérieuse de reclassement.

Mme Y... en réponse demande à la Cour d'appel de:

A titre principal :

' Débouter la société de l'ensemble de ses demandes ;

' Confirmer le jugement en ce qu'il a :

' Constaté le harcèlement moral subi par Madame B... Y... ;

' Constaté que l'inaptitude de Mme Y... découle de ce harcèlement moral ;

' Prononcé la nullité du licenciement de Madame B... Y... ;

' Condamné la société au paiement de 6656 euros au titre du préavis et 665 euros au titre de congés payés sur préavis ;

Réformer le jugement sur le montant des condamnations :

' Condamner la société FAUN ENVIRONNEMENT au paiement de la somme de 79.872,00 euros au titre d'indemnité pour la nullité du licenciement ;

' Condamner la société FAUN ENVIRONNEMENT à verser à Madame B... Y... la somme de 39.936,00 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

' Condamner la société FAUN ENVIRONNEMENT à verser à Madame B... la somme de la somme de 3500,00 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

A titre subsidiaire, si par extraordinaire la Cour ne reconnaissait pas le harcèlement moral,

Constater l'exécution déloyale du contrat de travail ;

Constater que l'employeur a contrevenu à son obligation de sécurité ;

Constater le non-respect de l'obligation de reclassement ;

Constater que le licenciement de Mme Y... est verbal ;

En conséquence :

Dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse de Madame B... Y... ;

Condamner la société FAUN ENVIRONNEMENT à verser à Madame B... Y... la somme 79.872,00 euros à titre d'indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Condamner la société FAUN ENVIRONNEMENT à verser à Madame B... Y... à la somme de 39.936,00 euros à titre de dommages et intérêts ;

En tout état de cause,

Condamner la société FAUN ENVIRONNEMENT à verser à Madame B... la somme de la somme de 3500,00 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle fait valoir que:

Sur la nullité du licenciement découlant du harcèlement moral et de l'exécution déloyale du contrat travail :

A compter de janvier 2012, le poste de Mme Y... va être purement et simplement dépecé de façon insidieuse jusqu'en faire une coquille vide. Cette dégradation a eu pour conséquence d'altérer sa santé physique et mentale et de compromettre son avenir professionnel au sein de la société. Le harcèlement qu'elle a subi a pris des formes très insidieuses:

' les salons : depuis 2009 l'organisation des salons commerciaux lui était confiée car en lien direct avec sa fonction de responsable administration des ventes. Elle organisait le salon et y était présente. En 2009, la SA FAUN ENVIRONNEMENT a décidé de ne plus participer au salon professionnel international mais seulement à des salons locaux sans aucune raison valable ni explication, cette tâche étant désormais confiée à une assistante de direction. Si la société est libre d'opérer des choix nécessaires à son développement et à sa stratégie commerciale, cela implique une communication avec les équipes et d'informer la personne en charge. Cette tâche lui a en réalité été retirée pour procéder à son isolement.

' L'enregistrement des non-conformités clients et la réponse aux réclamations des clients dont elle était en charge lui était également supprimée. Cette tâche d'apparence administrative faisait partie intégrante de son poste puisqu'elle permettait d'avoir connaissance des événements survenus auprès des clients, informations importantes « en tant qu'interface entre les services de l'entreprise, les commerciaux, les clients ».

' La charge des offres de prix et des appels d'offres lui était confiée depuis 2009 depuis le départ de Monsieur C... en 2009. Le renouvellement de sa signature électronique n'a pas été fait en octobre 2012, au profit de Monsieur A.... Ceci constituant une mise à l'écart. Ainsi à compter de fin 2012, elle était totalement exclue également de la discussion des prix d'appel d'offres sans explication.

' Sur l'audit réalisé : bien que Mme Y... a fait partie de l'équipe qui a mis en place un plan d'action concernant les offres de prix, Monsieur A... a piloté le projet.

' La réception du courrier commercial et sa redistribution : depuis 2000, année de sa prise de poste en qualité de responsable de la migration des ventes, elle recevait et redistribuait le courrier au service commercial. A compter de 2012, lors de la promotion de Monsieur A... au poste de responsable des ventes, il se faisait remettre les courriers en mains propres et se chargeait lui-même de le redistribuer aux différents services et y répondait le cas échéant. Le fait désormais de ne pas avoir accès la totalité de l'information l'empêchait d'avoir une vision globale de l'activité et de prendre les décisions ou de participer aux décisions qui s'imposaient.

' Les réunions commerciales et la mise à jour du tableau « suivi du budget commercial » cette mission lui a été retirée et confiée à Monsieur A... à compter d'octobre 2012 de manière vexatoire : elle n'était plus destinataire des ordres du jour des réunions ni les comptes-rendus et n'était plus conviée ni informée des réunions commerciales et ne pouvait plus mettre à jour le suivi du budget.

' Les demandes et réponses de l'activité administration des ventes : le 14 juin 2013 alors qu'elle était présente dans l'entreprise, une demande relative à la présence ou non de la clause de réserve de propriété sur les offres de prix a été faite au chef comptable : cette demande ne lui a même pas été adressée directement alors qu'elle était pleinement de son ressort. En outre des prix d'options ont été définis lors de la réunion commerciale de mars 2013 sans qu'elle en soit informée.

' Le management : elle n'a bénéficié d'aucun entretien annuel d'évaluation. Elle était chargée de manager 8 personnes. Ses fonctions managériales lui ont été soustraites au profit de Monsieur A...

' L'exclusion de la sortie des cadres : depuis 2007 des sorties étaient organisées et destinées à une partie des cadres de la société auxquelles elle était systématiquement conviée et participait. Elle n'a pas été invitée ni informée de la dernière sortie qui a eu lieu le 26 juillet 2013.

' L'absence d'augmentation salariale : depuis décembre 2007 elle n'a bénéficié d'aucune augmentation individuelle mais seulement d'augmentations générales négociées annuellement.

' le dénigrement direct : pendant plus de 2 ans précédant son départ de la société, des propos et comportements intolérables, blessants ont été tenus à son égard. (on la traitait de «reine mère» lors des réunions, lui disait que sa place était parmi les assistantes et on lui demandait si elle arrivait encore à s'occuper maintenant...)

' agression sur les lieux du travail : le 4 mai 2012, lors d'une pause durant une réunion commerciale, Monsieur Z... responsable régional, l'a violemment prise à partie au sujet d'une offre de prix urgente qui n'était pas partie pour cause de non-conformité. L'agression physique était imminente sans l'intervention de Monsieur A.... Ce comportement a entraîné un arrêt maladie du 8 au 11 mai 2012. L'agresseur lui-même reconnaît la violence de l'altercation. A son retour personne n'a pris la peine de la convoquer pour lui demander comment elle allait. Cette agression a été minorée par la société.

' Sur la dégradation de son état de santé : ses arrêts travail sont dus aux conditions dans lesquelles elle a été amenée à travailler et ont été causés par sa souffrance au travail. Elle était suivie par un psychiatre.

' L'organigramme de la société: alors qu'il faisait encore partie de l'entreprise puisque licenciée le 28 février 2014, la note du 2 septembre 2013 l'a remplacée dans l'organigramme par Monsieur A.... La notion de situation de fait ne doit pas être lue comme traduisant son absence. Elle était pas en maladie de longue durée le 9 septembre.

Sur l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement :

L'employeur doit dans un premier temps tenter de maintenir le salarié dans son emploi et l'avis d'inaptitude ne dispense pas l'employeur de rechercher un poste de reclassement. Cette recherche de reclassement doit être effective et sérieuse et prendre en compte toutes les sociétés du groupe. Des postes lui ont été proposés à l'étranger alors que la société savait parfaitement que la salariée ne maîtrisait pas la langue allemande et encore moins l'anglais courant. Elle a voulu tenté de faire croire qu'elle souhaitait reclasser la salariée. L'obligation de reclassement n'a pas été remplie de bonne foi et de manière loyale. Un poste d'acheteur était disponible au sein de la SA FAUN ENVIRONNEMENT et ne lui a pas été proposé.

Sur le licenciement verbal :

La société indiquait à la salariée que l'entretien aurait pu ne pas avoir lieu mais pire encore il lui était annoncé lors de l'entretien qu'elle serait licenciée. Par conséquent le licenciement de la salariée est intervenu le jour de l'entretien préalable et cela rend son licenciement sans cause réelle et sérieuse.

L'affaire a été fixée à plaider le 12 mars 2018 et renvoyée au 13 mars 2018.

Pour un plus ample exposé des motifs, de la procédure et des prétentions des parties la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats.

Le délibéré est fixé au 22 mai 2018 par mise disposition au greffe.

SUR QUOI:

Sur le harcèlement moral:

Aux termes de l'article L.1152-1 et L. 1152- 2 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel et aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

Par ailleurs, l'article L1154-1 du même code édicte que lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L1152-1 à L1152-3 et L1153-1 à L1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, qu'au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement et que le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

En l'espèce il n'est pas contesté que Mme Y... embauchée en 1986 en qualité de secrétaire Service après vente et responsable informatique a évolué au sein de la SAS FAUN ENVIRONNEMENT pour être nommée en 2003 en qualité de «responsable administration des ventes» (statut cadre).

Après le départ de M. C... en 2009 qui occupait le poste de directeur commercial, elle reprenait à sa charge également une grande partie des fonctions de directeur commercial, soit les appels d'offres, les relations techniques et commerciales avec les grands donneurs d'ordre, l'animation de l'équipe commerciale et des réunions pour la partie budget, ... sauf le management des commerciaux et l'animation de l'équipe commerciale qui restaient à la charge de M. D... son supérieur hiérarchique, responsable du service commercial.

Fin 2009, M. Charles A... était nommé au poste d'attaché direction commerciale puis au 1er janvier 2012 «responsable des ventes».

Mme Y... était placée en arrêt de travail du 2 mars 2009 au 5 mars 2009 puis du 3 novembre 2009 au 11 novembre 2009«dans le cadre d'une souffrance au travail» selon l'attestation du Dr E....

Mme Y... s'est vue décharger, sans en voir été informée officiellement, de tâches et de missions qui constituaient son c'ur de métier:

la mission d'organisation et de participation aux salons et notamment ceux de paris en 2011, Nantes en 2012 et Environord en 2011 et 2013 au profit d'assistantes commerciales.

Mme Y... a été également déchargée de l'enregistrement des «non conformités clients» alors qu'elle était jusque là en charge de la relation avec les clients «grands donneurs d'ordre» du point de vue technique et commercial et qu'en qualité de responsable des ventes, elle recevait les plaintes éventuelles, les enregistrait dans un tableau de suivi par les différents services puis la réclamation était traitée lors d'une réunion où elle était présente.

Mme Y... a ensuite été déchargée de l'élaboration des offres de prix et des appels d'offre qu'elle gérait depuis le départ de M. C... et pour laquelle elle en referait directement à son supérieur, M. D....

En fin alors qu'elle dirigeait une équipe de 8 personnes, son employeur et M. A... ont reçu plusieurs de ses subordonnés sans l'en informer dans le cadre de changements de poste, de recadrage suite à des propos tenus chez un client, d'un recrutement ou d'une nouvelle mission l'écartant de sa mission de management.

Mme Y... était de nouveau placée en arrêt de travail du 9 mai 2012 au 11 mai 2012 et le 25 janvier 2013 pour une semaine et du 22 avril 2013 au 3 mai 2013 «dans le cadre d'une souffrance au travail» selon l'attestation du Dr E....

Le 2 septembre 2013 une note de M. D... était affichée dans les locaux de l'entreprise afin d'informer le personnel que «soucieux d'officialiser une situation de fait, nous vous informons qu'à compter de ce jour Charles A... prend en qualité de responsable des ventes la charge du service Administration des ventes».

Le même jour un nouvel organigramme était diffusé sur lequel Mme Y... n'apparaissait plus, Charles A... apparaissant comme directeur du service vente et administration des ventes en son lieu et place de l'organigramme de 2011.

Le 11 septembre 2013, Mme Y... était de nouveau placée en arrêt de travail jusqu'au 29 septembre 2013 pour «syndrome dépressif avec souffrance au travail, nécessitant de rester isolée avec soutien psychologique» puis du 5 décembre 2013 au 13 décembre 2013 et du 16 décembre 2013 au 1er janvier 2014.

Le 16 décembre 2013 Mme Y... était déclarée inapte temporairement au poste de responsable administration des ventes puis le 2 janvier 2014 inapte à son poste et à tout emploi dans l'entreprise.

Mme Y... était licenciée le 28 février 2014 pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Il résulte de l'examen de l'ensemble des faits susvisés de «démembrement de son poste» pris dans leur ensemble, des éléments précis et concordants permettant de présumer que Mme Y... a subi des agissements répétés de la part de son employeur pouvant caractériser un harcèlement moral.

La SAS FAUN ENVIRONNEMENT conteste l'existence d'un harcèlement moral.

S'agissant du retrait de tâches et de missions que Mme Y... accomplissait jusqu'alors non contesté, la SAS FAUN ENVIRONNEMENT argue du pouvoir de direction et d'organisation de l'employeur, précisant que lui ont été préservées les fonctions essentielles qui constituaient le c'ur de métier de «responsable de service», les autres modifications étant tout à fait anodines et habituelles dans la vie d'une entreprise.

Cependant il n'est pas démontré que la fiche de poste de «responsable de service» non datée, non signée et ne visant pas de salarié nominativement qui est versée aux débats par la SAS FAUN ENVIRONNEMENT s'applique effectivement aux fonctions de Mme Y... celle-ci ayant exercé officiellement des fonctions de «responsable Administration des ventes» et de fait depuis 2009 à la suite du départ de M. C... la plus grande partie des fonctions de «directeur commercial» et non uniquement des fonctions de «responsable de service».

S'agissant de la perte d'organisation des salons par Mme Y..., la SAS FAUN ENVIRONNEMENT soutient ne pas vouloir «la sous employer» sur des salons de faibles envergures alors que les salons les plus importants avaient été supprimés. Cette argumentation n'est pas probante, la tâche d'organisation et de participation à tous les salons quelque soit leur importance ayant été dévolue à la salariée depuis 2000.

Il n'est pas contesté par l'employeur que la tache d'enregistrement des «non conformités clients» a été retirée à Mme Y..., la SAS FAUN ENVIRONNEMENT arguant de la nature administrative et subalterne et non indispensable de cette tâche pour assurer le suivi des non conformités dont elle était toujours en charge; l'employeur fait également valoir que Mme Y... avait du mal à assumer cette mission en manquant certaines des réunions en raison de ses arrêts maladie et de sa formation. Toutefois, il s'avère que cette tâche a été confiée à un autre responsable et non à un subalterne démontrant l'importance de cette mission, et il apparaît difficile pour Mme Y... de continuer à discuter des plaintes et mécontentement des clients avec qui elle était en relation constante si elle n'en avait pas eu connaissance au préalable, puisque désormais traités par un autre responsable. En outre la SAS FAUN ENVIRONNEMENT ne démontre pas que la salariée ait été absente à plus d'une réunion.

La SAS FAUN ENVIRONNEMENT ne conteste pas non plus l'avoir déchargée de la mission des appels d'offres lors de la nomination de M. A..., nouveau responsable des ventes en raison de la l'évolution de l'organisation de l'entreprise. Mme Y... ayant assumé cette responsabilité importante pendant de nombreux mois sans que son travail ne soit remis en cause ou critiqué, la simple évolution de l'organisation de l'entreprise et le pouvoir de direction de l'employeur ne justifient pas que des missions à responsabilité ne soient retirées à la salariée sans lui en offrir en contrepartie.

La SAS FAUN ENVIRONNEMENT fait valoir également que le fait pour Mme Y... d'effectuer les taches de directeur commercial après le départ de M. C... était seulement ponctuel dans l'attente de recrutement d'un nouveau directeur commercial.

Toutefois Mme Y... ayant occupé les fonctions sans aucun reproche de son employeur pendant plusieurs années, il ne peut être considéré qu'elle occupait en connaissance de cause de manière temporaire ces fonctions dans l'attente d'un nouveau supérieur hiérarchique qui lui reprendrait les tâches dans lesquelles elle se serait investie aussi longtemps.

L'employeur fait valoir que Mme capitaine n'a pas été dépossédée de son management mais que certains entretiens seraient confidentiels et devraient se dérouler sans le manager supérieur hiérarchique immédiat, Mme Y.... Il apparaît en réalité que ces entretiens relevaient bien du pouvoir hiérarchique de Mme Y... et qu'elle a volontairement été évincée de son management celui-ci ne devant pas se résumer à l'enregistrement des congés et à la vérification des horaires.

S'agissant de la modification de l'organigramme et de la note diffusée dans l'entreprise, la SAS FAUN ENVIRONNEMENT soutient avoir uniquement voulu officialiser l'absence pour maladie de Mme Y... sans justifier valablement de la suppression pure et simple du nom de Mme Y... de l'organigramme ni de l'attribution de ses fonctions de manière définitive à un autre salarié.

Dès lors force est de constater que les missions de Mme Y... lui ont été progressivement retirées et qu'elle a été évincée de l'entreprise de manière délibérée à partir du moment où M. A... a été nommé responsable des ventes, cette situation ayant engendré une dégradation importante de ses conditions humaines, matérielles et relationnelles de travail et un isolement constitutif d'un harcèlement moral avec pour conséquence un état dépressif de Mme Y... à l'origine de son inaptitude «au sein de l'entreprise» comme le précise le médecin du travail ;

Par conséquent il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a jugé que le licenciement était nul.

Sur les éléments d'indemnisation:

Compte tenu de l'ancienneté de la salariée et des conditions de son licenciement, il convient de condamner la SAS FAUN ENVIRONNEMENT à verser à Mme Y... les sommes suivantes outre l'indemnité légale de licenciement :

- 15.000 € à titre dommages et intérêts pour harcèlement moral

- 60.000 € à titre d'indemnisation du caractère illicite du licenciement

- 6.656 € au titre du préavis

- 665 € au titre des congés payés sur préavis

- 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance

Sur les demandes accessoires:

Il convient de condamner la SAS FAUN ENVIRONNEMENT aux entiers dépens et à la somme de de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS:

La cour, statuant contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,

CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a constaté l'existence d'un harcèlement moral et jugé nul le licenciement de Mme Y... ,

STATUANT à nouveau sur les dispositions financières infirmées et Y AJOUTANT :

CONDAMNE la SAS FAUN ENVIRONNEMENT à verser à Mme Y... les sommes suivantes outre l'indemnité légale de licenciement :

- 15.000 € à titre dommages et intérêts pour harcèlement moral

- 60.000 € à titre d'indemnisation du caractère illicite du licenciement

- 6.656 € au titre du préavis

- 665 € au titre des congés payés sur préavis

- 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance.

CONDAMNE la SAS FAUN ENVIRONNEMENT à payer à Mme Y... la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

CONDAMNE la SAS FAUN ENVIRONNEMENT aux dépens.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur SILVAN, Président, et par Madame ROCHARD, Greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Ch. sociale -section a
Numéro d'arrêt : 16/01639
Date de la décision : 22/05/2018

Références :

Cour d'appel de Grenoble 04, arrêt n°16/01639 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-05-22;16.01639 ?
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