La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/03/2013 | FRANCE | N°12/00385

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Chambre sociale, 21 mars 2013, 12/00385


V.L



RG N° 12/00385



N° Minute :





















































































Notifié le :



Grosse délivrée le :

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE GRENOBLE



CHAMBRE SOCIALE



ARRÊT DU JEUDI 21 MARS

2013







Appel d'une décision (N° RG 11/00089)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VALENCE

en date du 13 décembre 2011

suivant déclaration d'appel du 20 Décembre 2011



APPELANTE :



Madame [Z] [A]

[Adresse 1]

[Localité 2]



Représentée par Me Isabelle ROUX, avocat au barreau de VALENCE







INTIMEE :



LA SARL BIOUSSE

[Adresse 2]

[Localité 1]
...

V.L

RG N° 12/00385

N° Minute :

Notifié le :

Grosse délivrée le :

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU JEUDI 21 MARS 2013

Appel d'une décision (N° RG 11/00089)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VALENCE

en date du 13 décembre 2011

suivant déclaration d'appel du 20 Décembre 2011

APPELANTE :

Madame [Z] [A]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Isabelle ROUX, avocat au barreau de VALENCE

INTIMEE :

LA SARL BIOUSSE

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentée par Me BORONARD de la SCP FAYOL ET ASSOCIES, avocats au barreau de VALENCE

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DELIBERE :

Madame Mireille GAZQUEZ, Présidente,

Madame Astrid RAULY, Conseiller,

Madame Véronique LAMOINE, Conseiller,

DEBATS :

A l'audience publique du 31 Janvier 2013,

Madame LAMOINE, chargée du rapport, et Madame GAZQUEZ, assistées de Madame Ouarda KALAI, Greffier, ont entendu les parties en leurs conclusions et plaidoiries, conformément aux dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, les parties ne s'y étant pas opposées ;

Puis l'affaire a été mise en délibéré au 14 Mars 2013 prorogé au 21 mars 2013, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.

L'arrêt a été rendu le 21 Mars 2013.

RG 12/385VL

Exposé des faits

Par contrat de travail en date du 30 janvier 1989, Madame [Z] [A] a été embauchée par la SAS BIOUSSE qui a pour activité la peinture industrielle et l'émail au four, pour une durée indéterminée, au poste de préparatrice, emballage. La Convention Collective applicable est celle de la Métallurgie Drôme Ardèche.

En décembre 2007, son médecin traitant a établi une lettre dans laquelle il la considère inapte à son poste de travail pour des problèmes de poignet.

En avril 2009, elle a été affectée à un poste de travail dit "THALES", consistant à approvisionner une cabine de peinture, à effectuer un contrôle qualité puis réaliser l'emballage et l'étiquetage des produits.

Elle a été placée en arrêt de travail et, le 11 mai 2009, déclarée apte à la reprise avec cependant, la recommandation "éviter le port et les manutentions de charges lourdes", sans pour autant de précision quant au poids des charges. Après un nouvel arrêt, elle a été déclarée apte à la reprise le 30 juin 2009 avec la mention "éviter le porte de charges lourdes de plus de 17 kg".

Le 24 janvier 2011, Madame [Z] [A] a saisi le Conseil de Prud'hommes de VALENCE en demandant paiement de son salaire du mois de janvier, des congés payés, et des indemnités consécutives à la rupture de son contrat de travail.

Le 31 janvier 2011, elle a écrit une lettre recommandée à son employeur en indiquant son impossibilité de continuer son activité dans l'entreprise pour dégradation de ses conditions de travail et harcèlement moral.

Par conclusions ultérieures devant le Conseil de Prud'hommes, elle a demandé la requalification de sa démission en rupture abusive aux torts de son employeur, aux motifs notamment d'un harcèlement moral, et en formant diverses demandes d'indemnités consécutives à cette rupture.

Par jugement du 13 décembre 2011, le Conseil de Prud'hommes de VALENCE a jugé que les griefs invoqués par Madame [Z] [A] n'étaient pas établis, et l'a déboutée de toutes ses demandes. Il a encore rejeté la demande de la SAS BIOUSSE fondée sur l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Madame [Z] [A] a, le 20 décembre 2011, interjeté appel de ce jugement, qui lui avait été notifié le 17 décembre.

Demandes et moyens des parties

Madame [Z] [A], appelante, demande à la Cour d'infirmer le jugement et de requalifier la démission en rupture abusive du contrat à l'initiative de l'employeur ; elle demande condamnation de la SAS BIOUSSE à lui payer les sommes de :

* 10 163 € à titre d'indemnité de licenciement,

* 36 256 € (22 mois de salaire) à titre de dommages-intérêts tous préjudices confondus autant pour le harcèlement que pour la rupture abusive,

* 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Elle fait valoir, en ses conclusions régulièrement transmises, visées et développées oralement à l'audience, que :

- ses conditions de travail étaient inadaptées : table de préparation trop haute compte-tenu de sa petite taille, pièces pouvant atteindre 25 kilos alors qu'elle ne pouvait porter que 17 kilos et non-respect de la préconisation du médecin du travail sur ce point, dégraissage des pièces avec un produit toxique sans protection, vestiaires pas aux normes, pas d'aspiration des poussières,

- son employeur avait interdit qu'on l'aide ; elle produit une attestation de sa collègue de travail Mme [S] qui atteste cette interdiction et qui témoigne aussi qu'il avait été donné "interdiction de lui adresser la parole tant pour les ouvrières que pour les peintres mêmes pour des questions relatives au travail" ; elle atteste aussi d'un "harcèlement moral dès que [Z] entrait dans l'atelier" ;

- le harcèlement dont elle se plaint s'est traduit par des récriminations à longueur de journée, des insultes de son chef d'atelier, des moqueries répétitives jusqu'à l'intrusion dans son espace privé (tambourinement aux portes des toilettes),

- elle produit le certificat d'un médecin psychiatre attestant qu'elle a développé une dépression chronique réactionnelle à ces conditions de travail difficiles et abusives.

La SAS BIOUSSE, intimée, demande la confirmation du jugement déféré, le rejet des demandes de Madame [Z] [A] et sa condamnation à lui payer la somme de 2 000 € en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Elle fait valoir, en ses conclusions régulièrement transmises, visées et développées oralement à l'audience, que :

* elle a fait vérifier le poste de travail de Madame [Z] [A] par le médecin du travail en juin 2009, et il n'a rien constaté d'anormal,

* le médecin du travail a établi un ultime avis le 6 janvier 2010 qui ne contient plus aucune restriction quant au poids des pièces ; rien ne peut donc être reproché à l'employeur à ce titre ;

* les documents produits par la salariée s'entendent du poids des caisses y compris l'emballage ; or elle n'avait à soulever que des pièces hors emballages ; ensuite, elle se servait du transpalette ;

* s'agissant de l'aide pour porter les pièces lourdes, elle produit plusieurs attestations de salariés qui démontrent que l'aide des préparateurs était préconisée, habituelle, et qu'aucune interdiction n'avait été donnée quant à une aide à Madame [Z] [A] pour le déplacement des charges lourdes ;

* aucune preuve de harcèlement n'est rapportée, ni interdiction de lui parler ni de l'aider, l'attestation de Mme [S] est mensongère.

Motifs de la décision

Sur la requalification de la démission

Madame [Z] [A] a mis fin à son contrat de travail par la lettre en date du 31 janvier 2011 adressée à son employeur, dans laquelle elle évoque les conditions de son travail (dégraissage de pièces avec un diluant toxique sans protection, port de charges trop lourdes), les problèmes d'aménagement de son poste de travail (absence d'aspiration, tables de préparation non adaptées à sa morphologie) qui ont fait l'objet de réclamations de sa part sans, pour autant, obtenir aucune amélioration, ainsi que des actes de harcèlement (manque de considération, récriminations, insultes), l'ensemble de ces éléments ayant contribué, selon elle, à la dégradation de sa santé. Elle en conclut, toujours dans la même lettre, 'Il m'est devenu dorénavant impossible de continuer mon activité professionnelle dans votre entreprise, d'où ma démarche'.

Dans ces conditions, l'intention de Madame [Z] [A] de mettre fin à son contrat de travail étant motivée par des manquements de son employeur, s'analyse non pas en une démission, mais en une prise d'acte de la rupture du contrat aux torts de l'employeur, laquelle produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les griefs sont fondés, et d'une démission dans le cas contraire.

Il y a donc lieu d'examiner les griefs invoqués par Madame [Z] [A] à l'appui de cette prise d'acte.

# sur les griefs

* aménagement du poste de travail

Aux termes de l'article L. 4121 du Code du Travail, 'l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :

1° des actions de prévention des risques professionnels « et de la pénibilité au travail ».'

En l'espèce, Madame [Z] [A] fait valoir notamment qu'elle est de petite taille, et qu'elle réclame depuis longtemps que sa table de travail présente une hauteur adaptée à sa morphologie, mais qu'elle n'a jamais obtenu de changement sur ce point. Elle verse aux débats une lettre recommandée avec avis de réception en date du 4 juin 2009 adressée à son employeur par laquelle elle réclame, suite à l'avis du Médecin du travail du 11 mai 2009, 'une table à hauteur de travail' ainsi qu'« une aspiration ».

La SAS BIOUSSE ne conteste pas que Madame [Z] [A] présente une petite taille. Dès lors que son travail nécessite en partie l'utilisation d'une table de travail, il est nécessaire que la hauteur de cette table soit adaptée à la taille de la salariée ; ainsi, Mme [Q], décrivant sur demande de l'employeur le poste de travail 'THALES', souligne bien qu'il s'agit d'un travail en position debout avec une table de travail ; dans ces conditions, la petite taille de Madame [Z] [A] est un désavantage crucial par rapport à d'autres salariés, se renouvelant au quotidien d'autant plus qu'il s'agit de porter des objets lourds, une telle disparité ne pouvant être compensée que par l'octroi d'une table de travail plus basse adaptée à la taille de Madame [Z] [A], la SAS BIOUSSE ne soutient pas avoir fait le nécessaire en ce sens, se contentant d'invoquer le fait que toutes les tables de l'entreprise sont à la même hauteur, et que Madame [Z] [A] a travaillé durant 20 ans sans s'en plaindre. Or, ces arguments sont inopérants, le fait que toutes les tables de l'entreprise soient à la même hauteur ne dispensant pas l'employeur de son obligation d'adapter le poste de travail d'une salariée aux contraintes spécifiques à sa taille afin de prévenir la pénibilité au travail, voire les risques professionnels ; quant à l'ancienneté de Madame [Z] [A] dans l'entreprise, elle n'est pas davantage pertinente, celle-ci ayant changé de poste de travail en avril 2009 et l'inadaptation des outils de travail pouvant générer précisément, avec le temps, des troubles physiques qui n'existaient pas initialement.

Enfin, la SAS BIOUSSE se prévaut d'un certificat du médecin du travail en date du 22 juin 2009 indiquant qu'après visite des lieux le 19 juin, 'le poste de travail décrit (...) est compatible avec l'état de santé de la salariée'. Or, il ne ressort pas de ce certificat que Madame [Z] [A] ait été présente lors de la visite du médecin du travail ni donc entendue par ce dernier, alors que, dans un certificat établi deux ans plus tard, le même médecin précise bien que sa conclusion est donnée 'après l'interrogatoire de la salariée en poste'. L'absence de Madame [Z] [A] lors de la visite du 19 juin 2009 est corroborée par le fait que la SAS BIOUSSE mentionne, dans sa lettre du 18 juin, que Madame [Z] [A] est alors en arrêt de travail et que la visite de reprise a eu lieu le 30 juin soit après la visite sur les lieux du médecin du travail. Il en résulte que Madame [Z] [A] n'a pas été en mesure, notamment, d'attirer l'attention du médecin sur la hauteur de la table de travail. Cet avis, en l'absence d'une telle précision, n'est donc pas probant quant à l'adaptation complète du poste de travail à Madame [Z] [A].

Il en est de même s'agissant de l'absence d'aspiration pour des pièces produisant de la poussière de plomb, la SAS BIOUSSE ne déniant pas formellement l'existence de telles pièces et l'absence d'aspiration, mais se contentant d'invoquer le même avis du médecin du travail du 22 juin 2009 lequel ne mentionne rien sur ce point, alors qu'il a visité le poste de travail hors la présence de la salariée, sans donc pouvoir observer de façon circonstanciée l'exécution, par cette dernière, de ses tâches habituelles notamment le travail sur les pièces en plomb. Sur ce point, Mme [O] [Q], dans une attestation produite par la SAS BIOUSSE, confirme l'usinage de ces pièces en décrivant ainsi son poste de travail sur le poste THALES 'masque lors des ponçages sur le plomb'.

Enfin, la seconde attestation du médecin du travail produite par la SAS BIOUSSE, en date du 21 septembre 2011, n'est pas davantage pertinente puisqu'elle résulte d'une visite du 20 septembre 2011, date à laquelle Madame [Z] [A] avait quitté ce poste de travail.

Il en résulte que la SAS BIOUSSE a manqué à son obligation d'adapter le poste de travail de Madame [Z] [A] aux besoins de sa santé sur ces deux points.

* conditions de travail

Madame [Z] [A] se plaint essentiellement du port de charges lourdes dépassant le poids de 17 kg préconisé par le médecin du travail sur le certificat de reprise en date du 30 juin 2009. Le médecin traitant de Madame [Z] [A] précise en outre, dans son attestation, que cette limite de 17 kg correspond à une norme de l'Inspection du travail quant au poids maximum des pièces pouvant être portées par une femme.

A la lecture des pièces produites tant par Madame [Z] [A] que par la SAS BIOUSSE elle-même, ressortent les éléments suivants qui concordent pour attester que les pièces que Madame [Z] [A] était amenée à porter pouvaient excéder ce poids de 17 kg, et créaient ainsi des conditions de travail non acceptables et préjudiciables pour la santé, en particulier pour quelqu'un de petite taille comme Madame [Z] [A] :

* le médecin du travail, dans la lettre du 21 septembre 2011 produite aux débats par la SAS BIOUSSE, écrit 'la salariée interrogée (NB : ce n'est plus Mme [A]), m'a confirmé que les charges manutentionnées ne dépassaient pas en général les 17 kg, et que dans les rares cas où certaines charges sont plus lourdes, elle a toujours la possibilité de faire appel à l'aide...' (Sic, seul le soulignement a été ajouté pour plus de clarté) ;

* Mme [H] [R] atteste qu'elle a travaillé sur le poste THALES, qu'elle a dû être licenciée suite à une hernie discale 'survenue à force de manipuler des pièces de 20 kg et pousser des séchoirs contenant 8 pièces (soit 160 kg) ceci plusieurs fois dans la journée voire jusqu'à 40 parfois. Ces pièces étaient ensuite disposées dans des caisses d'emballage qui en alourdissaient la levée',

* Monsieur [F] a établi une attestation où il indique que, tant du fait du 'poids des pièces' que du type de travail 'très physique' sur le poste 'THALES', ce poste aurait nécessité 'un moyen mécanique de manutention autre que du personnel féminin' ;

* plusieurs salariées femme, ayant occupé le poste 'THALES' attestent que, pour la manutention des pièces les plus lourdes, il leur était donné la consigne de demander de l'aide à leurs collègues masculins.

Il en résulte suffisamment que, de manière habituelle, le poste de travail de Madame [Z] [A] sur les pièces THALES comportait le port de charges d'un poids excessif, que ce soit au-delà de 17 kg ou en deçà, le fait de devoir solliciter l'aide des collègues masculins pour les manipuler constituant d'une part une contrainte inacceptable puisque soumise à l'aléa soit de l'indisponibilité de ces collègues, soit de leur refus -ce dont Mme [A] se plaint d'avoir été victime-, d'autre part l'illustration que ce poste de travail est inadapté pour une femme au surplus de petite taille.

C'est en vain que la SAS BIOUSSE invoque tout d'abord les documents de l'entreprise mentionnant le poids des pièces en cause sans les caisses dès lors que, dans son attestation ci-dessus évoquée, Mme [R] évoque bien la manutention des pièces avec les caisses 'qui en alourdissaient la levée'.

De la même manière, la SAS BIOUSSE se prévaut en vain du certificat de reprise du médecin du travail du mois de janvier 2010 ne mentionnant plus de limite pour les charges à porter, dès lors que :

* avant l'établissement de ce dernier avis, le précédent du mois de juin 2009 préconisait bien une limite du poids des charges à 17 kg, ne faisant d'ailleurs en cela que reprendre la norme admise par l'inspection du travail, et il a constitué ainsi, durant de nombreux mois, une limite expresse que l'employeur ne pouvait franchir,

* nonobstant l'absence formelle de limitation du certificat de janvier 2010, le caractère habituellement lourd, de façon répétitive et au quotidien des charges à porter, que révèlent les éléments du dossier décrits plus haut, constituait une inadaptation permanente, pour Madame [Z] [A] de ses conditions de travail, en tant que femme au surplus de petite taille.

Il en résulte, là encore, un manquement de l'employeur à ses obligations quant au type de travail demandé à Madame [Z] [A], et aux conditions dans lesquelles elle était amenée à l'effectuer, contraires au moins durant un certain temps aux préconisations du médecin du travail, et de nature à mettre en jeu sa santé. Par là-même, l'employeur a manqué gravement à son obligation de mettre en oeuvre les mesures nécessaires pour protéger la santé physique de la salariée.

* harcèlement moral

Madame [Z] [A] se plaint de harcèlement moral par l'expression d'un dédain, d'un manque de considération, d'insultes de son chef. Mais le seul document qu'elle produit pour en justifier est une attestation de Mme [T] [S] qui, sur ce point, certifie d'un 'harcèlement moral dès que [Z] venait dans l'atelier'. Ce seul témoignage vague tant quant à la personne en cause que quant à l'attitude précise reprochée à cette personne et pouvant être considéré comme harcelante, ne peut suffire à laisser présumer un harcèlement.

Madame [S] atteste encore que des ordres auraient été donnés au personnel de l'entreprise de ne pas aider Madame [Z] [A] sous menace de sanction, de ne pas lui prêter une petite table, ou encore de ne pas lui adresser la parole. Mais le contenu de ce témoignage est contredit par les attestations d'autres salariés versées aux débats par la SAS BIOUSSE : Messieurs [L] et [C] attestent avoir, comme d'autres collègues, aidé Madame [Z] [A] aussi souvent qu'elle le demandait ce qui est confirmé par Monsieur [G], plusieurs salariés (Mme [W], M. [L]), affirment n'avoir jamais eu de consignes visant à ne plus adresser la parole à Mme [A]. En l'état de ces contradictions, le seul témoignage de Mme [S] n'est pas suffisant pour laisser présumer un harcèlement de cet ordre.

Nonobstant l'insuffisance de ces éléments, l'attitude réitérée de l'employeur mise en évidence au paragraphe précédent, conduisant à la dégradation des conditions de travail de Madame [Z] [A] par le refus d'adapter son poste de travail et le fait de lui confier de manière habituelle une tâche dépassant ses capacités, mettant en jeu sa santé, est par elle-même constitutive d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 115-1 du Code du Travail.

L'ensemble de ces fautes imputables à l'employeur justifie la rupture du lien du travail aux torts de la SAS BIOUSSE, cette rupture produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les indemnités

# dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Aux termes de l'article L. 1235-3 du Code du Travail, ils sont dus dans le cas où la réintégration du salarié est refusée par l'une ou l'autre des parties, et ils ne peuvent être inférieurs au salaire des six derniers mois. Enfin ils sont dus sans préjudice, le cas échéant, de l'indemnité de licenciement.

En l'espèce, Madame [Z] [A] avait une ancienneté de l'ordre de 22 ans dans l'entreprise au moment de son licenciement, et son salaire brut des deux derniers mois s'est élevé à 1 637,85 € mensuels en moyenne. Elle ne fournit pas d'éléments relatifs à sa situation financière ou professionnelle actuelle ; elle était âgée de 41 ans au moment de la prise d'acte de la rupture. Il convient, compte-tenu de l'ensemble de ces éléments, d'apprécier l'indemnité compensatrice de son préjudice, tant du fait de la rupture du contrat que du harcèlement, à la somme de 34 000 € que la SAS BIOUSSE sera donc condamnée à lui verser à ce titre.

# indemnité de licenciement

L'article L. 1234-9 du Code du Travail prévoit que chaque salarié titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée licencié, alors qu'il compte une année d'ancienneté ininterrompue au service du même employeur, a droit à cette indemnité dont les modalités de calcul sont précisées par les articles R. 1234-1 du même code, à défaut de fixation de son montant dans la convention collective.

En l'espèce, Madame [Z] [A] a droit, selon ce texte, à 1/5ème de mois de salaire par année d'ancienneté outre 2/15ème de mois par année au-delà de 10 ans d'ancienneté, ce qui correspond à l'indemnité suivante, la date de la rupture du contrat de travail étant celle de la lettre de prise d'acte de la salariée soit le 31 janvier 2011 :

* 1 637,85 € x 1/5è x 22 = 7 206,54 €

* 1 637,85 € x 2/15è x 12 = 2 620,56 €

TOTAL = 9 827,10 €

Sur les demandes accessoires

La SAS BIOUSSE, succombant en sa position, devra supporter les dépens de première instance et d'appel en application de l'article 696 du Code de Procédure Civile. Pour les mêmes motifs, il n'est pas possible de faire application de l'article 700 du Code de Procédure Civile en sa faveur.

Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de Madame [Z] [A] tout ou partie des frais exposés dans le cadre de la présente et de l'instance devant le premier juge et non compris dans les dépens ; il y a donc lieu de lui allouer la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Par ces Motifs

La Cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au Greffe, après en avoir délibéré conformément à la loi,

INFIRME en toutes ses dispositions le jugement déféré.

Statuant à nouveau :

DIT que la prise d'acte, par Madame [Z] [A], de la rupture de son contrat de travail le 31 janvier 2011 doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

CONDAMNE la SAS BIOUSSE à payer à Madame [Z] [A] les sommes de :

* 34 000 € à titre de dommages-intérêts tant pour licenciement sans cause réelle et sérieuse que pour harcèlement,

* 9 827,10 € à titre d'indemnité de licenciement,

* 2 000 € en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

REJETTE toutes les autres demandes.

CONDAMNE la SAS BIOUSSE aux dépens de première instance et d'appel.

Prononcé publiquement ce jour par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile.

Signé par madame GAZQUEZ, présidente, et par madame ROCHARD, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIERLE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 12/00385
Date de la décision : 21/03/2013

Références :

Cour d'appel de Grenoble 04, arrêt n°12/00385 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2013-03-21;12.00385 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award