V.L
RG N° 12/00688
N° Minute :
Notifié le :
Grosse délivrée le :
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE SOCIALE
ARRET DU JEUDI 7 MARS 2013
Appel d'une décision (N° RG 11/1235)
rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRENOBLE
en date du 23 février 2012
suivant déclaration d'appel du 29 Février 2012
APPELANTE :
Madame [R] [L]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Comparante en personne
Représentée par Me Annette PAUL, avocat au barreau de GRENOBLE
INTIMEE :
LA SOCIÉTÉ PAGES JAUNES prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Hortense GEBEL, avocat au barreau de PARIS, substituée par Me DUCASSE, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :
Madame Hélène COMBES, Conseiller faisant fonction de Président,
Madame Véronique LAMOINE, Conseiller,
Madame Stéphanie ALA, Vice-Président placé,
Assistés lors des débats de Madame Ouarda KALAI, Greffier.
DEBATS :
A l'audience publique du 14 Janvier 2013,
Madame LAMOINE, entendue en son rapport,
Les parties ont été entendues en leurs conclusions et plaidoiries.
Puis l'affaire a été mise en délibéré au 04 Mars 2013 puis prorogé au 7 mars 2013.
L'arrêt a été rendu le 07 Mars 2013.
RG N°12/688 VL
Exposé des faits
Par contrat de travail à durée indéterminée conclu en 1988, Madame [R] [L] a été embauchée par la société ODA aux droits de laquelle vient la SA PAGES JAUNES, au poste de télévendeuse. Par la suite, elle a accédé au statut de cadre, puis a été mutée sur l'agence de [Localité 9] en 1997 en qualité de Responsable clientèle. Au dernier état des relations contractuelles, elle avait atteint le poste de Responsable des Ventes Conseillers Commerciaux depuis mai 2005.
En septembre 2008, la SA PAGES JAUNES a annoncé à tous ses Responsables de Ventes la mise en place d'une nouvelle stratégie de vente et la modification à venir de leurs contrats de travail, mais Madame [R] [L] a refusé cette modification qui lui a été proposée en avril 2009.
Le 24 juillet 2009, Madame [R] [L] a saisi le Conseil de Prud'hommes de GRENOBLE en dommages-intérêts pour discrimination, rappels de salaires au niveau de ses collègues, et remboursement de frais professionnels.
Le 2 septembre 2009, Madame [R] [L] a été convoquée par lettre recommandée à un entretien préalable à une sanction disciplinaire, et elle s'est vue notifier un blâme par lettre recommandée du 12 octobre 2009 à propos d'une lettre écrite par elle le 15 juillet 2009.
Elle a, par la suite, adjoint à ses demandes initiales devant le Conseil de Prud'hommes la résiliation judiciaire de son contrat de travail pour harcèlement moral, et des dommages-intérêts pour rupture d'égalité. L'affaire a été radiée puis réinscrite.
Par jugement du 23 février 2012, le Conseil de Prud'hommes de GRENOBLE a débouté Madame [R] [L] de toutes ses demandes et l'a condamnée aux dépens.
Madame [R] [L] a, le 29 février 2012, interjeté appel de ce jugement, qui lui avait été notifié le 25 février 2012.
Demandes et moyens des parties
Madame [R] [L], appelante, demande à la Cour la résiliation judiciaire de son contrat de travail et la condamnation de la SA PAGES JAUNES à lui payer les sommes de :
* 115 499 € en remboursement de frais professionnels depuis le 1er mai 2005,
* 67 940 € à titre de rappel de salaires depuis le 1er mai 2005,
* 97 888 € à titre de rappel de primes d'objectifs,
* 15 000 € à titre de dommages-intérêts pour rupture d'égalité,
* 47 949 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
* 137 160 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 17 145 € à titre d'indemnité de préavis,
* 1 715 € au titre des congés payés afférents,
* 4 500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Elle demande encore l'annulation du blâme qui lui a été infligé, et la condamnation de la SA PAGES JAUNES à lui payer la somme de 2 500 € à titre de dommages-intérêts pour le préjudice qu'il lui a causé.
Elle fait valoir, en ses conclusions régulièrement transmises, visées et développées oralement à l'audience, que :
* sur le blâme : il concerne une seule lettre du 15 juillet 2009, où elle a employé des termes un peu forts pour attirer l'attention de sa hiérarchie sur sa situation de discrimination ; cette sanction a été prise près de trois mois après le courrier en cause et elle est disproportionnée ;
* sur la rupture d'égalité :
- en terme de rémunération fixe : elle se situe dans la fourchette basse de la rémunération des RVCC, en rupture d'égalité avec certains de ses collègues occupant des fonctions identiques (surtout hommes), alors qu'elle a 5 ans d'ancienneté dans la fonction, et 22 ans dans l'entreprise ; elle a fait l'objet d'appréciations élogieuses ("domine" en 2008) ; elle a bénéficié d'une seule augmentation individuelle pour son mérite en 2006, ce qu'elle compare avec la situation précise d'autres collègues ;
- en terme de secteur et de composition des membres de son équipe :
. la répartition se fait par concertation entre les différents responsables, et est entérinée ensuite par le Directeur d'Agence ;
. elle n'était pas en poste encore lors de la répartition initiale en 2005 ; ses collègues se sont attribué les meilleurs éléments parmi les collaborateurs,
. on ne lui a affecté que des personnes peu performantes, ou dont les autres responsables ne "voulaient pas" ; elle est mise devant le fait accompli, ses collègues plus anciens savent la mettre en difficultés dans cette négociation,
. elle s'est vu affecter, année après année, un secteur géographique très éclaté dans 4 départements, et peu porteur en terme commercial comme [Localité 14] (38) ou [Localité 7] (05), tandis que ses collègues se réservent les secteurs les plus porteurs comme [Localité 11] ou les zones commerciales de [Localité 15] ; au surplus, on lui a affecté des commerciaux résidant à [Localité 13] alors que leurs frais de déplacement ne sont pas pris en charge, ce qui entrave leur motivation ;
. sa direction, alertée, n'a pas voulu prendre ses responsabilités pour revoir l'organisation et les règles d'attribution ; ces travers ont été stigmatisés par le CHSCT dans un rapport d'expertise (copinage, décisions arbitraires...),
* sur les frais professionnels :
- en droit, le principe est qu'ils sont remboursés sur justificatifs, sauf s'il est contractuellement prévu une indemnisation forfaitaire et sous certaines conditions,
- en l'espèce, la SA PAGES JAUNES attribue à l'ensemble des Responsables de ventes un forfait de frais de déplacement quel que soit son secteur et les modalités de déplacement,
- la clause du contrat de travail relative aux frais prévoit une "participation" de l'employeur et non pas un forfait, et ne dit pas que le surplus est à charge du salarié,
- elle fournit tous les justificatifs des frais engagés ;
* sur le harcèlement moral :
- elle, seule, a refusé de signer le contrat de travail modifié et défavorable qui lui était soumis, et a saisi le Conseil de Prud'hommes pour faire valoir ses droits,
- elle a, dès lors, fait l'objet d'une mise à l'écart encore plus systématique et les dispositions de son contrat n'ont plus été respectées (objectifs non réévalués) ;
- à l'arrivée comme nouveau responsable à l'été 2010 de Monsieur [M], le comportement de ce dernier va l'amener à devoir être placée en arrêt de travail.
La SA PAGES JAUNES, intimée, demande la confirmation du jugement déféré et le rejet des demandes de Madame [R] [L].
Elle fait valoir, en ses conclusions régulièrement transmises, visées et développées oralement à l'audience, que :
* sur le blâme : la procédure a été régulièrement suivie ; les propos de Madame [R] [L] étaient inacceptables, qualifiant son équipe de "groupe poubelle constitué pour recaser les vendeurs has been" ;
* sur les frais professionnels : ils font l'objet d'une participation forfaitaire de l'employeur comme prévu au contrat de travail, ce qui est légal, et Madame [R] [L] ne peut réclamer aucune somme supérieure ou supplémentaire à ce titre ;
* elle n'établit aucune discrimination quant à la rémunération :
- son salaire initial a été fixé à la fourchette basse comme tous ses collègues ;
- de 2005 à 2008, elle a fait l'objet d'une augmentation individuelle et de plusieurs augmentations collectives,
- à partir de 2009, aucune comparaison n'est plus pertinente car elle a refusé le nouveau contrat,
ni quant à la répartition des équipes et des secteurs :
- elle ne s'est plaint de la répartition géographique qu'en 2009, et elle n'est pas plus défavorable que pour ses collègues, cette répartition se fait d'un commun accord entre eux ;
- sur l'affectation des commerciaux, elle ne rapporte aucune preuve de ce qu'elle avance sur une discrimination dans le choix des personnes affectées ;
* sur le harcèlement : elle n'a travaillé que quelques semaines avec M [M] qui s'est montré normalement courtois avec elle ; les faits invoqués par Madame [R] [L] ne constituent pas un harcèlement mais l'exercice des fonctions hiérarchiques.
Motifs de la décision
Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail
# sur la rupture d'égalité quant à la rémunération
Il résulte du contrat de travail du 12 avril 2005 que Madame [R] [L] qu'elle a été engagée au poste de Responsable de Vente Conseillers Commerciaux (RVCC) pour un salaire fixe mensuel brut de 2 600 € outre un 13ème mois, ce que la SAS PAGES JAUNES admet comme étant le niveau bas de salaire pour ce poste. Il ressort encore des conclusions respectives que Madame [R] [L] a bénéficié, depuis cet engagement, d'une seule augmentation individuelle à hauteur de 100 € à la fin de l'édition 2006, -outre des mesures d'augmentations collectives. Ces dernières ayant bénéficié à tous les salariés d'une même catégorie, seule l'augmentation individuelle peut être prise en compte pour apprécier l'éventuelle différence de traitement entre Madame [R] [L] et les autres RVCC.
Sur ce point, Madame [R] [L] produit aux débats un document interne intitulé 'La rémunération édition 2009 des Responsables de Vente' mais les éléments qu'il révèle ne sont pas probants car ils reposent sur la rémunération fixe tandis que le nouveau contrat, qui n'a pas été accepté par Madame [R] [L], comportait, notamment, une revalorisation de la rémunération fixe, le montant alors offert à Madame [R] [L] étant de 3 443,42 €, ce qui est exact au vu de la proposition de contrat de travail produit aux débats.
La SAS PAGES JAUNES verse ensuite aux débats des tableaux annuels de 2006 à 2009 de comparaison des rémunérations fixes de ses responsables de vente et des augmentations individuelles dont ils ont bénéficié. Il en résulte les éléments suivants pour les augmentations individuelles des salariés pour les années 2006 à 2008, l'année 2009 n'étant pas pertinente ainsi qu'il vient d'être dit, - NB : les salariés sont identifiés selon les lettres A à E conformément aux tableaux, leur véritable identité ayant été occultée par l'employeur- :
en 2006
salarié
date embauche
salaire début
période
salaire fin période
augmentation
salarié A
9 mai 2005
2 620,80
2 720,80
3,82 %
Mme [L]
1er mai 2005
2 620,80
2 720,80
3,82 %
en 2007
salarié
date embauche
salaire début
période
salaire fin période
augmentation
salarié A
9 mai 2005
2 756,17
2 906,17
5,44 %
Mme [L]
1er mai 2005
2 756,17
2 756,17
0
en 2008
salarié
date embauche
salaire début période
salaire fin période
augmentation
salarié A
n'est plus mentionnée
salarié B
1er juin 2007
2 652 €
2 752 €
3,77 %
salarié C
1er juin 2007
non significatif : catégorie 'M' (Master)
salarié D
18 février 2008
2 805 €
2 805 €
0
salarié E
Mme [L]
2 811,29 €
2 811,29 €
0
en 2009 :
les montants de salaires ne sont plus significatifs, Mme [L] n'ayant pas accepté le nouveau contrat à la différence de ses collègues ; néanmoins, les augmentations individuelles dont ont bénéficié certains salariés au vu du tableau, indépendamment du nouveau montant de salaire, ont quant à elles toute leur pertinence pour comparer les situations :
salarié
Augmentation individuelle
B
3,79 %
D
0
E
0
Mme [L]
0
Il peut être constaté, au vu de ces comparaisons, les éléments suivants révélateurs d'une différence de traitement au détriment de Madame [R] [L] :
1/ Le salarié A, embauché quasiment en même temps que Madame [R] [L], a bénéficié de deux augmentations individuelles l'une en 2006, l'autre en 2007 et la seconde d'un pourcentage supérieur, tandis que Mme [L] n'en a bénéficié que d'une,
2/ Le salarié B a bénéficié, lui aussi, de deux augmentations individuelles, une chacune des deux années après son embauche,
3/ Le salarié C a été embauché en 2008 à un salaire de 2 805 € ce qui était équivalent (à 6,29 € près) à celui que Madame [R] [L] avait atteint après la seule augmentation dont elle a bénéficié alors qu'elle était en poste depuis 2005.
Or, Madame [R] [L] établit que, lors de son évaluation en 2008, elle avait bénéficié de l'appréciation 'Domine', la 3ème dans l'ordre croissant sur une échelle de 1 à 4, et aucune des mentions du compte-rendu de cet entretien ne fait apparaître une quelconque insuffisance.
Aux disparités ainsi révélées, la SAS PAGES JAUNES se contente de répondre que Madame [R] [L] a eu des résultats commerciaux très inférieurs aux autres responsables de vente en 2009. Mais ces résultats ne peuvent expliquer l'absence d'augmentation individuelle pour les années 2007 et 2008, alors que les augmentations dont les autres salariés ci-dessus ont bénéficié ne sont pas expliqués par des résultats exceptionnels, la SAS PAGES JAUNES ne s'expliquant en rien sur ce point.
Il en résulte une différence de traitement entre Madame [R] [L] et ses collègues, qui ne reçoit pas d'explication objective de la part de la SAS PAGES JAUNES, employeur.
# sur la rupture d'égalité quant à la répartition des secteurs géographiques
Madame [R] [L] fait valoir qu'elle a été systématiquement défavorisée dans la répartition des secteurs géographiques de prospection des commerciaux qu'elle encadrait, ses collègues se réservant les secteurs les plus porteurs en terme économique et commercial.
Madame [R] [L] a établi une chronologie de la répartition des secteurs de prospection année par année de 2006 à 2011, illustré par des cartes des départements concernés (38, 05, 07 et 26) desquels il résulte que :
* elle n'a jamais pu obtenir l'attribution de secteurs porteurs tels que [Localité 11] et les villes de [Localité 6] et [Localité 16] en Isère, les zones commerçantes autour de [Localité 15], [Localité 12] en Ardèche,
* lors de l'attribution en 2006, il lui est expliqué par son responsable que son collègue qui avait accepté de prendre tout le département des Hautes-Alpes difficile, se voyait attribuer en compensation des secteurs riches en particulier en Isère par souci d'équité,
* en 2011 elle s'est vu affecter la totalité du département des Hautes-Alpes, sans la contrepartie de l'attribution de secteurs porteurs comme, notamment, [Localité 11].
La SAS PAGES JAUNES ne dénie pas précisément la réalité et la contenance des secteurs ainsi répartis avec leurs caractéristiques, et elle ne s'explique pas sur le fait que ceux qui étaient particulièrement porteurs n'aient jamais été attribués à Madame [R] [L]. Elle ne peut se retrancher derrière le fait que cette répartition était, selon la procédure en vigueur, opérée par les Responsables de vente d'un commun accord, dès lors qu'ainsi qu'elle le reconnaît, cette répartition relève de son pouvoir de direction, que son Directeur d'agence devait trancher en cas de désaccord et qu'il y a manifestement eu désaccord puisque Madame [R] [L] s'est plainte, notamment en 2009 et 2010, d'être défavorisée dans la répartition des secteurs, et a demandé qu'il soit procédé à un tirage au sort des secteurs ce qui lui a été refusé deux années de suite.
Il en ressort que Madame [R] [L] a subi une différence de traitement en sa défaveur par rapport à ses collègues occupant un poste similaire, là encore sans explication objective, cette différence touchant directement aux conditions de travail de Madame [R] [L] et ayant une incidence sur sa rémunération puisqu'une partie de cette dernière repose sur les résultats obtenus par son équipe.
# sur une rupture d'égalité quant à la composition des membres des équipes
Madame [R] [L] a, là encore, établi un document récapitulant la composition de son équipe de commerciaux depuis sa prise de fonctions en 2005 et jusqu'en 2011, non contesté dans l'exactitude de son contenu par la SAS PAGES JAUNES. Il en résulte notamment les éléments suivants :
* le renouvellement de l'équipe (constituée de 5 à 8 personnes) est très important d'une année à l'autre, ce dont Madame [R] [L] s'est plainte par exemple dans son entretien d'évaluation 2008 ;
* chaque année parmi ces personnes Madame [R] [L] a eu deux nouvelles personnes à former, et, sauf exception (Monsieur [O] [X]), ces personnes nouvellement formées ne se retrouvent plus dans son équipe l'année suivante,
* la seule personne qui est restée dans son équipe cinq années de suite (Mme [Y]), si elle a de bons résultats, est décrite par elle comme 'difficile à manager à cause de son comportement', ce qui n'est pas dénié par la SAS PAGES JAUNES,
* au sein de son équipe, se retrouvent fréquemment des personnes qui étaient auparavant dans d'autres groupes et ne sont pas totalement opérationnels (M [U], Mme [A], M [H], Mme [K] pour raisons de santé).
La SAS PAGES JAUNES se contente de répondre que le management et la formation entrent dans le rôle de la responsable des ventes qu'est Mme [L], et que critiquer les membres de son équipe revient à remettre en cause son propre rôle. Or ce n'est pas le principe du management ou de la formation dont Madame [R] [L] se plaint, mais la composition particulière de son équipe telle que son rôle de manager en est rendu plus difficile, voire impossible à assumer.
La SAS PAGES JAUNES fait encore valoir que, nonobstant les critiques de Madame [R] [L] sur les personnes de son équipe, les résultats de cette dernière en 2008, 2009 et 2010 ont été très bons, ce qui est pour le moins paradoxal avec la position de l'employeur et ses arguments quant à l'absence d'augmentation individuelle de salaire de Mme [L].
Enfin, la SAS PAGES JAUNES ne démontre par aucune pièce que, ainsi qu'elle l'allègue, les autres responsables de vente seraient aussi tenus de former régulièrement de nouveaux conseillers commerciaux, les tableaux qu'elle produit ne signalant pas quelles sont les personnes nouvelles à former.
Madame [R] [L] établit ainsi avoir fait, là encore, l'objet d'un traitement différent de ses collègues rendant sa tâche plus difficile.
# sur le harcèlement moral
Aux termes de l'article L. 1152- 1 du code du travail, «aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteint à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.»
C'est au salarié qu'il appartient d'établir la réalité de faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement.
Madame [R] [L] se plaint tout d'abord d'avoir été mise à l'écart après son refus d'accepter le nouveau contrat de travail que ses collègues avaient signé. Elle établit ainsi, par les pièces qu'elle produit, que :
* lors des discussions relatives à la proposition du nouveau contrat -qui modifiait notamment les modalités de rémunération et introduisait une clause de non-concurrence-, il lui a été indiqué par la Direction des Ressources Humaines, par courriers du 14 avril 2009 et du 18 mai 2009, que si elle n'acceptait pas ce nouveau contrat, elle pourrait continuer de bénéficier des dispositions contractuelles en cours,
* or, elle s'est vu remettre en septembre 2010, une notice relative aux modalités de la part variable du contrat de travail qui ne la concerne pas puisque les parts variables constituent une nouvelle modalité de la rémunération qu'elle n'a pas acceptée,
* le journal interne 'hebdo de la Force de Vente' met en avant les 'éléments rémunérateurs' des parts variables, et l'appropriation de leurs différentes composantes ; il mentionne 'feu les items' alors que ces derniers constituent la base de calcul des performances selon l'ancien contrat conservé par Madame [R] [L] ;
* de fait, certains résultats de Madame [R] [L] ne font plus l'objet de chiffrage, le résultat apparaît en pourcentage nul sur les tableaux de bord en 2010 et 2011, elle n'a plus d'indications pour améliorer ses performances, et aucune comparaison avec ses collègues n'est plus possible,
* par lettre du 23 juin 2009, Madame [R] [L] a réclamé à sa direction les objectifs des items ainsi que les outils 'suivi et classement des items' pour l'édition 2010 (commencée depuis le 14 avril 2009), mais il ne lui sera apporté aucune réponse concrète sur ce point.
L'énumération de ces faits établis par les pièces produites laisse bien présumer une dégradation des conditions de travail de Madame [R] [L] par un comportement répété tendant à la mettre à l'écart du fonctionnement de l'entreprise en la marginalisant parce qu'elle avait refusé le nouveau contrat, et en la privant des clés d'amélioration de ses performances attendue par son employeur. La SAS PAGES JAUNES n'a apporté aucune réponse aux éléments ainsi exposés sur ce point, qui permettraient de penser que ces faits seraient étrangers à tout harcèlement.
Mme [L] fait encore valoir les conditions dans lesquelles est intervenue la sanction du blâme en septembre et octobre 2009. Il ressort des pièces du dossier qu'elle a, le 15 juillet 2009, adressé une lettre à Monsieur [W] Directeur commercial, en réponse à l'invitation de ce dernier de lister les problèmes qu'elle rencontrait dans l'entreprise ; elle y expose ses difficultés en quatre pages et annonce son intention de saisir le Conseil de Prud'hommes. L'un de ces points concerne la discrimination dont elle se plaint sur l'attribution des groupes et des secteurs ; il occupe plus d'une page de la lettre et elle y écrit, entre autre, 'il s'est avéré que Mr [S] [I] avait constitué un groupe «poubelle» pour caser tous les vendeurs «has-been» dont personne ne voulait et me les a attribués'.
Madame [R] [L] a saisi le Conseil de Prud'hommes le 24 juillet 2009, et la SAS PAGES JAUNES a été citée le 30 juillet 2009 ; l'audience de conciliation s'est tenue le 24 septembre 2009.
Dans l'intervalle, Monsieur [W] a répondu le 6 août à la lettre de Mme [L], en évoquant et détaillant sur deux pages les griefs exposés par la salariée, indiquant seulement en fin de cette lettre 'de plus, vos propos relatifs aux équipes dont vous étiez et êtes en charge sont particulièrement virulents et je ne peux les cautionner. Par conséquent, je me réserve le droit de revenir vers vous prochainement.'
Le 2 septembre suivant, elle a été convoquée à un entretien préalable à une sanction, entretien qui s'est tenu le 15 septembre. Enfin le 12 octobre elle s'est vu notifier le blâme fondé sur le contenu de sa lettre du 15 juillet.
Il en résulte que :
* le déclenchement de la procédure disciplinaire le 2 septembre par la convocation à l'entretien préalable est intervenu après la convocation de l'employeur devant le Conseil de Prud'hommes, alors que la lettre litigieuse était en date du 15 juillet soit plus d'un mois et demi auparavant,
* la notification de la sanction est intervenue après l'audience de tentative de conciliation infructueuse devant le Conseil de Prud'hommes, et à quelques jours de l'expiration du délai d'un mois à compter de l'entretien préalable,
* la lettre de l'employeur du 6 août répondait sur le fond aux griefs invoqués par cette Mme [L], en abordant seulement in fine en une phrase les propos tenus par cette dernière quant aux membres de ses équipes, ce qui montre que le ton et les mots ainsi employés ne constituaient pas l'objet primordial de cette lettre.
Or, une sanction disciplinaire doit à la fois reposer sur des faits objectifs et être proportionnée ; il apparaît qu'en l'espèce, la sanction prise dans ces conditions n'est pas une réponse proportionnée à un comportement fautif du salarié, mais une réponse de l'employeur à la saisine par ce dernier du Conseil de Prud'hommes et à l'absence de conciliation.
Le blâme ainsi infligé relève donc d'un harcèlement.
Il ressort de l'ensemble de ces éléments que Madame [R] [L] a bien subi des agissements répétés ayant eu pour effet de dégrader ses conditions de travail et d'altérer sa santé puisqu'elle s'est trouvée en arrêt de travail le 19 octobre 2010 au motif suivant 'syndrome dépressif -stress au travail-'; ces agissements sont donc constitutifs d'un harcèlement moral.
En l'état des diverses fautes de l'employeur et du harcèlement moral établi qui rendent impossible le maintien du lien du travail, la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail de Madame [R] [L] doit être admise, et le jugement sera infirmé sur ce point. Cette résiliation produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur les indemnités consécutives à la rupture
# dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Aux termes de l'article L. 1235-3 du Code du Travail, ils sont dus dans le cas où la réintégration du salarié est refusée par l'une ou l'autre des parties, et ils ne peuvent être inférieurs au salaire des six derniers mois. Enfin ils sont dus sans préjudice, le cas échéant, de l'indemnité de licenciement.
En l'espèce, Madame [R] [L] a, à ce jour où son contrat est rompu, une ancienneté de 25 années dans l'entreprise. Le salaire brut mensuel moyen des derniers mois dont elle justifie (jusqu'à juillet 2010) s'est élevé à 2 845,12 € mensuels sur 13 mois soit 3 082,22 € par mois. Elle est, enfin, âgée de 56 ans.
Il convient, compte-tenu de l'ensemble de ces éléments, d'apprécier les dommages-intérêts compensant le préjudice résultant de la perte de son emploi à la somme de 68 000 € que la SAS PAGES JAUNES sera condamnée à lui verser à ce titre.
# indemnité de licenciement
L'article L. 1234-9 du Code du Travail prévoit que chaque salarié titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée licencié, alors qu'il compte une année d'ancienneté ininterrompue au service du même employeur, a droit à cette indemnité dont les modalités de calcul sont précisées par les articles R. 1234-1 du même code, à défaut de fixation de son montant dans la convention collective.
En l'espèce, Madame [R] [L] sollicite la somme de 47 949 € comme indemnité conventionnelle. En application de la convention collective nationale des cadres, techniciens et employés de la publicité française (article 31) elle a droit à :
* pour la période d'ancienneté jusqu'à 15 ans, 33 % de mois d'appointement par année complète de présence,
* pour la période d'ancienneté au-delà de 15 ans, 40 % de mois par année complète de présence,
* pour la fraction d'année supplémentaire : la même indemnité calculée au prorata des mois de présence.
Il en résulte le calcul suivant :
* pour la période d'ancienneté jusqu'à 15 ans = 3 082,22 € x 33 % = 1 017,13 € x 15 = 15 256,99 €,
* pour la période d'ancienneté au-delà de 15 ans en années complètes = 3 082,22 € x 40 % = 1 232,88 € x 9 = 11 095,99 €,
* pour la fraction d'année restante : 1 232,88 / 12 x 11 = 1 130,14 €.
Le total de l'indemnité de licenciement s'élève, par conséquent, à 15 256,99 € + 11 095,99 + 1 130,14 € = 27 483,12 €, somme qui sera allouée à Madame [R] [L] à ce titre.
# indemnité de préavis
L'article L. 1234-1 du Code du Travail prévoit que chaque salarié licencié, sauf en cas de faute grave, a droit à un préavis dont la durée est fixée par ce texte en fonction de son ancienneté de service continu chez le même employeur, sauf si des dispositions légales, conventionnelles ou collectives prévoient des conditions plus favorables pour le salarié.
En l'espèce, en application de l'article 30 de la convention collective, Madame [R] [L] a droit à un préavis de deux mois soit la somme de 6 164,44 € qui lui sera donc allouée à ce titre.
# congés payés afférents
En application des dispositions des articles L. 3141-3 du Code du Travail, le salarié a droit à un congé payé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail. L'article L. 3141-22 dispose que ce congé ouvre droit à une indemnité égale au 1/10ème de la rémunération brute totale pour la période de référence ; pour le calcul de cette rémunération brute, il est tenu compte, toujours selon ce texte, notamment des périodes assimilées à un temps de travail, ce qui est le cas du préavis.
Par conséquent, Madame [R] [L] a droit, en l'espèce, à une somme de 10 % sur l'indemnité de préavis, au titre des congés payés afférents, soit la somme de 616,44 €.
Sur l'annulation du blâme
Ainsi qu'il a été développé plus haut dans le paragraphe relatif au harcèlement, le blâme infligé à Madame [R] [L] ne constituait pas une sanction adaptée et proportionnée à un fait fautif, mais une réponse à la saisine par la salariée du Conseil de Prud'hommes pour faire valoir ses droits. En cela, l'employeur a ainsi abusé de son pouvoir disciplinaire, et le blâme doit par conséquent être annulé.
Il peut être alloué à Madame [R] [L] la somme de 2 000 € en réparation du préjudice moral que lui a causé la notification, dans ces conditions, d'une sanction injustifiée constitutive d'un harcèlement moral.
Sur les frais professionnels
Le remboursement des frais professionnels est prévu par l'article 6 du contrat de travail. Madame [R] [L] soutient qu'il ne s'agit pas d'un forfait mais d'une simple 'participation' de l'employeur. Or, l'article en cause mentionne que cette 'participation' de l'employeur sera versée 11 fois par an et 'correspondra à un versement forfaitaire de 686 euros/mois'. Il s'agit bien du principe de l'allocation d'une somme fixe quel que soit le montant des frais réels, ce qui constitue bien la prévision, à cet égard, d'un forfait.
La prise en charge par l'employeur des frais professionnels selon le mode du forfait est possible et admise, sous réserve que la rémunération du salarié, après imputation des frais, reste égale au SMIC, ou au salaire minimum conventionnel si ce dernier est plus favorable.
Madame [R] [L] fait valoir que tel n'est pas le cas, car après déduction des frais et prise en compte de l'indemnité forfaitaire, sa rémunération annuelle s'est révélée inférieure au minimum conventionnel s'élevant à 20 090 € annuel jusqu'en août 2009, et à 30 407 € à partir du 1er septembre 2009. Or, les décomptes qu'elle fournit aujourd'hui à ce titre ne sont pas probants quant aux sommes qu'elle dit avoir effectivement engagés au titre des frais professionnels ; en effet :
* ses décomptes à ce titre ne correspondent pas à ses états de frais établis et transmis à son employeur au fur et à mesure de son activité,
* ses décomptes et factures font apparaître des frais de restaurant pour des montants importants, allant parfois jusqu'à 6 repas pour un même jour, ainsi que des livres (librairie DECITRE) dont le lien avec l'activité professionnel n'est en rien démontré ;
*elle indique que ses déplacements kilométriques correspondent surtout à l'accompagnement des vendeurs sur le terrain ; la SAS PAGES JAUNES relève que ces déplacements ont normalement dû être effectués dans la voiture des commerciaux, et Madame [R] [L] n'a pas répondu sur ce point ;
* elle précise sur un décompte n'avoir pas fait le calcul des kilomètres au quotidien, et que les relevés correspondants ont été réalisés au départ pour des raisons fiscales.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les décomptes de frais professionnels présentés par Madame [R] [L] comme ayant été réellement engagés par elle ne sont pas probants ; elle ne démontre pas, dès lors, que les conditions d'application du forfait contractuel ne soient pas réunies. Sa demande ainsi formée a donc, à bon droit, été rejetée par le premier juge.
Sur les dommages-intérêts pour rupture d'égalité
Ainsi qu'il a été développé plus haut, Madame [R] [L] établit avoir été victime d'une rupture d'égalité d'une part dans l'évolution de son salaire, d'autre part dans l'affectation des vendeurs dans son équipe, enfin dans la répartition des secteurs de prospection. Ces trois éléments conjugués ont contribué à lui faire perdre une chance d'améliorer ses revenus tant par des augmentations de salaires individuelles en se plaçant ainsi au même niveau moyen que ses collègues, que par l'amélioration des résultats de vente de son équipe et, par conséquent, des primes correspondantes pour elle.
Ces éléments justifient que lui soit allouée la somme de 12 000 € en réparation du préjudice qu'elle a subi à ce titre.
Sur les rappels de salaires et de primes d'objectif
Madame [R] [L] ne peut prétendre à un rappel de salaire, ce qu'elle a perçu correspondant strictement à l'application des conditions de son contrat de travail et de l'augmentation individuelle dont elle a bénéficié. Rien ne justifie que lui soit appliqué un salaire autre que celui qu'elle a librement accepté, et rien n'établit que des salariés aient été embauchés à des conditions significativement meilleures. Le manque d'égalité avec ses collègues quant aux augmentations individuelles est réparé par la somme de 12 000 € ci-dessus à titre de dommages-intérêts compensant la perte de chance.
S'agissant des primes sur résultats, Madame [R] [L] ne peut, là encore, prétendre qu'à une perte de chance et non pas un manque à gagner strict calculé sur les résultats obtenus par rapport à ceux fixés, la réalisation ou non des objectifs fixés étant soumis à de nombreux aléas dont la composition de l'équipe et le caractère porteur ou non du secteur ne sont que des éléments parmi d'autres. Le préjudice résultant de la perte de chance est déjà réparé par les dommages-intérêts alloués ci-dessus.
Les demandes de rappels ainsi formées ne peuvent dès lors qu'être rejetées.
Sur les demandes accessoires
La SAS PAGES JAUNES, qui succombe principalement en sa position, devra supporter les dépens conformément aux dispositions de l'article 696 du Code de Procédure Civile. Pour les mêmes motifs, il ne peut être fait application de l'article 700 du Code de Procédure Civile en sa faveur.
Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de Madame [R] [L] tout ou partie des frais exposés dans le cadre de la présente et non compris dans les dépens ; il y a donc lieu de lui allouer la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Par ces Motifs
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au Greffe après en avoir délibéré conformément à la loi,
CONFIRME le jugement déféré uniquement en ce qu'il a rejeté la demande de Madame [R] [L] en remboursement de frais professionnels.
L'INFIRME pour le surplus et, statuant à nouveau :
PRONONCE la résiliation du contrat de travail de Madame [R] [L] aux torts de la SAS PAGES JAUNES.
CONDAMNE la SAS PAGES JAUNES à payer à Madame [R] [L] les sommes de :
* 6 164,44 € à titre d'indemnité de préavis,
* 616,44 € au titre des congés payés afférents,
* 68 000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 27 483,12 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
* 12 000 € à titre d'indemnité pour rupture d'égalité.
PRONONCE l'annulation du blâme notifié à Madame [R] [L] le 12 octobre 2009.
CONDAMNE la SAS PAGES JAUNES à payer à Madame [R] [L] la somme de :
* 2 000 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant du blâme,
* 3 000 € en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
REJETTE toutes les autres demandes.
CONDAMNE la SAS PAGES JAUNES aux dépens de première instance et d'appel.
Prononcé publiquement ce jour par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame COMBES, Président, et Madame KALAI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT