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05/12/2012 | FRANCE | N°11/05628

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Chambre sociale, 05 décembre 2012, 11/05628


RG N° 11/05628



N° Minute :











































































































Notifié le :

Grosse délivrée le :







AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'AP

PEL DE GRENOBLE



CHAMBRE SOCIALE



ARRET DU MERCREDI 05 DECEMBRE 2012







Appel d'une décision (N° RG 10/251) rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOURGOIN-JALLIEU en date du 15 novembre 2011

suivant déclaration d'appel du 21 Novembre 2011





APPELANT :



Monsieur [Z] [E]

Le [Adresse 11]

[Localité 2]



Comparant en personne, assisté de Me Gilles BONLARRON (avocat au barreau de PARIS)




...

RG N° 11/05628

N° Minute :

Notifié le :

Grosse délivrée le :

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE SOCIALE

ARRET DU MERCREDI 05 DECEMBRE 2012

Appel d'une décision (N° RG 10/251) rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOURGOIN-JALLIEU en date du 15 novembre 2011

suivant déclaration d'appel du 21 Novembre 2011

APPELANT :

Monsieur [Z] [E]

Le [Adresse 11]

[Localité 2]

Comparant en personne, assisté de Me Gilles BONLARRON (avocat au barreau de PARIS)

INTIMEE :

LA SARL BORFLEX RUBBER prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 8]

[Localité 1]

Représentée par Me Jean-Michel GHINSBERG (avocat au barreau de LYON)

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :

Madame Hélène COMBES, Conseiller faisant fonction de Président,

Madame Astrid RAULY, Conseiller,

Monsieur Frédéric PARIS, Conseiller,

Assistés lors des débats de Mme Corinne FANTIN, Adjoint faisant fonction de Greffier.

DEBATS :

A l'audience publique du 14 Novembre 2012,

Les parties ont été entendues en leurs conclusions et plaidoiries.

Puis l'affaire a été mise en délibéré au 05 Décembre 2012.

L'arrêt a été rendu le 05 Décembre 2012.

EXPOSE DU LITIGE

Par lettre d'embauche du 23 septembre 2003 concrétisée par un contrat à durée indéterminée du 5 janvier 2004, [Z] [E] a été embauché en qualité de technico-commercial (statut cadre) par la société Borflex Rubber qui a pour activité la fabrication de mélanges ou pâte de caoutchouc et qui a son siège social à [Localité 12] (Charente).

La mission définie au contrat de travail est le développement de la clientèle de l'entreprise, la négociation des contrats et la prise de commandes. Le secteur confié au salarié est le suivant : 'Toute la France'.

En accord avec l'employeur, le bureau de [Z] [E] était situé à [Localité 4] (38).

[Z] [E] a été en arrêt maladie du 11 avril au 16 mai 2010.

A l'occasion de la visite de reprise du 27 mai 2010, le médecin du travail a émis l'avis suivant :

'Apte sans déplacements pendant 1 mois puis déplacements courts. A revoir dans 4 mois.'

Par courrier recommandé du 21 juin 2010, la société Borflex Rubber a écrit au salarié que sa compétitivité étant menacée, elle envisageait de réorganiser son activité commerciale et R&D en transférant le bureau de [Localité 4] à [Localité 12] et a lui a proposé d'y fixer son lieu de travail.

[Z] [E] ayant refusé la modification du contrat de travail, la société Borflex Rubber lui a indiqué dans un courrier du 2 septembre 2010 qu'elle envisageait son licenciement pour motif économique et l'a convoqué à un entretien préalable fixé au 10 septembre 2010, au cours duquel lui ont été remis les documents de présentation de la convention de reclassement personnalisé.

Le 15 septembre 2010, [Z] [E] a accepté la convention de reclassement personnalisé et le contrat de travail a été rompu le 1er octobre 2010.

Faisant valoir que son licenciement était nul car motivé par sa maladie, [Z] [E] a le 21 octobre 2010, saisi le conseil de prud'hommes de Bourgoin-Jallieu.

Par jugement du 15 novembre 2011, le conseil de prud'hommes a dit que la rupture du contrat de travail est totalement étrangère à l'état de santé du salarié et qu'elle repose sur un motif économique réel et sérieux.

Le conseil a condamné la société Borflex Rubber à payer à [Z] [E] la somme de 5.067 euros au titre de l'irrégularité de la procédure et 1.000 euros au titre des frais irrépétibles.

[Z] [E] qui a relevé appel le 21 novembre 2011, demande à la cour d'infirmer le jugement, de dire que le motif du licenciement réside dans sa maladie et de condamner la société Borflex Rubber à lui payer :

- 75.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul.

- 10.134 euros au titre de l'indemnité de préavis et 1.013,40 euros au titre des congés payés afférents,

- 6.000 euros à titre de dommages-intérêts pour non mention, puis violation de la priorité de réembauchage,

- 15.000 euros en réparation de son préjudice moral,

- 5.067 euros à titre de dommages-intérêts pour irrégularité de la procédure,

- 206.976 euros en réparation du préjudice causé par l'absence de maintien de sa rémunération pendant sa maladie,

- 8.000 euros au titre des frais irrépétibles.

Si le licenciement était jugé sans cause réelle et sérieuse il sollicite subsidiairement les mêmes sommes au titre des dommages-intérêts et de l'indemnité de préavis.

Subsidiairement sur le régime collectif de prévoyance, il sollicite le sursis à statuer sur la perte de ses droits et avantages et réclame la production sous astreinte par la société Borflex Rubber de divers documents.

Il expose que lorsqu'elle l'a embauché, la société Borflex Rubber le connaissait puisqu'il était salarié d'une société fournisseur ;

que lors de la reprise du site industriel précédemment exploité à [Localité 12] par la société Polytex, son président lui a proposé de rejoindre l'entreprise afin qu'il apporte son expérience industrielle dans le domaine du mélangeage du caoutchouc.

Il précise qu'il est affecté d'une pathologie lourde (séquelles d'une maladie de Hodgkin) pour laquelle il est suivi au centre [9] à [Localité 10] et qu'il est reconnu travailleur handicapé depuis 2000, ce dont il a informé la société Borflex Rubber dès les premiers entretiens d'embauche ;

que c'est en considération de son état de santé et de son suivi médical, que la société Borflex Rubber a accepté qu'il établisse son bureau à [Localité 4], ville située à quelques kilomètres de son domicile.

Il fait valoir qu'il a immédiatement développé le chiffre d'affaires de l'entreprise et enseigné aux équipes du site de [Localité 12] les méthodes de réalisation de nouveaux produits ;

que compte tenu de la forte progression du chiffre d'affaires, un responsable de production a été embauché à [Localité 12], ainsi que sur le site de [Localité 4], une assistante secrétaire en la personne de son épouse [V] [E] et un technico commercial à temps partiel.

Il indique qu'en 2009, son état de santé a connu une importante dégradation qui l'a contraint à s'absenter pour de brèves périodes (8, 6, 12 jours en avril, décembre et février 2010) et qu'au mois d'avril 2010, il a été en arrêt de travail du 8 avril au 16 mai ;

qu'à son retour, le 27 mai 2010, le médecin du travail l'a déclaré apte avec réserves 'à revoir dans 4 mois' et qu'au mois de juin 2010, son épouse a été opérée d'un cancer du sein, pathologie entraînant son indisponibilité pour un an ;

que c'est dans ces circonstances que la société Borflex Rubber invoquant une menace sur sa compétitivité, lui a annoncé sa réorganisation dans un courrier du 21 juin 2010 et le transfert du bureau de [Localité 4] à [Localité 12].

Il précise que son épouse a été également été licenciée pour motif économique, ce qui n'a pas été le cas de l'autre collaborateur.

1 - Sur le licenciement, il fait valoir que le véritable motif réside très clairement dans son état de santé défaillant, ce qui caractérise une véritable discrimination et le rend nul.

Il expose que son état de santé ne lui permettait pas de déménager et que le déménagement était de surcroît contraire aux réserves exprimées par le médecin du travail.

Il soutient qu'il a été victime de discrimination dès lors qu'il a été licencié du fait de son refus d'une mutation liée à une insuffisante mobilité du fait de son handicap.

Il invoque l'absence de cause réelle et sérieuse de la rupture du contrat de travail et fait valoir successivement :

- que la motivation complète et définitive du licenciement ne lui a jamais été communiquée,

- que la société Borflex Rubber a manqué à son obligation de reclassement en n'expliquant pas en quoi un aménagement de poste était impossible,

- qu'il n'existe aucun motif économique réel et sérieux et que les problèmes de communication évoqués ne sont nullement établis,

- que la priorité de réembauchage n'a pas été mentionnée dans le cadre de la rupture et qu'elle a ensuite été méconnue lors de l'embauche d'un salarié.

Il observe qu'au nom de la sauvegarde de la compétitivité, seul son poste et celui de son épouse ont été supprimés.

2 - Sur la garantie de prévoyance, il fait valoir qu'il a été victime d'une réduction unilatérale et à son insu des garanties collectives souscrites à son profit auprès du Gan, dont il ne s'est aperçu que lorsqu'il a été en arrêt maladie de longue durée au mois de décembre 2010 ;

qu'il apparaît qu'aucun complément de rémunération au titre des garanties prévoyance ne lui est versé en plus des indemnités journalières, cette situation étant imputable aux fautes commises par la société Borflex Rubber qui a réduit unilatéralement les garanties de prévoyance souscrites dès l'origine de la collaboration.

Il rappelle les dispositions de la loi du 31 décembre 1989 dite loi Evin.

La société Borflex Rubber conclut à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions et réclame 5.000 euros au titre des frais irrépétibles.

1 - Elle réplique que la rupture du contrat de travail est parfaitement régulière et qu'elle n'a aucun lien avec l'état de santé de [Z] [E]. Elle conteste toute discrimination directe ou indirecte.

Elle soutient que le fait qu'elle lui ait proposé une modification de son contrat de travail motivée par des raisons économiques établit bien qu'elle n'avait aucune intention de se séparer de lui ;

que ce n'est qu'après le refus de [Z] [E] d'accepter la modification de son lieu de travail, et après qu'elle ait mis tout en oeuvre pour lui trouver un poste de reclassement, qu'elle a été contrainte d'engager une procédure de licenciement économique se terminant par l'acceptation de la convention de reclassement personnalisé par le salarié.

Elle indique qu'au moment de l'embauche de [Z] [E], elle connaissait son statut de travailleur handicapé et que c'est pour cette raison qu'elle avait accepté qu'il travaille à [Localité 4] ;

qu'il est incohérent de soutenir à présent que la réelle motivation du licenciement serait la maladie ou l'insuffisante mobilité du salarié.

Elle signale qu'il existe à [Localité 3], non loin de [Localité 12], un service de cancérologie tout aussi performant que le centre [9] à [Localité 10].

Elle fait valoir qu'elle a maintenu tant qu'elle a pu le bureau de [Localité 4] pour être agréable à [Z] [E], mais que les difficultés économiques doublées de dysfonctionnements importants de communication étant à l'origine de l'insatisfaction des clients, elle a été contrainte de le fermer afin de sauvegarder sa compétitivité.

Elle invoque la dégradation de son activité sur les années 2009 et 2010, années au cours desquelles elle a dû faire face à une très forte hausse du prix des matières premières, ce qui a engendré une baisse importante de ses marges.

Elle ajoute que les problèmes de communication entre le site de fabrication de [Localité 12] et le service commercialisation R&D de [Localité 4] étaient à l'origine d'un niveau important d'insatisfaction tant en interne que chez les clients.

Elle soutient encore :

- que dès le 21 juin 2010, elle a fait connaître au salarié le motif économique présidant à la réorganisation,

- qu'elle a satisfait à son obligation de reclassement et qu'elle est même allée au delà des prescriptions légales,

- que l'absence de mention de la priorité de réembauchage ne constitue qu'une irrégularité de procédure qui ne peut ouvrir droit qu'à une indemnité au plus égale à un mois de salaire.

Elle précise subsidiairement que l'indemnité pour irrégularité de la procédure, ne se cumule pas avec les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et indique qu'aucun préjudice moral n'est démontré.

2 - Sur les garanties prévoyance, elle conteste toute irrégularité et mesure discriminatoire.

Elle fait valoir que contrairement à ce qu'il soutient, [Z] [E] n'a pas été victime d'une réduction unilatérale des garanties de prévoyance souscrites.

Elle explique que lors de son embauche au mois de janvier 2004, elle a adressé à son assureur, la compagnie Gan, un bulletin d'affiliation et qu'après retour des renseignements médicaux, le Gan a jugé qu'il ne pouvait couvrir les risques maladie, invalidité et décès ;

qu'elle lui a alors proposé un nouveau contrat de prévoyance destiné à ses cadres commerciaux qu'elle a ratifié le 26 mai 2005 et qui ne couvre que le risque décès.

Elle conclut qu'elle ne peut en aucun cas être tenue pour responsable du refus de garantie du Gan.

Elle dénonce le montant exorbitant de la demande et rappelle que la réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.

DISCUSSION

Attendu que pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux conclusions déposées et soutenues à l'audience ;

1 - Sur la rupture du contrat de travail

Attendu que [Z] [E] soutient à titre principal que la véritable cause de la rupture de son contrat de travail réside dans son état de santé, ce qui la rend nulle en application de l'article L 1132-4 du code du travail ;

Attendu que l'article L 1132-1 du code du travail pose un principe de non discrimination et énonce notamment qu'aucun salarié ne peut être licencié en raison de son état de santé ou de son handicap ;

Attendu que selon l'article L 1134-1 du même code, lorsqu'il survient un litige, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte ;

qu'au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ;

Attendu qu'il est admis par les deux parties que [Z] [E], reconnu travailleur handicapé depuis 2000, a été embauché par la société Borflex Rubber en toute connaissance de cause de la pathologie lourde pour laquelle il avait été traité en 1998 et demeurait suivi au centre [9] à [Localité 10] ;

Attendu que bien qu'ayant son siège social en Charente, c'est en considération de ce suivi médical que la société Borflex Rubber qui voulait s'attacher les services de [Z] [E], a accepté qu'il travaille dans un bureau situé à [Localité 4] à proximité de son domicile ;

Attendu que [Z] [E] n'est pas contredit lorsqu'il écrit en page 24 de ses conclusions que l'embauche d'un salarié handicapé a procuré divers avantages à la société Borflex Rubber ;

Attendu que la relation contractuelle a ainsi duré 5 ans et 10 mois sans que l'employeur n'évoque à aucun moment l'existence de difficultés liées à la distance entre le site de production à [Localité 12] et le bureau de [Localité 4] dont les effectifs ont même été renforcés à compter de 2005 ;

Attendu qu'il n'est pas contesté qu'en dépit de sa maladie et du suivi médical auquel il était astreint, [Z] [E] n'a pas fait l'objet d'arrêts de travail de 2004 à 2009, année au cours de laquelle il a été absent à deux reprises pour de courtes périodes (8 et 6 jours) ;

Attendu qu'après un arrêt maladie de 12 jours au mois de février 2010, il a subi une intervention chirurgicale au mois d'avril 2010 et a été en arrêt de travail du 8 avril au 16 mai 2010 (pièce 43) ;

Attendu que lors de la visite de reprise du 27 mai 2010, le médecin du travail a assorti son avis d'aptitude d'une interdiction de déplacements pendant un mois, a préconisé des déplacements courts par la  suite et précisé que le salarié devrait être revu dans quatre mois ;

Attendu que la concomitance entre la dégradation de l'état de santé de [Z] [E], les restrictions préconisées par le médecin du travail et la proposition de modification de son contrat de travail est un élément de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination fondée sur l'état de santé ;

qu'il convient dès lors de rechercher, ainsi que l'article L 1134-1 du code du travail y invite, si la rupture du contrat de travail est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ;

Attendu qu'il sera rappelé au préalable que le licenciement consécutif au refus du salarié d'accepter une modification de son contrat de travail a une nature économique lorsque cette modification a elle-même une cause économique ;

Attendu qu'il a été expliqué par les parties lors de l'audience que le site de [Localité 4] qui n'est pas un site de production, se résume à un bureau de dimension modeste équipé de quelques ordinateurs et d'une ligne téléphonique ;

Attendu que lorsqu'il n'était pas en déplacement, [Z] [E] y travaillait, pilotant depuis ce bureau le laboratoire situé à [Localité 12] ;

que son épouse [V] [E] embauchée à temps partiel (20 heures par semaine) l'a rejoint au mois d'avril 2005 ;

qu'était également rattaché à ce bureau le technico commercial embauché à temps partiel dont il n'est pas contesté qu'il n'a finalement pas été licencié ;

Attendu que la société Borflex Rubber ne produit aucun document comptable complet pour l'exercice 2010 au cours duquel les contrats de travail de [Z] [E] et de [V] [E] (elle-même malade) ont été rompus ;

qu'au cours de l'exercice 2008, son chiffre d'affaires s'était élevé à 2.449.437 euros et s'il avait connu une diminution au cours de l'exercice 2009, le chiffre d'affaires réalisé au 31 mai 2010 sur 5 mois était égal à 54 % du chiffre d'affaires réalisé au cours des 12 mois de l'exercice précédent ;

Attendu que selon les propres indications données par la société Borflex Rubber dans le courrier du 21 juin 2010, le coût du bureau de [Localité 4], hors salaires, était de l'ordre à 6.150 euros par an ;

Attendu que dès lors que la suppression de l'emploi de [Z] [E] n'était pas envisagée et que le technico-commercial est resté dans l'entreprise, on voit mal en quoi le maintien du bureau de [Localité 4] était de nature à faire peser une menace sur la compétitivité de la société Borflex Rubber ;

Attendu que pour asseoir son argumentation, l'employeur soutient, comme il l'a écrit le 21 juin 2010 que l'éloignement du site de [Localité 4] était à l'origine de dysfonctionnements 'difficilement chiffrables mais pourtant bien réels' et donc de mécontentements ;

Mais attendu que les quelques courriers électroniques que la société Borflex Rubber produit au soutien de son affirmation s'ils rendent compte des échanges internes à une entreprise ou de ses échanges avec ses clients, ne témoignent en rien des dysfonctionnements imputés à l'éloignement ;

Attendu que la société Borflex Rubber qui appartient à un groupe qui exploite 8 sites industriels (pièce [E] n° 8), échoue à rapporter la preuve de la nécessité économique dans laquelle elle se trouvait de venir faire travailler [Z] [E] à [Localité 12] ;

Attendu que confirment s'il en était besoin que la société Borflex Rubber a souhaité se séparer de son salarié pour des raisons tenant à son état de santé :

- le licenciement économique de son épouse elle-même malade à la même époque, tandis que le troisième salarié du site a été maintenu dans l'entreprise,

- l'absence de toute information sur la priorité de réembauche,

- la fin de non recevoir opposée par l'employeur à la demande de [Z] [E] d'être 'hébergé' sur le site de [Localité 6], motif pris des dysfonctionnements déjà évoqués,

- l'offre de recrutement d'un formulateur au mois d'octobre 2010. (Pièce 19)

Attendu que la rupture du contrat de travail de [Z] [E] est nulle en application de l'article L 1132-4 du code du travail ;

Attendu que [Z] [E] avait une ancienneté de 5 ans et 10 mois dans l'entreprise ; qu'âgé de 53 ans au moment de son licenciement, il n'a pas retrouvé d'emploi ;

que la perte de son emploi dans les circonstances ci-dessus rappelées lui a causé un préjudice qui sera réparé par la somme de 50.000 euros à titre de dommages-intérêts ;

Attendu que la rupture du contrat de travail étant nulle, il sera fait droit à sa demande au titre de l'indemnité de préavis dont le montant n'est pas contesté ;

Attendu que le préjudice causé par l'omission de l'indication de la priorité de réembauche sera réparé par la somme de 1.000 euros ;

Attendu que la société Borflex Rubber ne conteste ni l'irrégularité de la procédure, ni le montant de la somme allouée de ce chef par le conseil de prud'hommes, mais fait valoir qu'elle ne peut se cumuler avec les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Mais attendu que les dommages-intérêts du chef de la nullité du licenciement ne sont pas alloués sur le fondement des dispositions de l'article L 1235-3 du code du travail, de sorte que la question du non cumul des indemnités ne se pose pas ;

que le jugement sera confirmé en ce qu'il a fait droit à la demande de [Z] [E] de ce chef ;

2 - Sur la demande au titre du régime de prévoyance

Attendu qu'il résulte des pièces produites par la société Borflex Rubber dont certaines sont illisibles, qu'à compter du 1er octobre 2003, elle a mis en place un régime de prévoyance au profit des cadres et a souscrit auprès de la compagnie Gan un contrat collectif portant le numéro 4122/835108 (pièce Borflex 38) ;

Attendu que bien que les parties ne le précisent pas dans leurs écritures, il ressort des pièces versées aux débats que l'institution du régime de prévoyance résulte d'une décision unilatérale de l'employeur et non de l'application d'une convention de branche ou d'un accord d'entreprise ;

Attendu que selon les conditions particulières du contrat, sont prévues une tranche A et une tranche B, les garanties comprenant notamment le décès, l'invalidité absolue et définitive, l'incapacité temporaire et l'invalidité permanente ;

Attendu que la lettre d'embauche de [Z] [E] du 17 septembre 2003 prévoit sous la rubrique 'Autres points' : 'Mutuelle cadre selon contrat et prestations joints en annexe.' ;

Attendu que l'embauche de [Z] [E] étant postérieure à la mise en place du régime de prévoyance, il y a nécessairement adhéré, même si au mépris des dispositions légales aucune information sur les garanties souscrites ne lui a jamais été communiquée, ce qui n'est pas contesté ;

qu'une demande d'affiliation au régime d'assurance collective a d'ailleurs été faite, ainsi qu'il résulte de la copie d'un bulletin d'affiliation reçu le 12 janvier 2004 par l'assureur ;

Attendu que jusqu'au mois de septembre 2005 tous les bulletins de salaire de [Z] [E] mentionnent des cotisations de 83 euros sous l'intitulé 'Prevoy. cadre A' et 'Prevoy. cadre B', ce qui signifie qu'il a cotisé au régime d'assurance collective souscrit par la société Borflex Rubber auprès du Gan ;

Attendu qu'à compter du mois d'octobre 2005, les bulletins de salaire ne mentionnent plus que 'Prevoy. cadre A', les cotisations étant ramenées à 37,74 euros ;

Attendu que les pièces communiquées par l'intimée révèlent qu'au mois d'octobre 2004, la compagnie d'assurance Gan qui avait sollicité des renseignements médicaux sur [Z] [E], a fait savoir à la société Borflex Rubber qu'elle n'entendait pas 'maintenir les garanties du contrat aux conditions actuelles' et a proposé 'en remplacement' la conclusion d'un nouveau contrat ne comportant qu'une garantie décès, dont la cotisation serait fixée à 1.50 % de la tranche A' (pièce Borflex 41) ;

Attendu que la société Borflex Rubber et la compagnie Gan ont ensuite conclu le 26 mai 2005 un contrat intitulé 'Prévoyance Entreprise Sur Mesure' dont les 'bénéficiaires' sont les cadres commerciaux ;

Attendu que la création d'une catégorie de salariés sans pertinence - puisque seule existe la catégorie des cadres - n'est pas dénuée d'arrières-pensées ;

qu'au mois de mai 2005, [Z] [E] était en effet le seul cadre commercial de l'entreprise, l'autre cadre, [K] [D], étant à la fabrication (pièce [E] n° 21) ;

que le cadre dénommé [D] a été embauché au mois d'octobre 2005 ;

Attendu que le contrat du 26 mai 2005 a rétroagi à compter du 1er janvier 2005, à la suite de quoi une régularisation que seul un oeil averti pouvait déceler, est apparue sur le bulletin de salaire de [Z] [E] du mois de septembre 2005 ;

Attendu qu'après le mois de septembre 2005, il n'apparaît plus sur les bulletins de salaire aucune cotisation au titre de la tranche B ;

Attendu que ces pièces établissent que les garanties du régime de prévoyance dont devait bénéficier [Z] [E] ont été réduites de manière unilatérale et sans respect du formalisme propre à la dénonciation des usages ;

Attendu que la décision de la compagnie Gan à laquelle la société Borflex Rubber a souscrit s'analyse comme une véritable discrimination en raison de l'état de santé de [Z] [E], l'organisme assureur qui a l'obligation d'assurer tout le groupe de salariés ne pouvant choisir les salariés qu'il assure et l'employeur qui s'est engagé vis à vis de tous ses salariés ne pouvant dénoncer l'usage pour un seul salarié ;

Attendu qu'à cette première faute de l'employeur et de l'assureur, s'ajoute la faute de l'employeur qui s'est volontairement abstenu d'informer le salarié qu'il ne relevait plus du régime collectif de prévoyance, mais d'un contrat conclu 'sur mesure' et exclusif des garanties maladie et invalidité ;

Attendu que cette omission fautive a privé [Z] [E], volontairement maintenu dans l'ignorance, de toute possibilité de dénoncer la discrimination dont il était victime et accessoirement de critiquer le non respect du formalisme ;

Attendu que [Z] [E] soutient à juste titre que la modification du régime de prévoyance lui est inopposable et que la société Borflex Rubber qui a supprimé des garanties sans l'en informer, doit lui payer l'équivalent des prestations prévues par le contrat d'origine ;

Attendu que contrairement à ce que soutient la société Borflex Rubber, le préjudice de [Z] [E] ne s'analyse pas en une perte de chance mais doit être déterminé par la différence entre ce qu'il aurait perçu au titre du régime de prévoyance du bénéfice duquel il a été exclu et ce qu'il a perçu ou perçoit au titre de la maladie et de l'invalidité ;

Attendu qu'en dépit de deux sommations de communiquer, la société Borflex Rubber se refuse à verser aux débats la notice détaillant les garanties maladie et invalidité prévues par le contrat du 1er octobre 2003 ;

Attendu que ce refus caractérise sa mauvaise foi, puisqu'elle détient nécessairement tous les éléments sur le contrat de prévoyance qu'elle a souscrit en 2003 sans avoir à mettre l'assureur en cause ;

Attendu qu'en dehors du fait qu'elle trouve la demande trop élevée, elle n'oppose aucune contestation au calcul que fait [Z] [E] de son préjudice sur la base du nombre d'années qui le séparent de l'âge légal de départ à la retraite ;

qu'en l'état de la carence de l'employeur, il sera fait droit à la demande d'indemnisation de [Z] [E] à hauteur de 206.976 euros ;

3 - Sur le préjudice moral

Attendu que l'attitude de la société Borflex Rubber a causé à [Z] [E] un incontestable préjudice moral, que ce soit par les circonstances dans lesquelles le contrat de travail a été rompu, que par celles dans lesquelles elle a unilatéralement et de façon occulte réduit ses garanties ;

qu'en outre, alors qu'elle lui a proposé la modification de son contrat de travail sachant qu'il ne pourrait l'accepter pour des raisons impérieuses de santé, ce n'est pas sans un certain cynisme, qu'elle fait valoir dans ses conclusions qu'il existe à [Localité 3] un centre réputé de traitement du cancer (page 10) ;

Attendu qu'il sera alloué à [Z] [E] la somme de 15.000 euros en réparation de son préjudice moral ;

Attendu qu'enfin, il lui sera fait droit à sa demande au titre des frais irrépétibles à hauteur de 5.000 euros.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,

- Confirme le jugement rendu le 15 novembre 2011 par le conseil de prud'hommes de Bourgoin-Jallieu en ce qu'il a condamné la société Borflex Rubber à payer à [Z] [E] la somme de 5.067 euros au titre de l'irrégularité de la procédure et celle de 1.000 euros au titre des frais irrépétibles.

- L'infirmant en toutes ses autres dispositions, et statuant à nouveau, dit que la rupture du contrat de travail de [Z] [E] est nulle et condamne la société Borflex Rubber à lui payer :

50.000 euros à titre de dommages-intérêts

10.134 euros au titre de l'indemnité de préavis et 1.013,40 euros au titre des congés payés afférents,

1.000 euros à titre de dommages-intérêts pour non mention de la priorité de réembauchage,

206.976 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de la réduction unilatérale des garanties du régime de prévoyance

15.000 euros en réparation de son préjudice moral.

- Condamne la société Borflex Rubber à payer à [Z] [E] la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles.

- La condamne aux dépens d'appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame COMBES, président, et par Madame HAMON, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIERLE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 11/05628
Date de la décision : 05/12/2012

Références :

Cour d'appel de Grenoble 04, arrêt n°11/05628 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2012-12-05;11.05628 ?
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