RG N° 12/00366
N° Minute :
Notifié le :
Grosse délivrée le :
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE SOCIALE
ARRET DU MARDI 02 OCTOBRE 2012
Appel d'une décision (N° RG 20090054)
rendue par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de VIENNE
en date du 20 octobre 2011
suivant déclaration d'appel du 15 Décembre 2011
APPELANT :
Monsieur [E] [U]
[Adresse 5]
[Localité 8]
Représenté par Me Louis Noël CHAPUIS (avocat au barreau de VIENNE)
INTIMES :
1°/ LA SA CARMIN, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 8]
2°/ La Compagnie d'assurances GROUPAMA RHONE ALPES, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 9]
[Localité 11]
3°/ Maître [H] ès-qualités de mandataire judiciaire de la SAS CARMIN
[Adresse 3]
[Localité 7]
4°/ Maître [Y] ès-qualités d'administrateur judiciaire de la SAS CARMIN
SELARL AJ PARTENAIRES
[Adresse 4]
[Localité 10]
Représentés par Me Ingrid MOLE-RINGRESSI (avocat au barreau de VIENNE)
LA CPAM DE L'ISERE, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représentée par Mme [N], munie d'un pouvoir spécial
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DU DELIBERE :
Madame Hélène COMBES, Conseiller faisant fonction de Président,
Madame Astrid RAULY, Conseiller,
Monsieur Frédéric PARIS, Conseiller,
DEBATS :
A l'audience publique du 04 Septembre 2012, Mme COMBES, chargé(e) du rapport, et Mme RAULY, assisté(e)s de Mme Corinne FANTIN, Adjoint faisant fonction de Greffier, ont entendu les parties en leurs conclusions et plaidoirie(s), conformément aux dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, les parties ne s'y étant pas opposées ;
Puis l'affaire a été mise en délibéré au 02 Octobre 2012, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.
L'arrêt a été rendu le 02 Octobre 2012.
EXPOSE DU LITIGE
Salarié de la société Carmin en qualité de manutentionnaire, [E] [U] a été victime le 21 avril 2006 d'un accident du travail dans les circonstances suivantes : alors qu'il découpait une tôle, ses mains ont été coincées dans la presse et les extrémités de trois doigts de chaque main ont été sectionnés.
Son état de santé a été déclaré consolidé le 30 juin 2009 et un taux d'incapacité permanente de 52 % lui a été notifié.
Par jugement du 29 avril 2010, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Vienne a dit que cet accident est dû à la faute inexcusable de la société Carmin.
Par jugement du 20 octobre 2011, le tribunal des affaires de sécurité sociale a rejeté la demande d'expertise complémentaire formée par [E] [U] et a fixé l'indemnisation de ses préjudices aux sommes suivantes :
- 10.000 euros au titre des souffrances endurées
- 10.000 euros au titre du préjudice esthétique
- 6.000 euros au titre du préjudice d'agrément
- 2.917 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire
- 3.650 euros au titre de l'assistance par une tierce personne du 27 avril 2006 ayant droit 30 juin 2009
[E] [U] qui a relevé appel le 15 décembre 2011, conclut à l'infirmation du jugement et sollicite à titre principal la nomination d'un expert investi d'une mission de droit commun.
Subsidiairement, il demande la fixation de ses préjudices aux sommes suivantes ainsi qu'il l'a exposé oralement lors de l'audience :
- 40.000 euros au titre des souffrances physiques
- 40.000 euros au titre des souffrances morales
- 50.000 euros au titre du préjudice esthétique
- 50.000 euros au titre du préjudice d'agrément
- 65.000 euros au titre de la perte de chance de promotion professionnelles
- 36.000 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire
- 80.000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent
- 36.000 euros au titre de la tierce personne avant consolidation
- 80.000 euros au titre de la tierce personne après consolidation
Il sollicite la condamnation de l'employeur à lui payer 5.000 euros au titre des frais irrépétibles.
Il fait essentiellement valoir au soutien de sa demande d'expertise que la Cour de cassation reconnaît aux victimes d'accidents du travail dus à la faute inexcusable de leur employeur, le droit à réparation de l'ensemble des préjudices subis.
Sur l'évaluation de son préjudice, il rappelle qu'il n'avait que 20 ans lors de l'accident et indique qu'il en subira les conséquences toute sa vie, tant sur le plan personnel que sur le plan professionnel puisqu'il est désormais inapte à tous les métiers manuels.
La société Carmin en redressement judiciaire depuis le 20 décembre 2011, la Selarl AJP, administrateur judiciaire, Maître [H] mandataire judiciaire et la société Groupama Rhône-Alpes, assureur, demandent à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande d'expertise complémentaire.
Ils concluent à son infirmation sur l'indemnisation de la tierce personne et du déficit fonctionnel temporaire et demandent à la cour d'évaluer les préjudices aux sommes suivantes :
- 15.000 euros au titre des souffrances endurées
- 15.000 euros au titre du préjudice esthétique
- 2.000 euros au titre du préjudice d'agrément en l'absence de justificatifs
- 3.000 euros au titre de la diminution des capacités professionnelles
La caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère conclut à la confirmation du jugement sur le rejet de la demande tendant à la nomination d'un nouvel expert.
Elle précise que l'assistance par une tierce personne est prévue par le livre IV du code de la sécurité sociale et que le déficit fonctionnel permanent est réparé par la rente accident du travail et sa majoration.
Sur le déficit fonctionnel temporaire, elle précise que sa réparation doit être limitée à sa composante physiologique, la perte de gain étant compensée par les indemnités journalières.
DISCUSSION
Attendu que pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la Cour se réfère à la décision attaquée et aux conclusions déposées et soutenues à l'audience ;
Attendu que l'article L 451-1 du code du travail pose le principe de la réparation des accidents du travail selon un régime spécifique dérogatoire au droit commun, que le Conseil constitutionnel n'a pas remis en cause dans sa décision du 18 juin 2010 ;
Attendu que l'article L 452-1 du code du travail dispose que lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur, comme c'est le cas en l'espèce, la victime ou ses ayants-droit ont droit à une indemnisation complémentaire ;
que les préjudices dont elle peut demander réparation sont énumérés à l'article L 452-3 du code de la sécurité sociale ;
Attendu que dans sa décision précitée du 18 juin 2010, le Conseil constitutionnel a dit 'qu'en présence d'une faute inexcusable de l'employeur, les dispositions de ce texte [article L 452-3 du code de la sécurité sociale ] ne sauraient toutefois, sans porter une atteinte disproportionnée au droit des victimes d'actes fautifs, faire obstacle à ce que ces mêmes personnes, devant les mêmes juridictions, puissent demander à l'employeur réparation de l'ensemble des dommages non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.' ;
Attendu que la réserve d'interprétation émise par le Conseil constitutionnel prive l'énumération de la liste des préjudices de l'article L 452-3 du code de la sécurité sociale de son caractère limitatif ou exclusif, de sorte que [E] [U] peut réclamer à son employeur la réparation de tout dommage non couvert par le livre IV du code de la sécurité sociale ;
Attendu que le rapport d'expertise établi par le docteur [G] aborde l'intégralité des préjudices dont [E] [U] peut réclamer réparation au regard du régime spécifique des accidents du travail ;
que c'est à bon droit que les premiers juges l'ont débouté de sa demande tendant à l'institution d'une nouvelle expertise ;
Attendu que la rente accident du travail majorée en cas de faute inexcusable, indemnise la perte de gains professionnels, les incidences professionnelles de l'incapacité, mais aussi le déficit fonctionnel permanent ;
que ce préjudice étant couvert par le livre IV du code de la sécurité sociale, la demande de [E] [U] de ce chef sera rejetée ;
Attendu que titulaire d'un BEP en électroménager, [E] [U] s'orientait vers l'exercice d'un métier manuel ;
Attendu qu'il était un jeune homme sportif pratiquant plusieurs activités sportives dans le cadre de clubs (rugby, boxe), jouait au football et appréciait le bricolage ;
Attendu que l'accident du travail dont il a été victime a provoqué une amputation traumatique bilatérale des extrémités digitales (index, majeur, annulaire) nécessitant trois interventions chirurgicales (21 avril, 24 avril et 13 juin 2006) ; que la tentative de réimplantation d'un doigt a échoué ;
Attendu qu'outre les traitements antibiotiques et antalgiques, [E] [U] a suivi 30 des séances de rééducation, la consolidation intervenant au mois de juin 2009, soit trois ans après l'accident ;
que plusieurs années après l'accident, il souffre de douleurs aux changements de température et ressent des décharges électriques au niveau de certains moignons ;
Attendu que les souffrances physiques seront réparées par la somme de 20.000 euros ;
Attendu que l'accident a un retentissement psychologique très important sur un jeune homme qui en subira les conséquences tout au long de sa vie ;
que l'expert note des troubles du sommeil, un état anxio-dépressif réactionnel, des ruminations ; que lui-même dit faire des cauchemars et revivre la scène de l'accident ;
Attendu qu'il évoque également des difficultés dans les relations amoureuses et une tendance au repli sur soi ;
que les souffrances morales seront réparées par la somme de 30.000 euros ;
Attendu que le préjudice esthétique est caractérisé par la présence sur chaque main de trois moignons encadrés par le pouce et l'auriculaire ;
que son importance résulte de ce qu'il est immédiatement appréhendable ; qu'il sera réparé par la somme de 25.000 euros ;
Attendu que du fait de l'accident, [E] [U] subit d'importants troubles dans ses conditions d'existence en raison de l'altération de sa capacité à accomplir des gestes ordinaires (boutonner un pantalon, nouer ses lacets, se raser) ;
qu'il se trouve également privé de la possibilité de se consacrer aux activités sportives et de loisir qui étaient les siennes et de se déplacer sur un deux roues ;
que le préjudice d'agrément sera réparé par la somme de 25.000 euros ;
Attendu que l'expert note que tous les métiers manuels sont désormais interdits à [E] [U] ;
qu'il a d'ailleurs été déclaré inapte à son emploi et licencié pour inaptitude courant 2009 ;
Attendu que titulaire d'un BEP en électroménager, il avait accepté un poste de manutentionnaire, ce qui démontre sa volonté de travailler ;
qu'il s'en déduit qu'il avait des possibilités de promotion professionnelles, lesquelles ont été ruinées par l'accident ;
que le préjudice résultant de cette perte sera réparé par la somme de 20.000 euros ;
Attendu que le déficit fonctionnel temporaire qui a été total pendant 8 jours et partiel jusqu'à la date de consolidation a été exactement apprécié par les premiers juges, de même que le préjudice résultant de l'assistance d'une tierce personne avant la consolidation ;
Attendu que le livre IV de la sécurité sociale ne prévoyant l'assistance d'une tierce personne que pour les incapacités d'au moins 80 %, la demande de [E] [U] ne peut être rejetée au motif qu'elle est prise en compte dans le livre IV ;
Attendu que pour autant, l'expert évalue 'tout au plus à une heure par semaine' l'aide qui pourrait lui être apportée pour des tâches particulières comme le lavage des cheveux ou la coupe des ongles ;
qu'il sera alloué à [E] [U] la somme de 5.000 euros au titre de l'assistance par une tierce personne après consolidation ;
Attendu qu'il sera fait droit à sa demande au titre des frais irrépétibles à hauteur de 3.000 euros.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
- Confirme le jugement rendu le 20 octobre 2011 en ce qu'il a débouté [E] [U] de sa demande tendant à l'institution d'une nouvelle expertise.
- Confirme le jugement en ses dispositions relatives au déficit fonctionnel temporaire et au préjudice résultant de l'assistance d'une tierce personne avant consolidation.
- Infirmant le jugement pour le surplus et statuant à nouveau, fixe l'indemnisation des préjudices de [E] [U] aux sommes suivantes :
- 20.000 euros au titre des souffrances physiques
- 30.000 euros au titre des souffrances morales
- 25.000 euros au titre du préjudice esthétique
- 25.000 euros au titre du préjudice d'agrément
- 20.000 euros au titre de la perte des possibilités de promotion professionnelles
- 5.000 euros au titre de la tierce personne après consolidation
- Dit que la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère fera l'avance de ces sommes à [E] [U] à charge pour elle d'en récupérer le montant auprès de la société Groupama Rhône-Alpes et de la société Carmin, étant précisé que compte tenu du redressement judiciaire de cette société, la créance de la caisse à son passif est fixée.
- Y ajoutant, déboute [E] [U] de sa demande au titre du déficit fonctionnel permanent
- Condamne la société Carmin et la société Groupama Rhône-Alpes à payer à [E] [U] la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau code de procédure civile.
Signé par Madame COMBES, président, et par Madame FANTIN, faisant fonction de greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRESIDENT