RG N° 11/00041
N° Minute :
Notifié le :
Grosse délivrée le :
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU MERCREDI 30 NOVEMBRE 2011
Appel d'une décision (N° RG 10/00105)
rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VALENCE
en date du 25 novembre 2010
suivant déclaration d'appel du 17 Décembre 2010
APPELANTE :
Madame [I] [O]
[Adresse 3]
[Localité 2]
Comparante et assisté de M. [X] [O] (Délégué syndical ouvrier) muni d'un pouvoir
INTIMEE :
La SOCIETE FRANCAISE DE RESTAURATION (SUD) prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 1]
Représentée par Me IARUSSI substituant la SCP FROMONT, BRIENS & ASSOCIES (avocats au barreau de LYON)
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :
Monsieur Daniel DELPEUCH, Président de Chambre,
Madame Dominique JACOB, Conseiller,
Madame Astrid RAULY, Conseiller,
Assistés lors des débats de Mme Nadine LEICKNER, Greffier.
DEBATS :
A l'audience publique du 31 Octobre 2011,
Les parties ont été entendues en leurs conclusions et plaidoirie(s).
Puis l'affaire a été mise en délibéré au 30 Novembre 2011.
L'arrêt a été rendu le 30 Novembre 2011.
RG 11/ 41 DJ
EXPOSE DU LITIGE
[I] [O] a exercé les fonctions de cuisinière sur le site Lafuma à [Localité 4] (Drôme) depuis le 1er août 2000 pour la Société Française de Restauration (SODEXO) qui a repris son ancienneté depuis le 30 août 1993.
Elle a été victime d'un accident du travail le 28 juillet 2006 : elle a glissé en montant un escalier et s'est blessée au poignet droit.
Elle est revenu travailler du 18 au 24 mars 2009 et a été de nouveau arrêtée. Elle a été consolidée en septembre 2009 avec un taux d'incapacité permanente partielle de 12 %.
Lors de la visite de reprise du 15 septembre 2009, elle a été déclarée 'apte à la reprise à un poste sans port de charges de plus de 3 kg, sans mouvement en force ou mouvement répété du poignet droit. Apte à un poste administratif ou de caissière', puis le 29 septembre 2009 elle a été déclarée 'inapte au poste'.
Le 13 novembre 2009 elle a été convoquée à un entretien préalable fixé au 23 novembre 2009 puis licenciée pour inaptitude par lettre du 4 décembre 2009.
Le 16 février 2010 elle a saisi le Conseil de Prud'hommes de Valence qui, par jugement du 25 novembre 2010, a condamné la Société Française de Restauration à lui verser à 1.113,79 euros de reliquat d'indemnité de licenciement, a dit le licenciement pour inaptitude justifié et a rejeté le surplus des demandes.
[I] [O], à qui le jugement a été notifié le 30 novembre 2010, a interjeté appel le 17 décembre 2010.
Elle sollicite l'infirmation du jugement. Elle demande à la cour de condamner la Société Française de Restauration à lui payer :
- 2.185,97 euros au titre de l'indemnité de licenciement, compte tenu des règlements déjà intervenus de 10.983,37 euros et de 1.113,79 euros,
- 22.321,28 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,
- 16.740,96 euros (12 mois de salaire) à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l'inobservation par l'employeur de l'obligation de sécurité,
- 16.740,96 euros de dommages et intérêts pour mauvaise foi de l'employeur dans la recherche de reclassement,
- 5.243,10 euros au titre des congés payés 2006, 2007 et 2009,
- 2.681,60 euros à titre d'avantage en nature (repas non consommés d'août 2006 à février 2010),
- 910,08 euros à titre d'heure de formation dans le cadre du droit individuel à la formation,
- 3.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle demande la remise des fiches de paye d'avril, mai, juin, décembre 2009, janvier et février 2010 et du certificat de travail rectifié, sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document.
Elle rappelle qu'elle a été déléguée du personnel, mais n'a pas été consultée pour les élections professionnelles qui se sont tenues pendant son arrêt de travail.
Oralement à l'audience, elle impute son inaptitude aux manquements de l'employeur à l'obligation de sécurité de résultat qui pèse sur celui-ci.
Elle expose que le 28 juillet 2006, la veille de ses congés, elle est allée se changer au vestiaire, comme tous les jours, qu'elle a glissé en montant les escaliers alors même qu'elle était chaussée des chaussures de travail fournies par l'employeur.
Elle affirme que ce n'était pas le premier accident et que l'employeur était au courant des escaliers glissants et de l'absence de rampe. Elle ajoute qu'il a ultérieurement sécurisé l'escalier en installant une rampe.
Elle soutient que le licenciement est également dépourvu de cause réelle et sérieuse dès lors que l'employeur n'a pas fait de recherches sérieuses en vue de la reclasser à un poste de secrétaire ou de caissière, à proximité de son domicile, ne lui a pas proposé de formation ni d'aménagement de poste.
Elle relève que la consultation des délégués du personnel n'a pas été régulière.
Elle fait valoir que le préavis courait jusqu'au 4 février 2010 et que l'indemnité de licenciement devait être calculée sur la moyenne des trois derniers mois de salaire ( novembre 2009, décembre 2009 et janvier 2010) intégrant l'avantage en nature (repas).
Elle souligne que le délai visé dans la lettre de licenciement pour utiliser son droit individuel à la formation est erroné de sorte qu'elle n'a pas pu faire les démarches nécessaires.
La Société Française de Restauration, intimée, demande à la cour de confirmer le jugement, de débouter [I] [O] de ses demandes et de la condamner à lui payer 1.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle demande qu'il lui soit donné acte de ce qu'elle a payé, en plus du reliquat d'indemnité de licenciement retenu par le jugement, la somme de 944,63 euros à titre de complément d'indemnité de licenciement, de sorte que la salariée devra lui restituer le trop versé de 169,16 euros.
Elle expose que :
1) il n'existe aucun délégué du personnel sur le site Lafuma qui compte moins de 10 salariés,
- elle a consulté le délégué du personnel d'un site voisin, celui de France Telecom,
- elle a proposé deux postes de type administratif conformes aux prescriptions du médecin du travail, pour lesquels elle envisageait une période de formation et avait proposé de prendre en charge les frais de transport en train,
- sur les sites proches du domicile de la salariée, il n'y a aucun poste administratif, seulement des postes en cuisine,
- le reclassement sur un poste de caissière n'était pas possible, les fonctions de caissière étant exercées, au moment des repas, par des employés de service qui doivent être en mesure de porter des charges,
2) le calcul du salaire de référence retenu par la salariée est erroné,
- de même que le calcul de l'ancienneté : compte tenu des absences pour maladie en 2003, 2004, 2005 et 2006 (au total 167 jours ouvrés), l'ancienneté est de 15 ans 7 mois et 15 jours, soit une indemnité de licenciement de 11.928 euros que la salariée a perçu en deux règlements de 10.983,37 euros et de 944,63 euros,
3) en 2008 [I] [O] n'a acquis aucun jour de congés payés,
- en 2009 elle a été payée du 9 au 24 mars mais n'a effectivement travaillé que du 18 au 24 mars 2009, ce qui ne lui a pas ouvert de droit à congés payés,
- elle a bénéficié de 13 jours de congés en septembre 2009, de 22 jours en octobre 2009 et de 14 jours en novembre 2009, soit un total de 49 jours,
- le solde de 2 jours lui a été payé (142,77 euros),
4) elle n'a pas pris de repas sur son lieu de travail entre le mois d'août 2006 et le mois de février 2010,
5) la mention sur la lettre de licenciement du droit individuel à la formation est régulière,
- la salariée n'a subi aucun préjudice dès lors qu'à l'issue de la rupture du contrat de travail, le droit est portable chez un autre employeur ou à Pôle emploi.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le licenciement :
S'agissant du caractère sérieux des motifs du licenciement il résulte des débats à l'audience que la salariée impute l'inaptitude dont elle est atteinte aux agissements fautifs de l'employeur auquel elle reproche de ne pas avoir respecté l'obligation de sécurité qui pèse sur lui.
Il n'est pas contesté que l'inaptitude médicalement constatée au terme de deux visites est en lien avec l'accident du travail déclaré par l'employeur le jour même, 28 juillet 2006.
Les affirmations de la salariée, reprises verbalement à l'audience, sur les circonstances de sa chute dans un escalier glissant et non sécurisé, et sur le fait que l'employeur a, six mois après l'accident, fait installer une rampe, n'ont été aucunement démenties par celui-ci.
Par conséquent en ne prenant pas les mesures nécessaires pour assurer de façon effective dans l'entreprise la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, la Société Française de Restauration a manqué à son obligation de sécurité de résultat.
Ce manquement étant à l'origine de l'inaptitude de la salariée, le licenciement se trouve dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Sur l'indemnité légale de licenciement :
En application de l'article L 1226 - 14 du code du travail, la salariée a droit à une indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis et à une indemnité spéciale de licenciement égale au double de l'indemnité légale de licenciement.
Ces indemnités sont calculées sur la base du salaire moyen comprenant les primes, avantages de toute nature, indemnités et gratifications qui composent le revenu et que la salariée aurait perçus si elle avait continué à travailler au poste occupé avant son arrêt de travail.
Toutefois l'indemnité compensatrice ayant un caractère indemnitaire n'a pas pour effet de reporter la date d'expiration du contrat de travail qui est celle de la notification du licenciement et non celle de l'achèvement d'un préavis que la salariée n'a pu effectuer en raison de son inaptitude physique.
[I] [O] a été licenciée le 4 décembre 2009. Le salaire de référence à prendre en compte est donc la moyenne des salaires de septembre à novembre 2009, soit comme l'a justement retenu le Conseil de Prud'hommes 1.539,08 euros.
L'ancienneté à retenir tient compte de la durée du préavis, même non exécuté, et des absences pour accident du travail.
La décision déférée a pris en compte l'ensemble de ces éléments pour fixer l'indemnité de licenciement, et doit être confirmée.
Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :
Au regard de son ancienneté dans l'entreprise et de sa rémunération, le préjudice subi du fait de la rupture sera réparé par le versement de la somme de 21.546 euros.
[I] [O] invoque, au titre de la réparation de son préjudice, les dispositions de l'article 1382 du code civil et celles de l'article 1142 du même code.
L'indemnisation complémentaire que le salarié inapte par suite d'un accident du travail peut solliciter est celle qui est prévue par l'article L 452-1 du code de la sécurité sociale, en cas de faute inexcusable de l'employeur.
Or la salariée n'a pas sollicité, dans le délai de deux ans de la consolidation de son état de santé, la reconnaissance d'une faute inexcusable devant le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale, seule juridiction compétente pour statuer sur cette question.
Sur l'indemnité de congés payés :
En vertu de l'article L 3141-5 du code du travail, l'année de suspension du contrat de travail qui a suivi l'accident du 26 juillet 2006 est considéré comme une période de travail effectif et ouvre des droits à congés payés.
Il ressort du dossier qu'au moment de son accident [I] [O] bénéficiait de 24 jours de congés payés ; qu'entre son accident et le 31 mai 2007, elle a acquis 27 jours, soit un total de 51 jours, et entre le 1er juin et le 26 juillet 2007, 4,5 jours ; qu'en 2009 elle a travaillé moins de dix jours et n'a donc pas acquis de congés payés ; qu'elle a bénéficié de 49 jours de congés payés sur les mois de septembre, octobre et novembre 2009 et que 2 jours lui ont été payés, de sorte qu'il lui reste dû 4,5 jours.
Il lui est donc dû la somme brute de 321,23 euros.
Sur l'avantage en nature :
L'article 22 de la convention collective nationale de la restauration des collectivités du 20 juin 1983 prévoit que 'l'employeur est tenu de nourrir gratuitement son personnel de service, lorsqu'il est présent sur les lieux de travail au moment des repas'.
Dès lors qu'elle n'a pas été présente sur le lieu du travail depuis le mois d'août 2006 à l'exception de quelques jours en mars 2009 pour lesquels le bulletin de salaire montre qu'elle a bien perçu l'avantage en nature repas, elle n'est pas fondée en sa réclamation, et le jugement doit être confirmé.
Sur le droit individuel à la formation :
En cas de licenciement, l'employeur informe le salarié, s'il y a lieu, dans la lettre de licenciement, de ses droits en matière de droit individuel à la formation, notamment de la possibilité de demander, pendant le préavis, à bénéficier d'une action de bilan de compétences, de validation des acquis de l'expérience ou de formation.
Cette information a bien été donnée à [I] [O] dans la lettre de licenciement.
Le fait que l'employeur ait ajouté qu'elle pouvait demander à utiliser son droit individuel à la formation 'avant le 18 décembre 2009", n'est pas constitutif d'une faute et lui a pas causé de préjudice.
L'équité commande d'allouer à [I] [O] la somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,
- Infirme le jugement déféré en ce qu'il a dit le licenciement justifié,
et statuant à nouveau,
- Dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- Condamne la Société Française de Restauration à payer à [I] [O] la somme de 21.546 euros à titre de dommages et intérêts,
- Confirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné la Société Française de Restauration à verser 1.113,79 euros de reliquat d'indemnité légale de licenciement et a rejeté les demandes formées au titre des congés payés, de l'avantage en nature et du droit individuel à la formation,
y ajoutant,
- Condamne la Société Française de Restauration à payer à [I] [O] la somme de 321,23 euros au titre des congés payés 2009,
- Condamne la Société Française de Restauration à payer à [I] [O] la somme de 1.500 euros application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamne la Société Française de Restauration aux dépens de première instance et d'appel.
Prononcé publiquement ce jour par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties ayant été avisées préalablement dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Mme JACOB, conseiller, en l'absence de M. DELPEUCH président, et par Mlle Rochard, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier Le conseiller