RG N° 11/01365
N° Minute :
Notifié le :
Grosse délivrée le :
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE SOCIALE
ARRET DU MERCREDI 14 SEPTEMBRE 2011
Appel d'une décision (N° RG 07/00482)
rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VALENCE
en date du 05 février 2009
suivant déclaration d'appel du 17 Mars 2011
APPELANTS :
Monsieur [B] [K]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représenté par Me Georges MEYER substitué par Me BOUZAIDA (avocats au barreau de LYON)
INTERVENANT VOLONTAIRE :
Le Syndicat CFTC DU GROUPE NORBERT DENTRESSANGLE
en la personne de son président [L] [F] dûment mandaté
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représenté par Me Georges MEYER substitué par Me BOUZAIDA (avocats au barreau de LYON)
INTIMES :
La S.A.S. NORBERT DENTRESSANGLE BENNES prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 7]
[Adresse 6]
[Localité 5]
Représentée par Me Jean-Baptiste TRAN-MINH substitué par Me PATRIAT (avocats au barreau de LYON)
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :
Monsieur Bernard VIGNY, Conseiller, faisant fonction de Président,
Madame Hélène COMBES, Conseiller,
Monsieur Eric SEGUY, Conseiller,
Assistés lors des débats de Melle Sophie ROCHARD, Greffier.
DEBATS :
A l'audience publique du 23 Juin 2011,
Les parties ont été entendues en leurs conclusions et plaidoirie(s).
Puis l'affaire a été mise en délibéré au 14 Septembre 2011.
L'arrêt a été rendu le 14 Septembre 2011.
RG 11/1365 ES
[B] [K] a été engagé en qualité de conducteur routier à compter du 7 septembre 1998 par la société Norbert Dentressangle Bennes (la société NDB).
Au sein de la division transport du groupe Norbert Dentressangle, les sociétés Norbert Dentressangle Silo, Norbert Dentressangle Bennes et Norbert Dentressangle Inter-Pulve forment une unité économique et sociale de 550 salariés dénommée l'UES Norbert Dentressangle Vrac, dotée d'un comité central d'entreprise.
Deux projets de licenciements économiques de chacun neuf salariés ont été envisagés dans les sociétés ND Bennes et ND Silo.
Les sociétés constituant l'UES ont accepté de se soumettre volontairement à l'élaboration d'un plan de sauvegarde de l'emploi, présenté au comité central d'entreprise le 19 mai 2009 et le 11 juin 2009, date à laquelle le CCE a refusé de rendre un avis sur le projet de restructuration.
Le contrat de travail d'[B] [K] a été rompu le 2 septembre 2009 par départ volontaire dans le cadre de ce plan de sauvegarde de l'emploi. Il a perçu 5.382,34 euros d'indemnité de licenciement et 3.000 euros d'indemnité de départ volontaire.
Par jugement du 16 juillet 2009, le tribunal de grande instance de Valence, saisi par le comité central d'entreprise qui avait refusé de donner un avis sur le projet, a :
- débouté le comité central d'entreprise de l'unité économique et sociale ND Vrac ainsi que les syndicats CFTC du groupe ND et la fédération des transports CFDT de leur demande d'annulation du plan de sauvegarde de l'emploi et de la procédure d'information et de consultation,
- déclaré irrecevable la demande du comité central d'entreprise de l'UES ND Vrac et le syndicat CFDT de leur demande de nullité des ruptures conventionnelles des contrats de travail intervenus au sein de l'UES depuis le mois de janvier 2009 et les a débouté de leurs demandes de dommages-intérêts.
Par arrêt du 23 novembre 2009, la chambre sociale de cette cour :
- infirmant ce jugement sur ce point, a dit que le plan de sauvegarde de l'emploi était nul et de nul effet en raison de l'insuffisance de ses mesures au regard des moyens dont disposait le groupe ND et l'UES Vrac,
- a constaté par voie de conséquence que la procédure ayant conduit à son élaboration était nulle,
- a rejeté les demandes de dommages-intérêts du comité central d'entreprise et des syndicats CFTC et CFDT,
- a confirmé le jugement en ce qu'il avait rejeté les demandes relatives aux ruptures conventionnelles.
[B] [K] n'a pas souhaité être réintégré.
Par arrêt du 9 mars 2011, la Cour de Cassation, chambre sociale a cassé cet arrêt mais seulement en ce qu'il a dit que la procédure d'information et de consultation du CCE de l'UES ND Vrac limitée au projet concernant 18 licenciements pour motifs économiques avait été régulière et a débouté en conséquence le comité et les syndicats de leurs demandes de dommages-intérêts, la cause étant renvoyée devant la cour d'appel de Lyon.
Le 13 août 2007, antérieurement à ces licenciements économiques, [B] [K] et une trentaine d'autres conducteurs 'grands routiers', rémunérés en fonction du coefficient 150 M groupe 7 de la convention collective nationale des entreprises de transport routier de marchandises, avaient saisi le conseil de prud'hommes de Valence de diverses réclamations relatives à la durée du travail, de demandes de rappels de salaires au titre des heures d'équivalence (25.566 euros s'agissant d'[B] [K]), de la réduction du temps de travail hebdomadaire à 35 heures (10.521 euros), de rappels de salaires d'heures supplémentaires (13.636 euros) et de repos compensateurs (10.072 euros).
[B] [K] a été débouté de toutes ses demandes par jugement du 5 février 2009 de cette formation prud'homale, dont il a relevé appel le 13 mars 2009.
Par arrêt du 13 décembre 2010, auquel il est renvoyé pour un exposé plus complet du litige et des prétentions et moyens des parties, la cour d'appel de ce siège, statuant sur ce litige salarial opposant cette trentaine de salariés à leurs employeurs respectifs ND Bennes et ND Silo, en présence du groupe ND, a débouté les chauffeurs de toutes leurs demandes concernant les temps de travail et les rappels à caractère salarial.
En vertu du principe d'unicité d'instance, [B] [K] avait étendu en cause d'appel ses demandes à la contestation de la rupture de son contrat de travail.
Dans son arrêt du 13 décembre 2010, la cour avait sursis à statuer sur cette partie des demandes de ce salarié et sur celles du syndicat CFTC, dans l'attente de l'issue du pourvoi formé contre l'arrêt du 23 novembre 2009.
C'est dans ce contexte qu'[B] [K] a sollicité la remise de l'affaire au rôle par lettre datée du 11 mars 2011, reçue le 17 mars 2011.
Il invoque la nullité de son licenciement comme étant lui-même consécutif à un plan de sauvegarde de l'emploi nul et reprend pour son propre compte les motifs de l'arrêt du 23 novembre 2009.
Il fait notamment valoir que le plan de sauvegarde de l'emploi réellement mis en oeuvre était très insuffisant notamment en ce que la cellule de reclassement avait été mise en place pendant 5 mois contre 9 à 12 mois en moyenne, en ce qu'aucun budget n'avait été défini, en ce que l'allocation incitative à la création d'entreprise n'était que de 2.500 euros, en ce qu'il n'y avait pas de prime de mobilité ou de prise en charge de frais de déménagement, en ce qu'aucune convention n'avait été signée avec l'Etat prévoyant une allocation temporaire dégressive.
Il invoque un avis de la direction départementale du travail dénonçant le caractère indigent de ce plan.
Il sollicite une indemnité de 35.630 euros pour licenciement nul, correspondant à 15 mois de salaire, en invoquant son ancienneté de 11 ans, son âge de 51 ans et son préjudice particulier consécutif au fait qu'il n'avait pu bénéficier des mesures d'un véritable plan de sauvegarde de l'emploi qui aurait pu limiter les effets du licenciement et qu'il s'était retrouvé seul pour chercher un travail.
Il sollicite une indemnité de 1.600 euros pour ses frais irrépétibles.
Le syndicat CFTC groupe ND, intervenant volontaire, sollicite 2.000 euros de dommages-intérêts pour atteinte aux intérêts de la profession au visa de l'article L.2132-3 du code du travail ainsi que 500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile. Il adopte les moyens et arguments développés par le salarié.
La société ND Bennes SAS demande à la cour de déclarer irrecevables les demandes d'[B] [K], de l'en débouter, de le condamner au paiement d'une indemnité de 1.600 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile, subsidiairement, d'ordonner la compensation de la somme de 3.000 euros allouée à titre d'indemnité de départ volontaire avec les éventuels dommages-intérêts en faisant valoir que la nullité du plan de sauvegarde de l'emploi et du licenciement consécutif entraînaient obligation de rembourser les sommes versées à ce titre.
Elle rappelle l'envoi au salarié le 18 juin 2009 d'une liste de solutions de reclassement et d'un questionnaire de reclassement qu'[B] [K] avait retourné le 15 août 2009 et la lettre du 24 août 2009 d'[B] [K] demandant à bénéficier d'un départ volontaire.
Elle fait valoir qu'[B] [K] avait opté pour un départ volontaire dans le cadre du plan de sauvegarde de l'emploi et que cette rupture amiable avait été formalisée par la lettre de l'employeur du 2 septembre 2009, dans laquelle la société ND Bennes expliquait qu'elle avait dû supprimer 9 postes de conducteurs, elle relevait qu'[B] [K] n'avait pas répondu dans le délai prescrit pour manifester son intérêt pour les propositions de reclassement, ce dont l'employeur avait déduit qu'il 'refusait ainsi toute possibilité d'être reclassé'.
Elle soutient que cette résiliation amiable du contrat de travail et sa rupture d'un commun accord interdisaient au salarié d'en contester maintenant le bien fondé, sauf vice du consentement, ce qui n'était pas invoqué au cas présent et que les règles du licenciement économique ne s'appliquaient pas à ce type de rupture.
Sur quoi :
Attendu que dans son arrêt du 9 mars 2011 confirmant l'arrêt du 23 novembre 2009 de cette cour en ce qu'il avait prononcé la nullité du plan de sauvegarde de l'emploi, la Cour de Cassation a jugé que 'si les conditions d'effectifs et de nombre de licenciements dont dépend l'obligation d'établir un plan de sauvegarde de l'emploi s'apprécient au niveau de l'entreprise que dirige l'employeur, il en va autrement lorsque, dans le cadre d'une unité économique et sociale, la décision de licencier a été prise au niveau de cette unité ; la cour d'appel, ayant constaté que les sociétés formant l'UES s'étaient concertées pour envisager simultanément une série de licenciements économiques relevant d'un même plan de restructuration et dont le nombre était au moins dix, l'établissement d'un plan de sauvegarde de l'emploi résultait d'une obligation' ;
Attendu que le départ volontaire d'[B] [K], concrétisé par un courrier du 24 août 2009 à effet au 31 août 2009, accepté par l'employeur le 2 septembre 2009, s'inscrit expressément et uniquement dans le cadre du dispositif et du projet de plan de sauvegarde de l'emploi présenté par l'employeur aux organes de représentation du personnel le 19 mai 2009 et le 11 juin 2009, qui incluait un appel au volontariat et aux départs volontaires de conducteurs qui auraient un projet personnel, contre versement d'une indemnité égale à l'indemnité de licenciement et d'une indemnité supplémentaire de 3.000 euros nets ;
Que ce plan de sauvegarde de l'emploi rappelait expressément que les 'départs (volontaires) ne seraient acceptés que pour autant qu'ils permettront d'éviter un licenciement';
Attendu que par lettre recommandée du 18 juin 2009, l'employeur avait notifié à [B] [K] l'existence d'un projet de suppression de 9 postes de chauffeurs sur chacune des deux agences de ND Benne Saint Rambert et ND Silo Sandouville, lui avait expressément indiqué que son poste était susceptible d'être concerné et lui avait communiqué le projet de plan de sauvegarde de l'emploi ;
Que dans ses écritures reprises oralement et sans changement devant la cour, l'employeur reconnaît que le départ volontaire litigieux était intervenu dans le cadre de ce plan de sauvegarde de l'emploi ;
Attendu que l'annulation de ce plan de sauvegarde de l'emploi en raison de l'insuffisance de ses mesures au regard des moyens de l'employeur, du groupe et de l'UES, procède d'une décision judiciaire devenue définitive ;
Que la nullité de ce dispositif et de ce plan a pour conséquence de priver de toute cause ce départ volontaire, qui ne constitue ni un acte autonome ni un acte consécutif à une libre initiative du salarié mais qui est uniquement lié à la menace d'un licenciement pour motif économique et qui constitue un acte subséquent au plan de sauvegarde de l'emploi ; que la nullité de ce plan entraîne celle de la rupture qui lui est rattachée ;
Que les demandes du salarié sont donc parfaitement recevables et qu'il y a lieu de prononcer la nullité de la rupture de son contrat de travail par départ volontaire ;
Attendu qu'[B] [K] ne sollicite pas sa réintégration ni la poursuite de son contrat de travail ;
Attendu qu'[B] [K] comptait 11 années d'ancienneté et percevait une rémunération mensuelle de 2.375 euros ;
Que sa situation professionnelle ne s'est pas immédiatement stabilisée ; qu'il a connu une période de chômage pendant 3 mois suivi d'une période d'intérim de novembre 2009 à février 2010, date à partir de laquelle il a bénéficié d'un contrat à durée indéterminée mais pour une rémunération inférieure d'un tiers à celle qu'il percevait chez ND Bennes ;
Que son préjudice consécutif au caractère illicite de la rupture de son contrat de travail sera indemnisé par une somme de 35.000 euros ;
Qu'il y a lieu d'ordonner la compensation à hauteur de 3.000 euros entre la somme nette de 3.000 euros versée au titre du départ volontaire dans le cadre du Plan de sauvegarde de l'emploi, qu'[B] [K] doit rembourser à son ancien employeur par l'effet de l'annulation de la rupture, et ces dommages et intérêts mis à la charge de ce dernier ;
Attendu que la violation par l'employeur des dispositions d'ordre public relatives aux licenciements économiques a causé un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession des chauffeurs du groupe ND que le syndicat CFTC groupe ND représente et dont il assure la défense et qui avait d'ailleurs agi en justice le 23 juin 2009 et le 24 juin 2009 contre le projet litigieux ;
Qu'il sera fait droit à la demande de dommages et intérêts de ce syndicat à hauteur de 2.000 euros ;
Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge d'[B] [K] et du syndicat leurs frais irrépétibles ;
PAR CES MOTIFS
la Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi :
Déclare recevables les demandes d'[B] [K] et du syndicat CFTC du groupe ND, intervenant volontaire;
Prononce la nullité de la rupture du contrat de travail d'[B] [K] par départ volontaire du salarié au 31 août 2009 accepté par l'employeur le 2 septembre 2009 ;
Constate qu'[B] [K] ne sollicite pas sa réintégration ;
Condamne la société Norbert Dentressangle Bennes SAS à verser à [B] [K] une indemnité de 35.000 euros en réparation de son préjudice consécutif à la nullité de la rupture de son contrat de travail ainsi qu'une somme de 1.500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Ordonne la compensation à hauteur de 3.000 euros entre la somme de 3.000 euros versée au titre du départ volontaire, qu'[B] [K] doit rembourser à son ancien employeur par l'effet de l'annulation de la rupture et ces dommages et intérêts mis à la charge de ce dernier ;
Condamne la société Norbert Dentressangle Bennes SAS à verser au syndicat CFTC du groupe ND une indemnité de 2.000 euros pour préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession et une somme de 500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute [B] [K] du surplus de ses prétentions ;
Condamne la société Norbert Dentressangle Bennes SAS aux dépens.
Prononcé publiquement ce jour par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile.
Signé par Monsieur VIGNY, Président, et par Mademoiselle ROCHARD, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIERLE PRESIDENT