RG N° 10/02449
N° Minute :
Notifié le :
Grosse délivrée le :
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE SOCIALE
ARRET DU MERCREDI 29 JUIN 2011
Appel d'une décision (N° RG F 09/01095)
rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRENOBLE
en date du 29 avril 2010
suivant déclaration d'appel du 28 Mai 2010
APPELANTE :
Madame [H] [B]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Comparante et assistée par Me Jean EISLER (avocat au barreau de GRENOBLE)
INTIMEE :
La S.A. COM 6, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Adresse 8]
[Localité 6]
Représentée par M. [D], PDG, assisté par Me Jean-Yves SAGNARD (avocat au barreau de LYON)
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :
Monsieur Bernard VIGNY, Conseiller, faisant fonction de Président,
Madame Hélène COMBES, Conseiller,
Madame Dominique JACOB, Conseiller,
Assistés lors des débats de Melle Sophie ROCHARD, Greffier.
DEBATS :
A l'audience publique du 01 Juin 2011,
Les parties ont été entendues en leurs conclusions et plaidoirie(s).
Puis l'affaire a été mise en délibéré au 29 Juin 2011.
L'arrêt a été rendu le 29 Juin 2011.
RG 10 2449 DJ
EXPOSE DU LITIGE
[H] [B] a été embauchée le 2 juin 2008, sans contrat écrit, en qualité de directrice du développement, cadre, par la SA COM.6, société de prestation de services informatiques qui a trois agences en France et emploie 48 salariés.
La lettre d'embauche prévoyait une période d'essai de trois mois, une rémunération brute de 4.500 euros pour un temps partiel à hauteur de 80 % ainsi qu'une rémunération variable et une prime forfaitisée. (Convention collective Syntec)
Le 24 avril 2009 [H] [B] a été convoquée à un entretien préalable fixé le 7 mai 2009 puis licenciée par lettre du 13 mai 2009 avec un préavis de trois mois qu'elle a exécuté.
Le 16 juin 2009, elle a contesté son licenciement devant le Conseil de Prud'hommes de Grenoble qui, par jugement du 29 avril 2010, a dit que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse, l'a déboutée de ses demandes et condamnée à verser à la société une indemnité de 1.500 euros au titre des frais irrépétibles.
[H] [B], à qui le jugement a été notifié le 4 mai 2010, a interjeté appel le 28 mai 2010.
Elle sollicite l'infirmation du jugement et demande à la cour de condamner la SA COM.6 à lui payer 31.200 euros à titre de dommages et intérêts (6 mois de salaire) pour licenciement abusif et 2.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir que le seul motif visé par la lettre de licenciement, 'attitude d'opposition à la direction et désengagement dans votre fonction', est étayé par des éléments confus, contradictoires, non justifiés et qu'elle conteste.
Elle fait remarquer que :
- ses missions n'ont pas donné lieu à l'établissement d'une fiche de fonction,
- elle disposait d'une grande autonomie et devait impulser un travail d'équipe et fédérer ses collègues des différentes agences,
- elle a accompli un travail considérable pour mettre en place des procédures formelles, relancer le comité de direction, organiser le séminaire des 20 ans de la société et opérer une refonte du système informatique dans le cadre du projet SAGE,
- elle a fait preuve de compétence, de professionnalisme et de réactivité.
Elle indique que la preuve de son désengagement n'est pas rapportée.
Elle soutient qu'en revanche elle a été confrontée, dès le mois de novembre 2008, à la lenteur de la Direction, à un manque de motivation et à une attitude peu courtoise qui l'ont entravée dans son travail (le PDG ne répondait pas à ses demandes, faisait de la rétention d'information, était de plus en plus discourtois) et que le mail d'alerte qu'elle lui a adressé le 12 février 2009 est demeuré sans suite.
Elle relève la mauvaise foi de l'employeur et indique qu'elle a parfaitement accompli sa mission.
La SA COM.6, intimée, demande à la cour de confirmer le jugement, de dire que le licenciement est fondé et justifié, de débouter [H] [B] de ses demandes et de la condamner à lui payer 2.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle expose que la matérialité des fautes reprochées est établie, en ce que [H] [B] a adopté une attitude d'opposition systématique et de désengagement de sa fonction ; qu'elle rejetait toute idée de subordination à l'égard de son PDG et n'hésitait pas à le discréditer auprès des collaborateurs de la société qu'elle prenait régulièrement à partie.
La société vise à titre d'exemples l'organisation d'un séminaire en 2008, la gestion du dossier SAGE (renouvellement du système d'information de la société), le refus de reporting des contrats, le refus de s'impliquer dans les réunions avec les constructeurs NEC et LENOVO, et l'organisation des réunions du CODIR.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des demandes et moyens des parties, la Cour se réfère à la décision attaquée et aux écritures déposées et soutenues oralement et sans modification à l'audience.
La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige est ainsi motivée :
'(...) depuis le début de l'année nous déplorons de votre part une attitude d'opposition à la direction et de désengagement dans votre fonction, peu compatibles avec le niveau de la responsabilité que vous occupez au sein de la société. (...)
Nous vous avons rappelé le contenu de vos missions à savoir le développement (tant externe qu'interne) du groupe Com6 ainsi que la gestion du marketing.
Vous avez cependant poursuivi dans votre attitude (...)
Cette attitude inadmissible démontre votre volonté d'opposition systématique que vous avez volontiers reconnue au cours de l'entretien. (...)
Votre comportement relève d'une conception du management qui n'est pas celle en vigueur à Com6 où l'un des principes de base est l'échange direct sans 'coup dans le dos' et la volonté de privilégier le travail en équipe dans lequel chacun assume sa part de responsabilité.
Force est de constater que malgré mes nombreuses remarques afin que la situation s'améliore, vous n'avez pas changé votre façon d'opérer et qui plus est, montré votre désengagement total des fonctions qui vous incombent.
La poursuite de la relation de travail s'avère impossible(...)'
L'employeur vise dans cette lettre, à titre d'exemple, les éléments suivants :
- les courriers électroniques que [H] [B] lui a adressés, les 12 février et 24 mars 2009, pour exprimer son souhait de quitter la société,
- son désengagement, le 30 mars 2009, de l'organisation d'un séminaire prévu en juin 2009, au profit de Mme [L], assistante du PDG, [K] [D], sans en avoir préalablement référé à celui-ci,
- son désengagement, au début du mois d'avril 2009, de la gestion du dossier SAGE,
- un défaut de 'reporting' des contrats auprès du fournisseur HP, le 27 avril 2009,
- son absence aux réunions organisées avec les constructeurs NEC et LENOVO, les 5 et 3 mars 2009,
- l'organisation de réunions du CODIR sans avoir consulté ni informé le PDG.
En ce qui concerne le grief général tenant à l'attitude d'opposition systématique, il ressort du compte rendu de l'entretien préalable que l'employeur a abordé 'le problème de fond' rencontré avec [H] [B], à savoir 'son opposition avec lui', lui reprochant de ne pas avoir 'la volonté d'être en phase avec lui', d'être 'toujours en conflit au lieu d'être dans une démarche de recherche de compromis', de 'lui renvoyer toutes les décisions à prendre vers lui'.
Si [H] [B] a reconnu qu'en février elle avait envisagé une séparation, 'seule issue pour moi face au constat incontestable de mon absence d'avenir au sein de Com6 face à votre attitude', elle a fait remarquer qu'elle avait toujours mené ses actions conformément à sa mission 'dans le seul intérêt de faire avancer la société' et non dans le but de lui nuire.
Les écrits auxquels l'employeur fait référence ' mails du 12 février et du 24 mars 2009 ' s'inscrivent dans un échange de courriers électroniques entre le PDG, des directeurs d'agence, le directeur régional et [H] [B], au début de l'année 2009, à propos des 'problèmes des services communs', des 'dysfonctionnements majeurs' au sein du groupe (mail de [Z] [J], directeur de l'agence d'[Localité 4], du 16 janvier 2009), de la 'situation critique' en Rhône Alpes signalée par [H] [B] le 6 février 2009 au directeur régional, [I] [Y], à [T] [N], directeur de l'agence de [Localité 7], et à [Z] [J].
Ces deux directeurs d'agence ont répondu qu'ils partageaient son analyse, [I] [Y] estimant urgent de réunir un Codir et [T] [N] adressant le 11 février à [K] [D], [H] [B], [I] [Y], [Z] [J] et [S] [U], directrice des ressources humaines du Groupe, un mail pour 'attirer (leur) attention sur les sujets critiques en cours (...) l'agence de [Localité 6] n'a toujours pas de budget pour 2009 (...) l'agence de [Localité 7] a encore des problèmes de production à résoudre, l'agence Rhône Alpes, en attente de l'arrivée de son nouveau directeur, avec des objectifs commerciaux ambitieux, vient de perdre deux commerciaux, l'annonce d'arrêt faite par NEC est l'occasion d'établir de nouveaux partenariats, le planning du projet de réorganisation et de mise en place de SAGE est, selon mes informations, en train de déraper. Il me paraît important que ces sujets soient discutés (...) Je ne comprends pas pourquoi nous n'arrivons pas à prendre de décision'.
C'est en réponse à ce mail que [H] [B] a écrit, le 12 février, qu'elle partageait ce point de vue, qu'elle avait alerté et demandé, sans obtenir de réponse, la tenue d'un Codir, ajoutant, en ce qui concerne NEC, qu'elle avait 'dû aller à la pêche aux infos auprès de [Z] ([J]) et de vous-même ([K] [D]) pour comprendre que vous aviez dialogué ensemble : pourquoi n'ai-je pas fait partie des discussions ' Et pourquoi n'avons-nous pas établi les actions à conduire auprès des partenaires ' En revanche j'ai continué à être sollicitée pour l'achat de scotch pour [Localité 4], de sursacs pour le lycée [5], pour le sponsoring du basket à [Localité 4]... Je ne conçois pas ma mission de cette façon et souhaite que l'on étudie les modalités de mon départ ; je ne sais pas travailler dans ces conditions'.
Puis, le 24 mars 2009 elle a écrit à [K] [D], avec copie à [S] [U], en ces termes 'dans la mesure où vous avez laissé entendre à des tiers que j'allais bientôt quitter la société, il serait utile pour que je puisse prendre position que vous me communiquiez rapidement les modalités d'accompagnement financier de ce départ. Je reste à l'écoute de vos propositions',
La lettre de licenciement vise un mail du 26 mars dans lequel [H] [B] serait revenue sur ses propos, mais ce document ne figure pas au dossier. En tout état de cause la relation de travail s'est poursuivie.
Ainsi, ce que l'employeur a considéré comme une opposition systématique de la salariée est en réalité l'illustration d'une volonté, partagée par les directeurs d'agence, de régler les difficultés rencontrées au sein de l'entreprise. Il n'est en outre pas démontré, en l'absence de toute fiche de fonction, que les remarques effectuées par la directrice de développement excédaient sa mission.
Il ne peut par ailleurs être sérieusement reproché à la salariée à la fois une attitude d'opposition et des actes de désengagement sur la réalité desquels les parties s'opposent.
En ce qui concerne les griefs liés à la gestion par [H] [B] du séminaire des 20 ans de la société, les mails échangés entre les parties montrent que, contrairement à ce que soutient l'employeur, [H] [B] ne s'est pas désengagée de ce dossier.
En effet après avoir sélectionné divers partenaires pour l'organisation du séminaire, elle a sollicité du PDG à plusieurs reprises, le 18 novembre 2008, le 16 décembre 2008, le 20 mars 2009, des instructions sur le budget à consacrer à cette manifestation, puis sur la personne chargée de ce projet, autant de décisions qu'elle n'était pas en mesure d'arrêter elle-même.
La preuve qu'elle aurait, de sa propre initiative, confié la gestion de ce dossier à [G] [L] n'est nullement rapportée par les pièces versées aux débats. Au contraire celle-ci atteste qu'elle a occupé le poste d'assistante de direction de février à juillet 2009 et que, fin mars 2009, elle a reçu des 'consignes claires et précises de la part de [K] [D] de gérer le séminaire pour les 20 ans de Com6".
S'agissant du projet SAGE, [H] [B] a soumis au Codir le 26 août 2008 trois propositions avec l'analyse des prestations fournies par chacune des sociétés pressenties. Au vu de ces informations, c'est la société OLKOA qui a été retenue.
Le 20 janvier 2009, [H] [B] a sollicité l'organisation d'une réunion pour faire un point de validation et définir la suite des opérations, en insistant sur le fait que la mise en place de ce projet lui semblait 'la priorité absolue'.
Elle a ensuite effectué régulièrement des comptes-rendus au Codir, notamment par un mail du 6 avril 2009 dans lequel elle a listé toute une série de questions en attente de validation, et a alerté sur le fait qu'en 'l'absence de décision, le projet ne va cesser de déraper'.
Le grief de 'désengagement, au début du mois d'avril 2009" visé dans la lettre de licenciement n'est donc nullement établi.
S'agissant des objectifs commerciaux avec HP, les mails échangés le 2 avril 2009 par [H] [B] et [G] [L] puis, les 16 et 27 avril, par [H] [B] et [R] [V], [O] [W] et [K] [D], montrent que les engagements pris par la société, de 'reporting des contrats coût par page auprès d'HP', n'ont pas été tenus. Il n'en ressort toutefois nullement la preuve que cette tâche incombait à [H] [B].
Enfin en ce qui concerne la participation aux réunions avec les constructeurs NEC et LENOVO, le seul document produit par l'employeur à ce sujet est un mail qu'il a adressé le 26 février 2009 à [A] [E] et [X] [P], dont les qualités ne sont pas précisées, leur confirmant un rendez-vous le 5 mars 2009 auquel '[H] [B] et [Z] [J] seront présents'.
La preuve que, comme le soutient l'employeur, [H] [B] se serait volontairement écartée de ce dossier ne résulte d'aucune pièce, la salariée ayant fait remarquer, comme cela a été rapporté ci-dessus et comme elle l'avait relevé lors de l'entretien préalable , qu'elle avait été exclue des discussions à ce sujet alors que certaines informations entraient dans le cadre de ses missions de développement.
Le grief n'est donc pas sérieux.
Enfin il est reproché à [H] [B] d'avoir pris l'initiative d'organiser des réunions du Codir qui ont 'eu pour effet de fragiliser la cohésion de l'instance décisionnaire de Com6 très préjudiciable au fonctionnement de la société'.
Outre l'analyse qui a déjà été faite des échanges intervenus avec les directeurs d'agence et le directeur régional à ce propos, il s'avère qu'aucun élément précis n'est fourni par l'employeur pour illustrer le caractère préjudiciable qu'il invoque.
Contrairement à ce qu'a retenu le Conseil de Prud'hommes, la réalité et le sérieux des motifs de licenciement allégués ne ressortent pas des éléments du dossier, de sorte que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Il y a lieu d'allouer à [H] [B] qui comptait 14 mois d'ancienneté, la somme de 25.000 euros en indemnisation du préjudice subi du fait de la rupture.
L'équité commande de fixer à 1.500 euros la somme que lui versera l'employeur au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,
- Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
et statuant à nouveau,
- Dit le licenciement de [H] [B] dépourvu de cause réelle et sérieuse,
- Condamne la SA COM.6 à payer à [H] [B] la somme de 25.000 euros à titre de dommages et intérêts,
- Condamne la SA COM.6 à payer à [H] [B] la somme de 1.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamne la SA COM.6 aux dépens d'appel.
Prononcé publiquement ce jour par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile.
Signé par Monsieur VIGNY, Président, et par Sophie ROCHARD, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le GreffierLe Président