RG N° 10/03575
N° Minute :
Notifié le :
Grosse délivrée le :
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE SOCIALE
ARRET DU LUNDI 27 JUIN 2011
Appel d'une décision (N° RG F09/100)
rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VALENCE
en date du 07 juillet 2010
suivant déclaration d'appel du 03 Août 2010
APPELANT :
Monsieur [M] [S]
[Adresse 3]
[Localité 1]
Comparant et assisté par M. [Y] [D] (Délégué syndical ouvrier)
INTIMEE :
La S.A.R.L. GERY MANUTENTION LOCATION, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentée par Me Annie BOTTA-AUBERT (avocat au barreau de GRENOBLE)
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :
Monsieur Daniel DELPEUCH, Président de Chambre,
Madame Hélène COMBES, Conseiller,
Madame Astrid RAULY, Conseiller,
Assistés lors des débats de Melle Sophie ROCHARD, Greffier.
DEBATS :
A l'audience publique du 31 Mai 2011,
Les parties ont été entendues en leurs conclusions et plaidoirie(s).
Puis l'affaire a été mise en délibéré au 27 Juin 2011.
L'arrêt a été rendu le 27 Juin 2011.
RG 10/3575 AR
[M] [S] a été embauché par contrat à durée indéterminée à compter du 5 janvier 2009 en qualité d'agent d'exploitation par la société GERY MANUTENTION, à la suite d'une promesse d'embauche du 31 octobre 2008.
Par courrier recommandé du 29 janvier 2009, la société GERY MANUTENTION lui a signifié la fin de sa période d'essai.
[M] [S] a saisi le conseil des prud'hommes afin d'obtenir notamment la requalification de la rupture de la période d'essai en licenciement sans cause réelle et sérieuse et des dommages-intérêts pour non-respect de la procédure, préjudice moral et rupture abusive.
Par jugement du 7 juillet 2006 2010, le conseil des prud'hommes de Valence a condamné la SARL GERY MANUTENTION location à lui payer les sommes de :
-735,32 euros de rappel de salaire, outre congés payés afférents de 73,53 euros
-309,84 euros d' heures supplémentaires
- 30,98 € de congés payés afférents
- 208,33 euros de primes
- 20,83 € de congés payés afférents
- 500 € pour non-respect du délai de prévenance,
- 200 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile
a débouté [M] [S] de ses autres demandes et a partagé les dépens.
Appel contre cette décision a été interjeté le 26 mai 2010 par [M] [S].
Par conclusions régulièrement déposées, et oralement à l'audience, [M] [S] sollicite la réformation du jugement entrepris en ce qui concerne la requalification de la période d'essai et la condamnation de la société à lui payer 39.000 € de dommages-intérêts pour non respect de la procédure de licenciement, licenciement abusif et préjudice moral ainsi que 1500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour le reste, il sollicite la confirmation des condamnations prononcées par le conseil des prud'hommes sauf en ce qui concerne la condamnation au titre du délai de prévenance.
Il fait valoir qu'il a travaillé pour le compte de la société Conforama au poste de responsable de dépôt et notamment dans un dépôt loué par M. [J] qui l' a informé oralement que son agent d'exploitation transport le quittait et lui a proposé le poste courant août 2008 ;
qu' étant responsable d'une famille de trois enfants, il a sollicité une promesse d'embauche écrite ainsi qu'une formation et ayant obtenu une promesse d'embauche, il a démissionné de son poste auprès de la société Conforama .
Il soutient que lorsqu'on lui a demandé de signer un contrat à durée indéterminée en date du 16 décembre 2008 et qu'il a demandé la raison de la période d'essai, on lui a indiqué qu'il s'agissait de la période de formation ; que cependant il n'a pas suivi de formation mais qu'il a reçu le 31 janvier 2009, sans aucun délai congé, un courrier lui indiquant que la période d'essai n'était pas concluante.
Il souligne la mauvaise foi de son employeur, qui s'est précipitamment débarrassé de lui alors que l'examen du bulletin de paye permet de constater qu'il a effectué 184 heures et fait valoir qu'il a été entraîné dans un traquenard.
Oralement à l'audience il allègue que le véritable motif du licenciement réside dans les difficultés économiques de la société.
Il soulève l'irrégularité du contrat de travail, mentionnant que celui-ci ne fait pas état de son statut de cadre et n'indique aucunement le niveau et le coefficient ; que la clause de non-concurrence ne mentionne pas la contrepartie financière ; que le contrat ne prévoit pas la durée du travail.
Il estime qu'en conséquence ce contrat de travail ne lui est pas opposable et qu'il convient de se référer à la promesse d'embauche, qui ne porte pas mention d'une période d'essai.
Il renonce à sa demande de dommages-intérêts pour non-respect du délai de prévenance et réclame la requalification du licenciement pendant la période d'essai en licenciement sans cause réelle sérieuse.
Il fait valoir qu'on a abusé de lui, que les métiers du transport ont été touché par la crise et que le poste n'a été pourvu que fin 2010.
Il soutient qu'il a subi à la suite de ces faits un état dépressif très sévère et que si son état de santé s'est amélioré lorsqu'il a retrouvé un nouvel emploi, un mois après son licenciement à un salaire nettement inférieur à celui qu'il percevait chez CONFORAMA, il a été contraint de vendre sa maison pour se rapprocher de son nouvel employeur.
Par conclusions régulièrement déposées et oralement à l'audience la société GERY MANUTENTION sollicite la confirmation du jugement entrepris et la condamnation de M. [S] à lui payer 1000 € en application de l'article 700.
Sur l'opposabilité de contrat de travail, elle fait valoir que le contrat de travail qui formalisait les conditions effectives d'embauche et qui a été soumis à l'accord du salarié le 16 décembre 2008, mentionnait une période d'essai de quatre mois de travail effectif ; qu'il y a été mis un terme au cours du premier mois de la période d'essai ;
Elle souligne que le fait que le contrat de travail ne prévoit pas le statut de cadre du salarié ne constitue pas un manquement de l'employeur à son engagement, puisque la feuille de paye ainsi que l'attestation ASSEDIC en font mention et que la société a adressé à la compagnie d'assurances GAN, le bulletin d'affiliation au régime de protection cadre, intégralement rempli daté et signé.
Sur la durée du travail, elle rappelle qu'à défaut de mention particulière, c'est la durée légale qui s'applique, ainsi qu'il a été porté au bulletin de salaire et sur l'attestation ASSEDIC ; qu'en tout état de cause, cette absence ne porte aucun préjudice au salarié et ne saurait justifier l'inopposabilité du contrat de travail.
Elle souligne que le fait que la clause de non-concurrence ne prévoit pas de contrepartie financière ne rend pas le contrat inopposable au salarié mais uniquement la clause de non-concurrence.
Elle estime par conséquent que le contrat de travail ne saurait être contesté dans son existence et son contenu et que M. [S] ne peut soutenir que la dénonciation du contrat de travail pendant la période d'essai doit être analysée comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur la rupture des relations contractuelles, elle souligne que la période d'essai permet à l'employeur d'évaluer les compétences du salarié dans son travail ; qu'elle ne pouvait être en aucun cas interprétée comme le soutient le salarié comme une formation de longue durée ;
qu'il est inexact d'affirmer que l'activité ralentie de l'entreprise était propice à l'organisation de formation et ce d'autant plus qu'il résulte du bulletin de salaire et du nombre d'heures accomplies par le salarié qu'il n'y avait aucune réduction du travail pendant cette période.
DISCUSSION
Attendu que pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la Cour se réfère à la décision attaquée et aux conclusions déposées et soutenues à l'audience ;
Sur l'opposabilité au salarié du contrat de travail
Attendu qu'il n'est pas contesté que le contrat de travail à durée indéterminée qui a été signé par [M] [S] le 16 décembre 2008 et porte la mention manuscrite ' lu et approuvé . Bon pour accord ' ;
Attendu que le contrat de travail est réputé valablement conclu s'il a un objet certain et une cause licite et si l'employeur comme le salarié y ont librement consenti ;
que le salarié n'invoque ni ne justifie avoir subi des pressions ou des manoeuvres qui auraient entravé son discernement et/ou vicié son consentement lors de la signature du contrat de travail ;
Attendu que le salarié invoque l' irrégularité du contrat de travail en raison de l'absence de diverses mentions ;
qu'en l'espèce, le contrat de travail à durée déterminée stipule qu'il est régi par la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires de transport, que le salarié exercera dans l'entreprise des fonctions d'agent d'exploitation et est engagé à compter du 5 janvier 2009 pour une durée indéterminée, qu'il est soumis à une période d'essai de 4 mois de travail effectif, qu'il percevra une rémunération mensuelle de 2500 € nets, plus prime de fin d'année et prime de panier en vigueur, que le salarié percevra 2,5 jours de congé par mois travaillé, réglés par la caisse de congés payés de la révision rhodanienne ;
que le contrat de travail mentionne par ailleurs que M. [S] sera affiliée à la caisse de retraite complémentaire des cadres IRRAPRI et GAN ;
qu'il s'en déduit que si sa qualité de cadre a été omise, elle résulte nécessairement et incontestablement de son affiliation à la caisse des cadres ;
que le contrat de travail apparaît conforme aux règles du droit communautaire qui prévoient que le salarié doit être informé de l'ensemble des éléments essentiels du contrat de travail ;
que l'absence de contrepartie à la clause de non concurrence ne rend pas l'ensemble du contrat de travail inopposable au salarié ;
que force est de constater que le salarié a été informé des éléments essentiels du contrat de travail et notamment de la période d'essai, à laquelle il a librement consenti ainsi qu'en atteste l'apposition sur le contrat de travail à durée indéterminée de la mention manuscrite ' lu et approuvé . Bon pour accord ;
qu'en conséquence, le contrat de travail doit être déclaré valable ;
Sur la rupture de la relation contractuelle
Attendu qu'aux termes de l'article 1221- 20 du code du travail ' la période d'essai permet à l'employeur d'évaluer les compétences du salarié dans son travail, notamment au regard de son expérience, et au salarié d'apprécier si les fonctions occupées lui conviennent' ;
qu'il est constant que l'employeur peut, de façon discrétionnaire, mettre fin aux relations contractuelles avant la fin de la période d'essai, sous réserve que son droit ne dégénère pas en abus caractérisé par la légèreté blâmable ou l'intention de nuire ;
Attendu que [M] [S] , a été avisée le 29 janvier 2009 , par lettre recommandée avec accusé de réception de la fin de la relation contractuelle en ces termes
« Monsieur,
Nous faisons suite à votre contrat signé en date du 16 décembre 2008 et nous vous prions de noter que votre période d'essai ne s'avère pas concluante.
Aussi, nous mettrons un terme à cette période d'essai à réception de ce courrier .'
Attendu que [M] [S] a protesté auprès de son employeur par courrier du 4 février 2009, dans les termes suivants :
' Je vous rappelle quand même que j'ai démissionné de mon poste de cadre, au sein de la société Conforama à [Localité 1] dans laquelle je travaille depuis 1982 en tant que responsable dépôt pour répondre à vos offres et formation d'emplois qui n'ont pas eu lieu.
26 jours après vous avez décidé de rompre le contrat en me donnant pour unique raison (...)une baisse d' activité. (Confirmée par votre comptable). Alors pourquoi avoir noté pour motif sur la lettre de rupture, 'période d'essai non concluante '' Qu'en est-il de la formation que je devais avoir pendant 4 mois ' Vous saviez très bien que je ne connaissais rien à ce métier d'agent d'exploitation puisque vous m'avez fait venir de Conforama où j' étais responsable du dépôt, vous le saviez et vous aviez dit que vous me formeriez . Alors pourquoi n'avoir pas profité de cette baisse d'activité pour me faire ma formation '
Attendu que par courrier du 12 février 2009 l'employeur a rétorqué que le salarié confondait 'période d'essai de quatre mois et formation dont il n'a jamais été question' et a expliqué ' nous avions bien conscience que vos connaissances en exploitation de transport étaient limitées, mais ce sont vos qualités de manager, de gestionnaire, d'encadrement d'une équipe de salariés, votre relationnel clientèle que vous nous aviez vanté et qui correspondent au poste requit qui nous ont amené à vous recruter. Mais nous avons été très rapidement déçus de constater que vous n'apporteriez pas ses qualités et que vous présenterez ni pas la motivation espérée pour évoluer en ce sens ' ;
Attendu que si les dires du salarié concernant la formation qui lui a été promise sont contestés par le courrier de l'employeur du 12 février 2009, il résulte cependant de ce même courrier que l'employeur était parfaitement informé de l'absence de compétence de [M] [S] en matière d'exploitation de transport ;
qu'il appartient à l'employeur d'assurer l'adaptation du salarié à son poste de travail ;
qu'il ne peut être valablement reproché au salarié, qui s'est manifestement beaucoup investi dans son travail puisqu'il a effectué 184,65 heures sur une période inférieure à un mois, de ne pas présenter 'la motivation espérée pour évoluer en ce sens ' ;
Attendu que la société transport GERY devait nécessairement être informée préalablement à l'embauche sur des compétences de [M] [S] puisque celui-ci travaillait pour le compte de la société Conforama, auquel elle louait son dépôt et qu'il résulte des pièces du dossier que c'est elle qui a pris l'initiative de le débaucher ;
qu'il résulte par ailleurs de ses évaluations que ces compétences étaient avérées ;
Attendu qu'en mettant subitement fin au contrat de travail de [M] [S], sans même lui donner la possibilité de s'adapter à un nouveau poste de travail dans lequel il ne bénéficiait d'aucune expérience ou formation et ce alors même qu'elle n'ignorait pas qu'il avait, sur sa proposition, démissionné de son poste précédent, la société transports GERY MANUTENTION a commis un abus manifeste dans l'exercice de son droit de rupture et a fait montre d'une légèreté blâmable ;
que le jugement entrepris devra donc être infirmé sur ce point ;
Attendu que le brusque abus de l'employeur dans l'exercice de son droit a non seulement fait perdre son travail à [M] [S] mais l'a également gravement perturbé puisqu'il a été plongé dans un état dépressif très sévère avec idées suicidaires, qui n'a pris fin que lorsqu'il a retrouvé un nouvel emploi ;
que ce nouvel emploi s'est révélé plus éloigné de son domicile et moins rémunérateur que celui qu'il avait quitté pour intégrer son poste auprès de la société GERY ;
que son préjudice matériel et moral sera indemnisé par l'allocation de la somme de 8 000 € à titre de dommages-intérêts ;
Sur les autres demandes
Attendu que les sommes allouées par le conseil des prud'hommes au titre des rappels de salaire et primes n'ont pas été contestées par l'employeur qui a sollicité la confirmation du jugement entrepris ;
que cependant, le salarié qui a interjeté un appel général a précisé à l'audience avoir renoncé à sa demande de dommages-intérêts pour non-respect du délai de prévenance ;
Attendu qu'il y a lieu de confirmer les dispositions non contestées du jugement, sauf sur la condamnation pour non-respect du délai de prévenance ;
Attendu que l'équité commande de faire droit à la demande du salarié au titre de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de 500 €.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
- Infirme le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de VALENCE du 7 juillet
2 010 en ce qu'il débouté [M] [S] de sa demande de dommages-intérêts pour rupture abusive,
-Constate que [M] [S] renonce à sa demande pour non respect du délai de prévenance,
- Et statuant à nouveau :
- Condamne la société GERY MANUTENTION à payer à [M] [S] la somme de 8000 euros à titre de dommages-intérêts pour abus de droit,
- Confirme pour le surplus le jugement entrepris, sauf sur la condamnation au titre du délai de prévenance,
Y ajoutant,
Condamne la société GERY MANUTENTION à payer à [M] [S] la somme de 500 euros au titre de ses frais de irrépétibles
Condamne la société GERY MANUTENTION aux dépens.
Prononcé publiquement ce jour par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile.
Signé par Monsieur DELPEUCH, Président, et par Mademoiselle ROCHARD, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT