RG N° 10/00893
N° Minute :
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE SOCIALE
ARRET DU MERCREDI 12 JANVIER 2011
Appel d'une décision (N° RG F 08/01233)
rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRENOBLE
en date du 04 février 2010
suivant déclaration d'appel du 22 Février 2010
APPELANT :
Monsieur [C] [A]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Comparant et assisté par Me Wilfried SAMBA SAMBELIGUE (avocat au barreau de GRENOBLE)
INTIMEE :
La S.A. SOPRA GROUP, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représentée par Monsieur [V] (Directeur) et assistée par Me Alice DELAMARRE (avocat au barreau de PARIS )
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DU DELIBERE :
Monsieur Bernard VIGNY, Conseiller, faisant fonction de Président,
Monsieur Eric SEGUY, Conseiller,
Madame Astrid RAULY, Conseiller,
DEBATS :
A l'audience publique du 02 Décembre 2010,
Monsieur Bernard VIGNY, Conseiller faisant fonction de Président, chargé du rapport, en présence de Madame Astrid RAULY, Conseiller, assistés de Madame Simone VERDAN, Greffier, a entendu les parties en leurs conclusions et plaidoiries, conformément aux dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, les parties ne s'y étant pas opposées ;
Puis l'affaire a été mise en délibéré au 12 Janvier 2011, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.
L'arrêt a été rendu le 12 Janvier 2011.
Notifié le :
Grosse délivrée le :
RG 10 893 ES
[C] [A] a été engagé à compter du 12 février 2001 en qualité de collaborateur ingénieur d'études classification I 2.1 coefficient 115 de la convention collective nationale des personnels de bureaux d'études techniques, par la société de prestations de services informatiques SOPRA, agence de [Localité 4]. Il a été victime d'un accident de trajet le 12 juin 2007 et a observé un arrêt de travail jusqu'au 13 juillet 2007.
Il a été convoqué le 13 mars 2008 à un entretien préalable et a été licencié le 27 mars 2008 pour cause réelle et sérieuse pour des problèmes de comportement fautif à l'égard d'un client en mars 2008, pour manque de loyauté à l'égard de l'employeur et pour atteinte à l'image de marque de l'entreprise. Il a effectué un préavis jusqu'au 30 juin 2008.
Il a contesté cette mesure devant le conseil de prud'hommes de Grenoble, saisi le 26 août 2008, lequel, par jugement du 4 février 2010, a estimé que son licenciement était justifié et l'a débouté de toutes ses demandes.
[C] [A] a relevé appel le 22 février 2010.
Il demande à la cour de réformer le jugement, de dire que son licenciement est nul, de condamner son ancien employeur à lui verser 40.000 euros de dommages-intérêts pour licenciement abusif et 5.000 euros de dommages-intérêts pour préjudice moral, outre une indemnité pour frais irrépétibles.
Il fait valoir qu'il n'avait rencontré aucune difficulté avec son employeur jusqu'à son retour après un arrêt de cinq semaines du fait de son accident et que sa situation s'était alors détériorée.
Il rappelle qu'il avait immédiatement répondu à une lettre de reproches, envoyée le 26 octobre 2007, qu'il subissait la pression du client France Télécom, qu'il recevait des informations contradictoires de ce client et objecte qu'il avait vainement attiré l'attention de ses supérieurs à ce sujet.
Il explique n'avoir pas communiqué les codes d'accès à son successeur seulement en raison des règles de confidentialité imposées par le client. Il dénonce l'imprécision et l'incohérence des motifs du licenciement, comme l'absence de remarques après la correspondance du 26 octobre 2007.
Il explique aussi que s'était pour dégager sa responsabilité qu'il avait envoyé au client la copie de la lettre du 24 février 2008 qu'il avait adressée à son employeur, lettre qu'il estime plutôt habituelle. Il fait valoir que cet envoi n'avait eu aucune conséquence dommageable pour la société SOPRA qui avait poursuivi sa collaboration avec France Télécom et qu'il aurait pu être affecté chez un autre client, ce qui était possible puisqu'on lui avait demandé de mettre à jour son CV.
Il reproche à la société SOPRA d'avoir pris depuis longue date la décision de se débarrasser de lui et fait valoir que son remplaçant n'avait pas le même profil, ce qui démontrait selon lui une évolution de la mission chez France Télécom.
La société SOPRA GROUP demande à la cour de confirmer le jugement, de constater que l'attitude de [C] [A] s'était opposée à une exécution normale de son contrat de travail, de le débouter de toutes ses demandes et de le condamner au paiement d'une indemnité de 2.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle explique qu'elle avait dû le retirer avant terme d'une affectation et procéder à son remplacement à la demande du client France Télécom et que le transfert de compétences entre [C] [A] et son remplacement n'avait été facile car [C] [A] avait refusé de communiquer ses mots de passe.
Elle lui reproche des défaillances comportementales persistantes notamment dans le travail en équipe, un caractère trop rigide et insubordonné en dépit de remarques et d'alertes dispensées avant son arrêt de travail ainsi qu'un dénigrement de l'employeur auprès de ce même client, constitutif d'un manque de loyauté.
Subsidiairement, elle demande à la cour de réduire les prétentions du salarié à plus justes proportions dans les limites du code du travail et conteste tout préjudice moral.
Sur quoi :
Attendu qu'il résulte des éléments aux débats que [C] [A] avait reçu des mises en garde ou des appréciations négatives antérieurement à son arrêt pour accident de trajet, ce qui ne permet pas de considérer que son licenciement avait un lien quelconque avec son état de santé:
' il avait reçu un mail le 1er juillet 2004 d'un responsable de l'agence de [Localité 4] 'las de mises au point fréquentes' lui rappelant qu'il devait respecter les directives de son responsable opérationnel et devait se soumettre aux horaires de l'équipe d'affectation,
' il invoque un compte rendu de réunion avec un responsable du client HP indiquant le 29 septembre 2004 qu'il était très satisfait de son travail ainsi qu'un mail du 25 avril 2007 de [O] [G] faisant le compte rendu de leur entretien du 17 avril selon lequel le client FT SIFAC estimait que [C] [A] fournissait un travail de qualité et répondait aux attentes, mais postérieurement à ces deux documents, [C] [A] avait signé :
- un document de synthèse d'un entretien de progression du 1er décembre 2004 au cours duquel son supérieur avait relevé qu'il devait améliorer son relationnel, sa souplesse d'esprit et faire son autocritique,
- un compte rendu d'entretien de carrière du 6 juin 2007, sur lequel le notateur [T] [I] avait porté cette appréciation : 'très tranché, difficile, raide en communication $gt; ! comportement ' ;
Attendu qu'avant la mise en oeuvre de la procédure de licenciement, ces remarques négatives avaient été renouvelées à savoir le 26 octobre 2007, le lendemain d'un entretien demandé par le salarié et destiné à faire le point sur le déroulement de sa mission en cours chez France Télécom depuis juillet 2005 ;
Que son directeur de l'agence lui avait confirmé à cette occasion son insatisfaction quant à son comportement considéré comme étant de nature à nuire aux bons résultats attendus par le client, en faisant état d'insubordination, de manque de prise de recul et de communication inexistante, lui avait rappelé les observations faites le 6 juin 2007 et lui avait demandé une prise de conscience ;
Attendu que [C] [A] produit un message adressé le 20 novembre 2007 par le chef du projet de France Télécom, [Z] [R], qui jugeait rapide et violente la réaction de [O] [G] (responsable du compte de ce client France Télécom chez SOPRA GROUP) à l'égard de [C] [A], qui estimait que les remarques que lui-même avait pu faire verbalement à ce responsable de compte à propos de l'attitude 'parfois frontale' de [C] [A], étaient 'sommes toutes normales dans le contexte du projet', qui espérait que [C] [A] ne serait pas pénalisé par ses remarques car il estimait qu'il possédait 'un niveau d'expertise largement au-dessus du lot et très profitable au projet';
Que toutefois, ce n'est pas le client qui exerce le pouvoir disciplinaire mais l'employeur et qu'elle à celui-ci qu'il appartient d'apprécier le comportement de son salarié, l'opportunité, le degré et la forme d'éventuelles sanctions ou observations négatives sur son comportement au travail après avoir reçu des remarques d'un client à propos du comportement d'un salarié affecté auprès de lui ;
Que d'ailleurs [C] [A] avait reconnu au moins partiellement ses torts dans cette affaire ;
Qu'en effet, le 28 octobre 2007, il avait répondu à son directeur d'agence en invoquant certes des difficultés à obtenir des informations et des réponses 'très imprécises peu constructives et parfois contradictoires' du chef de projet mais en indiquant aussi qu'une 'pression inhabituelle de part et d'autre ainsi que des problèmes personnels expliquent en partie les quelques échanges malheureux qui ont pu se produire et que je ne peux que regretter' ;
Attendu que d'autres comportements non appropriés avaient été déplorés par l'employeur après le mois d'octobre 2007 ;
Attendu qu'il est justifié en effet par la société SOPRA GROUP de la demande exprimée les 10 et 29 janvier 2008 par son client Orange France Télécom de procéder au remplacement de [C] [A] pour l'exécution de la mission sur laquelle il était normalement affecté jusqu'au début du mois de mars 2008 ;
Qu'en outre, le chargé du compte [O] [G] avait constaté des difficultés lors de la transmission entre [C] [A] et son remplacement, [X] [N], à savoir le refus par le partant de communiquer à l'entrant des mots de passe permettant les connexions nécessaires à la bonne exécution de la mission ;
Attendu par ailleurs qu'il résulte des éléments de la cause que [C] [A] avait rendu ce même client France Télécom destinataire, le 24 février 2008, d'un courrier adressé par le salarié à son directeur d'agence ;
Que dans cette lettre, [C] [A] mettait nommément en cause différents responsables du client qu'il accusait de directives imprécises ou contradictoires, de taches demandées 'dépourvues de sens' ou 'risquées', de tensions entre responsables ;
Qu'il y évoquait aussi un problème en production survenu le 21 novembre 2007 qui 'vient de notre côté... mais [Z] [R] n'a pas souhaité divulguer cette information';
Qu'il y faisait également valoir qu'il avait remis son mot de passe à '[Z] [R] ... sous contrainte ... sous la pression et dans la crainte qu'il ne devienne violent ... Par conséquent je vous informe que [Z] [R] a accès à mon compte quality center en usurpant mon identité depuis le vendredi 22 février 2008 ... je souhaite que cette situation soit claire entre vous, moi Sopra et France Télécom afin q'il n'y ait pas d'équivoque sur d'éventuels incidents susceptibles de se produire depuis cette date' ;
Qu'il critiquait aussi dans ce courrier la qualité du travail fourni par SOPRA au bénéfice de ce même client (directives inexistantes, risque pour Sopra d'être déclaré responsable en cas de nouveau problème ) et ajoutait que 'le préjudice financier pour France-Télécom en cas de panne générale de notre application est d'environ 320 K€ par heure' ;
Attendu que la diffusion de ce courrier par le chargé de mission auprès du client caractérise un manque de loyauté et une atteinte à l'image de la société en ce que les critiques sévères émises par le salarié étaient de nature à faire penser au client que les prestations effectuées par SOPRA GROUP n'étaient pas sérieuses ou du niveau de qualité attendu et qu'un risque y compris financier pouvait peser sur elle ;
Que ce comportement était d'autant plus grave que la société SOPRA GROUP exerce son activité dans un contexte de concurrence commerciale et que ce client lui est particulièrement important (37% de son chiffre d'affaires en 2007, 42% en 2008) ; qu'il s'ensuit que le client devait être traité avec un minimum d'égards ou de délicatesse, ce qui n'avait pas été le cas à la lecture de ce courrier dont le contenu n'avait rien d'habituel ou d'anodin en dépit de ce que soutient [C] [A] ;
Attendu que l'attitude de ce dernier à propos de son mot de passe était infondée dès lors que ce mot de passe permettant d'accéder au compte France-Télécom lui avait été donné par le client France Télécom lui-même, ce que [C] [A] reconnaît dans une lettre du 16 avril 2008 contestant les motifs de licenciement et dès lors que, si ce client le lui avait donné, il était parfaitement en droit de le lui reprendre à la date de cessation de son affectation d'autant plus que l'employeur demandait également ou autorisait cette transmission de codes ;
Que l'attestation du 23 novembre 2010 de [K] [E], produite par [C] [A], sur l'exemple d'exigence de confidentialité à propos des mots de passe informatiques ne concerne pas le client France Télécom mais le client HP en 2003 et que ce témoignage n'apparaît pas revêtu d'une impartialité suffisante dès lors que cet ancien salarié de SOPRA de 1998 à 2006 avait pris acte de la rupture de son contrat de travail le 2 février 2006, ce que le conseil de prud'hommes avait considéré le 20 décembre 2006 comme une démission en déboutant cet ingénieur d'étude de ses réclamations aux fins de requalification en licenciement abusif ;
Attendu que [X] [N] était ingénieur d'études classification I 2.2 coefficient 130, donc d'un niveau proche de celui de [C] [A] ; qu'aucun des éléments de la cause ne permet de considérer que le remplacement avait été motivé en réalité par une modification de la mission chez France Télécom ;
Attendu que contrairement à ce que soutient [C] [A], son licenciement n'était pas envisagé de longue date mais avait résulté de la réitération d'un comportement inadapté en mission et d'un manque de prise en compte des remarques de son employeur ;
Attendu que par les motifs adoptés du jugement et par ces motifs propres, la cour considère que le licenciement de [C] [A] repose bien sur une cause réelle et sérieuse;
Que le jugement sera donc confirmé et [C] [A] débouté de ses demandes;
Attendu qu'il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de l'employeur ses frais irrépétibles d'appel ;
PAR CES MOTIFS
la Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi :
Confirme le jugement déféré et déboute [C] [A] de toutes ses demandes ;
Rejette la demande formée par la société SOPRA GROUP sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne [C] [A] aux dépens de l'appel.
Prononcé publiquement ce jour par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile.
Signé par Monsieur VIGNY, Président, et par Madame VERDAN, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Président Le Greffier